Chapitre 12. I.

« Objet de la perquisition : repère de sorcière.

Résultat de la perquisition : maison faîte de pain d'épice. Cage destiné à l'enfermement des enfants. Os de poulet. Marmite. Écrits sorciers. [...] Cadavre de sorcière, meurtrier inconnu.

Ont été brûlé à ce jour : deux grimoires de magie obscure, un livre de cuisine anthropophage, un parchemin de sortilèges dits « maudits », un traité de démonologie, un recueil de conte pour enfants... »

Compte rendu d'une perquisition dans une maison de sorcière dans la forêt noire, par l'ordre des faucheurs. 1423.

*

« Un bretzel !

Le regard de Gretel s'illumina en observant la nourriture qu'avait apportée avec elle Blanche de son escapade nocturne. Le jour se levait au dehors et les faucheuses pouvaient enfin espérer sortir un peu à l'extérieur. De nuit, c'était exclu, la princesse n'était toujours pas guérie et elle ne pouvait toujours pas user de son arc. L'abstention de combat se poursuivait jusqu'au lendemain soir. Jusque-là, les deux femmes ne pouvaient se limiter qu'à un rapide repérage. Au moins seraient-elles reposées dans le cas où les choses s'envenimeraient.

Saisissant la spécialité saupoudrée de sésame, la jumelle croqua dedans à pleine dents, savourant ce goût qui lui avait tant manqué. Elle ronronnait presque de satisfaction ce qui arracha un éclat de rire à la brune qui reboutonnait sa chemise avant d'enfiler son long manteau.

— Où allons-nous aujourd'hui ?

Gretel haussa des épaules, trop occupée à rassasier la faim qui la taraudait depuis quelques temps déjà. Blanche l'observait attendrit jusqu'à qu'une idée ne lui traverse l'esprit. Hésitante, elle proposa :

— Tu pourrais me montrer là où se trouvait ton ancienne maison ?

La jumelle se figea un instant. Son regard vrilla celui de sa compagne. Pendant un instant, elles se toisèrent, et la princesse commença à regretter sa proposition. Pourtant, la faucheuse à la chevelure cendrée l'empêcha de se retirer en finissant par hocher de la tête :

— D'accord. Ce n'est pas très loin.

Elles sortirent de l'hôtel sous l'œil méfiant de la dame qui gérait l'accueil et qui avait dû comprendre la nature de leur relation. Amusée, la brune lui tira la langue. Si des faucheurs nés à une période où rien n'était permit hormis les dires de l'église pouvait être ouverts d'esprits, ce n'était pas une vieille bique arriérée qui allait les déranger.

Blanche connaissait mieux Dieu que cette vieille dame. Et elle était capable de réciter le pater noster en latin.

À l'extérieur, le paysage était blanc. Blanc pur. Saupoudré d'une neige si scintillante qu'elle paraissait être du diamant. Gretel se pencha pour en ramasser une poignée. Le froid des flocons contre sa paume cisaillé provoqua des picotements associés à une brûlure qui, si au début étaient désagréables, finirent par la soulager quelque peu.

Puis elle prit le chemin en direction de l'extérieur de la ville. Les routes étaient presque désertes cependant le village était paisible. Blanche lui trouvait même un certain charme. Tout en marchant aux côtés de sa compagne elle ne pouvait s'empêcher de trouver ironique qu'un tel lieu si paisible en apparence se trouvât juste à côté d'un bois aux sorcières très célèbre.

Elles finirent par arriver à un sous-bois. Les ruines d'une petite maison se dressaient à l'ombre d'un chêne dégarni. Non loin, un puits était recouvert de mousse. Cet endroit semblait inhabité depuis des siècles. Pourtant, il avait tout l'air d'être tranquille, serein, à l'abri des regards curieux des autres. Gretel s'approcha d'un pas décidé du puits pour regarder dans son fond. Ses mains tremblaient contre la pierre vermoulue et rongée par le temps. La jeune femme avait pâli considérablement, comme si elle craignait qu'un fantôme du passé n'en surgisse pour l'y attirer. Blanche s'approcha à pas de loups, détaillant le paysage qui l'entourait. Admirative de la beauté du lieu, elle ne s'entendit pas demander :

— Pourquoi être partis ?

— Pardon ?

— Pourquoi être partis d'ici ? Cet endroit est... Charmant ! Les sorcières ne vous auraient certainement pas déranger plus que ce qu'elles ne l'avaient fait par le passé et vous auriez vécu tranquilles.

La jumelle grimaça.

— En tuant la sorcière, nous avions gagné l'immortalité. Les gens auraient fini par se poser des questions et ce n'était pas vraiment la période idéale pour sortir de la normale. Nous aurions fini au bûcher.

La princesse esquissa une petite moue avant de secouer la tête.

