Chapitre seizième : Le trajet d'un apollon
Les soldats d'Ernest pénétrèrent dans la maisonnée, armés jusqu'aux dents. Ils enfoncèrent les portes qui leur faisaient obstacle afin de fouiller et sécuriser chaque pièce. Rapidement, ils arrivèrent à l'étage, face à la porte encore ouverte qui menait à la chambre. Lorsqu'ils aperçurent la silhouette du chef des terroristes, l'un d'entre eux leva son poing pour signaler aux autres de se stopper.
_ A terre ! Dépêchez-vous ! hurla-t-il ensuite en braquant son arme sur Raphaël.
Ce dernier serra la mâchoire. Il était pris au piège. Il jeta un regard à ses deux alliés. Aucun d'entre eux n'avait d'idée salvatrice à proposer.
_ J'ai dit : à terre ! Dernière fois ! répéta le soldat en haussant plus fort la voix.
Raphaël baissa la tête et leva les bras en l'air en signe d'abandon. Il s'agenouilla puis se coucha sur le parquet glacé. Ses amis l'imitèrent, non sans pester.
_ Comme s'ils avaient gagné ! Ca n'est que partie remise, râla celui qui maintenait le colonel au sol.
Ernest se redressa immédiatement, la fierté du vainqueur envahissant son visage.
_ Mais nous avons gagné, gamin. Tu vas finir tes jours en prison, je vais y veiller personnellement. Tu seras en isolement, privé de vie sociale. Tu boufferas de la merde jusqu'à ce que mort s'en suive et je rirais aux éclats dans les couloirs. Il n'y a aucune future partie. C'est terminé.
Aucun ne répondit. Les trois individus se firent malmener. On leur tordit violemment les bras dans les dos, dans des angles anormaux, afin de menotter leurs mains à l'aide d'entraves métalliques bien trop serrées. Le froid attaquèrent leurs poignets, faisant grimacer celui qui avait maintenu le colonel à terre cependant il ne lâcha aucune plainte.
Matthieu regardait la scène avec désarroi. Ernest était un homme étrange. Peut-être était-il sujet à des troubles du comportement ? La minute d'avant, l'adolescent se sentait en sécurité à ses côtés, mais maintenant qu'il l'était vraiment, que Raphaël et ses amis avaient été appréhendés, une boule s'était formée dans sa gorge. Ce n'était pas parce que son ami d'enfance venait de se faire capturer, du moins pas à sa connaissance. Ce qui le dérangeait était son sauveur. Il arborait une tête si sadique. Et ses paroles confirmaient son ressenti. Il voulait voir les personnes qu'il arrêtait être désespérées. Le jeune homme se demanda si cela était le résultat de plusieurs années à côtoyer des meurtriers. On doit forcément perdre la tête au bout d'un certain temps à faire ce métier. Et puis, quand il parlait aux civils, il n'avait pas l'air aussi vicieux. Peut-être qu'il avait besoin de se défouler et, pour ne nuire qu'à petite échelle, il s'en prenait à ses ennemis ? Il n'en était pas convaincu, mais préféra s'arrêter de penser à cela. Il devait se concentrer sur l'essentiel : aider les militaires à arrêter le Boss. Maintenant que ce dernier ne pouvait plus faire de mal à Raphaël, il n'avait plus besoin de jouer le jeu du chat et de la souris.
_ Ca va aller, petit, le rassura le colonel. Tu n'as plus rien à craindre, tu as désormais une garde rapprochée.
Matthieu lui sourit, gêné, en guise de réponse. Comment pouvait-il douter de cet homme ? Lorsqu'il s'était réveillé et que Raphaël arrivait, il le trouvait tellement formidable. Si courageux. Si fort. Si audacieux. Bien sûr que chacun a ses déviances, mais ça ne fait de lui un barbare psychopathe.
Tout le monde descendit l'escalier pour sortir de la maison en file indienne, les terroristes et les soldats les surveillants en premiers. Deux Inhumans et trois Trackers étaient avachis dans l'herbe, à l'orée du bois. Des militaires s'affairaient à les couvrir d'entraves tandis qu'un tracteur approchait d'eux pour les transporter jusqu'aux camions avoisinants. Raphaël et ses sbires furent séparés. Chacun dû grimper dans un VT4, accompagné d'au moins deux soldats. Matthieu se fit escorter dans un autre 4x4. La voiture démarra immédiatement et partit en trombe vers la ville. Ce fût une dizaine de minutes plus tard que les deux véhicules contenant les camarades de Raphaël démarrèrent en empruntant la même route. Ernest grimpa dans le dernier VT4 restant et se plaça à côté du chef des terroristes. Le moteur vibra alors, empruntant la route à son tour.
_ Enlevez-lui sa capuche, ordonna le colonel en fixant l'obscurité qui se cachait sous le feuillage des arbres.
Raphaël, placé entre les deux militaires, soupira. Le soldat aux ordres d'Ernest s'exécuta immédiatement. Il attrapa le tissu et tira dessus.
_ Putain ! lâcha-t-il en découvrant le visage du terroriste.
