Partie 9

Hermione est là debout dans son bureau, le souffle court, sa baguette à la main et le regard soucieux. Elle a visiblement du forcer le verrou de sa propre porte.
Une main sur mon épaule, elle me demande si tout va bien. Je réponds en hochant doucement la tête, les yeux explosés de fatigue et le souvenir vif du corps nu de Drago sur mes rétines.

Elle jette un œil inquiet à la Pensine.

- Ne me dis pas que tu as versé 3 ans de souvenirs dans la Pensine ?

Face à mon silence coupable, elle écarquille les yeux et sa voix monte dans les aigus.

- Par Merlin Harry, tu aurais pu t'y perdre !

- Je ne savais pas que... tu aurais du me le dire !

- Mais je pensais, Harry Potter, que tu le savais ! On nous l'apprend en Histoire de la Magie figure-toi ! Tu aurais du procéder méthodiquement, par intervalles de dates et... bon sang, est-ce que ça va ? Depuis combien de temps tu es là dedans ? Par Merlin, ne me dis pas que tu n'as pas fait de pauses ?

Elle lève les yeux au ciel, mais je vois qu'elle est plus inquiète que véritablement fâchée par le non-respect de la procédure.

- Est-ce que tu as trouvé des preuves ? Il est presque l'heure Harry, je ne savais plus quoi faire pour retarder le jugement...

Je reprends mes esprits et lutte contre la fatigue qui me pèse.

- Oui, je les ai.

Je récupère le premier souvenir dans le bureau circulaire de Dumbledore un peu trop vague, et tous ceux où on voit Drago à son bureau, en train de modifier les listes. Inutile de montrer le contexte de chaque scène, les preuves sont là, suffisantes pour l'innocenter.
Hermione m'observe du coin de l'œil.

- Ça a été là dedans ?

Je hausse les épaules prudemment pendant que je reverse les souvenirs liquides dans les fioles.
Je n'ai pas envie de lui mentir, mais je ne veux pas non plus tout lui raconter.

- Tu sais Harry, certains grands sorciers se sont perdus des années entières à explorer des souvenirs qui n'étaient pas les leurs, ceux qui ne sont pas morts d'épuisement sont revenus fous... ce n'est pas anodin de visiter le passé de quelqu'un d'autre.

Je lui tends les fioles qui pourront innocenter Drago.

- Il aurait pu choisir de ne pas revenir, il aurait pu avoir une vie pas trop mal loin de moi je crois... je ne comprends pas pourquoi il est revenu, ni pourquoi il ne me déteste pas pour tout ce qu'il a du faire là bas...

- Prends garde Harry, tu n'as fait que voyager dans ses perceptions visuelles, tu n'avais pas accès à ses pensées et ses intentions, tu ne le comprendras qu'en ayant une réelle conversation avec lui. Quand ces preuves l'innocenteront, prends le temps de lui en parler, mais calmement Harry...

- Pour qui tu me prends Mione, je sais très bien être calme !

- Je te connais Harry, tu réagis toujours à l'instinct, tu pars au quart de tour et tu ne te poses pour discuter qu'après. Fais un effort, si tu penses que ça vaut le coup... et par Merlin, repose-toi un peu, je te préviendrai du délibéré.

Hermione emporte avec elle les précieuses fioles et les compte-rendus que je lui ai fait de chaque scène. Le délibéré se fait cette fois à huis-clos et il n'y a pas de doute quand à son issue : les preuves sont incontestables.

***

Dans la ruelle glauque du Londres moldu qui jouxte le Ministère de la magie, j'attends la sortie imminente de Drago. Si le Magenmagot a bien du se rendre à l'évidence qu'il était innocent, et pire un espion placé chez l'ennemi par Dumbledore, il a tout de même tout fait pour rendre difficile sa libération.
Hermione a obtenu son acquittement à condition que les sorts de sa baguette soient tracés par le Ministère et sa capacité de transplanage soit bridée pour un temps.
Le Magenmagot a également demandé que quelqu'un se porte garant de cette libération controversée, Hermione a soufflé mon nom.
Face à la cabine téléphonique rouge qui dissimule l'une des sorties du ministère, je suis nerveux.
Le Drago des souvenirs est encore vif dans mon esprit, mais je ne l'ai pas réellement revu depuis le soir du procès. Des tentacules s'animent dans mes entrailles, j'ai besoin de le voir, de me rassurer, de comprendre que mes sentiments qui recommencent à pulser doucement dans mon ventre ont une raison d'exister.
Quand il sort enfin, il protège d'abord ses yeux de la luminosité, rajuste ses habits abîmés qu'il a sur le dos et jette un œil aux environs.
Il a le teint gris, les cheveux sales, une barbe de trois jours et la peau sur les os mais il est libre.
Je voudrais le prendre dans mes bras, lui sourire, lui dire que tout est à présent terminé, mais il me regarde à peine.

