Chapitre 10. I.

« La faucheuse Gretel est condamnée ce jour d'hui de l'année 1658 à l'enfermement perpétuel pour crime commit contre l'ordre des faucheurs...

Condamnation de la faucheuse Gretel.
Annales des procès de la fin du dix-septième siècle.

*

L'an 1658.

Gretel attendait, assise sur le perron du grand manoir, son visage levée vers le ciel, savourant la chaleur des rayons du soleil. Un sentiment de plénitude se propageait dans ses veines. Elle venait de passer un agréable moment en compagnie de Valentin. Son amant avait particulièrement su lui montrer son amour après une séance d'entraînement plus dynamique que d'ordinaire. Quand ces deux là ne s'embrassaient pas, ils se combattaient. Une passion comme celle-ci n'était pas forcément des plus purs mais Gretel s'amusait. C'était tout ce qui comptait.

Cependant, une autre nouvelle venait d'éclairer encore plus sa journée. Son frère rentrait de mission ! Elle trépignait sur place d'impatience. Voilà des semaines qu'il avait été envoyé au loin, sans elle. De quoi la rendre folle. Dès qu'elle avait appris son retour elle s'était précipitée au peron pour l'attendre. Mais celui-ci était en retard. Pour ne pas changer. Gretel haïssait ses retards. Lorsqu'il arriverait, elle le lui ferait payer.

D'ailleurs, une silhouette masculine se découpait à l'orée de la forêt, à l'entrée du domaine des Faucheurs. La jumelle bondit sur ses pieds et s'avança d'un pas assuré vers l'homme brun qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eaux, en version masculine d'elle, et qui sourit en l'apercevant. Elle s'arrêta un instant devant lui, un sourire narquois sur les lèvres avant de lâcher :

« Tu as une sale tête, mon frère.

— Et toi, tu es toujours d'une élégance raffinée ! répliqua le brun, amusé en lui ébouriffant les cheveux.

Elle roula des yeux et prenant une voix offusquée, s'exclama :

— Pitié pourquoi Blanche est-elle partie, me laissant seule pour te supporter.

— Crois moi, je comprends l'envie de fuir de notre jolie princesse. Elle ne devait plus te supporter.

— Mais bien sûr...

Levant les yeux au ciel, elle lui donna un coup de poing dans l'épaule sans retenir sa force. Après tout, entre frères et sœurs, tous les coups étaient permis. Le faucheur s'attendrit aussitôt avant de murmurer :

— Salut Gretel.

La jeune femme abandonna son air buté pour lui sauter dans les bras presque brutalement. Habitué à cette excessivité, le brun rit, refermant ses bras sur le corps de sa moitié, enfouissant son visage dans l'abondante chevelure aux mèches cendrées, respirant le parfum qu'elle dégageait : un parfum familier. Ils se complétaient. Nul besoin de mots pour qu'ils n'expriment leur amour. À les voir enlacés ainsi, même la mort semblait ne pouvoir les séparer. Ils étaient une partie d'une seule et même âme, d'un seul et même corps, d'un seul et même amour...

Mais alors que Gretel se blottissait contre son frère, elle se raidit tandis que son corps entier s'électrisa : elle avait une prémonition. Se rendant compte de ce qu'il se passait, son frère la soutint pour ne pas qu'elle perdre l'équilibre.

Pourtant, lorsque la vision s'arrêta, la jeune femme se détacha brusquement de l'homme qu'elle aimait pourtant le plus au monde, blême. Elle le dévisagea un instant avant de reculer d'un pas, avec précaution. Inquiet, le jumeau s'enquit :

— Gretel, qu'as-tu vu ?

Elle secoua obstinément la tête, plus pâle que la mort, refusant qu'il ne s'approche.

— S'il te plaît, Hans', éloigne-toi... »

Le désespoir se peignit sur les traits de son frère face à la réelle peur qu'exprimait le regard de la jumelle. Il souffrait de la voir si tourmentée par une vision. Et le fait qu'elle ne veuille pas lui raconter ne faisait qu'augmenter son inquiétude. D'ordinaire, elle lui confiait tout, absolument tout, même le pire.

Si Gretel possédait des dons pyrokinésie et de vision, lui, possédait en plus de la télékinésie qu'ils se partageaient, un don de guérison mais surtout un pouvoir psychique puissant de manipulation et viol mental. Il s'était juré de ne jamais en user sur sa sœur mais face à cette situation qui le rendait fou, il perdit ses moyens. Lui attrapant le poignet, il l'obligea à faire volte-face. Alors qu'elle écarquillait des yeux , comprenant ses intentions, il lui saisit le menton et plongeant son regard dans le sien, pénétra son esprit. La faucheuse tressaillit mais déjà, elle se sentait perdre le contrôle de son cerveau. Il ne lui appartenait plus.

Le jeune homme n'eut pas le temps de réfléchir à son geste. Aussitôt les images de la vision se projetèrent à lui. Et l'horreur le frappa.

