Chapitre 3

– Chef...

" Je reviendrais dans un mois, ne t'inquiètes pas Una... "

– Chef...

" Mais ils disent que cette zone va sombrer, ils sont en train de l'évacuer ! "

– Chef...

" C'est vrai, mais la tempête GI est prévue pour l'année prochaine... "

– Chef...

" Je ne veux pas que tu y ailles ! S'il te plaît ! Tu es tout ce qu'il me reste ! J'ai besoin de toi ! Je ne pourrais pas survivre sans toi ! Je t'en supplies ! Je t'aime ! Tu es la dernière personne que j'aime au monde ! Par pitié restes, restes avec moi ! Je... Je t'en supplie ! J'ai un mauvais pressentiment ! "

– Chef...

" Je reviendrais... "

– CHEF !

Ma tête valdingua sur la droite alors que je venais de recevoir une gifle monumentale.

– Eh ! grondai-je, passant automatiquement en position de défense, sans même avoir ouvert les yeux. 

Quand je finis par desserrer les paupières, je découvris dix-huit des hommes de mon équipe, assis contre une paroi rocheuse et Elzo debout, tout près de moi, la main encore levée. Sans réfléchir, je lui rendis son coup, juste parce que je ne supportai pas qu'il ait osé lever la main sur moi. Son visage se tourna violemment vers la gauche alors qu'une trace rouge se formait déjà sur sa joue.

– Non mais...

– Comme ça on est quitte, annonçai-je.

Puis je m'avançai vers le reste du groupe, observant les lieux d'un œil calculateur et palpant mon corps pour voir si l'on m'avait confisqué quoique ce soit ou si j'étais blessée.

Nous nous trouvions dans une grotte, sombre, éclairée par une vieille ampoule pendant au dessus de nos têtes et clignotant de façon irrégulière. Elle était reliée au plafond par un fil électrique et on entendait le courant passer, à l'origine d'un bourdonnement désagréable. J'étais indemne mais on m'avait volé toutes mes armes. J'imagine que c'était le cas de tout le monde.

J'aperçus à ma droite, une petite porte en fer qui semblait si solide qu'un bélier n'aurait pas pu la détruire. Je m'accroupis, face aux membres de la police G et demandai :

– Comment avons-nous survécu à une chute de plus de cent mètres ? 

Personne ne répondit. Je tournai brusquement la tête, me rappelant ce que j'avais vu avant de m'évanouir et découvris Aleros, en pleine forme, assis avec ses congénères.

– Tu es vivant Al ? Mais je t'ai vu mourir ! C'est pas possible ! m'exclamai-je ;

– Et moi c'est toi que j'ai vu mourir, répliqua Omino à ma gauche. 

Je lui lançai un regard intrigué. J'évaluai la situation dans ma tête pendant quelques instants puis je repris mon interrogatoire :

– Quand vous vous êtes réveillés, est-ce que j'étais morte ? 

Après une courte pause, c'est Elzo qui fut le premier à secouer la tête en signe de négation. 

– Non, tout le monde était vivant, affirma-t-il.

J'en conclus que comme il n'était jamais tombé, il ne s'était jamais évanoui.

– Ils vous ont amené un par un, vous étiez inconscients mais tous vivants, continua-t-il, confirmant mes soupçons ;

– Qui sont-ils ? demandai-je énervée sans m'attendre à une quelconque réponse ;

– Des Évolués, affirma Elzo du tac au tac avec une assurance étonnante. 

Après quelques secondes de réflexion, je me rendis compte que je n'avais jamais vu mon meilleur ami nier l'existence des Évolués... Autrement dit, il devait y croire mais...

– Comment peux-tu en être sûr ? dis-je, curieuse, tu les as vu utiliser des pouvoirs magiques ? 

– Non.

– Alors peut-être as-tu vu des choses paranormales se produire autour de toi ? arguai-je, suspicieuse ;

– Non.

– Comment peux-tu affirmer qu'ils sont des Évolués sans avoir été témoin d'aucune de leurs caractéristiques ? pestai-je ;

– Je le sais, c'est tout, déclara-t-il simplement.

J'eus terriblement envie de le frapper une seconde fois. Mais je me retins, parce que ce n'était pas le moment. 

– D'accord, donc si j'ai bien compris, tu es sûr que ce sont les Évolués qui nous ont kidnappés mais tu n'as aucune preuve de ce que tu avances, c'est ça ?

Il acquiesça, comme pour me provoquer. 

