Partie 1

- Harry, tu vas être en retard !

Je suis au lit, sous la couette et aucune envie d'en sortir. Il est beaucoup trop tôt pour se lever. Mes paupières sont de plomb, impossible à soulever, j'ai l'impression d'avoir fermé l'œil à peine cinq minutes plus tôt.

Une tornade rousse entre dans la chambre et ouvre grands les rideaux.
La lumière vive s'infiltre sous mes paupières, remise au placard les bribes de cauchemars qui s'accrochent encore à mes cils.

- Mémo de la journée : après ton entraînement, n'oublie pas, tu as une interview pour la Gazette...

Je gémis, en fait des tonnes, me retourne et m'enfouis sous le coussin.
Ginny s'assoit sur le bord du lit et feint de partir à ma recherche. Trouvé ! 
Elle passe une main dans mes cheveux ébouriffés et dépose un baiser sur mon front.

- Allez Harry, lève-toi ! Je t'ai préparé ton thé, il est en train d'infuser et le journal est sur la table de la cuisine...

Je grogne encore un peu, pour la forme.
Elle sort de la chambre, finit de se préparer, revient m'embrasser.

- Je te vois ce soir, on se retrouve directement chez Hermione et mon frère.

Je me retrouve seul dans le silence de mon grand appartement londonien.
Quand le réveil sonne une énième fois, je me traîne hors du lit jusqu'à la cuisine. Je m'assis sur un haut tabouret, je réchauffe mon thé devenu froid d'un coup de baguette et je le bois en lisant les nouvelles du monde sorcier.

Rengaine. Tout va bien dans le meilleur des mondes.
Le monde sorcier a oublié la guerre. Deux ans après la mort de Voldemort, plus personne n'en parle. Les morts ont été pleurés, enterrés. Les coupables jugés. Maintenant les gens ont désespérément besoin d'être heureux. Les journaux n'ont plus rien à raconter de tragique, personne ne veut se rappeler les fantômes du passé, aussi ils déblatèrent des ramassis d'idioties sur les célébrités du monde sorcier, dont je fais partie, ce qui me fait soupirer tous les matins devant ma tasse de thé.

.oOoOo.


Ce matin, entraînement de Quidditch.
Les groupies sont de sortie, elles sont là, bras tendus devant le portail, à glisser et à crier mon nom. J'en salue quelques unes, signe un autographe. Les cris hystériques fusent. C'est devenu une habitude et semaine après semaine, j'essaie de ne plus grimacer quand leurs doigts happent mes vêtements, frôlent ma peau comme dans mes pires cauchemars où les Inferis réussissent à m'attraper et à me noyer méticuleusement dans des eaux noires.

Je secoue la tête, je n'ai aucune raison de repenser à ces cauchemars, je prends une grande goulée d'air et m'éloigne d'elles.

Une fois sur le balai, je m'élève dans les airs. Le coach lance ses ordres, les mêmes figures à répéter encore et encore. Je me concentre sur le Vif d'Or. J'enchaîne les accélérations, les piquets et les virages serrés, et j'attrape la petite balle. J'observe de haut les parades de mes coéquipiers, puis je relâche le Vif qui s'agite entre mes doigts. Et je recommence.

Le vent vrille mes tympans, mon sang pulse dans chaque recoin de mon corps... Je ne connais pas de meilleur remède pour me sentir vivant, vraiment. Les entraînements sont parfois répétitifs entre deux matchs, mais je n'en rate pas un, j'y mets tout mon cœur, chaque jour, comme si j'allais religieusement à la messe. Il n'existe pas d'autre endroit que mon balai où je me sens libre et heureux. Je ne dis pas que je ne le suis pas dans ma vie, mais ces sensations-là, ce vide autour de moi, ce silence assourdissant dans mes oreilles, et mon cœur qui bondit dans ma poitrine ont le luxe de me faire sentir plus vivant que jamais.


.oOoOo.


