Chapitre 19. II.
Boum.
Le tonnerre gronda avant que le ciel ne soit violemment illuminé d'un éclair surpuissant qui frappa le sol à l'endroit même où les jumeaux se tenaient. Puis le silence suivit la déflagration qui agressa les oreilles de Gretel. Les litanies des sorcières, la pluie de sang, tout avait soudain disparu. La jumelle battit des paupières avant de reculer ses mains. Immaculées, celles-ci ne tremblaient plus. La pluie était eau et la présence des sorcières ne tiraient plus sur les parcelles de la conscience de la jeune femme pour l'écarteler.
Elle leva la tête et ses prunelles grises se posèrent sur son frère, assis en tailleur face à elle.
Gretel eut un violent mouvement de recul.
« Qu'est-ce que...
— Tout va bien, chère sœur.
La voix de son frère qui se voulait apaisante plongea la Faucheuse dans la perplexité la plus totale. Quelque chose clochait. Quelque chose manquait. Quelque chose avait... Disparu. Elle écarquilla brusquement les yeux avant de souffler :
— Pourquoi est-ce que tout est normal ?
Une expression victorieuse illumina le visage d'Hansel qui s'exclama, l'air cinglé :
— Je t'ai guérie Gretel ! Tu n'as plus la moindre once de folie en toi, tu es libre !
— Mais comment...
— Lors du rituel de bénédiction la lune t'a guérie !
La jumelle manqua soudain d'air. Cela était impossible... Pourtant pour la première fois depuis des siècles, elle se sentit véritablement elle-même. Sereine, même si la situation ne s'y prêtait pas. Elle avait le contrôle, elle se maîtrisait. Et surtout elle se retrouvait. Son caractère n'était plus altéré et sa mauvaise humeur enfantine lui revenait tout comme son mordant. Elle savourait la sensation de ne plus être déséquilibrée, de ne plus souffrir continuellement, d'être seule, enfin, dans son esprit. Elle bâtit des paupières avant de relever à nouveau son regard sur son frère. Il l'avait réellement guérie. Grave erreur. Ne se rendant pas compte que sa sœur était plongée dans une profonde réflexion quant à comment s'en sortir, Hansel asséna :
— Nous sommes liés Gretel et bientôt nous pourrons régner sur ce monde. Bientôt, la lune aura entièrement pris possession de nous. Nous serons elle, elle sera nous.
Sitôt ses mots assimilés, la jeune femme se pétrifia de terreur. Désormais, elle sentait dans ses veines couler le venin de la déesse d'argent. C'était à la fois douloureux et presque... aphrodisiaque. Cela avait un un goût de puissance mais y céder aurait un prix trop cher à payer. Oh, mais ce qu'elle sentait par-dessus tout, c'était cette étrange puissance que dégageait Hansel et qu'elle percevait au travers du lien exacerbé par la magie entre elle et son jumeau. Ce dernier semblait être un réceptacle de pouvoirs obscurs, des pouvoirs qui vibraient en elle désormais.
Peu importe ce qu'il avait fait, rien n'était normal. Et il était à deux doigts de parvenir à ses fins, là, au centre de ce cercle de sorcières qui répétaient, maléfiquement et inlassablement la même formule, appelant la lune et ses malédictions.
Gretel ferma les yeux portant la main à sa gorge. Au contact de la larme en cristal de Blanche, elle se raidit imperceptiblement.
Un poison capable de tuer les Immortels.
La Faucheuse n'avait plus besoin de voix qui lui disaient quoi faire. Elle le savait tout simplement. Elle n'avait plus le moindre choix. C'était maintenant ou jamais...
« Nous sommes liés » se rappela-t-elle.
Ce qui impliquait que son geste aurait de graves conséquences sur elle aussi. Cependant, la vie n'aurait plus aucune valeur si elle y parvenait... Après tout, ils étaient tous responsables du mal qui s'abattait sur le monde en cette nuit cauchemardesque. Tous responsables, tous coupables : de l'ordre à la déesse... Se relevant avec prudence, elle le toisa. Quelque chose en elle bouillonnait. En elle, en lui, en nous... De la magie ! Sans qu'elle n'ait à faire le moindre effort, le vent commença à s'agiter autour d'elle, obéissant à son contrôle, tourbillonnant aux creux de ses paumes tournées vers le bas. Elle le contrôlait. Fascinée, elle plissa des yeux, savourant l'étrange caresse sans faire attention à Hansel qui s'approcha d'elle avant de murmurer, sa voix vibrante de fierté :
— Vois ce que tu peux faire à présent, sœurette. Le monde est à nous...