– Est-ce que quelqu'un aurait des informations plus utiles que cet imbécile à me fournir ? lançai-je à la cantonade.

Encore une fois tout le monde se tût.

– Génial...

Alors que j'allais littéralement exploser, il y eut soudain du bruit de l'autre côté de la porte : quelques pas, un cliquetis, un lourd grincement et elle s'ouvrit en grand. Sans hésiter, nous nous plaçâmes tous en arc de cercle, position stratégique, moi et Elzo devant, les mains ramenées à nos épaules et les poings serrés, prêts à l'attaque. 

– Oh la, du calme, nous n'allons pas vous faire de mal ! déclara l'homme en entrant, révélant son visage.

J'eus toutes les peines du monde à ne pas baisser les bras en l'apercevant : même si je savais que les apparences étaient trompeuses, j'avais du mal à croire qu'un vieil homme tout maigre d'environ 70 ans puisse venir à bout de moi et de mon équipe surentraînée. Et ce qui m'étonna encore plus, ce fut son absence de réaction en me regardant pour la première fois. Il aurait dû être effrayé par mon mon physique ! 

– Relâchez nous, m'exclamai-je durement pour l'impressionner et surtout, sans attendre qu'il se lance dans un monologue dont nous n'avions rien à faire : la police G ne faisait aucun compromis, c'était elle qui faisait la loi et non l'inverse, quoiqu'il dise, nous ne l'écouterions pas, JE ne l'écouterais pas ;

– Veuillez d'abord me suivre, se contenta-t-il de répondre, pas du tout ébranlé par ma silhouette imposante ;

– Non, j'ai dit "relâchez nous", ce n'est pas une demande, c'est un ordre ! clamai-je, levant les poings un peu plus haut en signe de menace ;

– J'ai compris, mais si vous voulez sortir d'ici, vous devez me suivre, continua-t-il toujours aussi stoïque. 

Après avoir dépassé le stade de surprise face à son calme olympien, puis celui d'indignation, je me repris et lançai un regard lourd de sens à Elzo qui comprit immédiatement où je voulais en venir, il hocha imperceptiblement la tête et nous baissâmes les bras ensemble, faisant semblant de nous rendre, suivis par le reste de la troupe. 

– Où allons-nous ? demandai-je d'un ton faussement plus doux ;

– Mettez-vous en rang et suivez moi sans poser de questions, ordonna-t-il avant de faire volte de face et de disparaître dans un couloir rocheux et sombre sans se méfier de rien. 

Nous suivîmes ses ordres, mon acolyte et moi menant la marche et nous accélérâmes pour le rattraper. On tourna dans plein de directions différentes, toujours au fond de tunnels sous-terrains et obscurs.

Puis nous finîmes par monter de gigantesques escaliers en marbre et alors que nous arrivions devant une énorme porte en chêne massif peinte en rouge, j'articulai " maintenant " à l'adresse d'Elzo. 

Automatiquement, il se jeta sur le vieux bonhomme, celui-ci tenta de se débattre, mais en un quart de seconde, je les avais rejoints et je serrai mon bras autour de sa gorge. 

– Qu'est-ce qu...

– Un seul geste, et je te tue, le menaçai-je.

Il ferma brusquement la bouche et ne dit plus rien, se contentant de me dévisager d'une expression impassible qui me désorienta, bien que je n'en laissai rien paraître. Bon sang, comment se faisait-il qu'il ne me craigne pas ? Tout le monde me craignait ! J'étais monstrueuse ! 

– Maintenant tu peux pousser la porte, ordonnai-je à mon meilleur ami qui s'exécuta sur le champ.

Le bois racla le sol en pierre et nous nous retrouvâmes devant une pièce à couper le souffle. Je faillis en lâcher mon otage. Heureusement, je tins bond. Devant nous, s'étendait une salle immense, au plafond si haut que nous ne le discernions pas.

Autour de nous, tous les murs étaient recouverts d'une fine pellicule de neige qui réfléchissait la lumière bleutée et face à nous, un trône avait été taillé au milieu de piques de glace. Un homme y était assis, vêtu seulement d'un Jean et d'une chemise malgré le froid ambiant. 

– Bonjour très chers invités, lança-t-il, nous observant d'un air amusé.

Il ne semblait pas le moins du monde soucieux du sort de son domestique et ne le regarda pas une seule fois, se concentrant sur nous.

