Chapitre 7. II.
Lorsque la sorcière se recula, Gretel pencha la tête sur le côté et jura. La voix éraillée elle murmura :
« Ielena...
Cela faisait six siècles. Six siècles qu'elle ne l'avait pas vu. Ce premier contact était à la fois trop puissant et pourtant... Si l'envie prenait à la femme qui se tenait sur le perron de l'embrasser à nouveau, Gretel savait qu'elle n'y résisterait pas. La sorcière repoussa une mèche blonde qui tombait devant son regard pétrole et esquissant un étrange sourire, répondit :
— Mi-a fost dor de tine. (Tu m'as manquée)
— Și mie... (moi aussi)
Songeant brusquement à Blanche, toujours derrière elle et qui ne devait rien comprendre, la jumelle indiqua, autoritaire :
— În franceză, nu sunt singur. (En français, je ne suis pas seule)
Ielena se tourna alors vers Blanche, semblant se rendre compte de sa présence pour la première fois. Lorsqu'elle s'exprima en français ce fut avec un fort accent, roulant les r et prononçant pratiquement toutes les lettres.
— Tu ne nous présentes pas ?
Gretel battit des paupières, observant un instant les deux femmes qui lui faisaient face, l'air songeuse. L'image semblait irréelle. L'était-ce ? Qu'est-ce qui était réel ? Qu'est-ce qui ne l'était pas ? Elle se sentait à la fois prise au piège et en même temps, elle exultait intérieurement. Peinant à maîtriser sa voix, elle prit la parole :
— Ielena, voici Blanche. Blanche, voici Ielena.
La faucheuse archère pu alors mieux observer la-dite Ielena. C'était une femme qui semblait jeune, moins de la trentaine, mais des signes de vieillesse trahissait sa nature : sa chevelure blonde comme le blé était parsemée de mèches blanches et cassantes et quelque taches grises se dessinaient sur la peau son cou pourtant en apparence parfaite. La beauté de la sorcière était indéniable quoiqu'elle dégageait quelque chose de sauvage. Blanche pouvait aisément comprendre que Gretel soit tombée sous le charme et en même temps... Cela lui échappait.
Ielena les fit entrer dans le salon, désignant des fauteuils. Retirant son long manteau, la princesse interrogea Gretel qui détaillait du regard l'intérieur et que la sorcière dévorait des yeux :
— Étiez-vous amantes ?
Seul le rire de son amie lui répondit. Ça n'était pas gagné. Se laissant tomber sur un fauteuil, imitée par la créature de la lune qui tenait ses distances, Blanche poursuivit son interrogatoire :
— C'est pour cela que tu l'as épargnée ?
La jumelle, restée debout, secoua la tête :
— Pas seulement.
Ce fut Ielena qui décida d'apporter plus de précisions aux dires que la faucheuse en soufflant :
— Je les ai aidés à détruire un coven de sorcières.
Cette histoire rappela soudain quelque chose à la brune. Son regard s'illumina et elle s'exclama, levant son regard vers sa comparse :
— Ta première venue d'il y a six siècles !
— Ce fut l'une de nos premières missions. commença à expliquer Gretel à sa compagne encore abasourdie.
Pour pouvoir détruire le coven, il avait fallut le trouver et pour cela, charmer une des ses adeptes. Le jumeau s'y était essayé au début avec une jeune sorcière, encore novice et qui n'avait pas commit son premier meurtre, une sorcière dite « pure » que les autres créatures maléfiques tentaient d'attirer vers des voies plus sombre. Elle était moins méfiante, plus naïve et donc, plus fragile. La Lune ne l'avait pas encore bénie. Sa tentative de séduction avait échoué. La sorcière, Ielena, n'était pas attirée par les hommes. Ce qui expliqua peut-être pourquoi ce fut Gretel qui parvint à séduire la farouche créature. Elle fit d'ailleurs plus que cela puisqu'une véritable passion amoureuse naquit. Lorsque le coven fut détruit, les jumeaux avaient laissé la vie sauve à la novice, d'une part car elle les avait aidé, d'autre part car... Et bien car la faucheuse avait éprouvé une véritable affection pour la sorcière.
Ielena était un secret qu'elle partageait avec son frère. Il avait toujours tu la relation que sa sœur avait eu. Et lorsque les jumeaux étaient rentrés en Angleterre, une année plus tard, ce fut comme si ces instants n'avaient jamais existé. Ce fut d'ailleurs dans les décennies suivant ce moment que Valentin entreprit de charmer Gretel et que les deux compagnons devinrent amant.
La jumelle conta cela, le regard dans le vide, l'air d'être à nouveau plongée dans ses souvenirs. Tout cela, c'était... Avant. Elle n'entendit même pas la remarque de Blanche – étonnée que son amie ait pu lui cacher tout cela – et la réponse moqueuse de Ielena. Son regard fut captivé un instant par les flammes dans l'âtre de la cheminée. Elles dansaient d'une manière apaisante. En quatre siècles, le spectacle du feu lui avait manqué, ses couleurs, ses crépitements, sa chaleur... Il n'était pas qu'une arme. Inconsciemment, des petites flammèches apparurent au bout de ses doigts, ramenant la faucheuse à l'instant présent. Elle les éteignit prestement avant les autres ne s'en rendent compte. La pyrokinésie. Un autre des pouvoirs légués par les sorcières tuées. Un pouvoir bien utile lorsque ce n'était que par le feu que l'on pouvait tuer les créatures de la lune.
Mais Gretel ne devait pas s'en servir. Non, jamais ! Elle ne devait pas utiliser ses pouvoirs, trop dangereux, trop mauvais, trop sorciers. Les runes passaient encore mais cela... Non !
