Chapitre 17. II.
*
Assis dans un confortable fauteuil, Hansel réfléchissait. Les Faucheurs ne devraient pas être un grand souci, cependant il ne devait pas sous-estimer la Mort. Elle serait capable de guider ses soldats jusqu'à eux pour anéantir ses plans. Or, il ne pouvait laisser cela arriver. Il ne pouvait laisser la déesse gagner.
Elle n'avait rien fait lorsque ses enfants avaient enfermé Gretel. Elle n'avait rien fait pour les aider. Tandis que la Lune, elle, s'était montrée compatissante envers le faucheur. L'astre lui promettait l'éternité avec la seule chose qu'il désirait au monde et en échange... En échange, il permettait à la Lune d'étendre son pouvoir. C'était un bon marché. Un marché qui lui permettrait d'exaucer ses souhaits les plus chers. Les faucheurs payeraient de leur vie et la déesse mortelle regretterait de ne pas avoir agi.
« Mon seigneur ?
Il secoua la tête, sortant de ses réflexions morbides et leva la tête vers la sorcière qui venait de l'interpeller.
— Oui ?
— Les dernières viennent d'arriver.
Le jeune homme hocha affirmativement de la tête, gagné par la satisfaction. Bien, tout s'annonçait le mieux du monde pour lui. Il touchait à son but, enfin. Sa sœur était à présent sous sa coupe, ses troupes entières s'étaient rassemblées et il était sur le point de réaliser son rêve. Il se releva avant de s'étirer avec nonchalance, dardant sur son interlocutrice un tel regard que celle-ci recula. Même pour les sorcières, la puissance de son aura maléfique pouvait être difficilement supportable.
— Autre chose ?
La sorcière se racla la gorge, hésitant à s'exprimer. Elle finit cependant par se lancer :
— Il y a aussi...
— Oui ? Qu'y a-t-il ?
— La faucheuse. Elle a tué Cearea. Et nous savons qu'elle est parvenue à communiquer avec les bâtards de la mort.
— Et alors ? Que craignez-vous de cette bande de naïfs petits soldats ?
Hansel ricana, amer. Il sentait que cette discussion ne lui plairait pas. Serrant les poings, il afficha un faux-sourire, se retenant de réprimer l'impertinente. Celle-ci s'inclina quelque peu pour s'écraser face à lui et lui montrer sa soumission, sentant qu'il n'appréciait pas son intervention, avant de répliquer :
— Nous ne craignons rien d'eux. Nous demandons juste une punition exemplaire.
Il fronça des sourcils. Une punition ? C'est ce qu'attendaient ses sorcières ? Chassant la requête d'un geste de la main, le jumeau grommela :
— J'ai déjà tué son totem, c'est douloureux pour un faucheur. Mais enfin, une créature comme toi n'ayant jamais connu ce genre de lien ne peut le comprendre.
— Ça ne suffit pas. Il faut faire pire. Où mes sœurs croiront qu'il reste une once de bien en vous.
Il la toisa du regard avant de finir par grogner son consentement. Il savait exactement quoi faire. Cependant, alors qu'il s'apprêtait à quitter la pièce, il se tourna vers elle et leva la main dans sa direction. La sorcière se tordit sous l'étrange douleur qui s'empara d'elle. C'était comme si... tous ses os craquaient. Ce qui était le cas. Hansel utilisait ses dons de télékinésie pour briser chaque membre de la sorcière de l'intérieur. Sa maîtrise de son don était effrayante. Les hurlements de la sorcière s'élevaient dans la salle, douce mélodie à ses oreilles. Il finit cependant par relâcher son emprise et alors que la servante du mal reprenait son souffle, tous ses os se consolidant à nouveau, il ricana.
— Ne pense plus jamais à me donner le moindre ordre, sorcière ! Ce sera mon dernier avertissement. Passe le message à tes sœurs. »
*
Hansel s'approcha de la jumelle, endormie et étendue de nouveau sur l'autel. La colère le consumait. Il savait exactement ce qui allait blesser sa sœur. Il la connaissait mieux que quiconque, elle et tous ses secrets, même les plus sombres, même les mieux gardés. Et il s'en délectait. Une trahison pour une autre. Il déposa un baiser sur son front dégagé et pâle avant que ses lèvres ne soient remplacer par sa main. Le jumeau laissa alors son esprit se projeter dans les rêves de la faucheuse.
Gretel rêvait gris. Aussi gris que le ciel avant que ne tombe la pluie. Une couleur morne, neutre. Entre le blanc et le noir, la lumière et l'obscurité, le mal et le bien... Une couleur qui allait si bien à sa jumelle... La couleur de leurs yeux et de leurs cheveux. Ils étaient destinés à n'être qu'un entre-deux. Différents et se complétant. Se retrouvant dans le domaine de cette couleur.
Il la trouva assise au milieu de tout ce gris, à fixer le ciel. Sans même se retourner, elle souffla, la voix râpeuse :
« Je suis déjà venue dans tes rêves. Là-bas tout est noir, je ne vois jamais rien. Tout est pourri. Comme toi. Ici, c'est différent.