La séance se termine trop vite, comme chaque jour. Quand je sors des vestiaires, Ulysse est là posé sur un des bancs, une enveloppe à ses pattes. Ça a été un crève-cœur de choisir un autre hibou pour remplacer Hedwige, mais Ulysse prend ses responsabilités très au sérieux. Il me mordille les doigts pour que je lui donne sa récompense mais je n'ai rien sur moi. Je lui tapote la tête, et il en profite pour se frotter contre mes doigts et de se faire payer en caresses.

"Harry,
Passe me voir dès tu peux s'il te plaît.
Hermione"


C'est rare de recevoir d'Hermione des missives aussi intrigantes.
Je transplane à l'appartement pour me doucher et y déposer mes affaires de quidditch, puis me rends à la cabine téléphonique qui permet d'entrer au Ministère de la Magie.

Je passe le grand hall qui a été rénové depuis la guerre. Tout est étincelant. Rien n'indique que des batailles ont eu lieu entre ces murs et que des vies ont été détruites ici. De hautes statues ont poussées dans le patio pour le devoir de mémoire, mais plus personne ne les regarde, elles font partie du décor.

Des gens me saluent et me hèlent, Harry Potter !, je fais un signe de tête aux personnes qui me sourient mais que je ne connais pourtant pas.
C'est devenu un jeu, un rôle à endosser qui me colle à la peau depuis toujours et dont il est impossible de se défaire.

Il m'était déjà compliqué de passer inaperçu à l'époque, croire que ça se calmerait après la mort de Voldemort était une douce utopie. Harry Potter est un personnage public, tout ce que je fais, tout ce que je dis est traité comme parole sacrée. Je ne suis plus le Survivant, ni l'Élu, je suis le Sauveur du Monde Sorcier. Refuser une place au Magenmagot à la fin de la Guerre n'a pas suffit à calmer les ardeurs. La rébellion qui me poussait à agir au nom de Dumbledore a une certaine époque s'est tarie, et j'ai petit à petit accepté d'essayer d'améliorer les relations publiques entre le Ministère et la communauté sorcière. J'ai endossé sans rien dire le rôle qu'on m'a collé, j'ai arrêté de grimacer quand on m'interpellait dans la rue, arrêté de rechigner quand on me demandait une interview pour partager mon avis éclairé sur d'innombrables sujets de la vie sorcière. Ainsi va la vie d'Harry Potter...

J'emprunte l'ascenseur jusqu'au Département de la justice magique où travaille Hermione.
Elle me reçoit dans son bureau où des dossiers de toutes les couleurs s'entassent en dangereux équilibre. Elle me propose du thé que j'accepte volontiers. Des notes volantes font leur l'apparition régulièrement, et se posent légèrement sur le bureau. Certaines battent des ailes un peu plus vigoureusement que les autres pour se faire remarquer. Elle les ignore et prend de mes nouvelles, le Quidditch ? Ginny ? elle tourne un peu autour du pot et ça commence à m'inquiéter.

- Hermione, est-ce que tout va bien ? C'est le bébé ?

Elle pose une main sur son ventre qu'on devine légèrement rond, et elle sourit.

- Non, pas du tout, tout va bien de ce côté-là. Ne t'inquiète pas.

Elle se mord la lèvre et ses yeux se perdent dans les dossiers ouverts sur son bureau.

- Je ne sais pas comment te dire ça sans mettre les pieds dans le plat...
- Hermione, dis-moi ce qu'il se passe, je vais vraiment finir par m'inquiéter.

Elle décale sa tasse de thé fumante sur son bureau, joint ses mains devant elle et se jette à l'eau en me fixant calmement.

- D'accord. Le Département des Aurors est en ébullition ce matin... Ils ont arrêté Malefoy dans la nuit. Il est ici au Ministère, en détention provisoire, en attendant un éventuel procès...

Et c'est comme si un poids en fonte m'était tombé dans l'estomac.

- Malefoy ?
- Oui, Malefoy. Drago Malefoy.

Elle se mord la lèvre et en attendant une réaction de ma part.
Mais mon cerveau semble s'être vidé, comme on efface une ardoise.
Malefoy. Il y a des souvenirs qu'on croirait issus d'une autre vie, enfouis bien profondément et partiellement enterrés.
Malefoy. Je ne pensais pas réentendre ce nom un jour. Il y a des choses qu'on veut tellement effacer de sa mémoire qu'on y arrive parfois.
Malefoy. J'ai envie de rire sans savoir pourquoi, mais il n'y a qu'un drôle de son étouffé qui sort de ma gorge.

