Chapitre 9. II.
*
« Tu tenais réellement à partir en patrouille dés notre arrivée ? rouspéta Blanche en évitant d'un pas léger une déjection canine qui ornait la ruelle dans laquelle les deux femmes s'étaient engagées.
La nuit s'était levée vite dissimulant les faucheuses sous son voile d'obscurité. Gretel se tourna vers son amie vivement, trépignant presque sur place.
— Ça empeste la magie. Ça sent si fort qu'il est sûr et certain que les monstres seront de sortie ce soir ! C'est l'occasion rêvée pour en savoir plus.
— Et tu vas me dire que tu sais exactement où agiront ces monstres ?
La jumelle jeta un coup d'œil interloqué à la princesse avant d'esquisser une moue et de s'exclamer avec un naturel déconcertant :
— Bien sûr que non.
— À quoi m'attendais-je... Ça aurait été un million de fois plus simple...
Sans prêter attention aux marmonnements de sa comparse, la faucheuse aux cheveux cendrés repris sa route d'un pas déterminé, à la recherche du moindre indice quant à la présence des créatures de la lune en cette froide soirée d'hiver. Ses doigts effleuraient la plaie encore ouverte sur sa paume. Jusque là, elle était parvenue à la dissimuler à Blanche. La brune n'aurait certainement pas apprécié sa manière pour conserver les pieds sur Terre. Mais rien d'autre ne fonctionnait excepté la douleur.
— Tu sais au moins où tu vas, Gret' ? Je doute largement que les choses soient identiques d'il y a six-cent ans...
En vérité la faucheuse avait un terrible mauvais pressentiment. Elle ne savait comme le communiquer à la jumelle mais son cœur se serrait chaque fois qu'elle évoluait dans cette ville. Pas besoin d'avoir reçu le don de vision pour savoir que les choses iraient de mal en pis. Blanche regrettait de plus en plus d'avoir quitté leur si chaleureuse chambre d'hôtel. Partir à la chasse aux monstres ne l'enchantaient guère bien qu'elle en ait fait son métier. Elle ne su quoi répondre à Gretel quand celle-ci se retourna à nouveau vers elle avant de soupirer :
— C'est toi même qui l'a dit ! Ce n'est pas sûr de nous aventurer dans le bois aux sorcières sans savoir ce qui nous attend. Alors pourquoi rester sagement à patienter pour trouver nos infos ?
Gretel avait besoin de chasser, de traquer, de tuer... Il fallait que le sang coule et qu'elle puisse évacuer la quantité énorme d'énergie qu'elle avait accumulé. La princesse le sentait bien. Mais que pouvait-elle faire... Prenant la première idée qui lui passait par la tête, elle pressa le pas pour se retrouver à côté de son ami et lui saisissant le bras comme deux vieilles comparses qui feraient une balade de santé, elle lança :
— Est-ce que tu étais aussi impatiente avant ?
— Je ne sais pas, tu dois mieux t'en souvenir que moi ! répliqua du tac au tac la faucheuse, en lançant un regard amusé à la brune.
Cette dernière esquissa une petite moue moqueuse avant de secouer la tête faussement sévère :
— Un peu de discipline Miss. Gretel ! Où vous serez de corvée nettoyage d'armes.
— Tu imites le vieux maître d'arme des faucheurs ?
— Qui d'autre veux-tu ! Tu as une bonne mémoire dis moi.
— Est-il mort ? Je ne l'ai pas vu à la petite fête organisée par le patron ?
Son regard se fit songeur lorsqu'elle repensa à cette fête. Juste après sa libération. Un retour dans le monde dont elle se serait passée. Que ne l'avait-on pas laissée en paix... Ayant perçu son léger décrochage, Blanche renchérit dans l'espoir de la distraire :
— Non. Il est plus vieux que le plus vieux des sages et souffre de démence dans sa petite maison de retraite.
— Bien fait ! C'est la punition divine pour avoir martyrisé toute une génération de jeunes faucheurs.
La princesse éclata de rire.
— C'est méchant ça Gret'.
Celle-ci la regarda presque offusquée et rétorqua :
— Tu as pensé exactement la même chos...
Elle s'interrompit brusquement tandis que ses yeux s'écarquillèrent face à ce qu'elle avait devant elle. Une immense ombre s'amassait sur un mur face aux faucheuses, menaçante avant de glisser hors de la surface plane pour devenir réelle, tangible et former une silhouette humanoïde et monstrueuse à la fois, aux yeux aussi sombre que le néant, aux longues dents pointues et aux griffes aussi affûtées que des sœurs suant d'un pu mortel, venimeux.