Elle fronça des sourcils avant de poser son regard sur la lune, toujours rouge, sur les sorcières, toujours en train de psalmodier et enfin sur son frère... toujours aussi inquiet. Le rituel n'était pas fini. Elle était toujours une faucheuse, du camp de la Mort. Mais avec de terribles pouvoirs... Cette sorte de révélation parvint enfin à faire jaillir de son esprit une idée et un rictus étira ses lèvres. D'une voix ronronnante, elle s'adressa à son jumeau :
— Dis-moi Hansel, ne disais-tu pas que je n'atteindrai ta puissance qu'en étant bénie par la lune ? Et bien c'est le cas.
Il fronça des sourcils avant de ricaner :
— Très amusant, douce Gretel. Mais tu ferais mieux de ne rien tenter.
— Et pourquoi ?
Un frisson la parcourut. C'était comme si la magie cherchait à se libérer d'elle, de son corps. Comme si elle désirait pouvoir agir d'elle-même, s'exprimer à souhait. Tant que la lune n'avait pas fini son œuvre, Gretel conserverait le contrôle et ne céderait pas à l'attrait de cette puissance. Mais lorsque la déesse l'aura bénie, il serait trop tard. La jumelle devait agir, et maintenant. Elle ferma les yeux, tentant de maîtriser l'étrange onde de magie qui déferlait en elle, grondant tel un océan en tempête, tel l'orage au dessus d'eux qui les trempait. Et lorsqu'elle sentit la main du sorcier se poser sur son épaule, elle lâcha prise. L'onde se libéra avec puissance, repoussant son frère au loin qui s'écrasa au sol. Se relevant d'un bon, maîtrisant bien plus ses pouvoirs, il répliqua et d'un geste ample du bras, il répliqua, la faisant lourdement chuter au sol. S'approchant d'elle, il gronda, cette fois furieux :
— Je suis bien plus puissant que toi, sœurette. Ne fais rien que tu puisses regretter.
Soudainement, un corbeau fondit en piqué sur Hansel et l'attaqua, bientôt suivit par une dizaine d'autres oiseaux noirs. Interrompu dans leur rituel, les sorcières s'apprêtèrent à répliquer mais brusquement une silhouette bondit des fourrés, empêchant l'un d'elles d'agir, bientôt suivie par d'autres. L'ordre des Faucheurs !
Gretel se releva sur ses avants bras tandis que le vol de corbeau qui était parvenu à projeter au loin Hansel, se matérialisa en un jeune homme aux cheveux bruns mais au regard sérieux.
Valentin !
Le faucheur aida son ancienne amante à se relever avant de la serrer avec force dans ses bras, inspirant l'odeur si familière qu'elle dégageait. Il ne voulait plus la lâcher... Pourtant, il se détacha pour s'exclamer, gagné par le soulagement :
— Mon dieu tu es en vie...
— Tu en as mis du temps !
— Et tu es de nouveau...
— Moi même !
— Cesse de m'interrompre petite teigne !
Elle rit, rassurée. Pourtant rien n'avait encore été fait. Mais le fait de retrouver Valentin, de le sentir près d'elle, lui et son parfum de poudre... Elle ferma un instant les yeux, oubliant que rien n'était encore fini, que la lune était toujours aussi rouge que le sang et que son frère...
Elle tourna la tête, Hansel se releva et se précipita vers eux. Un faucheur s'interposa, luttant contre le jumeau. Valentin posa sur la jeune femme un regard inquiet, ses doigts se crispant autour du poignet de celle-ci. Il plongea son regard bleu dans celui de la faucheuse qui battit des paupières. Elle savait ce qui allait arriver, elle le sentait au plus profond d'elle. Étrangement, une forme d'apaisement s'empara d'elle.
— Gretel...
— Je sais ce que j'ai à faire. Il faut simplement que tu te charges des sorcières.
Il hocha la tête, peur rassuré. Ses doigts relachèrent son emprise et sa main glissa pour serrer brièvement celle de la jumelle. Une étrange chaleur se dégagea de ce geste.
