Chapitre 6. I.

Les enfants reprirent leur marche, s'enfonçant toujours plus en avant dans la forêt. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche, blanc comme neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour l'écouter. Quand il eut finit, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le suivirent jusqu'à une maison sur le toit de laquelle l'oiseau se percha. Quand ils s'en approchèrent, ils virent qu'elle était faite de pain et recouverte de gâteau.

Hansel et Gretel, les frères Grimm.

*

« Qu'allons-nous faire maintenant ?

Perdue en pleine campagne polonaise enneigée, les deux faucheuses faisaient de l'auto-stop en bord de route. C'est avec désespoir que Blanche s'était rendue compte que son téléphone s'était entièrement vidé de ses batteries durant la nuit. La situation était critique. Et dire que les deux compagnes n'en étaient qu'au début de leur traque... Retrouver le jumeau de Gretel s'avérait compliqué. Mais la faucheuse aux cheveux cendré s'y attendait. Le regard dans le vague elle souffla :

— Il faut retrouver sa piste, découvrir où elles l'ont emmenées.

— Et comment ?

Gretel grimaça. Les débris de l'arbalète accroché à sa ceinture, contre sa faucille, pesaient lourd sous son long manteau. Elle n'aimait pas du tout la solution qui se présentait à elles.

— Je t'expliquerai plus tard. D'abord, il faut vraiment sortir d'ici.

— Pourquoi, tu n'aimes pas les campagnes polonaise en plein hiver ? C'est pourtant l'idéal pour les batailles de boules de neiges...

— Les quoi ?

Cette fois-ci la brune eut sérieusement envie de se cogner la tête de désespoir. Pourquoi pas sur cet arbre là-bas ?

— Gret', je te jure que lorsque toute cette histoire sera finie, je te traîne dehors pour que nous puissions faire une bataille. Je le jure sur... La Mort elle-même !

L'air absolument scandalisé de son amie arracha un rire à la jumelle qui secoua la tête et plaisanta :

— Peu importe ce dont il s'agit, je parie que je gagnerai. Encore.

— Tu ne perds rien pour attendre !

C'est alors que le bruit d'un moteur vrombissant attira leur attention, coupant court à leur chamaillerie. Au loin, une déneigeuse peinait à se faire un chemin sur la petite route de campagne. Les deux faucheuses lui firent aussitôt signe. La déneigeuse s'arrêta devant elles et la porte s'ouvrit, laissant apparaître un petit homme, rondouillard et âgé mais à l'air affable.

Que puis-je pour vous mesdemoiselles ? »

Gretel échangea un regard avec Blanche. Dans un polonais très peu maîtrisé, elle demanda au conducteur de les emmener dans la grande ville la plus proche où devait les y attendre le jet de l'Ordre des faucheurs qui les y avait emmenée. L'homme, un fermier du coin accepta avec bonhomie et les deux amies purent prendre place sur la banquette avant. Gretel laissa sa compagne converser tant bien que mal avec le local, s'occupant quant à elle d'admirer le paysage. Soudain, son regard se posa sur son reflet sur la fenêtre sombre. Elle refréna le vif mouvement de recul que ce dernier lui provoqua. L'espace d'un instant, elle cru voir son frère. C'était son image et non celle de la jumelle que renvoyait la vitre. Les mêmes yeux gris, les mêmes traits communs mais enfantins, quoique bien plus masculins, le même rictus. Elle battit des paupières mais ne put chasser cette image.

Brusquement, un éclat de soleil brisa cette image. Juste avant que le reflet ne redevienne le sien, elle cru voir un immense arbre en proie aux flammes. Puis plus rien. Sa main se crispa sur sa cuisse, ses ongles s'enfonçant dans sa chair presque jusqu'au sang, et la déneigeuse grinça affreusement. Fermant les yeux, Gretel se força au calme. Mieux valait qu'elle ne se laisse pas dépasser par les événements. Elle sentait que la folie tournoyait dans un coin de son esprit, prête à rejaillir à la moindre occasion. Mais elle ne recommencerait pas. Pas avec Blanche, pas avec le sympathique polonais qui leur servait de conducteur. Plus jamais ! Gretel n'a plus droit à l'erreur... Ou Gretel le payera.

Les ballottements du véhicule finirent par avoir raison de la jeune femme qui était épuisée suite à sa veillée nocturne. Elle s'endormit, plongeant dans un sommeil léger et pourtant nécessaire, peuplé d'image de combats et de traques.

*

Lorsque les deux faucheuses descendirent de la déneigeuse, Blanche salua joyeusement le conducteur qui après maints et maints sourires chaleureux finit par s'en aller. L'après-midi était déjà bien avancé et Gretel observait autour d'elle la ville qui se vidait peu à peu de ses passants. La nuit tombait vite en cette période de l'année au grand désespoir de la jumelle. Pour chasser les sorcières, cela était peu pratique : le laps de temps où elles auraient l'avantage était plus grand. La princesse interrompit brutalement ses pensés :

« Il va nous falloir faire un rapport et nous ressourcer cette nuit. On ne peut pas repartir à la chasse comme cela.

— Cela fait déjà une journée de perdue à essayer de sortir de ce foutu bois aux sorcières puis de rejoindre cette ville ! grommela Gretel qui se passa une main dans les cheveux.