- Ils en ont mis du temps à le coincer...

Hermione me regarde étrangement, les sourcils froncés.

- Il parait qu'ils l'ont trouvé en France. Ils ont passé la nuit à l'interroger et ça va continuer toute la journée, et peut-être bien jusqu'au procès, qui sait...
- Il a droit à un procès ? je demande étonné.
- Tu sais bien que tous les Mangemorts ont eu droit à un procès, même quand c'était expéditif. Donc oui, pour assassinats, complicité d'assassinats, usage de Magie Noire et j'en passe... tu connais la suite... ils vont l'envoyer à Azkaban et lui donner le Baiser de la Mort.

Je n'entends pas la suite. Ou du moins, ses mots coulent sur moi comme de l'eau. Je me doute bien que je devrais ressentir quelque chose, mais je me sens juste engourdi. Empêtré dans un mélange d'émotions que je n'arrive pas à identifier.

- Tu vas bien Harry ?
- Oui, je vais bien. Par contre, je dois te laisser, je dois donner une interview à la Gazette des Sorciers... On se voit ce soir...
- Évite d'en parler aux médias, ils ne sont pas encore au courant.

.oOoOo.


La maison de Ron et Hermione est chaleureuse, on s'y sent tout de suite bien, un peu comme au Terrier. Rien à voir avec mon appartement où des cartons de mon aménagement s'entassent encore dans des coins. Un confort minimal, aucune déco, la photo de mes parents sur la table de nuit... A croire que d'avoir vécu dans un placard sous l'escalier permet d'apprécier le confort même le plus sommaire.

Des affaires de Ginny traînent éparpillées ici et là, elle a son tiroir dans ma commode étant donné qu'elle dort chez moi plusieurs fois par semaine. Mais officiellement, elle est toujours en colocation avec son amie, Marissa. Un jour, à la fin de ses études de Médicomage, il semble évident qu'elle viendra déposer le reste de ses affaires et apporter sa touche déco à mon chez-moi qu'elle trouve désespéramment triste.
Mais d'un commun accord, nous attendons le "bon moment"...

C'est devenu une habitude de se retrouver chez Hermione et Ron, pour manger ensemble et se raconter nos vies autour d'un bon repas.
Ce soir la conversation tourne d'un même sujet : Malefoy.

Qu'ils lui donnent le Baiser de la Mort sans passer par la case procès, s'emporte Ginny. Ron nous révèle sur le ton de la confidence des informations encore top secrètes qu'il a entendu de l'ami d'un ami qui travaille au Département proche de celui des Aurors.

Deux ans après la chute de Voldemort, si ses principaux soutiens ont été traduits en justice et punis, il reste encore quelques mangemorts éparpillés à travers le monde. Mais les arrestations restent rares. L'arrestation de Malefoy a fuité dans la presse, enfin quelque chose à se mettre sous la dent pour ces pseudo-journalistes.
Tandis que la conversation tourne en boucle sur le sujet, Hermione me demande de l'aide avec le dessert.

Je la suis dans la cuisine, elle coupe la tarte en parts et les dépose dans des assiettes mal assorties.

- Harry, il faut que je te dise quelque chose.

Je fronce les sourcils.

- C'est Malefoy. Son interrogatoire se passe mal, il n'est pas très coopératif. Il pourrait être muet comme une tombe comme la plupart des mangemorts, mais lui dit qu'il veut te voir. Il ne veut parler qu'avec toi. Shacklebot m'a demandé de te prévenir et que tu passes au Ministère dès que tu peux...
- Moi ? je croasse. Mais pourquoi ? Je veux dire, non ! Je ne vois pas pourquoi il me demande...
- Je n'en sais pas plus Harry.... tu peux passer aux premières heures demain ?

La soirée continue, mais mon cerveau est bloqué sur cette information. Il veut te voir.

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