Chapitre 9. I.

'' À l'aube, avant que les enfants ne se fussent éveillés, la sorcière se leva. Elle attrapa Hansel, le conduisit dans une petite étable et l'y enferma. Il eut beau crier, cela ne servit à rien. La sorcière s'approcha ensuite de Gretel, la secoua pour la réveiller, et lui dit : « Debout paresseuse ! Va chercher de l'eau et prépare quelque chose de bon à manger pour ton frère. Il est enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse. Quand il sera à point, je le mangerai. » ''

Hansel et Gretel, les frères Grimms.

*

« Il était une fois un bûcheron qui avait deux enfants et qui vivait à l'orée d'une forêt. » L'histoire ne s'éternisait pas plus sur la question du lieu où vivaient ce bûcheron et ses deux enfants, ni même sur la forêt dont il était question. Personne n'aurait donc pu se douter qu'il s'agissait de la forêt noire. Si elle était réputée parmi les humains pour sa beauté, les Immortelles savaient qu'en son cœur se cachait un des pires bois aux sorcières du monde. Un bois dont il était dit qu'on n'en ressortait jamais. Les faucheurs eux-même n'osaient trop s'y aventurer redoutant plus que tout ce qui s'y dissimulait : un véritable nid de malfaisance bénie par la lune.

Gretel ne prêtait qu'à moitié du crédit à ses allégations. Après tout, elle s'en était sortie, elle ! Et elle n'avait alors que dix ans. Elle ne doutait pas qu'un faucheur, armé et possédant quelques résidus de pouvoir puisse s'en tirer sans trop d'égratignures. Il suffisait de savoir s'y prendre avec ces bestioles du mal. Malgré cela, la jumelle n'était tout de même pas tout à fait l'aise avec l'idée de revenir sur les traces de son passé. Une étrange impression lui tordait les tripes... Il lui semblait qu'elle se perdrait en chemin et ce semblant de peur diffuse la poussait à vouloir arrêter la voiture qui circulait sur l'autoroute, tout droit vers son village natale. Mais elle s'en empêchait. Et tant mieux...

Ses doigts tapotaient nerveusement contre ses genoux avec un rythme particulier, celui de l'hymne des faucheurs. Elle l'avait en tête depuis que Blanche le lui avait fredonné. L'hymne était conçu comme une berceuse. L'air, doux, mélancolique, restait facilement en tête et forçait la voix à devenir basse lorsqu'il était fredonné. Écrit en 1004, plusieurs décennies après la création de l'ordre des faucheur, il était d'abord fredonné dans les campagnes, lorsque la magie avait encore une petite part dans le quotidien des humains, pour faire fuir les monstres, comme une prière. La religion, bien que présente, n'avait pas encore remplacé toutes les traditions et autres croyances. Une période que Gretel n'avait – évidemment – pas connue. Malgré le fait que l'on croyait encore en la magie, elle fut reléguée au rang de fadaise, d'illusions, de conte de fée ou d'hérésie.

Une boule se logea dans la gorge de la faucheuse aux cheveux cendrés lorsque la voiture s'arrêta. Elle n'eut pas besoin d'ouvrir ses yeux désespérément clos pour comprendre. Nous y sommes, nous y sommes ! Tu vas te perdre, nous allons souffrir... Fuis-vite, il en est encore temps...

Fuir ? Gretel ne le pouvait pas ! Son frère l'attendait, quelque part, aux mains des sorcières. Ses doigts se resserrant autour du manche de sa faucille, elle prit une grande inspiration avant de lever les paupières et de descendre du véhicule. Rejoignant Blanche qui réglait le trajet, à l'extérieur, elle maîtrisait ses tremblements.

Les lieux avaient changé. Mais pas l'air. Il était imprégné du passé. Un passé qui s'insinua avec violence sous la peau de la jumelle pour se remémorer à elle. Non, non, non ! Gretel doit rester lucide ! Il ne faut pas que Gretel panique !

