Chapitre 6. II
*
Au petit matin, la lumière pénétra dans la petite chambre d'hôtel. Vide.
Les deux Immortelles avaient repris leur chemin aux premières lueur de l'aube. Il leur fallait rejoindre l'aéroport et le jet privé des faucheurs qui devait être à l'heure actuelle enseveli sous la neige. Mauvais temps, mauvaise piste et mauvaises conditions. Si Gretel n'était déjà pas folle, elle le serait devenue tant elle trépignait. Cette nuit, elle avait encore rêvé. Elle avait encore été son frère. Cette fois-ci, ils s'étaient retrouvés dans des ténèbres si profonde qu'ils ne parvenaient à voir la moindre chose. Des hurlements s'étaient alors élevés. Pas les leurs. Et pourtant, Gretel en avait eu la chair de poule et ce, même après son réveil en sursaut, bien plus tôt que l'heure à laquelle il avait été prévu qu'elles ne se lèvent. La jumelle était restée assise sur son lit dans l'obscurité, à fixer le vide, assiégée par les sifflements et les pernicieuses insinuations des voix dans sa tête. De ses voix. Après tout, c'était toujours la sienne, sa voix un peu rauque aux accents traînants.
À présent, le silence régnait dans son esprit et elle en était reconnaissante.
L'aéroport était presque vide à cette heure là de la journée – ou plutôt en cette fin de nuit. Les gens de la ville n'étaient à priori pas pris d'une frénésie voyageuse. Tant mieux ! ne pu s'empêcher de penser Gretel qui haïssait les foules et plus encore lorsque celles-ci étaient inconnues, chose normale pour une jeune femme ayant tour à tour vécu dans une petite forêt allemande, dans un manoir isolé et enfin dans une cage destinée à l'enfermer à tout jamais...
Pourtant, quand les faucheuses se retrouvèrent seules dans un hall, la suspicion les gagna. Quelque chose clochait. Ce n'est que quand Gretel, devenue bien plus sensible au fil du temps aux moindres mouvements, aperçu une ombre en mouvement que les choses s'accélérèrent brusquement. Elle dégaina sa faucille et évita un sortilège qui fonça droit sur elle. Blanche réagit aussitôt, décochant une flèche qui rata sa cible. La sorcière restait invisible...
Un bourdonnement terrible envahi soudain l'atmosphère et des centaines de scarabés bleus se précipitèrent sur les jeunes femmes. Si leur nombre rendait certainement leur attaque mortelle, Gretel ne craignit pas pour sa vie. Car aussitôt, Blanche bondit devant elle et leva les mains, dévoilant alors au creux de son poignet un tatouage en forme de scarabé. Dans le même genre que celui que la jumelle abordait dans son dos. Aussitôt les scarabés se figèrent devant elle et tombèrent au sol, sous l'emprise de la faucheuse. Celle-ci ricana et s'exclama :
« Je n'ai jamais été aussi contente d'avoir pour totem ces foutues scarabés ! »
Mais sa comparse ne répondit rien, bondissant en avant pour se lancer à la poursuite de la sorcière qui venait de décamper. Ce n'était qu'une ombre qui glissait mais elle était tout près. Les murs étaient recouverts de runes qui n'échappaient à l'œil avisé de Gretel. Cette dernière courrait à en perdre haleine, bousculant un ou deux agent d'entretien qui n'eurent même pas le temps de réagir. La faucheuse devait retrouver cette sorcière et l'arrêter. Peut-être savait-elle où était son frère ?
Alors qu'elle déboula dans une nouvelle salle vitrée et vide, elle se prit de plein fouet un des sorts de la sorcière qui la projeta au sol et envoya valser sa faucille au loin dans un bruit métallique qui annonçait qu'elle était à présent désarmée. Désarmée mais pas sans défenses. Elle pu alors l'observer, en peinant à se relever de sa lourde chute. C'était une femme, dont le regard noir transpirait la cruauté. Son visage qui aurait pu paraître attirant était recouvert de veines noires et elle esquissait un sourire si mauvais que Gretel aurait pu en trembler si elle n'était pas habituée. Son adversaire était puissante à en juger les symboles sur sa peau mais la faucheuse ne s'en soucia pas. Sans quitter du regard la créature maléfique qui s'approchait elle se releva avant de se figer en entendant le ricanement mesquin :
« Tu lui ressembles tellement... Impossible de se tromper.
