Chapitre 18. II.

*

Lorsque Hansel pénétra dans le petit caveau où il retenait prisonnière sa sœur, il trouva celle-ci assise sur l'autel, occupée à tracer des runes sur la pierre. Il reconnaissait parfaitement les petits symboles dans la poussière. Des attrapes rêves. Mi-rassuré mi-surpris de la voir remise de la punition qu'il lui avait infligé, il ricana :

« Quel genre de rêve penses-tu arrêter ainsi ?

—  Le genre de rêve envoyé par tes dormeuses.

Les dormeuses... Ou les sorcières qui possédaient le pouvoir de modifier les songes. Un pouvoir qu'il maîtrisait également. Il les avait tous dorénavant. C'était si grisant de posséder tant de dons... Gretel lui jeta un regard empli de mépris avant d'effacer les runes d'un geste de la main. De toute manière, les symboles étaient déjà gravés dans son esprit, plus rien ne pouvais forcer ses rêves. Mais rêverait-elle seulement encore ?

La lune serait ronde, la jumelle le savait. Le rituel aurait lieu, il n'y avait qu'à vois l'expression de son frère pour le comprendre. C'était d'ailleurs peut-être pour cela qu'il lui apportait à manger. Il posa l'assiette sur l'autel, aux côtés de la jeune femme et lui fit signe de se nourrir. Elle fut d'abord tentée de refuser. Peut-être que sans ses forces, le rituel échouerait. Mais considérant l'option que cela pouvait tout aussi bien la tuer en la vidant de toute énergie surnaturelle, elle finit par laisser sa méfiance de côté et s'emparer de son repas de fortune. Son ventre grondait de faim depuis trop longtemps déjà. Hansel l'observa manger en silence. Elle ne le lâchait pas du regard. Ses yeux pétillaient étrangement, le gris de ses prunelles hanté d'étranges étoiles. Le jumeau ne savait pas où sa sœur avait pu retrouver une telle énergie. Des flammes brûlaient dans ses iris argentés, des flammes qu'il pouvait s'imaginer être un bûcher dans lequel elle l'enverrait bien brûler. Façon de parler évidemment, jamais la chair de sa chair ne pourrait mettre fin à ses jours. Malgré tout, malgré ses crimes et malgré cette haine qu'il lisait en elle, elle l'aimait encore bien trop.

Il le savait. Il le sentait.

Une fois rassasiée, Gretel s'essuya, affichant un sourire mesquin. C'est le moment de s'amuser... Croisant les jambes, elle redressa le menton.

Rien dans son attitude ne trahissait l'abattement profond qui s'était emparée d'elle. Elle était perdue et pourtant, elle savait exactement comme elle se devait d'agir. Elle était détruite, pour de bon, et pourtant elle n'avait jamais été aussi solide qu'à cet instant. Il fallait simplement qu'elle trouve la force d'agir. Une force d'agir qu'elle n'aurait que si elle était persuadée que celui qu'elle avait en face d'elle n'était plus son frère... Mais un monstre comme les autres.

Le ton accusateur de sa voix raisonna soudain dans le caveau, brisant le silence presque religieux qui s'était installé, brisant la fragile paix.

— Si tu dis m'aimer vraiment, pourquoi me retiens-tu prisonnière ?

— Ne joue pas avec moi, Gretel.

Il s'avança d'un pas, menaçant. Pourtant, Gretel, au lieu de se tasser, le défia du regard et croassa, sa voix devenant rocailleuse sous l'effet de sa propre colère alimentée par celle de son frère.

— Tu fais exactement comme l'ordre avant toi. Tu es comme eux !

Une grimace de pure rage déforma les traits de sorcier qui se précipita vers elle, dans l'espoir de la faire taire.

— Tais-toi petite idiote !

Avec agilité, elle bondit de l'autel, évitant son frère de justesse. Elle lui glissait entre les mains, tel un nuage de fumée évanescent... Un ricanement hystérique lui échappa tandis qu'elle souffla, d'un ton traînant :

— Ce n'est pas bien d'insulter sa sœur jumelle, Hansel... Papa et maman ne seraient pas d'accord.

Évoquer ses parents n'était pas fin. Le jeune homme les haïssait de toute son âme. Il estimait qu'ils étaient les responsables de tous leurs malheurs. Avant qu'elle ne puisse réagir, il se retrouva face à elle et la gifla avec tant de force qu'elle se sentit perdre l'équilibre et chuter. Cependant, il la rattrapa et la secoua comme un prunier, habité par une telle fureur qu'il en devenait effrayant.

— Ne parle plus jamais d'eux !