Les jumeaux se dévisageaient, avec haine, se toisaient, l'air autour d'eux étant saturé de tension et de magie. De magie noire. Jamais les prunelles grises qui plongeait dans celles qui lui était identique n'avait affiché une telle menace mortelle. Un des regards était habité par la folie l'autre par la détermination. Ils désiraient se blesser, se tuer...

Un couteau fut alors tiré, dans un glissement silencieux, dangereux. Et avant que quiconque n'agisse, la lame s'enfonça dans la chair, dans le cœur, répandant le sang, répandant la mort. Un vent glacé se leva tandis qu'une douleur gagnait les deux jumeaux. Les larmes coulaient, salées, acides, désespérées. Puis un cœur cessa de battre. L'un d'entre eux était mort. L'un d'entre eux avait tué l'autre.

Alors qu'il était éjecté violemment de l'esprit de sa sœur, le jumeau, le souffle court, leva un regard effaré sur elle. Gretel le fixait, les yeux exorbité et le souffle ahané. Il voulut s'approcher d'elle mais elle bondit en arrière, portant ses mains près de ses tempes. Secouée de spasmes, elle semblait sur le point de s'effondrer. Elle était parcourue de tremblements et semblait incapable de retrouver son calme. Son regard s'obscurcissait peu à peu tandis que son esprit semblait s'être envolé ailleurs. Le faucheur s'approcha de sa sœur lentement, comme on s'approcherait d'un animal sauvage, et posa une mains sur son bras, dans l'espoir de la réconforter. Cela n'eut pas l'effet escompté. Les traits de Gretel se figèrent dans une terreur profonde avant qu'elle ne se mette à hurler à plein poumon. Puis elle s'effondra au sol, comme une poupée de chiffon.

Le jumeau se précipita à elle pour la rattraper, effrayé par ce qu'il avait fait, ce qu'il avait vu et la violente réaction de la jeune femme.

Qu'avait-il fait ?

*

« Tu es sûre que ça va mieux ? Es-tu vraiment prête à repartir en mission ?

Gretel fusilla du regard son frère qui la fixait, l'air préoccupé. Voilà deux semaines qu'il s'était infiltré dans son esprit pour le lui forcer et la faucheuse s'en était à peine remise, après avoir passé des jours entiers à délirer, attaquée par une étrange fièvre. Elle lui en voulait toujours. Il n'avait pas le droit d'user de son don sur elle.

— Pose moi encore une fois la question, et je te jure que ta tête se retrouvera encastrée sur le bureau du grand Patron. Je ne suis pas une pauvre demoiselle en détresse que tu penses pouvoir sauver, mordiable !

Au moins, elle avait retrouvé son mordant. Cela rassurait un peu le jumeau qui culpabilisait atrocement. Il continuait de l'observer tandis qu'elle s'armait, prête à partir en mission.

— Tu as vu Valentin ?

Lui jetant un regard acerbe, elle répondit d'un grognement :

— Pas depuis qu'il s'est fait cisaillé par une de ces catins du diable. Il doit agoniser, les tripes à l'air, à l'infirmerie...

— Tu n'es pas allé le voir ?

— Le Patron ne laisse personne s'approcher.

La rancœur dans sa voix était perceptible. On toqua à la porte de leur chambre. C'était la petite équipe de faucheurs qui les accompagnerait. Sans plus un regard pour sa moitié qui baissa la tête, gagné par le remord, Gretel leur emboîta le pas. Cependant, juste avant de disparaître dans le couloir, elle s'exclama, presque enjouée :

— Ramène ton joli derrière, Hans' ! Nos ennemies chéries nous attendent... »

Et par ennemie chérie, la jeune femme entendait bien évidemment une sorcière particulièrement puissante...

*

Le combat faisait rage. La perfide créature de la lune était parvenue à repousser chacun de leurs assauts avec une facilité déconcertante, ses sortilèges puissants parvenant à désarmés les faucheurs. La clairière dans laquelle ils combattaient ressemblait désormais à un champs de bataille ravagé par le chaos. Alors qu'elle était parvenue à repousser tous les hommes de la troupe des faucheurs, la sorcière se retrouva soudain face à la jumelle. Celle-ci lui décrocha un tel coup de point que la femme maudite s'étala au sol, perdant sa baguette. Mais elle se releva aussitôt et contrattaqua. Le combat entre les deux femmes était violent, sans pitié, la faucheuse étant d'une précision incroyable dans ses coups et parant à merveilles les sorts de son adversaire. Mais alors qu'elle leva à nouveau sa faucille, prête à user du tranchant de sa lame, un maléfice envoya son arme au loin.

