Chapitre 7
Nous traversâmes des couloirs, main dans la main. Rien que d'y penser, mes poils se hérissaient dans mon dos. J'aurais bien voulu l'assommer et m'enfuir sans demander mon reste mais cela restait impossible. Et plus j'avançai, plus je me disais que c'était à cause de ma petite tenue : il devait faire froid ici, or, je ne portais presque rien. En temps normal, je crois que je n'aurais pas pu tenir.
Pourtant j'étais là, en pleine forme, et je marchais tranquillement les pieds à l'air. Cela devait forcément avoir un rapport avec notre contact. Mais comment était-ce possible ? Quelque chose m'échappait. Un détail cependant ne m'échappa pas : nous étions dans un train. Il n'y avait aucun doute là-dessus : je sentais le sol tressauter sous mes pieds et les lieux étaient bâtis tout en longueur, avec des portes à ouvrir régulièrement, comme pour morceler l'endroit en wagons.
Ce qui m'étonnait cependant, c'est que je ne connaissais l'existence du train que parce que j'avais eu la chance d'avoir accès à des vieux livres d'Histoire dans les locaux du gouvernement, pendant ma formation à la police G. Aujourd'hui, il ne restait des trains qu'un lointain souvenir et des pièces détachées. Alors... comment ?
Plus on progressait dans le couloir, plus j'angoissais : je ne trouvais aucun moyen de me décrocher de ce possible psychopathe – après tout, si les rumeurs étaient vraies, le clan qu'il dirigeait chassait tous ceux qui se mettaient en travers de sa route – et je m'imaginais me retrouver face à tous ces individus les plus craints au monde.
D'un certain côté, j'avais envie de croire qu'ils avaient des capacités surnaturelles parce que ça expliquerait beaucoup d'évènements réalisés dans les dernières 24 heures. D'un autre, si c'était le cas, cela voudrait dire que je me retrouvais sans défenses au sein d'un groupe de fous hybrides avec des capacités hors du commun. Pas génial. Et même si j'étais une grande stratège, que je savais garder la tête froide et que j'avais toujours mille et une idées pour me sortir de situations délicates, j'étais vide. Rien. Pas d'inspiration.
Peut-être était-ce à cause de cet air qui touchait mon visage ? De cette nudité ? Il était vrai que cette sensation était pour le moins dérangeante. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi je sentais la brise caresser mes joues. Puis soudain, prise de frayeur, je plaquai ma main libre sur ma tête et pris conscience d'une chose terrible : mon masque ! On m'avait confisqué mon masque !
Tous ceux qui m'avaient vue dans ce train avaient vu mon vrai visage ! Quelle horreur ! Niveau crédibilité et intimidation, je me retrouvais avec un zéro pointé ! C'était la fin : je rencontrais un groupe de fous à lier aux capacités effrayantes et je n'avais même pas mon masque pour cacher mes faiblesses. Ils n'allaient faire qu'une bouchée de moi. Autant m'emmener directement à l'abattoir, ce serait moins cruel.
Alors que des bribes de conversations nous parvenaient derrière la dernière porte qu'il nous fallait franchir, je pilai. D'un coup. Heureusement pour moi, le chef me tenait bien, parce que s'il m'avait lâchée, je me serais évanouie sur la porte, l'ouvrant et faisant une entrée fracassante.
— Allez, avances, dit mon bourreau en me poussant.
Je ne bougeai pas d'un pouce, essayant de dissimuler la terreur que j'éprouvais en ce moment : cela faisait 4 ans que je n'avais pas quitté mon masque et on venait de me l'arracher. Ce masque m'avait permis d'oublier la peur dans les situations les plus critiques, de feindre une prestance, une assurance, une force que je ne pensais pas détenir sans.
Et je l'avais perdu. Il n'y avait plus que cet horrible visage, insupportable. Qui avait pu éveiller la jalousie, mais qui finalement m'avait apporté plus de problèmes qu'autre chose.
On aurait pu penser que la tâche n'était pas si ardue, après tout j'avais passé la plus grande partie de ma vie à me débrouiller sans. Mais le truc, c'était que je savais que sans ce masque tout le monde me remarquait : mes traits et mes couleurs étaient si inhabituels que les gens ne pouvaient s'empêcher de me fixer avec des airs béats. Et ce n'était pas tout ! Sans ce masque, c'est comme si je devenais l'ennemie de toutes les filles, la proie de tous les garçons, en gros, la cible de tout le monde sans exception.