Sa poigne était si forte que Gretel cru entendre un de ses os se briser. Mais plutôt que de se retirer, elle lâcha entièrement prise sur le peu de maîtrise qu'elle avait sur elle, se mettant à hurler :

— Tu es pire qu'eux, tu nous détruis. Tu détruis tout ce que nous avons ! La seule chose que tu as réussi à faire, c'est me libérer. Et je préférerais mille fois rester enfermée plutôt que de te voir servir la lune. Je préférerais mourir que de te voir être le mal ! Je préférerais que tu meurs !

Le jumeau explosa de rire. Un rire mauvais, glaçant.

— Tu ne mourras pas. La Mort ne te récupérera jamais. Tu es à moi, à la Lune.

— Chienne de Lune !

— Ce n'est pas bien d'insulter sa future déesse, sœurette. Blanche ne serait pas d'accord.

Ces dernières paroles électrisèrent la faucheuse. La Lune ne serait jamais sa déesse. C'est elle qui lui a ravi celle qu'elle aimait. Elle lui ferait payer. Les Immortels, les sorcières, les monstres... Ils étaient tous des pantins aux mains des déesses. Si Gretel se battait jadis contre les créatures de la déesse nocturne parce qu'elle les abhorrait, aujourd'hui sa haine si puissante était entièrement tournée vers la Lune. Quant à Hansel...

— Je te méprise tellement Hansel. Pourquoi nous as-tu fait ça ?

Du mépris. Pire que la haine... Piqué par la colère, le jumeau la repoussa contre un des murs. Le choc fut si rude qu'elle crut que son crâne allait exploser sous l'impact. Connard, connard, connard... Il nous fait tant souffrir... Pourquoi n'agis-tu pas Gretel ? C'était son frère ! Non, il ne l'était plus. Avant qu'elle ne puisse régir, il se trouvait de nouveau face à elle, à quelque centimètre à peine, la bloquant contre ce mur. Il plongea son regard fielleux dans le sien et gronda, le ton chargé de menace :

— Tu vas me suivre dehors bien sagement. Les sorcières débuteront le rituel et lorsque tout ceci sera fini, le mal coulera autant en moi qu'en toi. Alors seulement, le mal absolu connaîtra son avènement suprême. La Lune aura gagné.

— Les corbeaux finissent toujours par dévorer les araignée. Jamais ta garce de déesse ne réussira.

— Oh si, crois-moi. Tu ne peux plus rien contre moi. Je suis bien plus fort que tu ne le seras jamais sans la bénédiction de la Lune.

Et pour lui prouver la véracité de ses propos, il fit appel à l'entièreté de ses pouvoirs. Son aura devint soudain tangible et visible aux yeux de tous. Une aura sombre, poissarde et qui entoura pourtant la jeune femme aux cheveux gris de façon séductrice. Il dégageait une telle énergie qu'elle se sentit fondre. Son corps brûlait mais d'une manière si agréable qu'elle avait l'impression de flotter dans une bulle de chaleur. C'était grisant, presque aphrodisiaque. Le monde paraissait soudain si réel, si... Vrai. Tout était concret, vif. Elle avait l'impression de pouvoir tout contrôler : ses propres émotions, le monde autour d'elle, cette étrange puissance... La Faucheuse crut que ses jambes allaient céder sous un tel pouvoir. Elle voulait s'y rouler, s'y fondre, s'y blottir...
Cependant, au-delà de cela, elle sentait la malveillance de cette euphorie. Une malveillance affamée de meurtre et de sang. Gretel secoua la tête, tentant de repousser son frère. Il utilisait son lien pour lui transmettre les sensations que provoquait la puissance offerte par la lune.

Cessant cela, rendant ainsi le souffle à la jumelle qui l'avait perdu face à tant de pouvoirs, Hansel se pencha par-dessus elle, pour murmurer contre son oreille des paroles qui la firent se raidir de frayeur.

— Résiste moi encore une fois ma jolie, et je tuerai Valentin avant de me charger d'Ielena.

Se reculant légèrement, un sourire cruel sur le visage, il déposa un baiser sur son front. Elle lui cracha à la figure. Cela ne fit rien d'autre que l'amuser.

— J'ai de grands projets pour, nous sœurette. Prépare-toi à rejoindre les rangs de la lune. Prépare-toi au mal absolu. »

Il la relâcha avant de frémir. La lune était levée, le moment était venu. Son sourire s'élargit et le regard qu'il posa sur sa jumelle fut si éloquent qu'il n'eut pas besoin de dire quoique ce soit pour qu'elle comprenne. Gretel serra les poings. Un murmure furieux envahi ses oreilles, assourdissant le monde extérieur.

Prépare-toi au mal absolu...

Plutôt mourir.

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