Chapitre 1
Après avoir rapidement déposé le colis dans le wagon qui l'amènerait au tribunal, nous commençâmes notre périple.
Mes hommes n'avaient d'abord pas voulu croire ce que je leur disais quand je leur avais révélé notre mission : certains arguant que les Évolués n'étaient rien d'autre qu'une légende – et j'avoue que je partageais largement leur avis – d'autres soutenant que personne ne pouvait vivre aux alentours d'Asumion sans mourir de froid, et d'autres encore rappelant que la police G était libre de ses choix et que nous n'avions pas à suivre les ordres "de ces cinq membres décrépis" qui venaient d'être élus comme dirigeants de Gallita, donc du gouvernement, et "qui n'avaient aucune expérience et aucun ordre à donner".
Cependant, je m'étais efforcée de les convaincre, jouant sur leur soif d'aventure, leur curiosité et leur agressivité afin qu'ils me suivent et que nous nous débarrassions de ce clan qui tyrannisait une région et qui se faisait passer pour ce qu'il n'était pas.
Voilà comment, à présent, nous étions tous serrés dans le pick up de la brigade, laissant conduire Omino sur le désert glacé. J'étais assise à côté d'Elzo, comme toujours, à l'intérieur – l'avantage d'être chef – et sur le point de m'endormir, bercée par les cahots du véhicule sur la route gelée et les mouvements précis de mon ami, qui lançait sans cesse son petit gadget en forme de talkie walkie 2.0 d'une main à l'autre.
Je l'avais souvent interrogé quant à la véritable fonction de ce machin. Il l'avait depuis toujours et dès qu'il s'ennuyait, il jonglait avec. Mais il ne m'avait jamais dit à quoi il servait. Me répondant continuellement : "le jour où tu seras prête, je te le dirais" avec un sourire mystérieux.
Elzo était mon meilleur ami.
Je l'avais rencontré quatre ans auparavant, quand j'avais intégré l'unité, en tant que simple soldate. Dès le début, j'avais été martyrisée et exclue de tous, parce que j'étais une femme. Exclue de tous, sauf d'une personne : Elzo. Le seul à avoir accepté de dépasser les stéréotypes machos et sexistes de ces hommes d'action, le seul à avoir compris que mon genre ne faisait pas de moi une mauviette.
Il m'avait aidée à gagner en autorité, même si le simple fait que j'aie pu entrer dans l'équipe prouvait que je savais m'imposer et même si je n'avais pas besoin d'un allié pour me faire respecter. Il avait été mon bras droit, m'avait soutenue, m'avait suivie où que j'aille et c'était lui, le premier à avoir voté pour m'élire en tant que chef de la police G.
Je lui devais beaucoup. Mais attention ! Il ne fallait pas croire que c'était grâce à lui que j'avais été élue, ni grâce à lui que j'avais acquis le respect de mes hommes et une autorité sur eux ! Loin de là ! J'avais dû faire preuve de manipulation et d'intelligence.
D'un sourire épuisé, j'effleurai mon masque des doigts, songeant au passé et à mes idées toujours lumineuses qui m'avaient permis de monter en grade plus vite que n'importe qui.
– Tu sais Lora, si tu as trop chaud, je peux t'enlever ton masque, chuchota Elzo tout près de moi.
Je sursautai et me tournai brusquement vers lui, plaquant cette fois mes deux mains contre ce qui représentait mon plus grand secret. Il s'était rapproché sans que je m'en aperçoive ! Il était maintenant tout près, le nez à quelques centimètres du mien et avait un sourire malicieux plaqué sur les lèvres.
– T'es vraiment un abruti ! m'exclamai-je en le frappant violemment à l'épaule ;
– Eh ! grogna-t-il en se massant l'endroit où il venait de se prendre un coup, ça fait mal !
– Pas assez si tu veux mon avis, lui lançai-je, réitérant l'opération.
Elzo éclata de rire et se pencha pour me voler un baiser, heureusement, mon masque couvrait la totalité de mon visage et l'empêcha de réussir vraiment sa mission. Je le repoussai en riant tout en déclarant :
– Un jour, tu vas te faire virer.