- Et maintenant ?

Son ton est sec, ses traits de glace et son regard fuyant. C'est comme s'il s'adressait à un étranger.
Je me foutrais des baffes pour avoir espéré autre chose.

- Je t'accompagne jusqu'au Chaudron Baveur pour te louer une chambre pour les jours qui viennent...

Il secoue la tête.

- Je peux me débrouiller tout seul.

Il m'agace déjà.

- Désolé Malefoy, mais je suis ton garant officiel, je dois t'accompagner jusqu'à l'auberge, prouver que tu n'es pas un danger pour la communauté pendant quelques jours et ensuite... ensuite tu pourras aller où tu veux.

J'ai une boule de la taille d'un souaffle dans la gorge et une colère qui couve.
Qu'est-ce que j'avais imaginé ? Qu'on se tomberait dans les bras et qu'on se raconterait en riant ces 3 ans passés loin l'un de l'autre ?
Un frisson me parcourt le dos, je ne l'ai jamais senti aussi loin de moi. Même dans sa cellule, il avait l'air plus aimable. Je ne le reconnais plus derrière son masque impassible, il approuve mes propos en fuyant mon regard et m'emboîte le pas.

Le Chemin de Traverse n'est pas loin à pied et je cherche des sujets de conversation pour combler le silence oppressant qui nous sépare, mais rien ne me vient. Ma colère pulse contre mes tempes et je n'arrive pas à me concentrer sur un seul sujet pertinent.

Dans la rue, les gens me saluent comme d'habitude. Harry Potter ! Je distribue des sourires et des signes de tête et j'accélère le pas. Sur le trottoir d'en face, je reconnais un paparazzi qui me suit régulièrement, son appareil photo sur le nez, prêt à déclencher. Je lève la main devant moi pour compromettre sa photo et lui fais signe de s'en aller. Il aurait été plus simple de transplaner pour éviter les curieux et ce silence inconfortable.

Devant le Chaudron Baveur je reprends ma respiration que je n'avais pas conscience d'avoir retenu.

Quand je pousse la porte de l'auberge, Tom m'accueille chaleureusement comme à son habitude tandis que Drago se fait discret sur le pas de la porte, sous l'une des arches.

- Bonjour Tom, je voudrais louer une chambre pour la semaine...

- Vous êtes toujours le bienvenu ici Harry Potter. Votre ancienne chambre, celle au fond du couloir ?

- Ça serait parfait. Ce n'est pas pour moi en revanche, c'est pour loger Drago Malefoy qui vient d'être libéré.

- Oh...

Tom devient nerveux, jette un œil par dessus mon épaule.

- Je suis désolé Harry, j'avais oublié mais je n'ai plus de chambres disponibles en réalité, je suis désolé.

L'évidente mauvaise foi de l'aubergiste me laisse sans voix.

- Allons Tom, on se connaît depuis longtemps, je sais que l'auberge a toujours des chambres libres, qu'est-ce qui se passe ?

Tom s'agite, feint de nettoyer des chopes à l'aide de sa baguette, jette à nouveau un regard inquiet derrière moi.

- Je suis désolé Harry, mais j'ai reçu des consignes strictes, je n'ai plus de chambre disponible.

Je me retourne légèrement, Drago est toujours adossé nonchalamment sur un mur à l'entrée, les bras croisés, les sourcils froncés. Dans la salle, deux sorciers sont attablés et m'observent discrètement.
Je me retourne doucement et lève les yeux vers Tom.