— Je vais perdre patience, murmura soudain le chef avec un sourire en coin.
Je n'osais même pas me tourner vers lui. Pas maintenant que je savais ce qu'il voyait. Et ce sourire, à croire qu'il se moquait de moi ! Dans quel monde étais-je tombée ? Pourquoi était-il en train de sourire ? Je ne connaissais peut-être pas les Évolués mais je savais ce qu'était un clan malfaisant : j'en avais rencontré plus d'un au cours de mes années dans la Police G et aucun de leur chef n'avait jamais souri à son otage, sauf avant de le décapiter pour un sacrifice.
Peut-être était-ce ce qui m'attendait de l'autre côté de la porte ?
— Bon, qu'est-ce que t'as ? Je trouve que je suis très patient mais cette patience a des limites. Parles. Parles ou je te lâche.
— Hein ?
Je me tournai vers lui sans réfléchir, paniquée à l'idée que le scénario de ma chute spectaculaire en guise d'entrée se réalise.
— Ah bah voilà, au moins tu me regardes maintenant, s'exclama-t-il, toujours avec ce sourire.
— Mais c'est quoi ton problème ? Pourquoi tu me souris ? Pourquoi tu me taquines ? Je suis ta prisonnière, qu'est-ce que tu attends pour me menacer et me tuer ? Ça ira plus vite ! Au lieu de me torturer comme ça !
Même si ces mots semblaient être impulsifs, je les avais mûrement réfléchis : ils ne dévoilaient aucune information importante me concernant et pouvaient peut-être l'inciter à révéler quelques petits secrets utiles. Tout était bon à prendre.
Si pour l'instant je n'avais aucune inspiration au sujet de ma fuite imminente, il fallait m'en donner, et pour ce faire, je devais en apprendre plus à leur sujet.
— Ma prisonnière ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu es mon invitée ! lâcha-t-il soudain.
— Invitée ? répétai-je, haussant un sourcil tout en jetant un regard sur sa main dans la mienne.
— Mesure de sécurité, se justifia-t-il.
— Contre quoi ?
— Toi, beauté. Je ne veux pas que tu fasses du mal aux Évolués...
Je lui rendis soudain son sourire et lançai d'un ton mielleux :
— Alors laisses-moi partir et tu seras sûr que je ne leur ferais aucun mal !
Ce fut son tour de hausser un sourcil :
— Je ne peux pas faire ça.
— Et pourquoi ?
Pitié, pitié que ce ne soit pas un psychopathe obsédé qui rêve d'avoir une esclave sexuelle ou un truc du genre.
— Parce que tu fais partie de notre clan maintenant.
Le pire, c'est qu'il semblait particulièrement sincère. Mais pourquoi ? Pourquoi m'obliger à entrer dans ce clan ? Mes collègues et moi avions pour but de les chasser, j'avais été formée pour supprimer ce genre d'organisations et il avait lui-même assassiné tous mes amis quelques heures plus tôt.
Cette pensée fit naître une boule dans ma gorge que je décidai d'ignorer, pour le moment : je m’apitoierais sur mon sort plus tard. Au lieu de ça, je me concentrai de nouveau sur mes derniers souvenirs avant de me réveiller ici. Je repensai à la glace qui bougeait dans tous les sens, au sol qui se fendait pile aux endroits stratégiques.
Un frisson me parcourut l'échine lorsque je me rappelai ce qu'il prétendait être, ce chef : un Évolué, une personne détenant des capacités surhumaines. Je savais ce que c'était, dit sur le papier, cela semblait assez simple à comprendre... mais à croire ?
Et pourtant... Je l'avais vu de mes propres yeux : percer à jours tous mes secrets avant même que nous ayons pu parler, me capturer sans lever le petit doigt, me ressusciter après une chute de plusieurs mètres. Cet homme avait des dons, c'était certain. Et s'il disait vrai, ses amis aussi.
Alors pourquoi ? Pourquoi prendre dans leur équipe une ennemie dépourvue de tout pouvoir magique ? Cela n'avait aucun intérêt. Je finis par dire tout haut ce que je pensais tout bas :
— Je ne comprends pas.
— Quoi ?
