Chapitre 2

– Passes moi la gourde abruti ! s'écria Cleos à Elzo.

Nous nous étions arrêté pour nous dégourdir les jambes et manger. Assis en cercle sur la glace, nous nous partagions la nourriture, sachant qu'il faudrait en conserver pendant cinq jours : le temps de nous rendre près d'Asumion, de virer les "Évolués" et de rentrer à Gallita. C'était sûrement notre plus gros défi depuis l'an dernier, quand j'avais été élue chef. 

À vrai dire, jusqu'ici, nous ne nous étions jamais aventurés trop loin car le gouvernement disait plus ou moins que les derniers territoires habitables se trouvaient tout autour de la capitale.

C'était la première fois qu'on se rendait dans un lieu si éloigné et cela ne me plaisait pas du tout. Nous n'avions pas été préparés à subir des températures avoisinant les - 40° Celsius et si nos équipements étaient censés nous permettre d'y survivre, nos capacités d'action allaient être largement compromises...

Je me doutais que les Évolués n'étaient rien d'autre qu'une légende pour faire peur, mais je ne pouvais m'empêcher de me demander s'il n'y avait pas une part de vérité dans ce que l'on entendait sur eux... Si c'était le cas, nous étions vraiment en danger. Et comme je l'avais dit plus tôt, cela ne me plaisait pas du tout.

Après une pause de deux heures, on se remit en route et ce fut moi, cette fois, qui pris le volant. Je voulais que nous fassions au plus vite et j'étais la plus rapide conductrice du groupe. Nous étions trois à avoir des qualités de conduite particulières : Omino avait une excellente vue qui nous protégeait la nuit, Amilian savait se déplacer sur des banquises et tout autre sol glissant et moi j'allais vite, très vite. 

Nous étions donc souvent au volant, nous reléguant selon qui serait le plus efficace dans la situation. Et aujourd'hui, j'étais la plus efficace : il était évident que nous n'aurions pas assez de vivres pour cinq jours. Et il nous était impossible d'en trouver autre part qu'à Gallita : c'était là bas qu'on avait mis en place des serres avec un système permettant d'augmenter l'énergie du soleil pour faire pousser des aliments. Et c'était Gallita qui fournissait tous les villages, leurs habitants s'y rendant chaque mois pour recevoir leur portion vitale. 

Aussi, à part si nous décidions de nous arrêter dans une de ces forêts de stalagmites – qui n'étaient finalement que des forêts peuplées d'arbres dénudés dont l'écorce avait viré au bleu à cause du gèle – pour chasser, nous devions transformer ce périple de cinq jours en voyage de trois jours maximum. Autrement dit, je devais réussir à nous amener au bon endroit en moins de 24 heures. 

On aurait pu croire qu'il était finalement plus simple de partir chasser, avec nos armes et notre entraînement, cela ne semblait pas être trop difficile pour nous. Mais malheur à celui qui sous-estimait les forêts de stalagmites et les bêtes qui s'y trouvaient. Il y avait d'ailleurs une règle du CdG qui interdisait toute personne n'ayant pas reçu le permis de chasse spécifique de s'y rendre. 

Car ces bois étaient les seuls endroits où l'on y trouvait encore des végétaux et des animaux naturels. Cela représentait les espèces les plus résistantes et les plus dangereuses : celles qui avaient muté pour survivre. D'après ce que j'avais entendu, on y trouvait à la fois des plantes vénéneuses et carnivores, des lours – animaux hybrides dont l'ADN était à la fois constitué de celui des loups et celui des ours, des serpaigles, des piralions... En gros, à part si l'on savait exactement comment vaincre toutes ces créatures plus monstrueuses les unes que les autres, on ne s'y rendait pas.

Ainsi, la seule solution afin de ne pas mourir de faim s'incarnait en une personne, salvatrice, moi-même. Et j'étais déterminée à mener à bien mon rôle et ma mission. Derrière, les gars parlaient mais je ne les écoutais pas, trop concentrée sur la route qui s'étendait devant moi à perte de vue.

Nous progressions avec une célérité fulgurante, les roues crissant sur la poudreuse alors que je ne cessais de presser la pédale d'accélérateur. Le fait d'aller vite m'avait toujours donné l'impression de pouvoir me dépasser, de pouvoir fuir mes problèmes, de les oublier. C'était comme ça que j'avais développé ce don pour la conduite. 

Si j'avais fait bon nombre d'entraînements pour savoir me défendre et me battre comme je le faisais aujourd'hui, me déplacer comme une fusée, au contraire, était un talent naturel qui était venu avec le plaisir. Après tout, j'avais tellement de chagrin à laisser derrière moi que conduire sur des routes immaculées le plus loin possible m'avait semblé être le meilleur remède. On pouvait dire que je m'en étais sortie grâce à cela. 