- Quelles consignes ? Est-ce que vous avez reçu des menaces ?

Tom continue de nettoyer méticuleusement le comptoir tout en se penchant vers moi.

- Ce sont des aurors Harry, je ne peux rien faire.

Il jette un œil vers Drago avant de poursuivre.

- Aucune auberge sorcière à Londres ne l'accueillera...

Alors que je commence à comprendre la réalité de la situation, ma colère qui couvait s'est répandue dans mes membres. Je me redresse, sors ma baguette et serre le poing, prêt à entamer une sérieuse discussion avec ces aurors de pacotille qui se croient au dessus des lois, quand je sens la main de Drago se refermer sur mon bras.

- Ne fais rien d'idiot.

Je soutiens son regard, hors de moi, c'est bien le moment de me faire la leçon !
D'un signe de tête, il m'invite à sortir.

Sur le pas de l'auberge, j'explose.

- Par Merlin, c'est tout simplement du délit de faciès ! Ils ne peuvent pas te faire ça, c'est... injuste, tu as été innocenté ! Je devrais aller toucher deux mots au chef des Aurors et à ce bon à rien d'Ogden !

Drago semble las et absolument pas surpris par la situation.

- Je peux dormir dans un hôtel moldu Harry, ça ne me dérange pas...

- Ne dis pas n'importe quoi, je ne peux pas te laisser comme ça, n'importe où, je vais arranger la situation... d'ici là, tu vas venir chez moi ce soir, et on avisera ensuite, bon sang...

Je réalise ma proposition d'hébergement seulement quand il se met à protester.

- Harry, je ne veux pas m'imposer dans ta vie, comme ça...

- Tu ne... c'est juste pour dépanner, je ne peux pas te laisser à la rue, dans ton état...

Sans même l'avertir, je pose une main sur son épaule et nous fais transplaner.
Au pied de la volée de marches qui mène à mon immeuble, un paparazzi est assis, occupé à manger un fish and chips avec les doigts. Il se relève rapidement quand il me voit apparaître, essuie ses doigts gras sur sa chemise et dégaine son appareil photo.

Je le salue d'un mouvement de tête mais je monte rapidement les marches.

- Pas ce soir Gary, désolé...

Le photographe hausse les épaules mais me fait un signe amical de la tête. Il est toujours là, campé devant chez moi, une photo de temps en temps, c'est devenu un habitué, pas agressif pour un sou.
Il dévisage Drago quand il passe et je lui lance un regard agacé.

- Ignore-le, je dis à Drago, il est pas méchant.

Dans le grand hall de l'immeuble, plusieurs ascenseurs magiques vont et viennent dans les étages, horizontalement et verticalement grâce à des mécanismes magiques complexes. Celui dans lequel je m'engouffre nous emmène jusqu'au dernier étage toujours dans un silence gênant.

La première chose que l'on remarque en entrant chez moi, c'est toujours la vue à couper le souffle.
Depuis le dernier étage de l'immeuble, les grandes baies vitrées offrent une vue sans encombre sur les majestueuses tours de verre et d'acier qui s'élèvent de la City. Londres s'étend à nos pieds jusqu'à l'horizon, on peut repérer la Tamise qui se faufile entre les quartiers. Le ciel infini et ses lourds nuages finissent d'emplir le tableau à perte de vue.
Ma cuisine ouverte sur le salon est équipée de tous les équipements magiques derniers cris. De l'autre côté du salon, une volée de marches monte vers ma chambre où un grand lit aux draps encore défaits prend toute la place. Un grand canapé confortable est posé devant une cheminée magique.

Drago s'est arrêté dans le salon, visiblement impressionné par la vue, et je suis partagé entre l'embarras et la fierté.

- Et bien... tu es riche à quel point pour te permettre ce genre d'appart ?

Va pour l'embarras.

- Oh, je pourrais me le permettre si je le voulais, je pense, entre l'héritage de mes parents, mes primes de guerre, les primes d'interviews.... mais c'est le Ministère qui me l'a proposé... ça devait être provisoire, et puis... ça a duré...

Le silence de Drago est embarrassant, est-ce qu'il juge déjà celui que je suis devenu en observant mon lieu de vie ?

