Chapitre 13. I.

« Et la lune se complait
À bénir ses sorcières,
Elles nous promettent l'enfer,
Des souffrances, des méfaits. »

Passage de l'hymne de l'ordre des faucheurs. 1004.

*

La peste soit ses crises ! Gretel souffrait atrocement. Le moindre de ses muscles la tiraillait et sa tête la lançait douloureusement. Se relevant, elle battit des paupières se rendant compte qu'elle était toujours sur le sol de la salle de bain, parmi les débris. Se massant les tempes elle fut traversée par les souvenirs de la veille et se figea. Blêmissant elle tenta de chasser de son esprit les images de sa folie.

Un souffle attira son attention. Tournant le regard, elle tomba sur Blanche, endormie au sol elle aussi. Gretel fronça des sourcils, légèrement perturbée avant de se remémorer la suite de sa nuit d'horreur en détail. La princesse était parvenue à pénétrer dans la salle de bain. Elle s'était alors précipité à ses côtés et après avoir tentée de calmer en vain la jumelle, l'avait emprisonnée de ses bras pour l'empêcher de se faire plus de mal, la berçant jusqu'à que la faucheuse ne perde connaissance. Elle avait dû s'endormir par la suite.

Se penchant par-dessus son amie, Gretel la secoua doucement tout en l'appelant.

« Blanche ?

La brune battit des paupières, l'air un instant perdue avant de se relever, assise elle aussi à même le sol. Grimaçant, elle croassa :

—  Waw... Je n'ai jamais rien connu de plus inconfortable que ce sol...

Sa plainte arracha un rire nerveux à la jumelle qui à mi-voix répliqua :

— Pas même le bois aux sorcières ?

Blanche esquissa une petite moue. Un pli soucieux se forma alors sur son front. La nuit dernière n'était pas qu'un cauchemar. Les restes de ce qui fut jadis la salle de bain le prouvait largement. Prenant une profonde inspiration, elle se risqua à souffler :

— Gret'...

La faucheuse aux cheveux cendrés ne lui laissa pas le temps de poursuivre, s'écroulant sous son regard caramel pour lâcher précipitamment :

— Je suis désolée... Pour cette nuit. Je... Je ne sais pas ce qui est arrivé... C'était comme cette fois où je les ai tous tué...

Sa voix se brisa sur ce dernier mot, écorchée, éraillée. Un son déchirant qui trahissait la profonde détresse de sa propriétaire. Blanche sentit son cœur battre furieusement et douloureusement dans sa poitrine. Elle détestait lire la souffrance chez son amie, son amante. Cela l'emplissait de haine. Elle voulait détruire tous ceux qui avaient osé et oseraient lui faire de mal. Poussée par l'instinct et l'amour, elle se mit à genoux, attrapant les épaules de la jumelle pour la blottir contre elle.

— Ce n'est rien Gret'. Je te jure, tout va bien !

Mais Gretel sanglotait contre elle, sans pouvoir s'en empêcher, enfouissant son visage dans la gorge de nacre. Ses mains s'agrippèrent au dos de la princesse. Son cœur lui faisait mal, si mal... Pourquoi fallait-il qu'elle ait ses hallucinations, qu'elle soit ainsi... un monstre. Elle causait plus de tort que les sorcières. Même pas fichue de sauver notre frère... Idiote ! Inutile ! Elle avait mal. Et l'étreinte de son amie apaisait cette douleur... Elle voulait qu'elle disparaisse !

Elle finit par se reculer pour embrasser Blanche. Celle-ci répondit aussitôt au baiser, enlaçant la taille de la jumelle, sa main glissant jusqu'à sa nuque. C'était un baiser salé, un baiser profond, un baiser de réconfort. Gretel se perdait dans cette étreinte et la princesse donnait. Elle donnait encore et encore de son amour dans l'espoir d'apaiser la jeune femme.

Cela fonctionna. La faucheuse à la chevelure cendrée finit par se détacher. Son visage avait retrouvé une certaine neutralité, ses yeux n'étaient plus baignés de larme et elle avait perdu de cette fragilité qui l'entourait quelques instants auparavant. La jumelle sourit légèrement, avant d'incliner la tête en signe de remerciement. Elle avait recouvert son calme. Se relevant, elle aida sa comparse à en faire de même.

Les deux femmes observèrent le désordre qui régnait dans la salle. Ce n'était pas beau. Pas beau du tout. Et elles n'avaient aucun moyen de ranger cela. La brune grimaça.

— Il faut dissimuler ça aux yeux des humains... Nous ne pourrons pas expliquer ce carnage sinon...

Le regard de Gretel s'illumina :

— Ça, je peux m'en charger !

Poussant la princesse en dehors de la salle, elle s'approcha d'un des murs et du bout des doigts se mit à tracer une rune complexe sur le mur. Elle la connaissait par cœur. L'air se mit à vibrer sous les assauts de la magie, la lumière de l'ampoule devint de plus en plus forte, jusqu'à totalement aveugler Blanche. Celle-ci se couvrit les yeux à l'aide de son avant-bras. Lorsqu'enfin, elle put regarder à nouveau, la pièce semblait en ordre. Comme si rien de tout cela n'était arrivé.

Fière de son geste, Gretel sorti, redressant le menton. L'usage de cette rune lui avait rendu son sourire. Malgré tout, elle restait elle. Habile et puissante. Cependant, elle esquissa une petite moue dépitée :

— Ce sortilège ne durera pas. L'illusion marchera un jour ou deux, pas plus.

