Chapitre 11. II.

*

Blanche n'était toujours pas revenue. La jumelle ne doutait presque pas du fait que son amie – amante ? – se soit retrouvée accaparée par mille occupations autres que sa recherche de nourriture. Se rappelant l'appel de Valentin, Gretel se rendit compte que c'était le moment idéal. Il lui avait demandé de ne pas prévenir la princesse. Quoi de mieux que son absence pour chercher le code des archives. Elle hésita cependant.

Si utiliser ses pouvoirs physiques la dérangeait sans pourtant trop la répugner, user de son don de vision en revanche, la terrifiait. Elle ne l'avait plus fait volontairement depuis l'incident avec son frère. Les utiliser c'était... Abaisser les barrières mentales qui parvenaient à la maintenir encore un peu lucide. Après cela, elle savait que les crises seraient plus violentes. Bien plus. Elle ne voulait pas. Pourtant, elle n'avait pas le choix. Pour Valentin !

Assise en tailleurs sur le matelas, Gretel tremblait d'appréhension. Elle se forçait à respirer et à faire abstraction du sifflement dans ses oreilles ponctué d'injonctions à la fuite. Elle ne fuirait pas. Saisissant un morceau de verre qui trônait au sol – un souvenir de son exploit quand elle avait fait explosé un vase après la déclaration de Blanche – elle referma ses doigts dessus. Si elle se perdait au court de sa vision, elle serrerait obligatoirement le poing. La douleur de la coupure la ramènerait à la réalité. La jumelle ne connaissait pas d'autres moyens. Il ne lui restait plus qu'à prier pour que sa compagne ne revienne pas plus tôt que prévu de son escapade nocturne dans l'hôtel.

Fermant les paupières, Gretel fit appel à son don. Elle le sentit vrombir sous sa peau, serpenter en elle et s'écouler dans ses veines. Elle frissonna tandis qu'elle se sentit décrocher de la réalité. Puis soudain, ce fut un plongeon dans le vide.

La jumelle se retrouva projetée dans le manoir de l'ordre des faucheurs. Cependant, la réalité était altérée. Certains pans de mur entiers manquaient, d'autres étaient déformés. Et il y avait des araignées. Partout. Une courrait sur le plafond, l'autre se terrait dans la pénombre. Gretel comprenait ce qu'il se passait. Sa vision était altérée par son instabilité. Elle ne savait combien de temps elle pourrait tenir. Alors qu'elle avançait, ses pas résonnèrent dans le couloir étrangement vide. Ses doigts effleuraient le mur tandis qu'elle aspirait la mémoire du lieu, se laissant guider jusqu'à la salle des archives. Soudain, elle fut bousculée par un petit enfant brun qui fuyait dans les couloirs. Surprise, elle lui attrapa le bras, voulant s'assurer qu'il n'était pas blessé.

« Eh petit, tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

C'est alors qu'il leva sur elle un regard gris qui la paralysa.

Je joue avec ma sœur à cache-cache. Tu connais le principe ? Je me cache, et le but est qu'elle me retrouve.

Il esquissa alors un petit sourire. Gretel était sonnée. Ce regard était si identique au sien... Comme elle restait mutique, l'enfant chuchota :

Tu veux que je te dise un secret ?

Déstabilisée, elle hocha affirmativement de la tête avant de s'agenouiller pour qu'il puisse murmurer à son oreille.

— Gretel ne me retrouvera jamais. En revanche, elle pourrait trouver des choses qui lui déplairont. Comme des araignées. Elle les a toujours détestées.

La jeune femme cru en perdre le souffle. Elle se recula alors et dévisagea le petit garçon qui la regardait malicieusement, conservant un calme désemparant. Le silence tomba sur eux, comme un lourd voile. Il ne semblait plus vouloir fuir et se cacher. Il souriait simplement, comme s'il était fier d'avoir livré son message. La faucheuse commença à voir flou. Une souffrance sourde déchira sa main et elle eut la terrible impression de perdre connaissance.

Non !

Un corbeau croassa, tranchant le silence, l'arrachant à sa douloureuse transe. Gretel battit des paupières, s'éloignant soudain de l'enfant.

Non, elle devait rester ! Valentin avait besoin d'elle. Elle avait besoin d'elle. Ils avaient besoin d'elle. Elle se releva, dépassant le petit garçon sans plus lui accorder un regard. Elle ignora également les araignées, s'élançant à la poursuite de l'oiseau de geais qui se faufilait dans les couloirs, croassant de temps à autre comme pour l'appeler. Sa course effrénée la mena alors devant une petite porte noire. Un boitier électronique attendait qu'on veuille bien saisir le code.

La jumelle jeta un coup d'œil au corbeau qui tournoyait au dessus d'elle. Prenant une grande inspiration elle approcha ses doigts du boitier. C'était maintenant que tout allait se jouer. Il fallait qu'elle laisse le lieu décider. Il le fallait absolument. Ou elle n'aurait jamais ce foutu code. Un frisson la parcourut. Puis elle saisit les premiers chiffres qui lui traversèrent l'esprit, poussée par un élan incontrôlable. 1004. Dans un bip sonore tous les voyants devinrent verts et la serrure se débloqua.