Nous ne bougeâmes pas d'un pouce, méfiants, préférant rester le plus loin possible de cet homme étrange, qui s'habillait avec des vêtements d'été alors que nous étions en pleine ère glaciaire et que nous nous situions tout près d'une zone GI. Je n'avais d'ailleurs jamais vu de tels habits en dehors des films et des photos que nous avions réussi à conserver. 

– Oh mais approchez, nous ne vous voulons aucun mal ! déclara-t-il d'un ton ironique qui ne me plut pas du tout.

Au lieu de l'écouter, je pris la parole :

– Nous sommes venus ici pour une raison précise et nous mènerons notre mission à bien. 

Il me scruta comme si je venais de lui faire la meilleure blague du siècle. J'eus envie de l'étriper. Pour la première fois, ici, on me regardait autrement qu'avec crainte ou dégoût et cela me frustrait terriblement.

J'aimais voir les gens frémir à ma vue, j'aimais lorgner leur visage devenu livide quand ils m'apercevaient pour la première fois, ça me mettait en confiance, or, cet idiot et son domestique ne semblaient avoir aucune crainte à mon égard. Ce n'était pas normal ! J'étais hideuse, laide à faire peur avec mon masque et je mesurais un mètre quatre-vingt, en tant que femme, c'était grand ! 

J'étais imposante, effrayante, cruelle, puissante, je détestai ne pas éveiller de réactions chez mes interlocuteurs. Ce n'était pas dans mes habitudes. Il fallait changer ça, et vite ! Je serrai le bras un peu plus fort autour de l'homme que je tenais et répliquai :

– Si vous tentez une seule fois de nous arrêter, je l'exécute, c'est clair ? 

– Oui, oui, répondit mon interlocuteur d'un air agacé.

Il ne paraissait pas s'intéresser à moi et son attention se portait surtout sur mes hommes, il les examinait un à un d'une expression avide. Comme s'il cherchait quelque chose en eux. Mais quoi ? 

– Êtes-vous le chef du clan des Évolués ? demandai-je alors, pour entrer dans le vif du sujet.

Le regard du jeune homme, affalé sur son trône couva une dernière fois les membres de la police G avant de revenir paresseusement sur moi. J'avais tellement envie de le trucider. Il était antipathique.

Avec ses cheveux très blonds en bataille et ses traits fins, ses yeux très sombres et sa mâchoire carrée, il dégageait un charme dangereux qui me mettait hors de moi. Pour la première fois de ma vie, l'apparence de quelqu'un me déconcentrait, m'empêchait de penser clairement. À croire qu'on échangeait les rôles... C'était inacceptable !

J'essayai d'ignorer cette sensation étrange de fourmillement dans mon ventre, d'oublier ce malaise qui entachait mon assurance et de conserver ma prestance.

Si je me sentais bizarre, c'était parce qu'il était étrangement habillé et parce qu'il agissait de façon inhabituelle avec moi. C'est tout. Son physique était attrayant, mais j'étais assez professionnelle pour ne pas tomber dans le piège !

Je travaillais avec Elzo depuis 4 ans, un véritable séducteur avec un physique plus qu'avantageux lui aussi, et je n'étais pas pour autant tombée sous le charme ! C'était bien la preuve que je n'étais pas influencée par ce genre de choses futiles ! 

Comme pour m'en convaincre, je carrai les épaules et lui lançai mon regard le plus provoquant, attendant impatiemment qu'il se décide à répondre. Ce qu'il fit. Après cinq bonnes minutes. Rien que pour me manquer de respect devant mes hommes, j'en étais persuadée.

– Oui. 

C'était le moment. Même si je me doutais qu'il n'était pas seul, nous allions le contraindre, lui et son clan à déguerpir. Parce que nous étions les plus forts. Nous étions indestructibles. Et je n'avais que faire des rumeurs sur ces foutus Évolués, à mon avis, ils étaient juste comme moi : des petits malins qui avaient compris que les apparences trompaient tout le monde.

Aussi, je me tins bien droite devant cet homme qui respirait la puissance et l'assurance – pas le moins du monde influencée par son sourire charmeur et ses yeux envoûtants, et déclarai :

– Vous vous êtes approprié un territoire sans autorisation et avez chassé tous ceux qui ne faisaient pas partie de votre pseudo "clan".

En vérité, je n'avais aucune idée de ce qui était arrivé aux habitants de ce village mais je suspectais qu'il les avait mis à la porte. 

– C'est un acte de violence et d'exclusion illégal, vous avez transgressé le CdG et cela vous vaut une peine d'exil du territoire, conclus-je, sûre de moi.