Un croque mitaine !
L'air se refroidit considérablement, l'atmosphère devint lourde, se fut comme si toute lumière et toute joie venait de disparaître. Les croques mitaines faisaient partis des monstres les plus puissants et dangereux des troupes de la lune. En général, ils se contentaient de semer la frayeur et la terreur, terrorisant les enfants et les adultes pour se nourrir de leur peur. Les soirs de pleine lune, cependant, ils se métamorphosaient et pouvaient aller jusqu'à dévorer des gens et semer le chaos. Malheur à ceux qui les surprenaient. Au vu de l'expression qu'affichait celui-ci alors qu'il s'approchait des deux faucheuses, il était certain qu'il comptait faire d'elles son prochain dîner.
Gretel dégaina aussitôt sa faucille tandis que Blanche encochait une flèche. Le doute venait de quitter la princesse qui était prête à détruire la créature. Cette dernière demanda, d'une voix métallique et effrayante, qui semblait toute droit sortie d'un film d'horreur :
— Que viennent faire deux faucheuses sur mon territoire ?
La jumelle se souvint alors de l'histoire qui courrait dans son village à propos d'un croque-mitaine lorsqu'elle était petite. Se pouvait-il que le monstre rode depuis cette époque reculée ? Elle fut un instant tenté de poser la question mais se retint et préféra répliquer :
— À ton avis ?
— La Mort se croit plus forte que notre mère... Mais la mort, c'est nous qui la donnons ! »
Ni une, ni deux, le croque-mitaine bondit. Gretel l'esquiva tandis que la brune à ses côtés décochait sa flèche. En plein dans le mile ! Le monstre grogna de fureur, un trou s'étant formé dans son corps de brume. Il se tourna alors vers l'archère, tendant ses doigts au longues griffes pointues et tordues en sa direction comme pour s'emparer d'elle. Mais celle-ci bondit en arrière pour éviter la poigne maléfique et la jumelle en profita pour attaquer. Malepeste de créature maudite ! fulminait-elle, en fauchant l'air de son arme recourbée. Elle attaquait avec une hargne dévastatrice, habitée par la haine des creature de la lune, et une précision qui aurait été mortelle si le monstre n'avait pas été aussi agile, évitant les coups avec une facilité agaçante.
Brusquement, il repoussa la faucheuse aux cheveux cendré contre un mur avec une telle brutalité qu'elle s'effondra au sol, pratiquement assommée, sa faucille échouant bien plus loin. Puis il se retourna vers Blanche et d'un coup de griffe lui déchira l'épaule. Celle-ci tituba en arrière et le croque-mitaine en profita pour la jeter au sol définitivement. Il s'apprêtait à l'achever, levant à nouveau ses mains meurtrières.
Gretel releva la tête à cet instant, l'arcade sourcillaire seulement un peu fendue, et la peur qui s'empara d'elle fut telle qu'elle cru mourir sur place. L'image de la scène qui se déroulait sous ses yeux lui rappela brusquement un autre meurtre, quatre cents ans plus tôt. Un meurtre où c'était elle la coupable. Il ne pouvait y avoir d'autres morts.
Son cœur loupa un battement tandis que l'adrénaline se déversait dans ses veines. Jamais elle n'avait ressenti une telle crainte. Pas même pour Valentin ou son frère. La petite princesse ne doit pas mourir ! Vas y ! Agis ! Pour la première fois de sa vie peut-être, la jumelle obéit au sifflement de son plein gré.
Elle se jeta entre la princesse et le croque mitaine, sans sa faucille ni même aucune autre arme. Gretel est une arme elle même ! Son corps entier s'embrasa tandis que le monstre entrait en collision avec elle.
Les flammes s'attaquèrent alors à celui-ci, pis au piège dans une sphère incandescente. La cendre devenait feu.
La faucheuse sourit alors, d'une façon mauvaise, sadique, et tendit sa main vers l'ombre qui tournoyait autour d'elle, et qui tentait désespérément ou de s'échapper ou de s'emparer de l'âme de sa rivale. Au moment où Gretel effleura le croque mitaine celui-ci se ratatina contre les flammes, poussant un cri effroyable. Alors, elle s'agenouilla face à la créature qui se recroquevilla encore plus, ouvrant de grands yeux obscures, presque implorant, effrayée par le feu qui évoluait sur le corps de la jumelle.