— Faites attention, leurs pouvoirs sont augmentés par la lune.
— Prends garde à toi, Gret'. Je ne veux pas te perdre toi aussi.
Elle secoua la tête, un minuscule pincement naissant dans sa poitrine. D'une voix aussi douce que possible, elle rétorqua :
— C'est trop tard Val'. Trop tard.
Elle serra sa main avec ferveur et y déposa à nouveau un baiser léger avant de la lâcher et de reculer d'un pas. Lui adressant un dernier clin d'œil, elle profita du fait que les faucheurs s'engageaient dans un combat féroce contre les servantes de la lune pour se faufiler et s'éloigner de la clairière au pas de course, profitant de son avance. Son jumeau se jetterait à sa poursuite...
Gretel courrait entre les arbres, déplaçant par la pensé le moindre obstacle à sa fuite folle. Plus elle s'éloignait du combat plus elle sentait l'air devenir menaçant autour d'elle. Il ne tarderait pas à la rejoindre. Aveuglée par la pluie qui ne cessait pas, elle évitait les branches et dérapaient sur la terre humide sans jamais chuter. L'équilibre et le monde en dépendaient.
L'air lui manqua soudain, stoppant net sa course, et elle pressa sa main contre son cœur. C'était comme s'il avait cessé de battre, comme si ses poumons refusaient de laisser passer l'air. Ca brûlait, c'était douloureux. À bout de souffle, elle se tourna vers la source de cette étrange magie qui l'empêchait de pouvoir continuer, de pouvoir respirer comme il le fallait. Hansel, figé entre deux arbres, maintenait sa paume ouverte, les doigts bien écartés, maîtrisant de loin le corps de sa jumelle. Son expression était défigurée par la colère. La lune était encore rouge, rien n'était perdu, il ne laisserait pas sa sœur fuir. Gretel sentit ses jambes s'effondrer tandis qu'elle luttait pour prendre une inspiration. La rage la gagna bien vite et son poing se serra autour des feuilles mortes et de la terre. Il suffisait. Réunissant toute ses forces, elle se concentra sur une épaisse racine qui se mit à serpenter face à elle, comme prise de vie, avant de fondre sur le sorcier qui pour l'éviter dû relâcher son emprise. Libérée, la faucheuse se releva tant bien que mal, le souffle court avant de faire volte-face.
Cependant, Hansel parvint à échapper à l'attaque de la racine commandée par la jeune femme. Avec un ricanement sinistre, il désigna le ciel. La lune, toujours aussi rouge, commençait à décliner.
— Le sortilège est en cours Gret'. Qu'importe ce que tu fais, lorsque la lune sera de nouveau argentée, la déesse t'aura bénie et il sera trop tard. Tu ne peux inverser le processus, tu ne peux l'arrêter.
Le sang de l'Immortelle se glaça. Le temps lui était compté... Maîtrisant sa voix, elle répliqua.
— Je peux t'arrêter toi.
Hansel leva la main et le ciel gronda. Un éclair fondit soudain vers lui avant de rebondir et de se précipiter sur la faucheuse. Gretel écarquilla des yeux et bondir pour éviter de se faire foudroyer. Son corps rencontra violemment le sol, réveillant en elle ses muscles endoloris. Elle tenta de se relever mais soudain une douleur terrible lui arracha de nouveaux cris. Une plaie immense se dessinait sur sa paume comme si ses blessures passées se rouvraient. Le sang ruisselait, et elle avait mal, si mal...
— Vois ce à quoi tu me réduis, sœurette... Te torturer n'était pas dans mes plans.
La jumelle sentit son corps se couvrir de plaies, douloureuses. Il cherchait à la faire plier, le temps que le sortilège agisse. Gretel sentait la magie de la Lune opérer, elle sentait le mal se déverser lentement. Bientôt il serait trop tard.
Habitée par une nouvelle détermination, elle se releva, s'arrachant à la souffrance. D'un pas sûr, elle se dirigea vers Hansel qui ne cessa pas de lacérer le corps de sa jumelle de terribles blessures. Cela ne stoppa pas son avancée. Lorsqu'elle se retrouva face à lui, son expression se changea, passant de la détermination à la véritable peine. Dans un murmure à peine audible, alors que son corps aspirait toute la magie que dégageait son jumeau, le neutralisant brièvement, elle lâcha :
— C'est finit...