J'avais déjà fait cela de nombreuses fois, ce n'était pas exagéré de dire que j'avais tout vu. J'étais donc prête à tout, vraiment, promis : qu'il se mette à genoux en suppliant, qu'il se jette sur nous en hurlant, qu'il appelle du renfort et nous attaque.

Mais malheureusement, j'en oubliai l'otage que je gardais avec moi. Celui-ci profita de mon inattention pour s'échapper. Il me mit un coup de coude dans le ventre, et même si mes vêtements amortirent l'attaque, je fus tout de même assez surprise pour le lâcher.

Il s'élança aussitôt devant lui et en quelques secondes, il avait rejoint son chef qui lui offrait un sourire lumineux. Je jurai intérieurement : il n'avait attendu que ça, c'était leur plan à tous les deux, j'en étais certaine. Le vieil homme se pencha à l'oreille de son supérieur et lui murmura quelque chose qui lui fit soudainement porter toute son attention sur moi, comme s'il me voyait pour la première fois.

Mal à l'aise, je glissai mes doigts sur mon masque pour m'assurer qu'il était bien en place et qu'il ne pourrait pas voir à travers. Pour tout dire, ses yeux étaient si vifs que j'avais l'impression qu'il lisait dans mes pensées.

Et quand un sourire sadique se forma sur ses lèvres, je commençai à douter de toutes mes affirmations comme quoi les évolués n'existaient pas. Je ne savais pas ce que mon otage lui avait dit, mais soit il jouait un jeu pour me faire croire qu'il avait appris quelque chose de croustillant à mon égard, soit l'autre lui avait transmis le pouvoir d'un télépathe. 

Je sais, c'était dingue, mais là, tout-de-suite, j'avais la désagréable impression d'avoir été mise à nue. Finalement, il reprit la parole, cette fois, il s'adressait à moi et rien qu'à moi.

Et pour la première fois depuis que je portais ce masque et que j'étais devenue Elora Guana, j'eus envie de fuir. Mais je ne le fis pas et attendis la tête haute ce qu'il avait à dire, me répétant que quoiqu'il arrive, nous le vaincrions, parce que nous étions plus forts, et que LES ÉVOLUÉS N'EXISTAIENT PAS !

– Vous ne pourrez pas nous virer, n'avez-vous pas oublié ce que nous sommes ? 

Comme si leur petit jeu de rôle allait me freiner ! Je haussai les épaules, c'était à mon tour de ne pas paraître sensible à sa tentative d'intimidation :

– Honnêtement, je n'ai jamais cru en l'histoire des Évolués, donc au lieu de raconter n'importe quoi, levez-vous et dégagez d'ici en emportant tous vos petits compagnons tyranniques !

Petits compagnons tyranniques que je n'avais jamais vus soit dit en passant... Il ne se départit pas de son sourire, et n'esquissa pas le moindre geste ce qui m'exaspéra au plus haut point :

– Il ne faut jamais douter de l'existence des Évolués chérie, ou vous regretterez très vite.

D'où se permettait-il de m'appeler chérie ? Qui s'était déjà permis d'appeler Elora Guana chérie ? Elzo ne comptait pas dans cette question bien-sûr. Je bouillonnais, au sens propre du terme. Et étrangement, j'avais l'impression que ma température corporelle avait monté de cinq degrés et que de la vapeur s'échappait de mes poings. Non non, il n'avait pas réussi à me mettre en colère pour si peu, à peine !

– Oui oui, je suis morte de trouille, maintenant, debout ! m'exclamai-je, tentant de contrôler ma fureur ;

– Je n'accepterais de partir que si vous accomplissez au moins une de mes deux conditions.

Non mais c'était quoi encore ce plan ? Il voulait vraiment me faire sortir de mes gonds ! Pour ne pas montrer à quel point j'étais au bord de la crise de nerfs, j'affectai une expression blasée et hochai la tête en signe d'écoute. Comme si nous allions suivre une de ses requêtes ! LA POLICE G FAIT LA LOI ET LES AUTRES LA SUIVENT UN POINT C'EST TOUT !

– Soit vous rejoignez mon clan...

Je plaquai mes mains sur ma bouche pour m'empêcher d'éclater de rire, même si j'avais un masque, il se mouvait parfaitement à mes expressions et je ne pouvais dissimuler mes sentiments derrière lui. J'attendis la seconde option, prête à entendre quelque chose d'encore plus absurde.

J'étais juste impatiente de le virer. 

– Soit vous enlevez votre masque.

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