Chapitre 14. I.
« Les autres créatures magiques pâtissent du mal que causent les sorcières. En effet, les enfants de la nature – nymphes, fées, esprits... – sont les premières victimes des créatures de la lune. Les servantes du mal se servent de l'essence magique qui coule dans les veines de ses créatures pour augmenter la puissance de leurs sortilèges ou de leurs potions.
On a compté ainsi durant le seizième et le dix-septième siècle une véritable diminution démographique de ces peuples surnaturels. »
Extrait du Répertoire de la sorcellerie depuis le commencement à nos jours par Valentinus, premier du nom et fondateur de l'ordre des faucheurs, Chapitre XI. Autres créatures magiques.
*
Gretel était perdue. Elle haïssait de tout son être ce bois et la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle tournait en rond depuis une dizaine de minutes à la recherche de sa compagne qui était introuvable. Bois de merde !
Ce fut alors qu'un rire enfantin trancha l'air. Elle frissonna, faisant volte-face. Le rire reprit, clair, innocent, attendrissant. Un piège. Il n'y avait pas d'enfant ici. Juste des sorcières. La colère l'enflamma plus fort que jamais et elle ricana :
« Sors de ta cachette, sorcière...
Elle se retourna vivement à nouveau et trancha l'air de sa faucille. L'effrayante femme qui se faufilait derrière elle bondit en arrière pour éviter le coup mortel.
— Tiens, tiens, la jumelle... Je t'attendais.
Gretel s'apprêta à répliquer mais se figea en la reconnaissant. Il s'agissait de la sorcière qu'avait affrontée son frère lors de sa disparition. Celle qu'elle avait vu lorsqu'elle avait eu accès à la mémoire de l'endroit où avait eu lieu l'affrontement. Un grognement animal lui échappa.
— Où est mon frère ?
— Tu veux que je te mène à lui, ma jolie ? Je sens que tu vas adorer vos retrouvailles.
Les moqueries de son adversaire la mettaient hors d'elle. S'approchant d'un pas de la sorcière, elle gronda :
— Que s'est-il passé cette nuit-là ? Que lui as-tu fait ?
— Moi ? Mais je ne lui ai rien fait voyons... Et tu le sais déjà !
— Que veux-tu dire ?
La terrible femme rit alors. Un rire dément qui glaça la faucheuse. Celle-ci resserrant sa prise sur le manche de sa faucille. Ses mains lui brûlaient, elle rêvait de laisser ses flammes dévorer l'impertinente et maléfique créature.
— On verra si tu riras autant lorsque tu ne seras plus qu'un tas de cendre.
Face à la menace, la sorcière détala avec un ricanement sinistre. Sans réfléchir, Gretel se lança à sa poursuite. Sa course folle dans les bois faillit lui coûter la vie à maintes reprises mais elle en réchappa. Les plantes maudites, les crevasses, les sortilèges que lui lançait la servante de la lune... Elle les évitait tous. Sa haine éveillait en elle un véritable instinct de prédatrice.
Elles étaient arrivées prêt d'un lac à l'eau nauséabonde. Une vase sombre s'étendait jusqu'à des rives boueuse. Des volutes de fumée s'en échappaient. La jumelle su que la course poursuite était finie. La sorcière pouvait traverser le lac, il ne lui ferait rien, tandis qu'elle ne pouvait s'y risquer sous peine de ne jamais en sortir vivante. Il ne lui restait plus qu'une solution. Arrêter son ennemie. Maintenant !
«Lance ton arme, tu ne la rateras pas.»
Elle ne sursauta même pas à l'entente de ce conseil qui aurait pu sembler mauvais. Elle avait confiance en elle, en la voix - elle aussi voulait le retrouver. C'était tout ce qui comptait. D'un geste précis et habile, la faucheuse lança sa faucille. Celle-ci atteint sa cible.
La sorcière s'effondra sur les rives du lac, se tenant sa jambe blessée. Sans la moindre hésitation, Gretel s'approcha d'elle et lui attrapa les cheveux, basculant sa tête en arrière. Elle ne grimaça même pas face à la lueur meurtrière qui scintillait dans le regard de la créature maléfique. Sèchement, la jumelle ordonna, faisant appel à ses pouvoirs.
— Montre-moi ! »
Les souvenirs se faufilèrent dans un esprit, y imposant la vérité avec tant de violence que la jeune femme ne le supporta pas, enflammant ses mains et la sorcière qu'elle tenait. Elle n'entendait même plus les hurlements de cette dernière qui agonisait. Elle n'entendait plus les sifflements dans sa tête. Tout ce qu'elle entendait, tout ce qu'elle voyait, c'était la terrible, terrifiante et abjecte vérité...