La jumelle se figea, percutant brusquement de qui elle parlait. Son frère ! Cette catin du mal connaissait son frère ! Elle rugit :
— Où est-il ?
— Tu es si naïve, c'en est impressionnant. Le règne des faucheurs est fini... Toi et ton frère nous en assurerez. Ce sera la fin du bien.
Nouveau ricanement cynique qui alimenta la rage folle qui grandissait en la faucheuse aux cheveux cendrés. Elle tremblait tant elle se retenait d'aller encastrer cette folle de sorcière dans le mur dans son dos. Elle pouvait également la balancer par la fenêtre mais alors, elle en profiterait pour s'envoler. Un grondement sourd, plus proche de celui d'un animal que de celui d'une femme lui échappa. Ce qui semblait amuser la sorcière qui sussurra :
— Pauvre, pauvre folle – elle insista sur cette dernière parole avant de reprendre : tu es si sûre de l'emporter contre nous ? Vraiment ? Alors que tu as déjà perdu ? Tu ne le reverras pas.
Face à cette dernière phrase, Gretel explosa. Une puissante vague de fureur s'échappa d'elle. Une vague de fureur et une vague de magie : les vitres explosèrent brusquement dans un fracas assourdissant et son ennemie dû se baisser pour éviter des morceaux de verre de la taille d'un poignard qui fonçaient vers elle.
Blanche arriva à cet instant et lâcha un juron qui distraya soudain Gretel. En apercevant son amie, la rage s'envola et la sorcière en profita pour sauter par la fenêtre et disparaître.
Gretel observa autour d'elle hébétée. Elle grimaça avant de passer une main dans ses cheveux, fixant les débris du verre au sol. Elle n'y était pas allée de main morte. La voix de sa compagne lui parvint, sourde :
— Oh la vache, j'avais oublié à quel point tes dons de télékinésie étaient développés.
— Ce ne sont pas mes dons, réfuta-t-elle.
Théoriquement, la jeune femme n'avait pas tort. Les faucheurs n'avaient pas de pouvoirs. Ou tout de moins, pas naturellement. Cependant, au cours de leur longue vie de traques, ils en acquéraient, et très souvent, involontairement puisque ces pouvoirs étaient bénies par la lune. La raison de ce recueillement de magie était pourtant des plus simples : lors de la mort d'une sorcière, un résidu de ses pouvoirs persistaient, même au delà de la mort de sa propriétaires et cherchaient à s'accrocher au premier être qu'il trouvait sur son passage. C'était une façon pour la Lune d'assurer la pérennité de ses créatures malines et obscures. Or, comme le plus souvent, les faucheurs étaient responsables de la mort de sorcières, c'est sur eux que le résidu se déposait : plus un faucheur était âgé, plus il était puissant. Mais plus il possédait de pouvoirs maudits, plus cela le rendait dangereux et demandait de la maîtrise. Blanche avait échappé à cette triste loi et n'avait jamais reçu le moindre pouvoir, à son plus grand plaisir. La lune ne parvenait pas à entacher sa pureté. Tout au contraire, les jumeaux qui avaient été, en deux siècles, de véritables fléaux de sorcières, avaient amassé une grande quantité de magie. À priori, même les dons des sorcières avaient senti qu'une part de noirceur évoluaient en eux... Mais Gretel ne pouvait plus se maîtriser. Là était sa principale faute.
Et si encore la télékinésie était notre seul don...