L'homme rugit, se jetant sur elle.
— Non !
Esquivant ses coups, Gretel parvint à le faire basculer au sol et se jeta sur lui, à califourchon. Il se débattit enflammant ses mains, faisant appel à la pyrokinésie. La jumelle résista autant qu'elle le pouvait alors qu'une nauséabonde odeur de brûlure s'élevait. Soudain, leurs deux regards se croisèrent. Un instant, un bref instant, ils se figèrent. La jeune femme sentit son souffle se couper. Le monde autour d'eux disparaissait. Puis elle reprit brusquement contact avec la réalité et d'un simple murmure fit de nouveau appel au sol maudit du bois aux sorcières. Celui-ci lui obéit et d'immense racine jaillirent du sol pour entourer la gorge et les bras du jumeau qui se retrouva coincé, rugissant de fureur.
Sans lui laisser le temps de réagir et sans plus réfléchir, Gretel décrocha la larme de cristal de sa nuque, et d'un geste, l'écrasa sur la poitrine de son frère. Le verre se brisa et transperça la chair de celui-ci, laissant les quelques gouttes du liquide bleuté s'infiltrer dans son corps. Le jumeau écarquilla des yeux, surpris par le geste de sa sœur. Celle-ci pencha la tête sur le côté, relâcha les morceaux de verre qui émirent un bruit de crissement affreux et relâcha la pression qu'elle maintenait sur son adversaire, se voûtant sous le poids du chagrin. Le souffle court, sa voix se brisa tandis que son regard plongea dans celui de sa moitié.
— Pardonne-moi, mon frère...
Au moment où il sentit le poison se déverser dans ses veines et la fin venir, Hansel réalisa. La terreur gagna ses traits. Il la perdait. Pour de bon... Cela l'électrisa et il se libéra brusquement des racines.
— Pas sans toi ! » hurla-t-il.
Elle encaissa la lame qui s'enfonça dans son cœur, un spasme la secouant et qui éveilla en elle un souvenir terrible. Sa vision, cette vision qui avait tout déclenché, qui avait causé tant de tort, sa vision se réalisait.
Le métal déchira sa chair, ses muscles, son être tout entier. Mais elle n'en ressentit pas la moindre douleur, ne quittant pas des yeux le visage du sorcier qui perdait ses couleurs, peinant à retrouver son souffle. Des larmes roulaient le long des joues de la jeune femme qui retira l'arme de sa poitrine avant de la laisser tomber au sol. Cela n'aurait pas dû la tuer... mais avec le poison qui coulait dans les veines de son frère... Avec le poison qu'elle lui avait transmis, ils mourraient tous les deux. Elle était déjà condamnée, bien avant le geste du sorcier. Le poignard n'était qu'une tentative de l'homme blessé de se venger de toute la peine, de toute la haine qu'il ressentait.
Ils n'avaient jamais pu être heureux. Ils étaient maudits. Et Hansel haïssait le monde pour cela. Il haïssait le monde, les faucheurs, les déesses et... sa sœur.
Ce n'était pas grave, Gretel aussi se haïssait pour ce qu'elle venait de faire.
Les yeux du jumeau se révulsèrent tandis qu'il laissa son dernier souffle s'échapper et les larmes qui dévalaient le visage émaciés de la faucheuse redoublèrent, traçant des sillons sur la terre qui maculaient ses pommettes. Elle sentit peu à peu la magie quitter son corps, et le lien avec son frère se briser, laissant un trou béant à la place de son cœur. Son cœur transpercé par le poignard d'Hansel.
Gretel bascula sur le côté, les feuilles mortes crissant sous son poids. Son regard gris se perdit sur le ciel, laissant s'échapper encore quelques perles salées. Hansel ne partirait pas sans elle...
Il faisait froid, si froid. Au-dessus d'eux, la lune rouge déclinait, disparaissant dans la nuit tandis que l'orage cessait. Gretel ferma les yeux, sa poitrine s'affaissant. L'obscurité la gagna, une obscurité troublée par une vision presque enchanteresse : le visage délicat et sublime de Blanche penchée autour d'elle, et son sourire si pur, si joyeux. Un peu d'amour pour un cœur qui avait cessé de battre.
Jamais sans elle.
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