Elle serra le poing et reporta son attention sur ses deux interlocutrices au moment même où Ielena se tourna vers elle.
— À mon tour de recevoir des explications maintenant. Pourquoi viens-tu me voir ? Je croyais que ça n'arriverait jamais... Et ou est H...
Gretel l'interrompit brusquement, sa voix déraillant violemment :
— Mon frère a disparu ! Il faut que tu m'aides à le retrouver.
— Tu n'étais pas avec lui ?
Cette fois-ci, un rire amer échappa à la faucheuse qui secoua la tête, une étrange lueur dans le regard.
— Je viens de passer quatre siècles enfermée...
Dire ces mots lui coûta plus que ce qu'elle n'avait imaginé. Elle eut soudain très chaud et un long hurlement monta en elle, se coinçant dans sa gorge avec la furieuse envie de s'échapper. La sorcière ne s'en rendit pas compte au contraire de Blanche qui plongea son regard de miel apaisant dans celui gris de la jumelle.
— Pourquoi ? Tu étais l'une des meilleures, tu...
Gretel détacha son regard de celui de son amie pour s'avancer vers la blonde et d'une voix étranglée, elle murmura :
— Pour meurtre.
Elle saisit vivement la main de son ancienne amante qui ne pu se libérer et se figea en ressentant toutes les violentes émotions de la faucheuse. Ce contact lui permit soudain de creuser plus loin dans cette sinistre histoire. La sorcière se lança brusquement dans un chapelet de juron en roumain et Blanche, restée silencieuse, n'eut pas besoin de comprendre pour savoir qu'elle insultait l'ordre des faucheurs. Et pour le coup, elle partageait bien son avis.
Gretel lâcha alors la main de Ielena et recula en titubant avant de se laisser tomber au côté de Blanche sur l'accoudoir du fauteuil. Ayant récupérer son calme, la sorcière interrogea, la voix bien plus déterminée et assurée qu'auparavant :
— Tu veux que je localise... ton frère ?
Elle se rattrapa in-extremis. Ielena s'était vite rendue compte que son ancienne amante refusait d'entendre le nom de son jumeau. Quelque chose dans son regard faisait craindre un violent éclat de folie.
— Oui. Même si je le voulais, je ne le pourrais moi même, et ton don de vision est l'un des plus puissants. Toi seule pourrait le localiser.
— Tu sais que je ne verrai qu'un lieu et pas lui ?
Gretel hocha de la tête.
— Je saurai le retrouver une fois sur les lieux. Il me faut juste... juste...
— Savoir où aller, compléta l'Immortelle qui l'accompagnait.
— Bien. Dans ce cas, je suppose que tu as ce qu'il me faut ?
La jumelle tendit les débris de l'arbalète. Ielena eut un mouvement de recul. Elle connaissait cette arme. À l'époque où elle avait rencontré les jumeaux, jamais le faucheur ne s'en séparait. Se ressaisissant, elle plaça l'objet au sol, saisit une poudre qui traînait dans une coupole sur la table basse et traça un cercle autour de l'arbalète. Elle entreprit de dessiner différentes runes sur son planché avant de jeter un rapide coup d'œil aux faucheuses qui l'observaient.
— Venez au centre du cercle.
Gretel et Blanche obtempérèrent et s'assirent à côté de l'arbalète, vite rejointes par la sorcière. Celle-ci prit dans sa main gauche celle de son ancienne amante avant de saisir de la droite celle de la brune qui était tant fascinée par ce qui arrivait qu'elle ne réagit pas. Les immortelles comprirent qu'elles devaient en faire de même et bientôt elles formèrent un cercle autour des morceaux de l'arme.
Ielena se lança alors dans une litanie de formules et les sceaux tracés au sol s'illuminèrent. Les yeux de la sorcières passèrent du noirs absolu au blanc scintillant, signe qu'elle plongeait dans une vision. Son emprise se renforça sur les doigts de Gretel qui sentait son troisième et ultime pouvoir s'éveiller au contact de la magie que dégageait son ancienne amante. Un pouvoir de vision qu'elle avait obtenu en détruisant le coven. Elle se sentait glisser lentement comme si cette magie maudite voulait l'attirer dans les ténèbres. Cette lutte la déchirait presque de l'intérieur tant elle sentait que l'on tirait sur ce pouvoir. La jumelle planta ses dents dans sa lèvre inférieure pour y résister et ne pas céder à l'attraction presque malsaine qu'exerçait sur elle celui de Ielena qui malgré tous ces efforts, parvenait à s'insinuer en elle pour venir jeter des bribes d'images.
La sorcière se tu brusquement, basculant la tête en arrière et l'arbalète se mit à dégager d'étranges ondes. À présent elle broyait littéralement les doigts des deux immortelles.
Lorsque le sortilège se rompit et que les yeux de la blonde reprirent leur teinte noire, elle se tourna vers la faucheuse aux cheveux cendrée qui était plus pâle que la mort et dit :
— Ma douce Faucheuse... Il va te falloir te rendre en Allemagne. C'est un petit village non loin de la forêt noir et...
— Je sais où se trouve ce village.
Ielena haussa un sourcil surprise, et Blanche pencha la tête sur le côté.
— Comment cela ?
— J'y ai passé des années, j'y ai grandi. C'est là que je vivais jadis. »
Si Gretel n'était pas tant estomaquée par l'idée de retourner dans endroit où elle pensait ne jamais remettre les pieds, elle aurait remarqué que la situation était étrange. Trop pour que tout ne soit qu'une simple coïncidence.
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