– C'est ça oui ! répondit-il avec un sourire en coin ;
– Tu devrais arrêter de draguer ce boudin !
La voix d'Omino résonna devant nous. Il reprit :
– Tout le monde sait pourquoi elle porte son masque, je ne vois pas pourquoi tu perds ton temps avec elle !
Contrairement à ce qu'on peut croire, je ne le pris pas mal. Au contraire, j'en fus même ravie : j'avais la preuve que mon plan marchait depuis le début. Cette petite remarque acerbe était le rempart qui me protégeait des vrais problèmes liés à mon apparence...
Pour dire la vérité, afin d'entrer dans la police G, cette équipe de dégénérés assoiffés de violence et de justice, il fallait être un homme costaud. Or, quand j'avais décidé de m'engager je n'étais ni un homme, ni costaud.
Je l'avais compris après mes deux ans d'entrainements intensifs, quand j'avais fait mes preuves, que j'avais battu un autre candidat à plate couture et qu'on m'avait tout de même renvoyée parce que "je ne faisais pas le poids".
C'était en rentrant chez moi, dépitée, marchant dans Olorigue – une sorte de marché noir géant où l'on trouvait de tout et de rien un peu après Gallita – que j'avais trouvé LE masque qui avait fait germer ma super idée pour rentrer dans l'unité. Je l'avais acheté immédiatement, j'étais allée dans un boutique de vêtements, et j'avais dévalisé le rayon de doublures épaisses, puis j'étais rentrée chez moi à la hâte pour mettre mon plan à exécution.
Mon raisonnement était simple : si je n'avais pas été retenue, ce n'était qu'une question d'apparences, donc pour réussir l'examen, j'avais simplement à paraître plus mastoc et à changer de nom – oui parce qu'on ne pouvait passer le test qu'une fois. Heureusement, j'avais de nombreux contacts à Olorigue et on m'avait fourni une fausse carte d'identité quelques années auparavant, quand j'avais dû postuler pour un emploi sans avoir l'âge requis.
En superposant des dizaines de couches de vêtements et en mettant le masque, j'avais pu admirer dans le miroir un horrible monstre qui aurait fait peur au plus grand caïd de la terre. C'était parfait.
De nouveau, je sentis mes paupières tomber, alors que je m'endormais, rêvant de mon deuxième essai, et de mon arrivée dans l'équipe. Je caressai doucement le masque de la main, le cœur apaisé. Elzo se blottit contre moi et je le repoussai, essayant de ne pas le laisser réussir à me réveiller. Je le connaissais trop bien : si Elzo était mon meilleur ami, il n'était cependant pas un gars gentil.
Il cherchait souvent à me tester : comme avec le baiser, ou en se serrant contre moi, il voulait me déstabiliser, sachant pertinemment que si un jour, je réagissais à ses avances, soit en montrant une gène, soit en montrant un intérêt, il mettrait la main sur mon point faible et pourrait me mener au doigt et à l'œil.
Mais je ne le prenais pas mal, j'étais leur chef, je devais montrer que je méritais mon poste, même à lui. Et puis, vraiment, qui aurait une relation avec un membre de son équipe ? Fallait être idiot, c'était le meilleur moyen, soit de se faire virer, soit de se faire tuer – nos missions n'étaient pas toujours des parties de plaisir et il fallait savoir garder la tête froide dans toutes les circonstances, ce qui était impossible quand on était amoureux d'après mon expérience. Donc ses tentatives étaient veines, il n'arriverait jamais à me déstabiliser et je pense qu'il le savait.
– Moi j'en ai rien à faire du physique, s'écria-t-il plus à l'adresse d'Omino qu'à la mienne.
L'interpelé ricana, marmonnant un vague "tu le regretteras le jour où tu verras ce qu'il y a en dessous". Comme si ce jour allait arriver ! La bonne blague ! Ce n'était pas demain la veille que j'enlèverais mon masque devant qui que ce soit. Je ne l'avais pas quitté depuis quatre ans et je comptais bien faire durer cela aussi longtemps que je serais dans l'équipe.