Je passe derrière le comptoir pour nous servir deux verres d'eau.
Drago ne fait aucun effort pour rendre la situation moins... difficile. Il a l'air perdu dans ce nouveau monde, mais ne dit rien.
Dans le silence maladroit, des hiboux toquent régulièrement au carreau entrouvert, s'engouffrent dans la cuisine pour y déposer leurs enveloppes sur une pile déjà haute de lettres en tout genre.
Il s'arrêtent sur la mangeoire pour y piocher quelques graines avant de repartir dans un bruissement d'ailes.
Drago lève un sourcil interrogateur.

- Juste des demandes d'interviews, la routine... Il suffit en général que j'en accepte une ou deux par semaine pour être tranquille... c'est Ginny qui se charge de les trier d'habitude...

Il hoche la tête, mais je le sens distant.

Est-ce que je pensais vraiment qu'on pouvait recoller les morceaux aussi facilement ?

Tout à coup, je me demande si c'était vraiment une bonne idée de le ramener dans mon appartement, de me porter garant pour lui et de croire qu'on pouvait se comprendre à nouveau.
Nos différences me sautent aux yeux, nous sommes devenus comme deux étrangers plantés dans ce salon immense et ma colère enfle face à cette douloureuse réalité.

Finalement c'est lui qui brise le silence.

- Est-ce que je peux prendre une douche ?


Quel idiot ! A quoi je pensais ? Il sort de cellule, d'un interrogatoire musclé, une douche est la moindre des choses à lui proposer.

Je le guide dans ma salle de bains, j'ignore son regard quand il observe la grandeur, certes démesurée de cette pièce. Un grand miroir imposant prend tout un pan du mur au-dessus de deux vasques richement ornées, une baignoire somptueuse trône en face, une grande douche à l'italienne prend place dans l'un des coins du fond. Je désactive avec mauvaise humeur les options musicales et les jets massants colorées de la douche dernier cri, puis lui sors une serviette du placard que je choisis la plus molletonnée. Je lui pose des vêtements de rechange issus de mon placard. Je reste une demie-seconde les bras ballants, maladroit, avant de le laisser utiliser la salle de bains.

- Je nous prépare un thé ?
- Un café pour moi plutôt, merci.

Tandis que la porte de la salle de bains se referme, je m'assois sur un des tabourets hauts et pose lourdement mon front sur la surface froide du plan de travail.
Pourquoi chaque geste semble si compliqué ? Pourquoi j'ai l'impression d'être si empoté ?
Le faire venir ici était décidément une mauvaise idée. Comment briser ce mur immense qui semble s'être élevé entre nous ?
Je me relève, cherche rapidement du café dans mes placards. Comme je n'en bois jamais, je ne sais pas où se trouve cette cafetière magique hors de prix qu'on a du m'offrir un jour.
Je sors tout, essaie de comprendre comment elle fonctionne et suis plutôt fier quand je réussis enfin à obtenir deux tasses de café fumantes.
Je les pose sur le comptoir de la cuisine quand Drago sort de la salle de bains.

Ses traits de fatigue ne sont pas complètement effacés mais sa barbe de trois jours a disparu. Je remarque que ses cheveux ont poussé et qu'il les repoussent régulièrement derrière l'oreille. Mes vêtements amples lui vont bien et cachent sa maigreur.

J'arrête de le dévisager et pousse la tasse de café devant lui.
Il s'assoit face à moi, pose ses lèvres sur la tasse et boit une gorgée. Merci.
Les tâches de rousseur se sont un peu estompées sur ses pommettes mais elles sont toujours là, éparpillées sur son nez, à portée de doigts.
Quand il ferme les yeux, ses longs cils blonds invitent à venir déposer des baisers sur ses paupières.
Je me force violemment à le quitter des yeux pour empêcher les tentacules dans mon ventre de s'affoler.
Je prends une gorgée de café, avant de faire la grimace. C'est infect, j'avais oublié pourquoi je ne bois que du thé. J'ajoute un morceau de sucre.
Drago balaie mon appartement du regard, s'attarde sur des détails. A vrai dire, il n'y a pas grand-chose à inspecter, la déco est plutôt minimaliste pour ne pas dire inexistante. La vue imprenable sur la ville en revanche peut vite devenir hypnotique et il semble aimanté par les grandes baies vitrées. Le ciel orageux à perte de vue a quelque chose d'apaisant là dehors.
Tourné vers la vue, il me laisse son profil à couver du regard. Je redessine la ligne de son menton jusqu'à ses lèvres, qui je m'en souviens avaient un goût salé, cette gorge sous laquelle j'enfouissais mon nez pour ne jamais oublier son parfum. Est-ce qu'il a la même odeur ?
Quand il se retourne vers moi, je rougis brusquement et je bois une autre gorgée de café, toujours aussi imbuvable. Je rajoute un morceau de sucre, puis un autre dans le doute.
Je le remue doucement avec ma cuillère, le regard planté dans ma tasse pour ne pas voir ses yeux plantés sur moi.

