Chapitre 3. II.

*

Gretel était stupéfaite. Le monde avait tant changé en quatre siècle... Le petit village qui bordait la forêt s'était transformée en une ville des temps modernes. Les immeubles faits d'acier et de métal paraissaient vouloir s'élever jusqu'au ciel, défiant les arbres qui faisaient pâle figure à côté. Les bruits, les odeurs et les couleurs étaient plus vifs que jamais et le monde grouillait dans les rues. Une véritable ruche de vie qui laissait sans voix la faucheuse. Cette dernière ne pouvait s'empêcher de comparer cette vision à une peinture ou un champs de fleurs, feu d'artifice de sensations. Autrefois, seul Liverpool était développée dans la région et la ville de Londres, bien plus à l'Est, n'était pas plus grande que cela. Sans parler des souvenirs du petit village allemand dans lequel elle avait grandit. Aujourd'hui, tout semblait plus grand, plus intense, plus démesuré... C'était une autre réalité !

Les nuages gris alourdissaient le ciel mais n'atténuaient rien à l'émerveillement de la jeune femme face à cette nouveauté. Ses yeux se posaient partout où ils le pouvaient, s'attardant sur le moindre détail ! Il y avait tant de choses à découvrir encore... Elle en oublia un instant sa douleur, les voix et le poids qui pesait sur ses épaules. Il se rappela brusquement à elle quand elle se souvint ce qu'elle faisait ici et à quel point elle aurait souhaité qu'il soit à ses côtés à ce moment là.

Elle suivait Blanche – qui avait dissimulé ses armes – dans les rues, se sentant étrangement de trop dans cette époque. Réussirait-elle un jour à s'y intégrer ?

Idiote ! Tu seras morte avant...

La réalité lui retomba dessus avec violence et elle s'ébroua.

« Blanche ?

La princesse se tourna vers elle, la mine soucieuse.

— Ça va aller Gret' ?

— Oui, bien sûr.

Inconsciemment, la faucheuse resserra ses doigts sur la faucille qu'elle dissimulait sous son manteau. Le contact brûlant du métal l'aidait à se concentrer. Elle ferma un instant les yeux et prit une profonde inspiration. Dans son être, une bataille faisait rage. Une bataille qu'elle comptait bien gagner. Gretel va réussir. Les sorcières et ce nouveau monde n'ont qu'à bien se tenir ! Lorsqu'elle releva ses paupières, la détermination avait remplacé la crainte. Le changement étonna Blanche mais elle savait que lorsque son amie affichait ce regard, ses ennemis pouvaient craindre pour leur vie. Elle était rassurée.

Les deux femmes prirent le chemin de l'aéroport. Le taxi qui les conduisit était conduit par un petit homme jovial qui ne faisait que parler. Blanche répondait avec entrain et se mettait à chanter les musiques que diffusait la radio. Gretel quant à elle était trop occupée à enregistrer dans sa mémoire tout ce qu'elle voyait, ses grands yeux gris toujours écarquillés par la surprise. Si elle n'en laissait rien paraître, elle était toujours en proie à un violent affrontement interne. Trop de nouveauté alimentait la folie en elle et si elle luttait contre cela, le résultat restait le même. Enfoncée au fond de son siège elle ne maîtrisait rien. Et Gretel en a assez de ne rien maîtriser.

Étrangement, cette terreur du ''nouveau'' disparu au moment de prendre l'avion. Gretel se transforma en une boule d'émerveillement face au fait de pouvoir voler sans la moindre magie grâce à cette technologie incroyable. Blanche ne put retenir ses éclats de rire. Jamais elle n'avait vu la faucheuse aux cheveux gris agir ainsi. Comme une enfant. À croire qu'elles avaient échangé leur rôle. Plus posée, la brune prit les choses en main tandis que la jeune femme aux cheveux cendre se tenait plus ou moins tranquille. Pour l'instant. Lorsque la véritable traque commencerait, le changement serait radical.

Dans le jet privé de l'ordre des faucheurs, nulle frayeur sinon une Gretel qui admirait l'étendue nuageuse sous l'appareil. Elle volait ! Sans le moindre enchantement, sans la moindre sorcellerie. Elle volait et elle qui avait un jour rêvé de s'envoler haut, haut dans le ciel durant ses jours d'enfermement afin de goûter à la liberté, se surprit un instant à ne plus vouloir jamais atterrir. Dans les cieux, elle se sentait enfin bien, délivrée de toute malédiction. En retournant en bas, elle se condamnerait, elle le savait. Mais quelque part sur cette terre pourrie, il l'attendait. Et elle ne pouvait pas l'abandonner. Peut-être, profiteraient-ils ensemble de cette liberté quelque temps avant que la fatalité ne les rattrape quand elle l'aurait retrouvé ?