Le ricanement qui fusa à ses oreilles la perturba. Elle ne pouvait s'expliquer ce changement constant de personne employée par son esprit : un instant il parlait de la jumelle à la troisième personne, celui d'après il la tutoyait et il finissait bien souvent par employer le nous comme si la dissociation s'atténuait et que les deux parties en conflit n'en formait plus qu'une...
Elle serra les poings quand brusquement, Blanche attrapa son bras et la tira derrière elle.
— Vite, à l'avion. Mieux vaut partir avant d'attirer l'attention.
Sans pouvoir répondre, Gretel partageait son avis... Comment expliquer les vitres cassées ?
Assise au fond de son siège, l'immortelle observait le paysage, songeuse. Elle repensa brusquement au pendentif qui s'était glissé hors de la chemise de son amie. Si elle l'avait pris au prime abord pour une pierre, elle se rendit compte qu'il s'agissait en réalité d'un flacon. Surprise, elle se tourna vers Blanche qui sirotait délicatement un verre de vin. Elle haussa un sourcil, interrogateur face à l'expression de la jumelle. Celle ci fixait la forme du pendentif que l'on devinait sous ses vêtement et qui pendait au creux de sa poitrine.
— Qu'y-a-t-il dedans ?
La brune fronça des sourcils avant de comprendre la question et porta la main à son pendentif qu'elle glissa à l'extérieur. Le petit flacon, en forme de goutte de cristal, capta un rayon de lumière, rempli d'un liquide argenté.
— Un des poisons, de ma composition.
Blanche était une maîtresse empoisonneuse. Elle maniait les essences mieux que quiconque et fabriquait l'Incandecentoria dont les armes étaient enduites. Mais ce qui intrigua Gretel était la manière dont sa compagne veillait sur son bijoux. Elle en posa d'ailleurs la question. La réponse ne tarda pas.
— C'est un poison assez particulier... Le Patron n'est pas au courant de son existence. Et tant mieux. Par ailleurs, c'est également la seule quantité qui soit au monde. Tu n'en trouveras nul par ailleurs que dans ce bijoux.
Devant les yeux arrondis de surprise et d'émerveillement – mais hantés d'étranges ombres – de son interlocutrice, la brune jeta un coup d'œil discret au cockpit avant de souffler :
— Ce sera notre secret Gret', d'accord ?
Gretel acquiesça avant d'esquisser un petit sourire et de s'extasier d'une voix traînante :
— Tu m'impressionnes Blanche. Vraiment. Et dire que ton talent te vient d'elle...
La maîtresse empoisonneuse frémit. Elle... La sorcière qui avait faillit la mener à sa mort pour une histoire de royaume et de beauté ! Un étrange rictus déforma un instant le doux visage de la princesse.
— Son art de manier les poisons... C'est la seule chose qu'elle m'a laissé.
— Ça et une vie de faucheuse. Sans elle, jamais la mort ne t'aurait bénie.
— Aurait-ce été une si mauvaise chose ?
Gretel haussa des épaules avant de s'enquérir :
— Et qu'a donc ce poison pour que tu le couves ainsi ?
Blanche aurait pu mentir, hésiter, se défiler. Mais elle avait une confiance sans faille en la faucheuse aux cheveux gris. Alors, sans faire le moindre détour, elle murmura :
— Il peut tout tuer Gret'. Sorcières, créatures et... Immortels. »
La jumelle eut un mouvement de recul. Jusqu'alors, pour se débarrasser d'un immortel, les sorcières usaient de sortilèges plus terribles et obscures que la nuit. Seules les plus puissantes pouvaient s'en charger. Quant aux rares fois où l'ordre dû condamner à mort certains faucheurs, ils s'assuraient que ceux-ci ne puisse pas se régénérer : couper la tête ou arracher le cœur avant de brûler le corps. Un sort qui attendait Gretel si sa mort n'avait pas été prédite par autrui.
Mais à présent, avec ce poison, la donne changeait. Il ne suffirait que d'une égratignure, que d'une goutte.
Tout changeait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top