A quoi il pense ? Est-ce qu'il est déçu par ce qu'il voit ? Est-ce qu'il se dit qu'il n'aurait jamais du revenir ? Qu'il aurait du accepter la main d'Astoria ou pire s'enfuir avec Oliver ? La colère qui s'était calmée remonte dans ma gorge.
Soudain, sans avertissement, il brise le silence.

- Est-ce que tu es heureux Harry ?

Sa question me laisse désemparé.

- Cet appartement, le Ministère, les demandes d'interviews... ta vie d'aujourd'hui... est-ce que tu es heureux Harry ?

Comment peut-il en une question anodine faire aussi mal ? De quel droit peut-il débarquer sans prévenir et estimer que sa vie d'exil était sans doute meilleure que la mienne ?

- Oui je le suis !

J'ai craché ma réponse, plus par défi que par vérité.
Et il le sait.

- Le Harry de Poudlard ne savait pas mentir aussi bien...

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?!

- Qu'est-ce qu'il s'est passé Harry, quand est-ce que ça a foiré ?

Je hausse les épaules et pose brusquement ma tasse de café sur la table.

- J'en sais rien ! Tout s'est enchaîné, les Horcruxes, la Grande Bataille, l'Après... je ne devrais même pas être là pour en parler, je... on a fait des choix pour moi, j'étais... je sais pas... comme engourdi... j'ai suivi le courant, c'était plus facile de se laisser porter... et me voilà ! Navré de te décevoir !

- Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit.

Le ton de Drago est calme et posé, le regard soucieux plus qu'accusateur.
Il ressemble bien plus à un adulte que moi avec mes envolées colériques et mes tirades décousues. Hermione avait raison, je ne sais pas discuter posément, je n'ai jamais su.

- Je suis juste surpris... tout ça... ça ne te ressemble pas.

Comment peut-il viser si juste après trois ans loin de moi ? Est-ce si flagrant que ça ?

Je me mords la joue intérieure. Comment a-t-il fait lui pour ne plus souffrir, pour surmonter la douleur, pour survivre à cette Guerre et avoir l'air si serein, alors que je lutte tous les matins devant mon miroir ?

- Tu ne me connais plus Drago, tu ne sais pas qui je suis devenu... les gens changent figure-toi !

Je lance ma pique sans même y réfléchir, juste pour le voir souffrir autant que moi.

- Toi par exemple, à quel moment ta noble mission d'infiltration s'est transformé en baise avec un mangemort ?

Il pose doucement sa tasse sur le comptoir.

- Ne fais pas ça.

- Quoi ?

- Déformer la réalité, pour mieux t'apitoyer sur ton sort.

- Je ne...

- Ne joue pas à l'hypocrite Harry, tu as sans doute des reproches à me faire et je peux les entendre si tu veux en discuter...

Contrairement à ce que j'avais espéré, Drago parle calmement, sans s'emporter.
Il replace une mèche de cheveux derrière son oreille et me regarde intensément.

- Tu n'as pas le monopole de la souffrance Harry... J'ai attendu ce moment pendant trois longues années, te revoir, te retrouver, et... par Merlin, tu vas te marier ! ... et apparemment vous vivez déjà sous le même toit ! Mais malgré cette situation qui me fait mal à en crever, ce que je t'ai dit dans cette cellule, que je t'aimais encore et que rien avait changé dans mes sentiments, je peux te le répéter encore ce soir. Mais apparemment ça ne te suffit pas... Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Si tu as vu ces souvenirs, tu sais que ça ne signifiait rien, je l'ai fait pour ce que je pensais être une bonne raison. Et je me déteste pour ce que j'ai fait, tu peux me croire, mais je sais que ça a été utile. Et j'espère que tu le sais aussi au fond de toi.