Désarçonnée, Gretel ne réussit pas à éviter le coup qui l'envoya s'étaler au sol. Alors qu'elle se releva, la sorcière usa de sa magie pour la forcer à se mettre à genoux. Elle s'approcha de la faucheuse, menaçante, levant son atamé, prête à la tuer. Cependant, la jumelle, encore à genoux, n'avait pas donné son dernier mot. Et avant que la sorcière ne puisse exécuter son geste funèbre, elle saisit son poignard avant de l'enfoncer brusquement dans les entrailles de la créature de la lune et de l'éviscérer. Le sang jaillit sur elle, l'éclaboussa. D'ordinaire, il ne l'aurait pas dérangée. Seulement, Gretel sentit son souffle se couper.

Son geste lui rappelait terriblement sa prémonition. Le sang, la mort de l'un d'eux, la mort causée par l'un d'eux... Une prémonition qui faisait écho à la prophétie qui planait au dessus de leurs têtes. Son frère allait la tuer. Ou elle le tuerait. C'était une fatalité. Une fatalité qui finit d'achever le peu de calme que conservait encore la faucheuse, gagnée par la panique.

Le bruit disparu autour d'elle brutalement. Seule sa respiration affolée et les battements de son cœur lui parvenaient encore.

Bam. Bam. Bam.

Ses doigts se resserrèrent sur le sol qui se mit à trembler, tout d'abord légèrement puis de plus en plus violemment. Les cailloux tressautaient, l'herbe s'asséchait autour d'elle, même l'air sembler vibrer.

Elle n'arrivait plus à respirer, sa vision s'obscurcissait. Des taches sombres s'approchaient d'elle et son instinct désorienté hurla aussitôt au danger.

« Ils vont nous faire du mal. Protège nous ! »

Alors qu'une main se posa sur son épaule, elle laissa son don de pyrokinésie s'échapper d'elle et elle s'embrasa. La main se recula prestement, brûlée et un hurlement de stupeur lui parvint. Danger ! Les ombres se massaient autour d'elle. Non, non, non ! Le feu s'intensifia alors qu'elle se releva maladroitement, chancelante. Gretel ne voyait plus que le mal, n'entendait plus que le ricanement sinistre de la lune.

Tuer !

Elle sursauta à l'entente de cette voix. C'était la sienne, sa voix un peu rauque encore chargée d'accents... Pourtant elle ne parvint pas à s'attarder dessus.

Faire souffrir et couler le sang !

Il n'y avait qu'ainsi que la souffrance cesserait, qu'elle pourrait à nouveau respirer. Faire cesser le mal !

Le mal, c'est les autres.

Autour d'elle, les faucheurs se rendirent compte de ce qu'il se passait. L'expression de la jumelle venait de se figer dans une expression meurtrière folle. Son frère tentait à tout prix de la ramener à la réalité à coup de cri. Peine perdue.

La suite, Gretel ne s'en souvenait plus. Tout ce qu'elle savait, c'est que lorsqu'elle avait reprit ses esprits, elle était couverte de sang et ce n'était plus seulement celui de la sorcière. Les corps sans vie des faucheurs qui composaient leur petit groupe de mission l'entouraient. La neige au sol était tachée de sang. Un sang rouge sur un tapis blanc... Du rouge sur du blanc...

Elle les avait tué. Massacré était d'ailleurs le mot le plus exact. La jumelle était plongée dans l'incompréhension. Heureusement, son frère, seulement blessé, se releva avec difficulté. Il la fixait, effaré, horrifié et surtout, tout aussi perdu qu'elle. Gretel se mit à trembler...

« Qu'est-ce que... Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Gretel... Tu les as tous tué...

Elle crut que son cœur allait cesser de battre. La panique la gagnait de nouveau et alors qu'elle voulut se précipiter vers son frère pour s'assurer qu'il n'avait rien de grave, il recula vivement avant de lui désigner quelque chose. Malgré l'immense douleur qu'elle ressentait, la jeune femme obtempéra. Elle s'était embrasée de nouveau sous le coup de la peur.

— Je n'arrive pas... Je n'arrive pas à me calmer !

Et plus elle paniquait, plus les choses s'aggravaient. Le jumeau le comprit aussitôt. Une lueur de tristesse dans son regard, il refrénait les tremblements qui le gagnaient. Il n'avait plus le choix. Avec précaution, il s'approcha de la faucheuse enflammée, alors que son cœur se resserrait dans sa poitrine à chaque pas. Gretel leva vers lui ses prunelles argentée, embuée de larmes qui dévalaient à présent ses joues.

— Je suis désolée, tellement désolée.

— C'est moi qui suis désolé, Gretel. Tout est de ma faute. »

Elle ouvrit la bouche mais ne pu répliquer quoique ce soit. Son frère s'était glissé derrière elle et l'avait assommée d'un coup à la puissance phénoménale alors même qu'il sentait son cœur se briser dans sa poitrine.

Après cela, lorsqu'elle se réveilla, ce fut dans sa prison, seule et dans le noir... Sans plus l'espoir de ne jamais revoir son frère. Sauf pour que la prophétie ne se réalise. Sauf pour mourir de sa main.

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