Les deux soldats à l'avant sifflèrent en rigolant.
_ J'en connais un qui va pas faire long feu en prison ! s'exclama le conducteur.
_ P'têtre que si, justement. Apparemment, le cul ça paye bien là-bas ! ria le deuxième.
Ernest, curieux de connaître la raison de cette vulgarité, tourna sa tête vers son prisonnier. Ce garçon devait avoir tout juste dix-huit ans, l'âge minimum pour être coffré correctement. Tout le monde pouvait s'accorder sur une chose le concernant : il était beau. Magnifique. Angélique. Et pourtant si diabolique. Les goûts et les couleurs n'avaient rien à voir dans cette histoire, sa beauté était telle qu'elle ne pouvait être niée. Ses cheveux mi-longs et ondulés comme le sont ceux d'Apollons étaient colorés d'un bleu charbon léger. Cela n'avait rien avoir avec les colorations voyantes et mal faites que la plupart des gens portaient. Celle-ci était parfaite, si bien qu'Ernest aurait pu croire qu'il s'agissait de sa couleur naturelle.
Raphaël avait les yeux baissés. Il était gêné d'être ainsi dévisagé. Le colonel lui attrapa le menton et le fit regarder dans sa direction. Le jeune homme le fusilla du regard.
_ Ça ne va pas la tête ? Ne me touchez pas ! râla-t-il avant de se défaire de la prise du plus vieux.
Son regard ambré contrastait parfaitement avec le bleu de ses cheveux. Ernest n'avait jamais vu un telle couleur et cela le perturba. Il ne s'attendait pas à ce que son prisonnier ait mis des lentilles pour assortir l'entièreté de son visage. Cela l'embellissait d'autant plus que son visage, imberbe, était à la fois virile et androgyne. Un drôle de mélange. Tout chez ce garçon était surprenant.
_ Je ne m'attendais pas à ce qu'un gamin se cache sous cette capuche, et encore moins que tu fasse autant attention à ton visage. Tu dois être du genre à changer régulièrement de couleur de cheveux et d'iris, hein ? Et à te maquiller. Mais en prison, tu vas devoir être au naturel.
Raphaël le regarda de nouveau, les sourcils froncés.
_ Je ne me maquille pas et je ne mets pas de lentilles, c'est une perte de temps. Je suis un soldat, tout comme vous. Je ne sais pas ce que vous êtes en train de vous imaginer, mais j'ai bien d'autres préoccupations que de passer une heure dans la salle de bain chaque matin pour me faire beau.
Les militaires le regardèrent, les yeux ronds, avant de s'échanger un regard. Le conducteur haussa les épaules et celui assis à l'arrière se frotta le menton.
_ Tes yeux sont jaunes, c'est pas possible naturellement. A quoi bon mentir ?
Le terroriste pivota sa tête dans sa direction.
_ Je rêve où nous sommes vraiment en train de parler esthétique ? Je m'attendais plutôt à un interrogatoire salé.
Le silence s'installa. Raphaël croyait rêver. On le prenait pour une prostituée à cause de ses yeux ? Il ne le supportait pas, cela lui rappelait les paroles de son père. Diffamer sa tête, c'était diffamer celle de sa mère. C'était inconcevable qu'il laisse passer un tel affront. Après quelques minutes à ruminer dans son coin, il reprit la parole en serrant les poings.
_ Je... La couleur de mes yeux est naturelle, d'accord ? commença-t-il alors que le conducteur le regardait à travers le rétroviseur. C'est une couleur plutôt rare, c'est vrai, mais ça existe. Je ne suis pas... C'est ma mère qui m'a dit que la couleur bleue était celle qui les mettrait en valeur, elle les adorait. C'est pour ça. Pour lui faire plaisir, c'est tout. Le reste, je m'en moque.
Le soldat assis sur le siège passager, lâcha un petit sourire. Ernest, de son côté, réfléchissait. Cet enfant était proche de sa mère. Il s'agissait là d'un point faible qu'il adorait utiliser contre ses adversaires. Rien de tel que la famille pour faire pression sur quiconque. Mais son prisonnier était loin d'être assoiffé de sang. Il pouvait peut être jouer au jeu de la manipulation avec lui contrairement à ce qu'il croyait avant de le rencontrer. S'il y arrivait, il serait déçu. La manipulation, une fois la personne dans la poche, n'a plus rien d'amusant ou de vivifiant. Cela dit, cela lui permettrait d'approcher le Boss plus rapidement et Ernest n'était pas quelqu'un de patient.
_ Le cercle chromatique, lâcha-t-il en regardant le paysage défiler.
Raphaël le regarda un énième fois, perdu.
_ Excusez-moi ?
_ Dans le cercle chromatique utilisé en peinture, le bleu est à l'opposé du jaune ce qui signifie qu'il n'y a pas meilleur contraste qu'entre ses deux couleurs. Ta mère aime la peinture, non ? C'est une passion noble qui demande beaucoup de délicatesse et de savoir-faire.
Le prisonnier acquiesça lentement, les yeux perdus dans d'heureux souvenirs lointains.
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