Je clignai des yeux pour ne plus penser à cette image de l'effondrement qui revenait sans cesse me hanter et focalisai toute mon attention sur le désert glacé qui me faisait face.

Ce qu'il y avait de beau depuis la nouvelle ère glaciaire, c'était que les plaines enneigées formaient un seul et unique paysage, leur blancheur reflétant les rayons du soleil si bien qu'au loin, terre et ciel semblaient ne faire plus qu'un. Nous vivions dans le blanc, dans le froid, dans l'hiver. 

J'appuyai mon pied encore plus fort sur la pédale et le moteur vrombit sous la puissance. Je sentis une légère faiblesse à ma droite mais je réussis à reprendre le contrôle du véhicule. Il fallait vraiment que je vérifie la roue avant, j'avais l'impression que le pneu était devenu lisse et ce n'était pas la meilleure des idées lorsqu'on roulait sur de la glace...

La journée passa sans que je ne m'en rende compte, me faisant porter par le trajet. Ça avait quelque chose de reposant de ne voir que du blanc. Comme un médicament qui nettoyait nos yeux et notre esprit, les remettant à neuf. J'avais laissé de côté tout ce qui me tourmentait, je n'avais pas eu à parler à qui que ce soit et je m'étais simplement éteinte pendant un jour entier.

Malheureusement, à présent, la nuit tombait et mon GPS indiquait que nous étions presque arrivés. Je ralentis et continuai le chemin dans une allure plus tranquille. Un de mes hommes s'en rendit compte et me questionna à ce propos :

– C'est la nuit Al, je ne suis pas comme Omino, j'ai besoin d'aller plus lentement pour éviter les accidents, lui répondis-je.

En réalité, je n'avais aucun mal à aller aussi vite la nuit que le jour. J'avais même conduit pendant 48 heures d'affilée sans m'arrêter. Mais je n'aimais pas m'approcher d'Asumion. Il y avait des raisons particulières qui me poussaient à détester et à craindre plus que tout cet endroit. Les mêmes raisons qui m'avaient poussée à entrer dans la police G...

Je savais que quoi qu'il arrive, nous devrions nous y rendre, je savais que ce serait ce soir, mais j'avais besoin de plus de temps. J'avais besoin de me préparer mentalement afin que mon cœur cesse de battre comme il battait en ce moment dans ma poitrine. Je n'étais pas faible, je n'avais jamais montré aucun signe de faiblesse à mes hommes et il était hors de question que cela commence aujourd'hui.

Après encore quarante minutes de route, je fus obligée de m'arrêter : nous étions arrivés. Je me garai et sortis la première, sautant de la Jeep et claquant la porte plus fort que d'habitude derrière moi. Le vent soufflait fort autour de moi et j'enfonçai mon bonnet plus bas sur ma tête. La nuit était entièrement tombée et je ne voyais pas plus loin que le bout de mes boots. 

Si je n'avais pas eu mon GPS, je n'aurais même pas su que ce territoire était habité. La température était tellement basse que même avec mes huit couches de polaire et mon manteau chauffant, je grelottai. Je serrai les poings, détestant ce climat, détestant ce lieu, détestant ce que nous devions y faire. Si je n'avais pas eu de gants à cet instant, je crois que les clés de la voiture auraient entaillé ma paume. 

Les garçons ne tardèrent pas à me rejoindre et le silence se fit alors que nous examinions les environs avec nos lampes torches. Contrairement à d'ordinaire, il n'y avait aucun trace de pas dans le sol, preuve qu'une tempête de neige avait dû passer cet après-midi et que personne n'était sortit depuis, bizarre.

Nous avions aujourd'hui des dispositifs pour protéger les bâtiments contre les rafales de flocons et de grêlons qui tournoyaient dans le ciel mais il fallait les recharger après chaque tempête et pour cela, il fallait sortir. 

En gros, lorsqu'on arrivait dans des zones habitées, on le savait tout-de-suite parce que le sol n'était jamais immaculé. Or, là, il l'était totalement. C'était très étrange et très désagréable. J'avais un mauvais pressentiment. Quelque chose clochait. Non, rectification, tout dans cette mission clochait : à commencer par le fait qu'on nous ait donné une mission spécifique, puis qu'on ait pas voulu nous dire ce que nous y trouverions, que cela soit situé près d'un lieu classé GI et enfin, qu'il n'y ait aucun signe de vie. 

Je marchai sur quelques mètres, ma torche serrée entre mes doigts et l'autre main plaquée sur le revolver qui reposait contre ma cuisse, ayant rangé les clés dans une poche. J'étais prête au combat, pénétrant dans les ténèbres et m'écartant peu à peu du pick up et du groupe.