Gretel recula d'un pas, satisfaite. Elle avait réussi ! Cependant, lorsque la porte s'ouvrit pour de bon, elle se figea. Ce n'était pas la version enfant de son frère qui se cachait derrière, dans l'obscurité, mais celle adulte, qui la fixait d'un regard empli de souffrance et de haine. Avec un rugissement, l'homme bondit sur elle en hurlant :

— Pourquoi m'as-tu abandonné ? »

La douleur la tira violemment de sa vision. Gretel émergea brutalement, et écarta les doigts, constatant avec horreur la profondeur avec laquelle le bout de verre s'était enfoncé dans sa chair. Les gestes précipité et saccadé, elle le retira brusquement, laissant le sang couler sur sa paume et sur le matelas, tachant les draps blancs de sang rouge. Son regard se perdit sur l'incision profonde. Elle tremblait. Tout semblait bouger autour d'elle, le monde était flou. Pourtant, elle avait réussi ! Il fallait qu'elle aille au bout de sa mission. Chancelante, elle se releva pour attraper le téléphone. Maladroitement, elle chercha dans les contacts le nom de son ancien amant avant d'appeler. Celui-ci décrocha au bout de la deuxième sonnerie. Sans lui laisser le temps de parler, elle lâcha, la voix cassée par la douleur :

« 1004. C'est ton code. »

Le téléphone lui échappa des mains, se brisant au sol. La jeune femme aux cheveux gris se laissa tomber sur le lit poussant un soupir de soulagement. Tout était fini. Elle papillonna un instant des paupières avant de se décider à se lever pour ranger tout le bazar, de gestes presque mécaniques, sans réfléchir. Ranger, nettoyer, dissimuler les preuves de ce qu'elle avait fait. Le poids sur sa poitrine avait disparu, elle pouvait mieux respirer. De même, sa plaie commençait déjà à cicatriser et ne saignait plus depuis qu'elle l'avait bandée soigneusement.

Bientôt, ne persista plus aucune marque de ce qu'elle avait fait. Il semblait que rien de tout cela n'était arrivé.

Pourtant, Gretel tremblait encore. Elle l'avait vu. Il l'avait accusée. Et elle avait ressenti le besoin de crier que c'était lui qui l'avait abandonnée. Il n'avait pas le droit... Pas le droit de l'accuser ! Elle ne pouvait haïr son frère pourtant elle le haïssait. Pour l'étrange culpabilité qu'il faisait naître en elle. Pour ne pas être là. Il était une partie d'elle, de son cœur, de son âme et il lui manquait terriblement... Elle l'aimait tant !

Elle sursauta en sentant des bras enlacer sa taille avant de s'apaiser en reconnaissant le parfum et la douceur de Blanche. Sa compagne était revenue, nichant son beau visage dans la gorge de la jumelle.

« Que fais-tu ?

— Je range un peu...

— Où sont passés les draps ?

Gretel marqua une hésitation avant de lâcher franchement :

— À la poubelle.

Il y avait du sang. Trop de sang. Trop de rouge sur du blanc.

Pourtant la brune ne releva pas cette étrangeté. Secoua sa crinière d'ébène, elle recula, laissant la jumelle faire volte-face pour la dévisager. Une question brûlait les lèvres de Gretel qui ne put s'empêcher d'interroger :

— As-tu déjà aimé au point d'en souffrir et d'en avoir le cœur qui saigne ?

La maîtresse empoisonneuse se mordit la lèvre inférieure. Son regard se perdit dans le vide quand elle souffla :

— Oui.

— Le chasseur qui t'a aidé à te débarrasser de ta vilaine Belle-Mère et t'a sauvé en partie ?

L'histoire de Blanche était si différente de celle de la Blanche-Neige traditionnelle : Blanche avait bel et bien été empoisonnée par la sorcière mais c'était un chasseur-faucheur et non un prince qui l'avait sauvée. Après cela, ils s'étaient débarrassés de la créature de la lune ensemble. Une belle histoire d'amour. Qui s'était mal fini, un siècle plus tard. À mi-voix, la princesse confia :

— J'ai cru mourir quand mon époux a perdu la vie.

— Mais tu n'es pas morte.

— On ne peut mourir par amour que lorsque plus rien ne nous raccroche à la vie.

Cette information surprit Gretel qui s'enquit :

— Qu'est-ce qui te raccrochait à la vie ?

Blanche leva son regard caramel vers la jumelle, un étrange éclat y dansant. Employant le ton le plus cynique qui soit, elle lâcha :

— La vengeance. »

Les faucheurs avaient beau être des enfants de la Mort, il était indéniable que la Vengeance était leur véritable mère. C'était elle qui les poussait à se battre jusqu'à leur mort. La vengeance et non l'intérêt du bien commun. Mais quelle différence y avait-il ?

Gretel avait cessé de chercher. Désormais, pour elle, la vengeance n'avait plus d'importance. Tout ce qui comptait était qu'elle et Blanche trouvent son frère. Pour qu'enfin tout rentre en ordre.

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