— La différence ne saurait tarder à disparaître.
Elle haussa des épaules.
— Que viens-tu faire dans mon rêve ?
— À ton avis ?
Face au silence de sa jumelle, il reprit :
— Tu m'as trahie, chère sœur. Il faut que je te punisse.
— Qu'importe. J'ai pu parler à Valentin, l'ordre des Faucheurs est prévenu.
— Ils ne méritent pas ton aide.
— Bien plus que toi !
— Tu penses ? Que crois-tu que projette le patron ? Il a toujours désiré te tuer. Lorsqu'ils arriveront il sera trop tard. Ils veulent se débarrasser Gretel, ils ont peur de notre puissance et nous voient comme une menace. Ils te manipulent.
— N'est-ce pas ce que tu es en train de faire ?
Il ricana.
— Dis-moi Gretel, que ferait l'Ordre des Faucheurs s'il en venait à découvrir l'existence d'Ielena ? Ta douce et petite Ielena ?
Gretel blêmit violemment. Il touchait un point sensible. Très sensible... Autour d'elle le paysage gris se mettait à se transformer pour prendre le décor d'une auberge du quinzième siècle tandis qu'Hansel poursuivait :
— Tu sais ce qu'ils lui feront. Qu'importe qu'elle soit innocente, ils la tueront !
Autour d'elle, l'auberge avait fini de se dessiner. Les jumeaux étaient assis à une table, dans le fond de la salle éclairée par une grande cheminée et une dizaine de torches. Du feu, du feu partout. Idéal pour brûler une sorcière... Mais déjà Gretel était fascinée par ce qui se déroulait sous ses yeux : elle était projetée dans le passé, le jour de sa rencontré avec Ielena. Une Ielena jeune, belle, dans une robe simple, occupée à servir les chopes de bières aux voyageurs, nobles comme paysans. Le cœur de la jumelle bondit dans sa poitrine. C'était comme à leur première rencontre... Hansel se pencha vers elle pour ricaner à son oreille :
— Regarde-la ! Je sais comme tu l'aimais ! Presque autant que ta petite Blanche ! Et regarde... Il n'y a que la mort qui les attend...
— Nous sommes dans un rêve, tu ne peux rien lui faire. Je contrôle cette partie là.
— Crois-tu ? Et que fais-je ici alors ?
— Je t'ai laissé entrer.
Il leva les yeux au ciel, secrètement amusé par la situation. Tout le contraire de sa sœur. Celle-ci restait méfiante. Elle perdait le contrôle de son propre domaine, un domaine déjà bien instable.
— Et bien ce fut une erreur.
Il se tourna vers la scène qui se déroulait dans l'auberge que la jumelle n'avait pas quitté du regard. Ses yeux perfides se posèrent sur la sorcière et un sourire mauvais se peignit sur ses lèvres. Gretel sentit plus qu'elle ne vit l'expression qu'affichait son frère, celle de quelqu'un qui s'apprêtait à torturer. Elle se tourna vivement, avant de gronder :
— Ne lui fais rien, Hansel, ou je te jure que...
— Que quoi, sœurette ? Que pourrais-tu me faire ?
Brusquement un homme à côté de la blonde se leva, animé par de mauvaises intentions. Un faucheur ! Dégainant un poignard, il l'enfonça dans le ventre d'Ielena. Celle-ci poussa un cri silencieux, qui se perdit dans l'auberge, les autres personnages de ce rêve restaient impassibles. Gretel voulu bondir de sa chaise pour se précipiter vers son amie mais son frère la ceintura avec force et murmura contre son oreille :
— Pas d'incandecentoria, ça ne la tuera pas. Mais elle peut souffrir... Encore !
D'autres faucheurs se levèrent pour imiter le premier. Les hurlements de la novice s'élevèrent dans l'air, terrible. Gretel réagit aussitôt, se débattant comme un beau diable. Elle frappait et griffait à l'aveugle dans l'espoir de faire cesser cette ignominie.
— Arrête ça, arrête ça ! Je t'en prie, arrête ça !
Elle hurlait, criait, pleurait. Elle avait mal. Non pas Ielena ! Torturer la sorcière, c'était la torturer elle, c'était torturer la dernière parcelle de son cœur, celle qui avait survécu à la mort de Blanche.
Il fallait que cela s'arrête. Il n'avait pas le droit de la lui prendre elle aussi. Alors qu'Hansel allait dire quelque chose, un frisson glacé le parcouru. Le rêve autour de lui s'évanouissait alors que les hurlements de sa sœur lui parvenaient comme s'il était plongé sous l'eau.
Il se retrouva brusquement éjecté à l'extérieur et s'écroula au sol, poussé par une puissance psychique insoupçonnée. Elle était parvenue à reprendre le contrôle et à le rejeter ! En se relevant, il découvrit l'autel vide. Intrigué, il le contourna.
Blottie contre la pierre, roulée en boule, Gretel se balançait d'avant en arrière, les mains sur les oreilles en répétant, désespérée :
— Arrête ça, arrête ça... »
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