Non, il ne fallait pas. Et pour ne pas paniquer, il fallait qu'elle reste ancrée à la réalité. Qu'est-ce qui était réel ? Qu'est ce qui ne l'était pas ?
La Faucheuse ne connaissait qu'un moyen pour s'en assurer. Aussi discrètement que possible, elle approcha sa main de la lame de la faucille et appuya sa paume contre celle-ci avant de la faire glisser brusquement. La douleur fulgurante la raccrocha brutalement à ce qui l'entourait tandis que le sang coula le long de sa main et de ses doigts. Elle s'essuya prestement sur son manteau alors que la princesse faisait volte face. Ni vu, ni connue. La main blessée qui ne tarderait pas à cicatriser disparu dans une poche pour dissimuler son geste. D'une voix maîtrisée, qui ne trahissait pas sa douleur, elle s'enquit :

« Où allons-nous maintenant ?

— Je pensais que ce serait toi qui nous guiderait, avoua Blanche en se mordant la lèvre inférieur, les sourcils froncés.

Elle paraissait être plongée dans une profonde réflexion. Gretel eut un instant d'observation. Après avoir observé autour d'elle, elle leva la tête vers les cieux, les paupières mi-closes, l'air de flairer l'air comme un chien. La mémoire du lieu s'imposa à elle. Après quelques instants elle reporta son attention sur la brune qui la fixait, intriguée.

— C'est très étrange quand tu fais ça tu sais ? On dirait...

— Un bouledogue allemand qui guette sa futur proie à mordre ?

Stupéfaite, la faucheuse explosa de rire tandis que Gretel l'observait, amusée.

— Je n'aurai pas dit ça, mais oui... Qui t'a comparée à ça ?

— À ton avis ?

— Valentin ? Ton frère ?

— Les deux.

Sûrement l'une des seules fois où les deux hommes avaient été d'accord concernant la jumelle. Ça et leur opinion que ce qui s'était passé par la suite. Fait assez rares entre les deux faucheurs. Leur rivalité était sujette à de nombreuses blagues dans l'ordre et celles qui s'en amusaient le plus étaient Gretel et Blanche. Cette dernière interrogea d'ailleurs :

— Lequel des deux as-tu « mordu » ?

— Aucun ! J'avais été très gentille ce jour là.

Nouveau rire de la part de la princesse. Elle voulait bien croire son amie mais celle-ci avait un tel sourire – un sourire d'arracheur de dents – qu'elle en douta. La faucheuse aux cheveux cendrés avaient un mauvais caractère. Mais tout cela, c'était avant. La brune se retint de grimacer mais ce fut comme si Gretel l'avait entendue. Ses lèvres se tordirent en un rictus et alors que ses doigts s'enfoncèrent dans sa plaie pour ne pas qu'elle dérive, elle s'exclama :

— Très bien, suis moi ! Je vais te conduire dans mon ancien village qui n'est plus du tout le même. Si j'ai bien compris, il y a un hôtel là où il y avait la ferme de la laitière auparavant.

— Tu l'aimais bien cette laitière ?

— Parfois, je gardais ses vaches. »

Tandis qu'elles se mettaient en route, la jumelle eut tout le temps de penser. Avant de devenir faucheuses, Blanche et elles avaient eu des vies drastiquement différentes : l'une avait été princesse – quoique légèrement malmenée par sa sorcière de marâtre – alors que l'autre n'avait été que fille de bûcheron.

Un bûcheron et ses enfants qui avaient jadis vécu ici. Le sang coulait au fond de sa poche. Un bûcheron qui avait été son père. Goutte par goutte. Un père mort un peu moins d'une dizaine d'année après leur première rencontre avec une sorcière. Gretel cessa d'appuyer sur sa plaie et agita légèrement ses doigts, endoloris. La mort de son père était une réalité. Son fantôme hantait peut-être la ville, l'âme dérangée par ses péchés : il avait abandonné ses propres enfants dans les bois. Pourtant, elle l'avait pardonné. Ils l'avaient pardonné. Les jumeaux n'avaient pas été rancuniers. Comment aurions-nous pu ? ricana la voix. Si faibles, si humains...

Ils n'étaient alors que des gamins. Des gamins qui venaient de tuer leur première sorcière et qui pensaient pouvoir vivre en paix jusqu'à la fin auprès d'une famille aimante.

Des gamins qui avaient été accusés d'avoir tué leur père, dix ans plus tard.

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