Je suis mortifié.
Je n'aurais pas du l'attaquer sur ce terrain-là, c'était juste mesquin et injuste.

- Pourquoi c'est plus simple pour toi de continuer à souffrir ? Pourquoi tu as besoin de te faire des films, de transformer ta réalité pour continuer à avoir mal, au point de tirer un trait sur nous et d'aller jusqu'à douter de moi, par Merlin...

Je ne sais pas comment j'ai perdu le contrôle de cette conversation, pourquoi chacun de ses mots touche juste et fait aussi mal.
Est-ce que je me complais dans ma souffrance ? Est-ce que j'ai inconsciemment repoussé nos moments de bonheur pour mieux continuer à souffrir ? Et s'il avait raison, comment j'ai pu si facilement oublier notre histoire ? Est-ce que je suis définitivement incapable d'être heureux ?
Face à son regard soucieux, je me sens fautif, jugé coupable, et je ne sais pas comment me justifier.

- Comprends moi Drago, ces trois dernières années ont été difficiles, dès que tu es parti, j'ai replongé la tête la première dans un cauchemar éveillé, j'ai eu l'impression d'avoir rêvé notre relation... je n'arrivais plus à m'y accrocher... j'en suis venu à douter de ma propre mémoire, de ma propre santé mentale, et là quand tu as débarqué sans prévenir, c'était plus simple de... comment j'aurai pu te croire ?

Drago ferme longuement les yeux, et je donnerai cher pour savoir ce qu'il se passe derrière ses paupières. Puis il les rouvre, m'observe fixement, comme s'il essayait de résoudre une énigme.
Où a-t-il puisé ses infinies ressources de calme ?

- J'ignore ce que tu as traversé pour à ce point baisser les bras Harry... pour perdre la foi qui t'habitait autrefois... et j'en suis navré, vraiment... mais maintenant ? Maintenant que tu sais que je n'ai pas arrêté de penser à nous pendant tout ce temps ?

Il y a dans ses yeux une lueur d'espoir qui vibre.
Mais j'y vois aussi de la colère, de la culpabilité et de la tristesse qu'il maîtrise bien mieux que moi.
De mon côté, je n'y arrive pas, tous mes sentiments contradictoires se télescopent dans ma tête et menacent d'exploser.

- Tu ne peux pas me mettre au pied du mur comme ça, tu ne peux pas revenir et tout... chambouler !

Je vois sur ses traits que sa colère si bien contenue est sur le point de se déverser. Et j'aimerais au fond de moi qu'il me hurle dessus, qu'il avoue sa déception, qu'il me déteste et qu'il s'en aille en claquant la porte. Je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même, je l'aurais bien cherché. Et je pourrais continuer à ruminer ma souffrance en silence.

- Tu peux me détester d'être revenu, mais tu ne peux pas me tenir responsable de ta vie merdique Harry !

Sa colère est imminente, il se lève, fait quelques pas dans le salon, se poste devant la grande baie vitrée.
J'attends qu'il explose, qu'il regrette d'être revenu, qu'il me rejette, qu'il me traite d'égoïste et que je puisse faire le deuil de cette relation impossible qui ne mène à rien.
Mais il vient se rasseoir, se frotte les yeux.

Le silence s'étire, douloureux, et je retiens ma respiration, j'attends qu'il mette un terme à cette relation qui n'en est pas une, qui ne l'a jamais été.

Mais ses yeux gris viennent se poser sur moi, avec de l'amour niché au fond de ses prunelles.

- Est-ce que tu regrettes, ce qu'il s'est passé entre nous à Poudlard ?

Je baisse les yeux pour échapper à ce regard intense et me mords la lèvre pour m'empêcher de pleurer. Pourquoi je n'y arrive pas, pourquoi tout semblait plus simple à Poudlard ?
Je secoue lentement la tête.

- C'est peut-être la plus belle chose qui me soit arrivée...