— Ce n'est pas faux... Cependant, ça ne répond pas à ma question. Vous êtes partis avant d'avoir eu le temps de vieillir. Votre immortalité ne se voyait pas encore et vous n'étiez même pas aux courent pour elle avant que l'Ordre ne vous le révèle. Qu'est-ce qui vous a poussé à partir ?

La jumelle se figea avant de soupirer. Sa comparse était perspicace, trop pour qu'elle puisse lui mentir. Secouant la tête, elle eut un rire sans joie et empli d'amertume.

— Nous avons été accusés du meurtre de notre père lors de notre vingtième année.

Cette annonce jeta un froid. Blanche ne s'y attendait. Pourtant, loin de se laisser impressionner, elle demanda plus de précision, dissimulant sa surprise dans sa voix.

— Était-ce vrai ?

Gretel esquissa un étrange sourire. Plutôt que de répondre, elle se pencha à nouveau au-dessus du puits, admirant l'obscurité qui dissimulait les profondeurs. Caressant du bout des doigts la pierre, elle semblait plongée dans ses souvenirs.

— Tu vois ce puits ? ricana-t-elle sinistrement. Le squelette de notre père y repose !

— Ça ne réponds pas vraiment à ma question ça, Gret'.

La faucheuse aux cheveux gris fit volte-face, son regard argenté vrillant celui caramel de son amie. Ses traits se tordirent en une grimace presque désespérée.

— Ce n'est pas moi qui l'ai tué ! Je le jure, ce n'est pas moi.

D'étrange flamme dansaient dans son regard, des flammes qui auraient pu effrayer Blanche, de même que la sinistre histoire qui venait de lui être contée. Mais ce ne fut pas le cas. Conservant son calme, elle s'avança d'un pas, la détermination se lisant sur son visage :

— Je te crois Gret'. Et ce que je crois, c'est que tu as rudement besoin de te défouler.

La jumelle eut un rire nerveux tandis qu'elle passait ses mains dans ses cheveux, tentant d'endiguer le flot de mauvais souvenir.

— Qu'est-ce que tu proposes ?

Le regard brillant, la brune retira son manteau avant de souffler :

— Un petit combat d'entraînement, comme à l'époque, juste pour le plaisir d'améliorer nos performances. Ça te dit ?

Gretel n'hésita même pas. Elle hocha affirmativement de la tête, se débarrassant de son manteau et attachant sa chevelure grise. Un combat... C'était ce qu'il lui fallait ! Maîtrisant ses tremblements, elle se mit en garde en face de sa comparse qui l'imitait.

Blanche attaqua la première. D'une agilité surprenante elle tenta de lui asséner un coup que la jumelle évita d'un bond avant de répliquer, un flot d'adrénaline bénéfique se déversant dans ses veines, lui faisant automatiquement oublier tout le reste. Bientôt, le combat au corps à corps s'enchaîna. Pourtant, ce fut un combat teinté d'une grâce certaine. Les faucheuses ne retenaient pas leurs coups mais leurs techniques étaient d'une perfection qui se trahissait par une beauté.

La brune parvint à tordre le bras de Gretel dans son dos. D'un coup de coude, cette dernière se débarrassa de son adversaire avant de la repousser avant de sourire, satisfaite. Cela lui avait manqué. Terriblement manqué. Des combats contre ses amis, elle en faisait tous les jours avant... C'était peut-être ses meilleurs souvenirs. Ils avaient été un groupe si unis... Décidée à ne pas se laisser envahir par la nostalgie, elle défia la brune du regard. Celle-ci rit de son geste avant d'attaquer à nouveau. Gretel l'esquiva, parant chacun de ses coups.

Blanche fit soudain basculer la jumelle au sol, bloquant habilement ses épaules. Le choc contre le sol gelé fut rude mais la faucheuse aux cheveux cendrés n'en eut cure. Celle-ci tenta de se débattre pour se débarrasser de la princesse qui malgré son corps svelte pesait lourd sur elle, l'immobilisant pour de bon. La brune esquissa un sourire avant de lâcher :

— On dirait bien que j'ai gagné cette fois...

Gretel plissa des paupières, une moue maline étirant ses lèvres.

— En es-tu certaine ? »

Blanche se laissa aller à rire. Le son cristallin s'envola dans les airs. La jumelle cru un instant rêver face à cette vision presque enchanteresse. Qu'est-ce qui était réelle ? Qu'est-ce qui ne l'était pas ?

À cet instant même, cela n'avait aucune importance.

Soudainement, elle crocheta la nuque de Blanche et l'attira à elle pour l'embrasser. Celle-ci se figea avant de se laisser aller et d'y répondre, savourant ce contact, relâchant les épaules de la jeune femme pour venir caresser ses joues échauffées par le combat.

Le froid et la neige n'existaient désormais plus.

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