De plus, ce masque infâme donnait lieu à des réactions amusantes : bon nombre de rumeurs plus marrantes les unes que les autres circulaient sur la raison qui me poussait à le porter. Et les deux qui étaient les plus suivies étaient soit que : j'étais née défigurée, j'avais subi plein d'opérations de chirurgie esthétique mais malheureusement on n'avait jamais pu cacher mes horribles malformations et j'étais obligée de les dissimuler sous un masque, ou soit que : j'avais eu un grave accident dans mon enfance et une cicatrice barrait mon visage, une cicatrice si hideuse que je ne pouvais pas me permettre de la montrer.
Pour être honnête, j'avais un faible pour la deuxième. Quoi qu'il en soit, cela m'avait permis d'éviter une agression d'un de ces rustres ! Je savais très bien que si je leur avais montré mon vrai visage, je n'aurais pas survécu dans l'unité. J'aurais risqué gros. Non pas que tous les gars de la police G étaient des imbéciles machos qui cherchaient les ennuis aux femmes, mais malheureusement, il existait de vrais tordus, puisque le seul exercice pour intégrer l'équipe était physique.
Pour faire simple, je ne préférais pas imaginer ce qui se passerait si je montrais un signe de faiblesse aux trois soldats que j'avais catégorisés dans ma tête comme étant dangereux et à surveiller, parce que ces trois là m'avaient montré, durant ces quatre années de bons et loyaux services, de nombreux signes d'une folie dévastatrice. J'étais sûre qu'ils n'étaient pas sains d'esprit et je les tenais à l'œil.
La Jeep sauta sur un nid de poule et ma tête cogna contre la vitre dans un bruit sourd :
– Omino ! Fais gaffe ! grognai-je, en me massant le crâne ;
– Désolée Monstruella, rétorqua-t-il en lançant un regard provocateur dans le rétroviseur ;
– Si tu tiens tant à m'appeler comme ça petit insolent, aies au moins la décence de rajouter le "madame" ! m'amusai-je ;
– Très bien, Madame Monstruella, répéta-t-il en exagérant délibérément le "Madame".
Je lui souris tout en le remerciant puis attrapai un gros sac à mes pieds et le plaçai entre moi et Elzo, pour calmer ses ardeurs.
– Maintenant, j'aimerais bien dormir, donc si tu me fais encore le coup une fois de me prendre pour je ne sais quelle idiote folle de tes charmes, tu finis dans le coffre, dehors, déclarai-je d'un ton plus dur.
Il sourit et ouvrit la bouche pour répliquer mais je le coupai :
– N'oses même pas répondre, je suis ta supérieure Elzo et tu dépasses les limites.
Il se tut aussitôt et recouvra son calme :
– Je suis désolé d'avoir dépassé les bornes, marmonna-t-il.
Je hochai la tête puis m'enfonçai dans le siège, lui tournant le dos. Le sommeil mit très peu de temps à revenir et en quelques minutes, je sombrai dans le monde des rêves. J'entendis vaguement Omino me souhaiter bonne nuit mais j'étais trop fatiguée pour lui répondre. Je serrai mes bras contre moi et me laissai glisser entre l'appuie-tête et la fenêtre.
Mes dernières pensées se tournèrent alors vers celle que j'avais été par le passé et que je ne serais plus jamais. En changeant de nom et de physique, j'avais tout simplement changé d'identité et j'étais fière de celle que j'étais devenue. Néanmoins, mon visage et mon corps n'avaient pas changé, eux, et sous mon déguisement, il restait cette preuve que je m'exposai chaque jour au danger en demeurant dans cette unité.
C'était drôle, j'avais appris à l'école que bon nombre de filles avaient vénéré la beauté avant la nouvelle ère glaciaire... Aujourd'hui, s'il existait encore quelques femmes qui voulaient mettre leurs atouts en valeur, la plupart d'entre nous voyait le fait d'être belle comme une vraie tare, et malheureusement pour moi, j'étais née avec un visage qui plaisait, autrement dit, j'étais née en tant que proie.
Cela faisait de moi un agneau déguisé en loup au sein de la brigade, et je devais constamment m'assurer qu'on ne me démasquerait pas.
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