Chapitre 2. I.
Alors le bûcheron se lamenta :
« Comment allons-nous continuer à nourrir nos enfants, puisque nous n'avons plus rien ?
- Sais tu une chose mon homme ? répondit la femme. Demain, au petit matin, nous conduirons les enfants dans les bois et nous les abandonnerons. Ils ne retrouveront plus le chemin pour rentrer et nous en serons débarrassés. »
Hansel et Gretel, les frères Grimm.
*
En voyant toute la foule qui grouillait dans l'immense salle de réception, Gretel eut un mouvement de recul. Elle ne pouvait pas affronter tant de monde d'un coup. C'était trop après des siècles de solitude. Elle resta debout à les observer, tous ces gens qu'elle avait jadis connus, bien qu'il y avait des nouveaux venus. C'était une foule en mouvement qui lui évoquait le roulement d'une vague. Une vague qui l'emporterait. Ils étaient nombreux, si nombreux... Et puis tous les bruits, les couleurs, les parfums... Comme des flashs, ils lui sautèrent tous à la figure et la faucheuse chancela. Sa panique roulait sur sa peau comme des flammes prêtes à la dévorer toute entière, comme des serpents vicieux distillant leur venin maléfique... Elle ne parvenait plus à respirer et ses doigts cherchèrent à dénouer le col de sa courte robe noire. C'était trop.
Non, elle ne pouvait pas. Tremblant légèrement, elle porta ses mains à ses tempes pour les masser, espérant chasser la perfide voix qui sifflait dans son esprit.
Fais demi-tour. Fuis.
Mais elle ne fuirait pas, son frère comptait sur elle. Elle le retrouverait. Gretel n'avait pas le choix. Il le fallait. Pour elle, il s'était battu des siècles, pour elle, il avait affronté mille cauchemars, pour elle, il avait abandonné l'espoir de toute retraite. À elle de lui rendre la vie qu'il méritait. D'autant plus qu'après cela, elle n'aurait plus jamais à retourner dans sa chambre forte, dans sa cage sans lumière. Ils pourraient vivre ensemble tous les deux, loin de tous. C'était tout ce qu'elle voulait. Peu importe l'époque, peu importe le lieu... Elle ne voulait que lui.
Fuis, fuis, fuis...
Alors que la faucheuse tentait de faire taire ces mots malicieux et vicieux, une tornade brune la bouscula, manquant de la faire tomber par terre. Une main douce se saisit de son bras pour empêcher la chute.
Gretel écarquilla des yeux quand une jeune femme au teint blanc comme neige, aux cheveux noirs comme suie et aux lèvres rouges comme sang la serra dans ses bras en s'exclamant dans un chatoiement de douceur et de parfums familiers :
« Bon sang ! Je n'arrive pas à croire que tu es de retour parmi nous Gretel ! Tu m'as tant manqué !
La jeune femme se recula, laissant à la faucheuse tout le temps de la reconnaître. Le masque perdu de Gretel se fissura tandis que son regard s'embuait de larmes. Dans un immense élan de bonheur, sa voix se brisa lorsqu'elle s'étouffa :
— Blanche ?
La brune sourit, délicieusement. Elle resplendissait, véritable étoile dans cette salle de réception. C'était la plus belle. La plus belle d'entre toutes.
— Et oui, ma belle, c'est moi !
— Tu n'as pas changé ! souffla la jumelle, d'un ton tremblant.
Mais ce n'était plus la peine qui étreignait son cœur. Seulement la joie sans fin de retrouver son amie de toujours. La présence celle-ci semblait calmer les sifflements dans sa tête et elle n'en était que trop heureuse.
Changeant de sujet, comme si rien n'avait changé depuis le temps, Blanche embraya, sans se départir de sa tendresse reposante :
— Sais-tu seulement ce que tu as manqué ces quatre derniers siècles ?
— Je ne suis pas sûre de vouloir le savoir...
— Tu n'as pas vraiment le choix !