Le combat faisait rage. Alors que le faucheur aux cheveux gris allait achever la servante de la lune désarmée, il se figea en remarquant que ses mains avaient noirci. Et plus la lune semblait se couvrir, plus l'étrange tâche noirâtre semblait s'étendre le long de ses bras. La sorcière cessa de se battre. Ses yeux se mirent à scintiller d'étonnement face au tueur de sorcière. Elle ne savait pas quelle étrange magie entrait en œuvre, mais elle n'était nullement la responsable de ce qui arrivait là. Émerveillée et terrifiée elle croisa le regard tout autant apeuré et empli de souffrance de l'homme face à elle. Puis la lumière s'envola définitivement. Un silence mortel pesait sur la scène du combat. Dans les ténèbres, on n'entendait plus un son. Puis soudain, un battement. Un cœur semblait s'être emballé avec fureur.
Lorsque la lune se découvrit à nouveau, qu'elle laissa sa clarté se reposer sur la forêt, la sorcière sourit de toutes ses dents avant de s'agenouiller. Face à elle, se tenait la pire créature que le monde ait portée. Face à elle se trouvait l'élu tant attendu. Face à elle se trouvait le mal absolu.
*
Blanche fit volte-face en entendant un hurlement de douleur déchirer l'air, se tournant vers la direction de provenance du cri. Un hurlement qu'elle reconnaissait entre mille. Celui d'une sorcière qui mourrait. Serait-ce... Gretel ?
Sur ses gardes, elle se dirigea vers la source du bruit. Priant pour que rien de grave ne soit arrivé, elle maudissait le bois aux sorcières et la lune. Elle sentait la présence malveillante de la déesse bien qu'il fasse toujours jour. L'astre argenté et maudit dardait son regard mauvais sur elle, dissimulé par la lumière du soleil, une lumière qui ne pouvait protéger personne dans un bois aux sorcières.
Lorsque l'arbre était tombé, la faucheuse avait été projetée dans un ravin et n'avait pu se rattraper. Elle s'en était cependant sortie sans trop de dommages, juste un peu secouée. En revanche, elle avait perdu son arc dans l'action, n'ayant à présent pour se défendre qu'une poignée de flèches et aucun moyen de les lancer.
La princesse espérait que sa compagne s'en soit mieux sortie.
Gretel... Elle aimait tant la jumelle qu'elle avait parfois l'impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. L'idée seule qu'on puisse la lui retirer... Blanche, d'ordinaire si douce et posée aurait été capable du pire pour elle. Elle haïssait les sorcières, elle haïssait cette prophétie et elle haïssait l'ordre.
La brune ne croyait pas aux fins heureuses. Et elle craignait de ne jamais en connaître. Cela n'arrivait que dans les contes de fées et dans ce monde, les contes de fées tournaient toujours au cauchemar. Toujours. Pourtant, pour Gretel, elle voulait bien se battre et y croire. Ne serait-ce que pour la revoir et l'étreindre encore. Encore et encore... L'amour faisait mal. L'amour donnait de l'espoir.
La faucheuse secoua la tête et serra des poings, se baissant pour éviter une branche balancée dangereusement par le vent. Son cœur s'emballait dangereusement dans sa poitrine tandis que l'atmosphère semblait être devenue plus lourde, plus froide, plus menaçante. Quelque chose n'allait pas, quelque chose allait arriver. Il fallait qu'elle retrouve Gretel et vite ! Un craquement se fit entendre.
Elle se retourna. Trop tard.
Blanche trébucha sur un panier dont le contenu se renversa à ses pieds. Des flamboyantes pommes roulèrent sur le tapis de neige. Elle écarquilla des yeux, son arme lui glissant des mains.
Des pommes.
Toute sa volonté s'envola, cédant sous le poid d'un maléfice séculaire. Ces pommes étaient maudites. Et la princesse ne pu résister au murmure qui l'encourageait à en saisir une. La voix qui résonnait à ses oreilles prenait malicieusement le timbre de Gretel, rauque, doux, vif. Son cœur fondait et son esprit s'embrumait.
La faucheuse saisit un des fruits, rond et écarlate dans sa main. Il semblait si parfait ainsi, et son parfum envoûtant prenait peu à peu possession des sens de l'immortelle. Elle ne pouvait lutter contre l'enchantement. L'air se densifiait autour d'elle, le monde disparaissait. Ne restait plus que cette pomme. Belle, ronde, parfaite.
«Croque princesse, ce serait le seul moyen d'exaucer toutes tes prières.»
La brune en oublia la réalité. Il n'y avait que cette promesse de bonheur, d'amour... D'un geste elle porta le fruit mur à sa bouche et croqua une bouchée. Si le goût était enchanteur, la pomme pourrit soudainement dans sa paume et Blanche s'étouffa violemment, reprenant brutalement pieds avec la réalité. La terreur la gagna tandis qu'elle sentait se propager en elle un mal qui la précipitait vers la mort. Alors que son souffle commençait à lui manquer elle releva son visage, les yeux embués de larmes pour se confronter à un regard qui finit de briser son cœur. Un regard d'un gris bien trop familier.
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