Je n'étais peut-être pas formée pour supporter des températures aussi basses, je n'étais peut-être pas formée pour mener des missions spécifiques aux ordres du gouvernement, mais j'étais complètement formée pour me battre et pour vaincre, aussi, même si j'étais mal à l'aise, je n'avais pas peur. j'appréhendais certes, mais je n'avais pas peur.

Je me déplaçai avec assurance et prudence dans la neige, sachant pertinemment que si quelqu'un m'attaquait, là, dans la seconde, il perdrait la vie avant d'avoir eu le temps de dire "ouf". Mais rien ne se passa. Je parcourus tout le périmètre et revins sur mes pas, frustrée.

– RAS de mon côté, marmonnai-je, agacée de n'avoir rien trouvé : juste une plaine vide, pas même un igloo ! 

– Pareil de mon côté, soupira Cleos me rejoignant en vitesse.

Les autres arrivèrent un par un avec toujours le même mot en bouche : RAS. Je jurai et retournai dans la voiture pour vérifier que les coordonnées du GPS et celles du messages concordaient. Et j'eus la preuve que je ne m'étais pas trompée. Nous étions au bon endroit alors pourquoi...

– Où est Elzo ? m'exclamai-je soudain, réalisant qu'il n'était pas revenu, lui.

Les garçons se lancèrent des regards intrigués en comprenant qu'il était absent puis me présentèrent des expressions vides, du genre "ah ouais c'est vrai qu'il est pas là". Je grognai puis m'élançai dans la direction où je l'avais vu partir, les soldats me suivant de près. 

– Elzo ? grondai-je dans l'obscurité.

Rien ne me répondit. Et je ne pouvais décemment pas hurler son prénom des millions de fois à la suite sous peine de nous faire repérer...

– Si tu nous fais une de tes blagues merdiques, je te jure que je t'abandonne ici sur le champ, marmonnai-je espérant le voir sortir des ténèbres avec son habituel et agaçant sourire en coin. 

Mais rien ne se produisit et tout ce que je rencontrai c'était la pénombre sinistre d'un lieu qui semblait étrangement dépourvu de vie et hors du temps. Après avoir cherché avec attention, accompagnée de mon équipe, je fis un geste pour que nous nous rassemblions. Il se mirent en cercle autour de moi et j'exposai les faits :

– Un membre de notre équipe a disparu dans un lieu censé être habité mais qui ne présente aucun signe de vie. Le plan : sortir nos pelles et commencer à creuser sur tous le périmètre, rappelez-vous, si un ennemi n'est pas visible, c'est qu'il est sous terre. 

Ils hochèrent la tête en cœur, se remémorant nos leçons et nous retournâmes à la voiture au pas de course. Cependant, alors que nous arrivions, je m'arrêtai d'un coup, sentant que nous ne devions pas aller plus loin.

– Stop ! m'écriai-je.

Tous mes hommes s'immobilisèrent instantanément, tendant l'oreille pour comprendre ce qui m'avait poussé à leur donner cet ordre. Je regardai droit devant moi, mon cœur battant à la chamade. J'essayai moi-même de trouver une raison sur ce qui avait provoqué cette réaction de ma part, mais il n'y en avait pas.

C'était étrange, comme si j'éprouvais le danger sans le voir, comme si je le pressentais avant qu'il se présente. Je fis un signe de la main pour enjoindre l'équipe à marcher au même rythme que moi et nous avançâmes lentement vers le véhicule qui était maintenant entièrement visible, proche et éclairé par nos torches.

– Il y a quelqu'un ? appelai-je.

Pas de réponse. Je fis trois pas, suivie des autres soldats.

– Est-ce qu'il y a quelqu'un ? répétai-je plus durement en sortant mon arme et en la pointant sur le pick up, le groupe entier faisant de même.

Nous parcourûmes encore trois mètres.

– Pour la dernière fois, est-ce qu...

Soudain, le sol en dessous de nos pieds explosa et la terre se fendit en deux. Je perdis l'équilibre, ne m'attendant pas à ce que qui que ce soit ait eu le temps de poser des mines tout autour de notre voiture.

Nous tombâmes tous ensemble, aussi surpris les uns que les autres. Je tentai vainement de m'accrocher à quelque chose mais mes mains rencontrèrent le vide alors que je sentais mon corps chuter dans un gouffre. J'avais peur, le ciel, sombre mais pas noir disparaissait peu à peu alors que je tombais dans les entrailles de la terre et je redoutai le moment où je rencontrerais le sol.

– Non ! hurlai-je.

Mais c'était trop tard, le choc fut violent. Si violent, que j'en perdis connaissance, ayant pour dernier souvenir, l'image du corps écrasé d'Aleros, le membres tordus dans le mauvais sens. 

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