Chapitre 1. II.

Gretel fit quelque pas avant de s'arrêter en plein milieu du grand hall. Les rayons pénétraient par une immense verrière, l'éclairant entièrement. La lumière l'éblouissait. Chaque couleur était comme une agression pour ses iris déshabitués à toute autre chose que la pénombre. Elle rejeta la tête en arrière et ne put retenir la larme qui roula sur sa joue. Une larme de bonheur. Elle était libre. Depuis quand ne l'avait-elle pas été ? Depuis quand n'avait-elle pas senti la chaleur du soleil ? Ignorant totalement sa chevelure qui traînait derrière elle comme une longue, très longue cape, elle se tourna vers le Patron et souffla :

« Et maintenant ?

— Tu ne peux aller à la chasse comme ça Gretel. Regarde toi.

Pour la première fois, la jeune femme baissa son regard sur sa vieille tunique grise rapiécée. Elle ne rougit pas de sa tenue, mais esquissa une moue.

— Ce n'est pas confortable pour tuer une sorcière.

— En effet, acquiesça l'homme tout en l'observant prudemment.

Il connaissait la Faucheuse depuis des siècles et il la savait maline sous ses airs cinglés. Il ne la haïssait pas malgré ce qu'elle était destinée à devenir. Mais le Patron se méfiait d'elle. Car Gretel, malgré ses bonnes intentions très claires, était puissante. Trop peut-être. Et maintenant que son frère n'était plus là... Il fallait absolument le retrouver. Il avait usé de tous les moyens possibles avant d'avoir recours à la bombe à retardement qu'était la jumelle. Seulement, ils avaient tous échoué. Ainsi, il l'avait libérée.

Peut-être était-ce sa plus grande erreur. Mais pour retrouver la lumière, il avait besoin des ténèbres. Cruel paradoxe. Gretel était l'ultime chance du monde pour retrouver celui qui était censé le sauver d'elle.

Pourtant, il se devait d'éclaircir un point avec elle. Ne serait-ce que pour se rassurer quant à la décision qu'il avait pris. Plus sérieux que jamais, il prévint :

— En revanche, écoute-moi bien : tu n'as plus droit à l'erreur. Ce qu'il s'est passé la dernière fois ne doit plus se reproduire.

Se tournant brusquement vers lui, elle plongea son regard perçant dans le sien et il déglutit. Elle semblait soudain plus lucide que jamais. D'une voix rauque, elle grinça :

— Je n'étais pas moi-même !

— Nous le savons tous. Mais le châtiment pour le crime que tu as commis est la mort, et tu le sais. Nous ne t'avons laissée en vie que pour ton frère.

— Que c'est généreux...

Elle se détourna mais l'homme, agacé par sa bravade, lui saisit le poignet. Elle sursauta brusquement et tenta de se dégager. La terreur se lisait sur le visage de la jeune femme. Ses pupilles étaient devenues si grande que ses yeux étaient désormais entièrement noirs. Et le Patron sut alors qu'elle les entendait à nouveau. Les voix. Tentant de préserver son calme, il répliqua :

— Rappelle-toi de ton serment petite sotte !

— Je m'en rappelle très bien !

Sa voix n'était plus qu'un murmure, mais il ordonna :

— Répète-le !

— Je...

— Répète !

Un éclat dans ses prunelles sombres lui fit un instant penser qu'elle allait se mettre à hurler, mais Gretel releva soudain le menton et d'un ton morne, elle récita :

— Le mal règne dans l'ombre et moi, Gretel, fille de...

— Pas ce passage là !

Elle le fusilla du regard avant de reprendre :

— Ma fidélité à l'ordre des Faucheurs est promise éternellement. Je me battrai jusqu'à ma mort pour la cause, ma lame ne s'abattra que sur les créatures des ténèbres et jamais sur mes frères faucheurs ou me sœurs faucheuses. Ou bien, je le payerai de ma vie.

Le Patron la relâcha et recula. Intransigeant, il reprit la marche, ignorant les œillades assassines de la jeune femme. Pourtant, il ne pu s'empêcher de frissonner en l'entendant marmonner :

— Vous auriez mieux fait de me tuer.

Ils ne l'avaient pas fait, même s'il était du même avis. Après tout, la prophétie était à double tranchant : en se débarrassant de la sœur, ils perdaient le frère. Et pourtant c'était ce frère qui était destiné à la tuer.

Sans relever la remarque ni exprimer ce qu'il pensait, le Patron conduisit la jeune femme jusqu'à une chambre. À l'intérieur patientait une jeune femme vêtu très sobrement qui se releva subitement en les voyant arriver. Ses vêtements modernes éveillèrent la curiosité de l'ancienne prisonnière qui les détailla avec attention, enregistrant le moindre détail, le moindre indice que cela pouvait lui procurer sur l'état du monde après ses quatre siècles de captivité. Tant de choses avaient changé...

— Voici Elaine. C'est une jeune apprentie. Elle te préparera pour ce soir.

— Ce soir ?

— Nous fêtons ton retour dans le monde.

Et il claqua la porte violemment. Gretel se tourna vers Elaine et grimaça. Elle n'aimait pas les inconnus. Pourtant, la jeune apprentie semblait être d'une gentillesse absolue aussi se résolut-elle à lui adresser un sourire. Elle devait sûrement être au courant pour sa Folie. Autant ne pas l'inquiéter plus que nécessaire. Cette Elaine ne devait sûrement pas s'attendre à ce que l'ancienne Faucheuse lui saute dessus.

