Chapitre 4. I.

Alors retentit une petite voix et qui venait du cabanon.

« Grignotti, grignotti, qui grignote ma maison ?

Les enfants répondirent :

- Le vent, le vent, la brise légère. »

Hansel et Gretel, Les frères Grimm.

*

La forêt primaire de Bialovèse, en Pologne, s'étendait devant les deux faucheuses qui semblaient hésiter à y pénétrer. La neige tapissait le sol, entre les ronces décharnées et Gretel ne pu s'empêcher de frémir face aux mauvaises ondes que dégageaient les obscurités derrières les arbres. Un bois aux sorcières se cachaient sous cette forêt vierge de toute beauté. Serrant ses doigts autour de sa faucille, un sourire étira ses lèvres et elle souffla :

« Les choses intéressantes débutent...

À ses côtes, Blanche secoua la tête :

— Cela faisait longtemps que je n'avais pas chassé... Les sorcières se sont cachées ces dernières années... Avec la capture de ton frère, la guerre semble avoir repris du vent dans l'aile.

Se tournant vers son amie, surprise par ses paroles, la jumelle ricana :

— Tu penseras à le remercier quand on le retrouvera.

— Avant ou après l'avoir frappé pour s'être fait capturer ?

— Laisse-moi me charger de ça.

Gretel prit la tête de la marche, s'engouffrant dans le bois. La neige crissait sous ses bottes mais elle n'y prêtait pas la moindre attention, entièrement concentrée sur ses sens. Cet endroit empestait la magie noire. La faucheuse reprenait la main après des siècles d'inaction et se mit brusquement à arpenter les fourrés, guidée par l'instinct, suivie par la princesse qui bandait son arc, prête à s'en servir. La jeune femme aux cheveux cendre avait l'impression d'être poussée vers l'obscurité qui se tapissait bien plus loin. Celle-ci l'appelait.

Gretel n'avait jamais mis les pieds dans le bois aux sorcières de Pologne. On le jugeait trop peu important pour y envoyer les jumeaux. Et pourtant, la jeune femme avait l'impression de s'y être déjà rendue. Comme si les images se superposaient dans son esprit : son passage actuel contre celui d'un ancien temps. Elle voyait le sol enneigé mais aussi couvert d'herbe grasse et verte. Ce n'était définitivement pas normal et elle le savait.

Combien de temps son frère avait-il passé dans cette forêt à chercher celle qu'il traquait ?

La jeune femme pouvait l'imaginer sans peine parcourir les étendues boisées sans cesse, avec une détermination et un acharnement propres à lui. La traque avait dû être longue à en croire toutes les bribes de souvenirs qu'elle recevait. Le lieu avait conservé la mémoire du passage du jumeau d'une manière presque surréaliste. Surnaturelle. Gretel ne savait si c'était à cause de sa part d'ombre qu'elle pouvait recevoir toutes ces sensations, à cause de la fatigue, de la volonté de sa moitié, ou bien d'une toute autre raison bien plus obscure. Idiote ! Idiote ! Qu'y-a-t-il de plus obscure qu'une part maléfique en toi grandissant au service du mal ?

Secouant la tête pour chasser les insinuations perfides de la voix qui se plaisait à ironiser sur la situation, elle se tourna vers sa comparse qui restait silencieuse depuis un moment déjà. Surprenant le regard gris de son amie sur elle, Blanche grimaça et murmura :

— Je n'aime pas du tout cet endroit. Il est...

— Mauvais ?

La brune hocha la tête, resserrant sa prise sur son arc tendu contre son flanc, prête à s'en servir. C'était exactement ainsi qu'elle ressentait les choses.

— Se peut-il que nous nous soyons trompé sur cette forêt au point de ne pas nous rendre compte qu'il s'agit d'un haut lieu de magie ?

— Je ne dirai pas haut lieu, non, rétorqua Gretel en secouant la tête négativement. C'est plus comme si cet endroit regorgeait de magie à l'état brut mais inexploitée. Je ne pense vraiment pas que les sorcières soient venues souvent ici, je le percevrais sinon. Je crois plutôt que la forêt sent que nous lui sommes hostiles et tente de nous chasser.

— Nous ne lui sommes pas hostiles !

— Elle est bénie par la lune.

À cette annonce, Blanche se rembrunit et soupira. Encore et toujours cette maudite Lune. Depuis que les deux déesses se faisaient la guerre, rien n'allaient plus. Les enfants se faisaient dévorer, les hommes étaient parfois pourris jusqu'à la moelle et les royaumes tombaient... Bien sûr avec la modernisation, la magie tendait à s'amenuiser et avait moins de pouvoir. Mais jamais rien ne l'empêcherait d'agir dans l'ombre, tant que la lune s'élevrait autour du monde.

— Sent-elle notre appartenance à la Mort ?

— Peut-être...