L'éternelle princesse, en véritable boule de joie, entraîna derrière elle la pauvre faucheuse tout en pépillant. Gretel adorait Blanche. Du plus profond de son cœur. Toujours d'humeur joviale, cette dernière resplendissait constamment, émerveillant chacun de par sa beauté, sa pureté et sa bravoure. À côté d'elle, Gretel faisait pâle figure. Mais elles étaient vite devenues inséparables, liées à jamais.
À son arrivée dans l'ordre, en 1410, alors qu'elle et son frères étaient tout juste âgés d'une vingtaine d'années, Blanche avait pris la nouvelle faucheuse sous son aile. Et si Gretel excellait avec les faucilles comme les arbalètes, sa toute nouvelle amie était elle une maîtresse de l'empoisonnement ainsi qu'une habile archère. Car tous les faucheurs sont des meurtriers. Mais les victimes sont des assassins bien pire que la Mort elle-même. Gretel était une meurtrière depuis ses dix ans. C'était elle qui avait poussé la sorcière dans les flammes du four. Par ailleurs le repère de la sorcière avait été découvert par des membres de l'ordre quelques années plus tard. Ils n'avaient pu croire que des enfants aient pu se débarrasser d'elle.
Mais Gretel n'était pas une enfant comme les autres. La jeune femme secoua la tête et décala une mèche de ses cheveux gris qui tombaient devant ses yeux. Les deux amies étaient arrivées devant le buffet et Blanche commençait déjà à garnir un petit bol. Plissant des yeux, la princesse interrogea :
— Il y a de la pomme dedans ?
— C'est une salade de fruit, Blanche. Bien sûr qu'il y en a !
La brune grimaça et reposa le bol sur la table tout en s'exclamant :
— Fichue allergie aux pommes.
Gretel regarda les morceaux de fruits dans la coupelle et grimaça. Son ventre grondait. Elle n'avait pas mangé depuis tant de temps... Pourtant, elle se refusait à toucher à la nourriture. Elle n'en avait de toute façon nul réel besoin. Et puis, une étrange énergie coulait dans ses veines, venant d'ailleurs, venant de lui. De cela elle en était certaine. Elle repensa à la brûlure du bain. Se pourrait-il... ?
Voyant que la jumelle était perdue dans ses pensés, Blanche claqua des doigts devant ses yeux et s'exclama :
— Toujours avec nous, Gret' ?
Celle-ci hocha de la tête et desservit un splendide sourire à la brune. Cette dernière en fut presque surprise. Gretel souriait peu lorsqu'elle n'était pas en compagnie de son frère. Mais peut-être que quatre siècles sans le voir avait changé bien des choses ?
Elles allèrent s'asseoir sur une petite banquette un peu à l'écart de la foule où Gretel se sentit bien plus apte à respirer. Puisque elle semblait être d'une lucidité remarquable en cette soirée, elle entreprit de partir à la pêche aux informations. Et elle savait Blanche informée de tout. C'était l'une des rares faucheuses être dans les bonnes grâces du Patron. La belle immortelle devait forcément en savoir plus que ce qu'on lui avait dit. Et si la jumelle devait se lancer à la poursuite de sorcières pour retrouver sa moitié, elle avait besoin de savoir. Tout. Sans restriction. N'avoir connaissance de rien la rendait folle et l'inquiétude se chargeait bien de finir le travail commencé des siècles plus tôt par... La faucheuse eut un violent sursaut et s'ébroua ce qui n'inquiéta nullement sa compagne de soirée. Alors, pour oublier ce à quoi elle venait de penser, Gretel interrogea :
— Que sais-tu de ce qu'il lui est arrivé ?
— À ton frère ?
Les traits de la brune s'affaissèrent et une certaine mélancolie s'empara de ses beaux yeux bruns. À voix-basse, laissant pour la première fois transparaître une sincère douleur, elle confia :
— Il a été envoyé chasser une sorcière en Europe de l'Est il y a un an. Il n'en est jamais revenu.
La jeune femme aux cheveux gris secoua la tête avec énergie. Ainsi, elle ressemblait bien plus à une folle mais elle n'en avait que faire.
— Il est en vie.
— Comment peux-tu le savoir ? Je déteste être défaitiste mais... un an entre les mains des sorcières... Si il n'est pas mort il y a un an, quelles étaient ses chances de survivre avec elles ?