Elle était effarée par le temps qui passait si vite. Durant son enfermement, elle en avait perdu la notion, comme si celui-ci s'était figé. Les jours, les nuits, tous étaient identiques et elle n'avait eu aucun moyen de pouvoir mesurer le temps passant. Elle avait raté tant de choses... Quatre siècles en réalité. Quatre cents anniversaires, et tout autant d'année manquée en la compagnie de son frère et de ses amis. Tout était de sa faute !

Se frottant la nuque, traduisant une certaine gêne, la brune soupira :

— Je sais, Gret', mais on doit tout de même faire une pause. Et avertir le Patron.

— Comme tu veux...

Elles s'arrêtèrent dans un petit hôtel. En moins d'une dizaine de minutes, les deux amies se retrouvèrent dans une minuscule chambre occupée par un lit double et une étagère. Une petite salle de bain jouxtait à la chambre.

Aussitôt, Gretel ôta son lourd manteau d'hiver, dévoilant ses pantalons déchirés et son corset renforcé enfilé par dessus une chemise. Le tout de la couleur de l'encre. Noir. L'uniforme des faucheurs. Blanche portait le même hormis le fait que sa chemise soit ornée de petites fleurs nacrées comme un rappel quant à sa distinction royale. La princesse se débarrassa de son corset, libérant ainsi sa poitrine qui se dessinait sous sa chemise sous le regard impassible de la jumelle qui ne put s'empêcher d'admirer la gracieuse silhouette de sa compagne.
Gretel se contenta pour sa part de retirer également ses bottes et ses armes qu'elle posa sur la petite table avant de faire craquer sa colonne vertébrale. Elle était à la fois éreintée après la journée de la veille et le combat du matin et pourtant, une nouvelle énergie coulait dans ses veines. Son rôle de faucheuse lui avait terriblement manquée.

Son amie se jeta sur le lit et rebondit sur le matelas avant de grimacer. Malgré la qualité sommaire du sommier, elle ironisa :

— Ce sera toujours mieux que le sol de la forêt.

Gretel ricana à l'entente de ces mots.

— À ce que je sache, tu n'as pas prévu de faire quoique ce soit dans ce lit, hormis dormir...

— Qui sait...

La brune lui adressa un clin d'œil significatif que la jeune femme aux cheveux gris ne releva pas, ignorant l'étrange chaleur qui s'empara de son cœur et ses joues qui lui picotaient soudain d'une manière pas aussi désagréable qu'elle n'aurait pu le penser. Elle secoua la tête comme pour chasser ces sensations bizarres et entreprit de s'étirer sans la moindre grâce. Tout en l'observant faire, Blanche revint à un sujet plus sérieux et s'enquérit :

— Alors, quelle est ta solution pour retrouver ton frère ?

La jumelle admira un instant l'arbalète de celui-ci, effleurant du bout des doigts le bois vermoulu. Un étrange sourire se peignit sur ses lèvres tandis qu'elle semblait plongée dans ses pensés. Sa comparse s'apprêta à insister mais brusquement, la faucheuse aux cheveux cendré prit la parole :

— Lorsque nous avons pris l'avion, tu m'as demandé si je n'avais jamais eu envie d'épargner une sorcière.

— Et alors ?

— J'en ai épargné une.

L'annonce jeta brusquement un froid. Blanche se redressa sur ses avant-bras avant de jauger du regard son amie qui fixait l'arbalète devant elle.

— Comment ça ?

— Elle a l'interdiction de nuire. Je lui ai juré que si un jour il lui venait à l'esprit de causer le moindre tort, à qui que ce soit, je m'occuperais personnellement de son cas.

— Pourquoi elle et pas une autre ?

— Je... Je ne sais pas.

Gretel mentait. La princesse s'en rendit compte sans le moindre soucis. Mais elle ne chercha pas à creuser plus la question. Quelque chose dans les prunelles grises de son amie, un étrange éclat presque menaçant, l'en dissuada. Pourtant elle brûlait de connaître les raisons de la jumelle. Cette dernière, face à la moue de sa compagne, finit par concéder :

— Tu le découvriras bien assez vite de toute façon.

Sa grimace n'échappait pas à Blanche mais celle-ci s'en contenta. Sa curiosité ne sera pas satisfaite aujourd'hui mais elle avait confiance en le temps. Celui-ci faisait bien son œuvre. Se concentrant sur le plus important, elle interrogea :

— Comment pourrait-elle nous aider à le retrouver ?

— Sa magie peut le localiser à l'aide d'un objet lui appartenant. Un objet qui, de préférence, aurait une valeur sentimentale.

— D'où l'arbalète ?

— D'où l'arbalète, confirma son interlocutrice.

Les zones d'ombres semblaient s'éclairer petit à petit aussi la brune décida-t-elle d'aller à l'essentiel.

— Bon et où se trouve donc ta sorcière ?

— J'espère que l'ordre finance mieux les déplacements de nos jours qu'à l'époque. Il va falloir quitter la Pologne pour la Transylvanie.

— En Roumanie ? N'as-tu pas déjà été envoyée en mission là-bas il y a quelque chose comme... six-cent ans ?

La jumelle battit des paupières avant de sourire étrangement en repensant à cette mission.

— Exactement ! »

Joyeuse Saint-Valentin à tous XD

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