La femme déchira la robe de Gretel et la dénuda entièrement. Elle se figea un instant face au tatouage gravé à l'encre noire sur la peau de celle-ci. Un oiseau. Un corbeau, plus précisément, avec ses grandes ailes noires déployées et remontant jusqu'aux omoplates osseuses de la jeune femme. Elaine admira le chef d'oeuvre avant de faire signe à la faucheuse d'entrer dans le bain. Seulement à peine Gretel mit-elle le pieds dans l'eau qu'elle bondit. Elle secoua la tête à plusieurs reprises ce qui inquiéta l'apprentie.

— Un problème mademoiselle ?

— C'est brûlant !

Elle ne fit pas attention au froncement de sourcils de son interlocutrice et ferma les yeux.

— L'eau est tout juste tiède pourtant...

Oh non, Gretel avait eu l'impression de plonger droit dans les feux de l'enfer. Pourtant, alors qu'elle retenta l'expérience, elle se rendit effectivement compte que l'eau était à la bonne température.

Fichue Folie...

Elle glissa dans la baignoire et ferma les yeux, réfléchissant à ses quatre siècles d'emprisonnement. Quatre siècles ? Cela faisait beaucoup ! Elle n'avait pas eu la notion du temps. De toute façon, elle n'avait pas mangé ni dormi depuis une dizaine d'années. Cela n'avait aucune importance. Gretel était immortelle après tout !

— Quelle affreuse tignasse ! Je vais devoir couper mademoiselle !

La voix d'Elaine la tira de ses réflexions. Retenant un soupir las, elle bascula la tête en arrière tandis que l'apprentie se munit d'une paire de ciseaux, et saisissant la longue chevelure grise, se mit à couper. Elle coupa jusqu'à que les cheveux cendres ne soient plus qu'à mi-dos. D'une voix qu'elle essayait de maîtriser, Gretel interrogea :

— À quoi tout cela sert-il ?

— Vous allez être réintégrée dans le monde mademoiselle, et vous serez la nouvelle arme des faucheurs. J'imagine que vous vous devez d'être la plus belle possible. Ce soir, le Patron donne une fête. Et vous en serez l'invitée d'honneur.

La jeune femme ferma les yeux un instant et d'une voix presque chevrotante elle se murmura à elle-même :

— Gretel va redevenir une faucheuse... Gretel est chanceuse...

Peu soucieuse de savoir si la domestique l'avait entendue, Gretel se mit à dessiner du bout des doigts sur la surface de l'eau d'étranges symboles. Cela l'apaisait d'une certaine manière. Elle était rassurée quant au fait qu'elle n'avait rien oublié de ses multiples connaissances.

Mais Gretel n'oublie jamais rien...

La faucheuse serra le poing et sentit ses ongles s'enfoncer dans sa paume. Puis elle redoubla d'attention en traçant à nouveaux les symboles, remuant l'eau.

— Que dessinez-vous, mademoiselle ?

— Des runes.

— Mais... n'est-ce pas de la sorcellerie ?

— Si.

Un couinement étouffé se fit entendre.

— Je croyais cela interdit...

— Et bien... La sorcellerie en tant que telle, l'est. Mais pour combattre les sorcières, il faut parfois user de leurs propres armes. C'est pour cela que la maîtrise des runes est élémentaire... Tout comme la maîtrise des dons que tu obtiendras au fil de tes chasses si tu te spécialises dans la chasse aux sorcières. Ne vous apprend-on plus rien à l'école de nos jours ? 

— Mais...

— Si cela t'inquiète, je peux t'assurer que je ne viens pas de te maudire sur plusieurs générations.

Nul doute que cela rassura la jeune femme. Elle empestait la peur. Elle craignait réellement la faucheuse, sûrement à cause de sa réputation. Pourtant, déglutissant, elle interrogea :

— Alors que faites-vous ?

— Je révise.

— Pourquoi ?

— Tu es la fille d'un Immortel n'est-ce pas ?

L'apprentie hocha la tête ce qui arracha un sourire à Gretel. Les descendants des Immortels étaient humains même s'ils pouvaient se battre. Ils n'obtenaient l'Immortalité qu'après leur première victoire sur l'ennemie. La Faucheuse secoua la tête, amusée et s'accouda au bord de la baignoire, rejetant la tête en arrière, les paupières mi-closes. Elle qui avait craint de sortir, retrouvait désormais ses marques dans ce monde qui lui était tant familier... Et elle appréciait ce sentiment de maîtrise qui lui avait longtemps échappé.

— Lorsque tu te retrouveras face à une sorcière pour la première fois, tu n'aimeras pas te retrouver démunie et vulnérable parce que tu auras oublié comment te défendre.

Elle leva soudain ses yeux d'un gris perçant pour les planter dans ceux timides d'Elaine et sourit presque méchamment. Pourtant, il n'y avait nulle trace de méchanceté en elle lorsqu'elle souffla, d'un ton lugubre :

— Parce que à ce moment là, il ne te restera plus qu'à faire tes prières. Et même elles ne te sauveront pas. »

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