Celle-ci esquissa un rictus qui aurait pu passer pour attendri face à ce regard empli de crainte de la part d'un des monstres de la déesse maudite. Lentement et avec une satisfaction presque malsaine, elle approcha sa main de la ténébreuse créature qui glapissait de terreur. Au moment où elle l'atteignit de nouveau, les flammes s'attaquèrent aux ombres et dans une puissante déflagration qui projeta au loin la faucheuse, le croque mitaine explosa en millier de particules sombres et miniatures, comme des braises.
Gretel se redressa douloureusement, les flammes disparaissant automatiquement, et se massa les tempes face à la souffrance que l'emploi de la magie lui causait. Pour la première fois depuis longtemps cependant elle ne regretta pas d'avoir fait appel au don de pyrokinésie. Elle l'avait fait pour Blanche... Blanche ! Elle se leva promptement tandis que le souvenir de la puissante peur qu'elle avait ressenti. La brune avait failli mourir.
Luttant pour ne pas céder au flot de mauvais sentiments et de culpabilité qui la gagnait, Gretel aida sa comparse à se relever, observant les dégâts infligés à l'épaule de celle-ci. Mais qu'avait-elle fait ? Sans ne dire plus un mot, les deux faucheuses rentrèrent à l'hôtel, l'une blessée et l'autre si livide qu'on aurait cru qu'elle venait d'apercevoir la mort – et même cette apparition n'aurait pu causer une telle horreur sur le visage de la jumelle.
Cette soirée avait été désastreuse.
Lorsque les deux amis arrivèrent à leur chambre, elles entreprirent de panser leurs blessures. Alors que Blanche était assise sur le lit ; Gretel, à ses côtés, appliquait avec minutie et douceur sur la plaie que celle-ci arborait à l'épaule un baume contre le venin dont étaient infectées les griffes du croque-mitaine – une chance que la brune ait pensé à en amener. Ses doigts habiles à manier une faucille nouèrent un bandage lentement afin de ne pas trop appuyer sur la blessure de son amie.
« Tu ne vas pas pouvoir te servir de ton arc avant au moins deux jours... le temps que ta plaie guérisse. Nous ne pourrons pas nous rendre dans le bois aux sorcières avant après demain.
— Tu es déçue ? murmura à voix basse la princesse.
— Non fautive. Je n'aurai pas dû m'entêter... Je t'ai blessée...
Face à l'air penaud et empli de culpabilité de son amie, Blanche soupira avant de l'attirer de son bras valide contre elle.
— Ce n'est pas toi qui m'a blessée Gret'. C'est ce monstre que tu as tué.
Mais la jumelle ne pouvait se détacher des images de la faucheuse en danger et de la puissante terreur qui l'avait gagnée. Une image qui se superposait à d'autre. Elle était la seule responsable. Elle la mettait en danger, elle mettait tout le monde en danger. Si seulement son frère n'avait pas été capturé, si seulement elle était restée dans sa prison, si seulement rien de tout cela n'était arrivé... La voix plus rauque que d'ordinaire, elle répliqua :
— Tu n'en sais rien, Blanche. J'attire le malheur et je cause la mort.
— Mais je ne suis pas mor...
La brune se figea. Elle comprit soudain à quoi faisait référence la jeune femme aux cheveux cendrés. Sa condamnation. Elle en connaissait bien évidemment le motif mais ne savait rien des circonstances et des causes. À cette période elle avait été absente durant plusieurs mois. Les mois où tout avait basculé. Poussée par sa curiosité naturelle, Blanche se mordit la lèvre inférieure avant de souffler :
— Veux-tu me raconter ce qu'il s'est passé ? Pourquoi tout cela t'est-il arrivé ? »
Un instant, Gretel se sentit prise au piège et voulut fuir. Mais elle réprima son instinct et se fit violence pour rester contre la princesse qui patientait. Elle pouvait le faire. Elle pouvait raconter. Se laissant tomber en arrière sur le matelas, son regard se perdit sur le plafond blanc et propre, ses cheveux gris en corolle autour de son visage affichant une expression désormais neutre malgré la bataille qu'elle menait en elle. Elle sentit que son amie l'imitait en s'allongeant elle aussi sur le dos. Au début, le silence pesa sur elles. Puis Gretel se mit à raconter la vérité. Toute la vérité. L'horrible vérité.
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