— Pourquoi ? Je ne veux pas être ici, pire, je veux vous faire dégager. Tu as tué tous mes amis et je ne suis pas « évoluée », alors pourquoi ? Qu'est-ce qui te motive ? Une possible demande de rançon ? Je te rassure tout de suite, personne ne cherchera à venir me sauver, l'État a d'autres préoccupations que de venir repêcher des soldats qui se sont fait attraper.
Le chef passa sa main libre sur son visage, signe qu'il était fatigué. C'était la meilleure. Lui ? Fatigué ? Si je l'ennuyais tant que ça, qu'il me donne des vêtements chauds pour me relâcher dans la nature ! Je ne causerais plus de problèmes à personne.
— Écoutes, tu veux obtenir des réponses que tu n'es pas encore prête à entendre. Alors maintenant, je vais te faire entrer dans cette salle et tu ne vas pas t'y opposer.
— Ça c'est ce que tu crois.
J'enfonçai mes pieds dans le sol, préparée à lui résister jusqu'au bout. Il ne me ferait pas bouger d'un pouce, pas tant que je serais consciente en tout cas.
Enfin, c'était ce que je pensais jusqu'au moment où il soupira.
— Tu l'auras voulu.
Il se pencha alors pour passer sa main libre derrière mes jambes et me tordis le bras de façon à pouvoir soutenir ma tête. Je laissai s'échapper de mes lèvres un cri de stupeur alors que mes pieds quittaient le sol.
— Mais... non ! Tu n'as pas le droit. Reposes moi par terre tout de suite.
Je commençai à me débattre, mais il fallait me rendre à l'évidence : avec ce problème non résolu du manque d'énergie quand je perdais son contact, j'étais une petite proie facile, à la merci de n'importe quel prédateur. Me résignant, je rentrai la tête dans mes épaules dans l'espoir de cacher mon visage au maximum.
— Tu vas le regretter, grondai-je.
— J'en suis pas si sûr.
Puis, avec un sourire dans la voix, il poussa le battant du pied. Un grincement rouillé résonna et la pièce se révéla à nous, des centaines de paires d'yeux se tournant dans ma direction. Pour faire une entrée discrète, c'était loupé. Mon cœur se serra et je fermai les paupières, incapable de soutenir toute cette curiosité.
Au dessus de moi, le chef se racla la gorge.
— Les amis, comme vous le savez, nous ne sommes pas revenus les mains vides aujourd'hui. Avec Ake, nous avons mis la main sur cette personne que je tiens dans mes bras. Elle s'appelle Elora et vient de la police G.
Il s'arrêta juste à temps pour laisser son public réagir, huant mon nom avec vivacité. Je plissai encore plus les paupières.
Si seulement j'avais pu me lever, me séparer de cet homme et camper sur mes pieds avec mon masque bien en place ! J'étais sûre qu'ils ne se seraient pas montrés aussi démonstratifs, la peur jouant d'habitude en ma faveur.
— Oui, je sais. Ce n'est pas souvent que je ramène des petits soldats de Gallica. Mais je vous demande de vous montrer coopératifs. Elora fera partie des Évolués à partir de maintenant et elle me suivra partout. C'est compris ?
Des gens acquiescèrent, mais ce n'était qu'une toute petite partie, la majorité protesta. Pourtant, le chef fit comme s'il n'avait rien entendu et me porta au centre de la pièce pour me poser sur un banc. Je n'eus pas d'autre choix que de révéler mon visage aux personnes qui m'entouraient.
Ce n'est qu'au moment où je rouvris les yeux, la main toujours serrée autour de celle de mon ennemi que je découvris quelque chose de magique : je n'étais pas la seule à être différente !
Les yeux écarquillés, je dévisageai les gens qui m'entouraient avec avidité. Certain avaient une peau tellement foncée qu'elle brillait de reflets violets, d'autres avaient les yeux tellement clairs qu'ils semblaient argentés, il y avait du bleu glacier dans les cheveux, du rose pâle dans les iris, de l'améthyste dans l'épiderme.
Je n'en revenais pas.
Soudain, quelqu'un se pencha à mon oreille et je reconnus la voix du chef. Il me murmura d'un ton amusé :
— Bienvenue chez nous.
Et pour la première fois depuis que je m'étais réveillée dans ce train, le doute m'envahit. Qu'est-ce que c'était que ces histoires ?
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