— Tu ne comprends pas, il n'est pas mort, ça n'est pas possible !
— Comment ça ? interrogea Blanche en fronçant des sourcils.
— Il est sensé être imbattable ! Il est sensé toutes les tuer. C'est son destin.
— Parle moins fort, ma chérie. Je te rappelle que mon destin était de régner. Au lieu de cela, je suis devenue une Faucheuse, parcourant le monde pour traquer les monstres. On ne respecte pas toujours sa destinée où bien on ne l'interprète pas toujours comme il le faudrait.
Évidement la brune avait déjà entendu parler de cette prophétie. Un véritable poison selon elle puisque les prophéties pouvaient être interprétées de mille façons différentes. Mais quand elle voyait l'expression de son amie... Gretel vivait pour son frère tout comme il vivait pour elle. Rien au monde n'aurait pu les séparer sinon un ordre du grand Patron. Il avait ordonné l'enfermement de la faucheuse. Si elle l'avait pu, Blanche s'y serait opposée, mais que pouvait-elle contre tous ? Il y avait eu procès. Il fallait éradiquer le mal.
Elle avait un jour été impressionnée par la force du lien qui unissait les jumeaux, par ce pouvoir qu'ils tiraient mutuellement. Elle l'avait même envié. Gretel avait une confiance aveugle en son frère. Comment ne pas la croire lorsqu'elle affirmait qu'il était en vie.
— Je suis avec toi sur cette mission, finit-elle par souffler, retrouvant un certain entrain. Le Patron ne voulait pas te laisser seule. Il me fait confiance. On le retrouvera, je te le jure.
La brune se releva du banc et souffla un baiser à son amie. Mais derrière son optimisme de façade, il était aisé de lire toute la solitude qu'elle avait dut éprouver, en particulier cette dernière année... Avec les jumeaux partis, elle s'était retrouvée seule. Avant que tout ne dégénère, ils formaient tous un si joyeux groupe... Conscient des véritables sentiments de son amie, Gretel l'interpella sans la quitter de son regard perçant :
— Blanche ?
— Oui ?
— Tu l'aimais n'est-ce pas ?
La princesse frémit et se mordit la lèvre inférieure un moment. Un étrange éclat luisait dans son regard tandis qu'elle dévisageait un instant la jeune femme lui faisant face d'une manière que Gretel ne put interpréter. Puis elle décida de tempérer et de demander, feignant l'ignorance :
— Qui ça ?
— Mon frère ?
La jumelle ne remarqua pas l'hésitation de sa comparse qui, après quelques secondes de silence qui lui parurent interminables, finit par soupirer :
— Oui. Mais ça n'a plus d'importance n'est-ce pas ?
Le volume sonore sembla soudain augmenter et la faucheuse se ratatina sur son banc. D'une voix basse, si basse que Blanche eut du mal à l'entendre, elle murmura :
— L'amour n'a jamais eu la moindre importance. Jamais... jamais... jamais. »
Et par-dessus la foule des invités, elle croisa un regard qu'elle pensait ne jamais revoir. Deux yeux d'un bleu transperçant la fixaient, effarés. Elle se releva brusquement et tourna des talons, s'engouffrant par une petite porte dérobée. Lorsque l'air frais des jardins glissa sur son visage et ses longues jambes nues, elle crut défaillir. C'était une sensation qu'elle avait rêvé de ressentir. Quel plus beau symbole de la liberté que de virevolter dans le vent...
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Bonsoir! Comment allez-vous ??
J'espère que ce début d'histoire vous plaît et que la mise en place de l'intrigue et des personnages se fait sans trop d'accro ^^
Pour ma part n'arrivant pas à respecter mes jours de publication (j'ai beaucoup de mal à patienter jusqu'à ceux-ci), j'ai décidé de ne pas en instaurer x) en revanche je m'engage à publier au moins deux parties par semaine ^^
Merci pour votre lecture et bonne continuation avec les Faucheurs !
À très bientôt !
Dredre🖤
P. S. Attention aux monstres et autres sorcières qui se cacheraient sous vos lits ;)
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