Blanche, silencieuse jusque là, observait du coin de l'œil sa compagne. Elle lui avait tant manqué qu'elle croyait parfois rêver. Pourtant, tout cela était réel. Et elle qui avait connu un sommeil long et empoisonné, avait l'impression de vivre un deuxième éveil depuis le retour de la jumelle. Elle avait tant de questions... Des questions qui la brûlaient de l'intérieur et qu'elle se devait de poser si elle voulait comprendre à son tour. La princesse se risqua alors à interroger :

— Cela t'a-t-il manqué ?

— Quoi donc ?

— La chasse aux sorcières.

Une lueur s'embrasa dans le regard de la jumelle et elle pencha la tête sur le côté, l'air pensive. Sans qu'elle ne puisse s'en empêcher, elle revit tous ses combats passés. Elle n'en avait oublié aucun. De la première créature qu'elle avait tué à la dernière. Aux derniers. Elle secoua la tête, ses mèches grises glissant le long de son visage enfantin et elle murmura, songeuse :

— Je crois que oui.

— Malgré le peu de temps que tu as passé à l'Ordre avant... l'accident, tu était une excellente chasseuse de sorcières. L'une des meilleures même. N'as-tu jamais eu envie d'en épargner une ?

La jumelle lui jeta un drôle de regard, une lueur inconnue vacillant dans ses prunelles. Un instant, elle craignit que cette question ne fut posée à dessein. Mais ce n'était pas dans les habitudes de Blanche d'agir par sous-entendus. Aussi, la jeune femme aux cheveux cendrés se rassura quelque peu. Malgré tout, l'appréhension qui tordait son cœur la poussa à se refermer quelque peu et à répondre d'un ton un peu plus sec :

— Toutes les sorcières sont mauvaises. Elles sont des monstres comme tous ceux qui tapissent l'obscurité. Mais ceux ci sont plus prudents et se dissimulent à nous. Les sorcières, elles, nous ont créé. Elles répandent le mal et il faut les en empêcher, qu'importe le prix.

Menteuse...

— On croirait entendre l'appel à la vengeance de l'Ordre des faucheurs, rétorqua son interlocutrice, dubitative.

Le petit rire sec de Gretel fut à peine audible.

— Les faucheurs sont des créatures de la vengeance. La déesse de la mort nous bénie afin que nous la répandions.

La princesse passa une main dans sa chevelure brune et fronça des sourcils. Gretel avait toujours su mieux que quiconque quelles forces influaient sur ce monde envahi par la magie. Si les faucheurs s'étaient éloignés de leurs croyances originelles se contentant d'une petite prière à la déesse de la Mort avant de partir en traque, la jumelle était une fervente croyante. Peut-être la folie poussait-elle à croire, plus que tout, en une chose plus puissante encore ? Comme une ancre à laquelle se raccrocher... C'est pour cela que Blanche posa la question qui lui brûlait les lèvres :

— L'as-tu priée ?

Face au regard interrogateur de sa compagne, elle précisa, une boule se formant dans sa gorge, l'empêchant de respirer correctement :

— La Mort. L'as-tu priée durant ton enfermement ? Qu'elle vienne te libérer...

Gretel pressa les paupières fortement, se coupant brusquement du monde externe pour se concentrer sur ses battements de cœurs qui s'affolaient. Boum. Boum. Boum. Mélodie si prenante, un tambour qui rythmait désormais sa vie et avait empli le silence de ces quatre derniers siècles. Cela ou la folie. Écouter son cœur ou écouter la voix. Et tout détruire !

La faucheuse avait imploré la Mort. Pleurant, priant, chantant... Et celle-ci était venue. Oh, pas pour libérer la jeune femme de cet horrible destin qui l'attendait. Simplement pour lui tenir compagnie. La déesse l'avait enrobée de son ombre apaisante, l'avait bercée comme une mère bercerait son enfant, sa créature. Comment la lune berçait les monstres... La Mort était venu lorsque l'appel désespéré de la jumelle avait résonné. La sincérité et le chagrin l'avait menée à elle. Et Gretel se rappellerait toute sa vie du parfum gelé de la déesse, de sa présence apaisant les voix, de sa demande exaucée – ne serait-ce qu'à moitié...

Mais la mort n'était pas venue la libérer. 

La jumelle ne répondit pas à Blanche se contentant d'ouvrir les yeux pour regarder à nouveau le paysage par la fenêtre. Les nuages semblaient s'être assombris et elle craignit un instant une tempête. Cependant la princesse leva la main pour caresser la chevelure cendre de son amie dans un geste d'apaisement et demanda d'une toute petite voix :

— Et la Lune ?

Gretel fit volte face et saisit brusquement la main de sa comparse, plongeant son regard dans le sien, serrant avec ferveur ses doigts entre les siens. Dans ses yeux argenté étincelaient désormais une lueur vive presque folle lorsqu'elle gronda :

— La mère de la magie et des monstres. Elles se nourrie de leurs crimes. C'est une déesse cruelle. Prends garde à ce que jamais son regard ne se pose sur toi ! »

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