Gretel ferma un instant les paupières, se concentrant sur les murmures qu'un de vent lui porta, soulevant quelques mèches grises échappées de sa tresse dans les airs. Une voix. Un chant... Pas les miennes ! Elle ouvrit brusquement les yeux. Il y avait quelque chose, non loin de là, qui les appelaient.

— La nuit va bientôt tomber... Nous devrions nous arrêter.

— Attends ! Ce n'est pas loin, pas loin du tout !

— Qu'est ce qui n'est pas loin ?

— Ce qui m'appelle !

Un éclat s'alluma brusquement dans ses iris grises et sans laisser le temps à Blanche de comprendre quoique ce soit, elle entreprit une course effrénée dans la forêt, guidée seulement par le furieux pressentiments qu'elles étaient proches. Gretel sautait par dessus les rocher, les branches nues des arbres griffaient sa peau, se dressant sur son passage comme des bras qui auraient voulu la ralentir en s'agrippant à son manteau noire. Mais rien ne parvint à arrêter la faucheuse dont les bottes ne dérapèrent pas une seule fois sur l'épaisse couche de neige et de verglas. Le vent sifflait tant dans ses oreilles qu'elle n'entendait pas les appels de son amie derrière elle, peinant à la suivre.

Ce n'était pas loin, pas loin du tout.

Brusquement, une racine se dressa sur son chemin et la jeune femme ne pu l'éviter. Son pieds s'y coinça et elle sentit son équilibre tout entier disparaître alors que le monde chavirait autour d'elle. Elle s'affala de tout son long sur le tapis gelé et seuls ses avants bras amortirent le choc, s'enfonçant dans le sol. Sous la violence de l'impact, ses cheveux se libérèrent de leur lien pour tomber devant son visage, l'aveuglant à moitié. Tout bruit se coupa et le monde autour d'elle sembla s'effacer pour se reformer. La neige avait à nouveau disparu pour laisser place à un tapis de verdure qui s'étendait entre les arbres, sous ses yeux écarquillés. Un craquement de branche faillit la faire sursauter. Des bottes passèrent devant son regard. Des bottes masculines qui avançaient avec précaution dans les bois. C'est là qu'elle reconnu l'arbalète qui pendant à la ceinture du mystérieux individus à travers le brouillard de sa chevelure. Son cœur se serra dans sa poitrine alors qu'une vague de chaleur la gagna, annihilant l'espace d'une fraction de seconde, la douleur. 

Avec difficulté, elle se releva et tituba. Tout était flou, rien n'était clair. Les deux moments se superposaient dans sa tête. Qu'est-ce qui était réel ? Qu'est-ce qui ne l'était pas ? 

Au prix d'un effort ultime, elle avança vers l'homme et lui attrapa le bras, le forçant à se retourner. Elle ne s'attendait pas à ce que cela fonctionne. Pourtant, il se retourna. De courts cheveux bruns méchés d'argenté, des yeux gris, des traits communs mais pourtant respirant la bonté et le courage... Le cœur de Gretel rata un battement. Son frère, son jumeau, sa moitié... Il était là ! Juste là ! Devant elle... Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vu... Pétrifiée, elle le dévisageait, cherchant à graver chaque détail dans sa mémoire. 

Mais contrairement à elle, il ne la voyait pas. L'homme fronça des sourcils, surpris par cet élan qui l'avait poussé à se retourner et, secouant la tête, reprit sa traque.

Gretel tituba un instant, un coup de vent secouant les pans de son manteau et elle retourna brusquement à la réalité. L'air lui manqua. Elle suffoquait, incapable de reprendre pleinement contact avec ce qui l'entourait. Ce souvenir qu'elle venait de voir, cette image... C'était la dernière de son frère avant qu'il ne disparaisse. Elle ferma les yeux, tentant de se concentrer sur celle-ci pour ne pas céder à la terreur.

Il fallait que le souvenir revienne ! Elle voulait le revoir !

Blanche la rejoignit à ce moment là et étonnamment l'étrange transe de la jumelle cessa totalement. Mais elle ne perdit pas le contrôle. Encore une fois, la présence de sa compagne lui servait d'ancre et l'empêchait de sombrer. C'était comme si un brouillard doré s'emparait de son cœur pour l'apaiser, pour l'enlacer et le bercer dans un songe idyllique. 

Alors qu'elle allait dire quelque chose, la princesse se raidit brusquement et avança à son tour, d'un pas vif. Sans demander son reste, Gretel la suivit. Les deux faucheuses se figèrent alors, l'une à côté de l'autre.

— Oh bah merde... » jura la brune.

Gretel ne répondit rien. Devant elles, les ombres serpentaient entre des arbres entièrement décharnés, noirs, stériles. Le ciel était presque invisible, camouflé par une brume qui dégageait une impression presque malsaine. Les ténèbres étaient maîtresses dans cette partie là de la forêt. Ici, tout semblait sans vie, pourri.

Un bois aux sorcières.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top