J'ose un regard vers lui, il n'a pas bougé, son regard empli d'amour posé sur moi.

- Moi aussi.

Il esquisse un sourire triste.
Pourquoi j'ai l'impression de le perdre à nouveau ?

Puis il se redresse, passe une main sur son visage.

- Je suis désolé Harry, je suis épuisé, est-ce que je peux aller dormir un peu ?

Je balbutie, j'aurais du lui proposer de moi-même.
Je me lève, me dirige vers ma chambre mais je vois qu'il s'est arrêté dans le salon.

- Je ne veux pas dormir dans votre lit, ton immense canapé fera l'affaire, je t'assure.

Évidemment, quel idiot.

- Ne dis pas n'importe quoi, je vais te faire dormir dans un vrai lit, la chambre d'amis est faite, tu y seras mieux.

Je le guide dans l'appartement, l'invite à s'y installer et l'observe sur le pas de la porte.
Il pose sa baguette sur la table de nuit, défait les draps.
Je jette un sort sur la baie vitrée pour que le verre s'obscurcisse et plonge la pièce dans la pénombre.

J'ai le sentiment que je devrais dire quelque chose, m'excuser, m'expliquer, ne pas le laisser me filer entre les doigts, mais j'ai la gorge sèche, la langue de plomb. Comment j'ai fait pour tout foirer ?

- Est-ce que tu pourras me pardonner un jour ?

Drago s'assoit sur le lit les traits fatigués et m'observe avec un regard bienveillant que je ne lui connais pas.

- Je n'ai rien à te pardonner Harry. Est-ce que toi tu pourras te pardonner un jour ?

Sa question n'attend pas de réponse. Il s'allonge dans le lit immense et éteint la lumière.
En refermant en silence la porte de la chambre d'ami, j'ai envie de pleurer.

***

Enroulé dans mon plaid devant la cheminée, perdu dans les affres de ma culpabilité, ce sont les plaintes sourdes de Drago qui me tirent de mes sombres pensées.

J'approche mon oreille de sa chambre et je les entends à nouveau, des gémissements ponctués d'éclats de voix incompréhensibles.

Je tourne doucement la poignée et je le vois dans la pénombre se débattre dans ses draps, en sueur.

Je fais un détour dans la salle de bains avant de revenir à son chevet.

Je m'assois sur le bord du lit et essaie de le réveiller en douceur en plaçant une main sur sa poitrine. Son cœur tambourine et il se débat comme un diable au milieu des draps.
Je le secoue plus fortement jusqu'à ce qu'il se réveille, le souffle court et le regard affolé scannant la chambre.

- Tout va bien, Drago, tu es en sécurité ici.

Il se redresse sur son oreiller, reprend son souffle, passe une main sur son visage et grimace.
Je lui tends un verre d'eau qu'il accepte en silence.

- Désolé...
- Ne le sois pas, je connais ça...

Je lui tends une petite fiole qui tient au creux de ma main.

- Tiens, c'est une potion pour mieux dormir. Je sais ce que c'est, j'en prends de temps en temps pour calmer les miens.

Drago se redresse complètement contre la tête de lit et ouvre délicatement la fiole pour en renifler l'odeur.

- C'est fort ! C'est... de la valériane pure, Harry !

Il a le regard inquiet et je détourne les yeux.

- Tu ne devrais pas prendre ça, encore moins régulièrement. C'est beaucoup trop puissant, ça doit complètement t'anesthésier !

- Ça aide, à endormir les monstres...

Il referme la fiole et la pose sur la table de chevet.

- Tu ne devrais pas... t'engourdir l'esprit avec, c'est vraiment pas bon pour toi...
- Ne t'inquiète pas Drago, jamais trop au point de ne pas tenir sur mon balai le matin à l'entraînement !

Il ne rit pas à ma remarque, il a les sourcils froncés.

- On n'endort pas ses monstres Harry, on y fait face, les cauchemars, aussi terrifiants soient-ils, ils existent pour nous aider à gérer... tout ça... tu ne devrais pas tout enfouir, mais faire face à tes fantômes du passé...