— Nous serons loin dans un jour ou deux...

— À vrai dire, il faudrait que nous partions dès cet après-midi. Tu peux à nouveau te battre et le temps presse. Nous avons trop ralenti. D'après Valentin, d'étranges choses se passent. Nous devons faire vite.

— Tu t'en sens prête ?

— Pour retrouver mon frère et renvoyer des sorcières en enfer ? Toujours !

La jumelle fit craquer sa colonne vertébrale avant de se diriger vers le petit placard. Il était temps de se préparer pour la traque. Oubliées les phases de folie et les terreurs. Oubliées les larmes. Observant sa compagne lacer un corset par-dessus sa chemise, la princesse se racla la gorge.

— Juste avant d'y aller, nous devrions peut-être parler de...

— De ce qu'il se passera une fois les choses réglées n'est-ce pas ?

Blanche parut surprise. Gretel se contenta de hausser des épaules avant d'inciter sa comparse à s'exprimer tout en finissant de revêtir sa tenue de chasse. Après une profonde inspiration, celle-ci se lança :

— Le Patron t'a dit qu'il s'assurerait que tu ne déchaîneras pas les enfers à ta sortie. Cette assurance, c'est moi. Il connaissait notre amitié et pensait que tu ne prendrais jamais le risque de me blesser.

— Le Patron est malin. fit remarquer son interlocutrice en haussant des épaules.

La princesse sourit, son regard brun scintillant dans la pièce tandis qu'elle s'approcha de la jumelle pour murmurer :

— Je le suis plus encore.

Gretel voulait bien le croire. Sa comparse était futée. Extrêmement futée. Elle était connue pour sa capacité à s'intégrer et se faufiler partout, récoltant les infos nécessaire. Une traqueuse hors pair en milieu difficile tel qu'en ville où les apparences étaient ce qui comptaient et ce qui trompaient le plus. Cependant la jumelle sentait bien que quelque chose se dissimulait derrière le discours de la brune. Quelque chose d'important.

— Où veux-tu en venir Blanche ?

—  Quoiqu'il se passe, ne laisse jamais l'ordre te remettre la main dessus. Ils te renfermeront, qu'importent leurs promesses. Ou bien ils te forceront toi et ton frère à vous entretuer.

— Que de réjouissances ! Aurons nous le droit à une arène ?

Blanche grimaça avant de croiser les bras sous sa poitrine.

— Je ne plaisante pas Gret'.

— Blanche, je ne sais pas ce que tu fais mais ça ressemble à une trahison envers l'Ordre. Si tu vas à l'encontre des volontés du grand patron...

— Je ne suis pas la seule à le faire pour toi.

Ce sous-entendu pétrifia la jeune femme. Valentin ! Lui et Blanche semblaient s'être mis d'accord quant au camp qu'ils comptaient soutenir. Ils étaient prêts à l'aider quoiqu'il en coûte. Des imbéciles ! Mais des imbéciles qu'elle aimait. Sa main se crispa sur sa cuisse, ses ongles traversant le tissu de son pantalon.

— Vous ne croyez pas en cette prophétie alors ?

— Depuis le temps que je me tue à te le dire. De nous deux, seul Valentin y croit mais pas au point d'agir comme les autres, comme...

— Comme si j'étais une menace. Blanche, tu as assisté à une de mes crises. Si tu avais été présente, dans la salle de bain avec moi, je t'aurai tuée, massacrée, assassinée, détruite... Peu importe le terme exact. Sans hésitation. Et avec plaisir.

La brune haussa des épaules. Le danger ne l'effrayait même plus.

— J'en ai rien à faire Gret'.

La jumelle soupira. Sa compagne semblait déterminée. Trop pour son propre bien. Et bien soit. Elle voulait bien l'écouter et adhérer à son plan. Si cela lui permettait de ne pas avoir à retourner dans sa prison... Si cela lui permettait de finir de vivre en paix. De retrouver son frère.

— Que proposes-tu alors ?

La princesse sourit tristement avant de porter la main à son cou pour en détacher le pendentif à la larme empoisonnée. Gretel voulu empêcher son geste mais Blanche lui fit signe de ne pas bouger. Caressant du bout des doigts le bijou, elle finit par se glisser derrière la jumelle, le lui attachant autour du cou. La faucheuse aux cheveux gris frémit en sentant la fraicheur de la larme reposer contre sa peau au creux de sa poitrine. Elle saisissait le geste de sa comparse. Il l'effrayait. Pourtant elle ne bougea pas, laissant la brune se pencher par-dessus son épauler pour murmurer à son oreille :

— Peu importe sur qui tu en uses, que ce soit sur eux ou... sur toi. Mais reste libre Gret'. Quoiqu'il arrive.

Rester libre. Morte ou vive. C'était tout ce à quoi se résumait la volonté de la jumelle. Elle pressa des paupières. Sentant la présence de la princesse disparaître derrière elle, elle fit vivement volte-face, lui attrapant le bras. Plongeant son regard dans le sien, elle murmura :

— Je t'aime...

Les mots lui avaient échappé. Il fallait qu'elle les dise. Son instinct lui hurlait que quelque chose de mal allait arriver, que le plus dur était à venir et que la souffrance ne faisait que commencer. Il fallait qu'elle lui dise qu'elle l'aimait. Blanche sourit, attendrie et répliqua, avant de déposer un léger baiser sur ses lèvres :

— Moi aussi Gret' ! Moi aussi... »

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