Qui est-il pour me faire la leçon sur ma façon de gérer mes angoisses et mes cauchemars ?! Je croirai entendre la psy qui devait m'aider à digérer cette putain de Guerre !
Je me lève brusquement et je m'emporte.

- Et je leur dirai quoi aux morts qui hantent mes cauchemars, hein ? A ceux que je n'ai pas pu sauver, aux vivants qui ont tout perdu, à ceux qui me tourmentent, à ceux qui reviennent dans ma vie sans prévenir ?

Drago s'accroupit dans le lit puis me murmure doucement.

- Tout Harry, tout ce qui te passe par la tête, sans réfléchir, dis-leur tout, tes regrets, tes remords, ce que tu aurais aimé leur dire, n'importe quoi, juste pour toi, et personne d'autre, juste pour te libérer, pour ne pas garder tout ça, là, enfermé.

Il me couve du regard, comme si j'allais m'effondrer.
Et avec mes larmes au bord des yeux, c'est peut-être le cas. Je cligne rapidement des paupières pour chasser les larmes de fatigue et de culpabilité qui menacent. Mais elles finissent par couler ces traîtresses et ça débloque quelque chose en moi. Les mots se forment dans ma gorge et je déverse tout sans contrôler mes sanglots.

- Là tout de suite, je suis juste terrifié Drago ! Terrifié par mes sentiments pour toi qui reviennent, à croire qu'ils ont toujours été là, à attendre ton retour ! Terrifié par l'idée de te perdre encore une fois, et de ne pas pouvoir pas le supporter cette fois ! Terrifié par l'idée de toi là dans mon appartement ! Terrifié d'être toujours autant attiré par toi ! Terrifié par l'idée de faire un pas de travers, de dire un mot qui ferait tout foirer ! Terrifié par ce que pourraient dire les autres...

Je reprends mon souffle et renifle bruyamment.

Viens là. Drago me tend la main et m'invite à revenir m'asseoir sur le bord du lit.

Ma main dans la sienne ressemble à une ancre qui m'empêche de sombrer. Il entrelace mes doigts aux siens et me caresse doucement l'intérieur de la paume.

- Je suis là, et je veux encore y croire, pour nous. Je ne te promets pas que ça sera facile, mais accorde-nous du temps Harry, le temps fait des miracles...

Il efface délicatement les larmes qui roulent sur mes joues, une par une.

- Je comprends que ce soit terrifiant Harry... et si on prenait un jour après l'autre pour gérer tout ça, qu'est-ce que tu en dis ?

Il m'invite à le regarder en remontant doucement mon menton.
Ses yeux clairs plantés au fond des miens sont déterminés et rassurants.
J'ai envie de l'embrasser.

- Encore plus facile Harry, une heure après l'autre ?

Il se décale dans le lit et soulève les draps pour m'y inviter.

- Viens là. Pour l'heure qui vient.

Je m'allonge contre lui, la tête posée sur sa poitrine.
Il passe un bras autour de moi et entremêle ses doigts aux miens. Je voudrais rester éveillé pour profiter de sa respiration sur ma tempe et de sa chaleur tout contre moi. Mais j'ai les yeux gonflés par les pleurs, la fatigue de la journée se répand dans tous les membres de mon corps et je m'endors rapidement lové dans ses bras. Les cauchemars sont loin, la peur a foutu le camp, l'insidieuse culpabilité est en veilleuse. Je peux le faire, un jour après l'autre...

***

Les premiers rayons du soleil peinent à traverser le voile obscurcissant de la chambre quand j'entends la voix de Ginny dans le salon.

- Harry, tu es là ?

Dans la brume cotonneuse qui m'enveloppe, l'information met de longues secondes à atteindre mon cerveau. Ginny, dans l'appartement. Et moi, dans les bras de Drago.

Quand elle entrouvre la porte, j'ai à peine le temps de m'éloigner de ses bras et de m'extirper des draps. Elle nous observe une longue seconde, le teint livide, avant de tourner les talons vers la porte d'entrée et de transplaner.

Et merde !

***

Vous avez dit aimé les longs chapitres, vous êtes servi ! L'inconvénient, c'est qu'on se rapproche rapidement de la fin ! 
Ça vous a plu ? Vous pensez qu'Harry va réussir à être heureux ?

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