Chapitre dix-septième : Bienvenue en prison
Les VT4 qui transportaient les terroristes et les soldats s'arrêtèrent devant la prison la plus sécurisée de France, Datura. Elle était composée de cinq bâtiments positionnés en cercle. Quatre d'entre eux abritaient des catégories de prisonniers classés selon leurs crimes et leur dangerosité. Le dernier était réservé au personnel, aux arrivants, à l'administration et aux soins. Les bâtiments composés de geôles étaient nommés de A à D. Les coupables ayant commis les fautes les moins graves se retrouvaient dans le bâtiment D tandis que les criminels les plus redoutables étaient confinés dans le A.
Les soldats firent descendre les terroristes des véhicules et les escortèrent jusqu'au bâtiment administratif. Les deux compagnons de Raphaël furent placer dans une cellule d'attente commune tandis que le chef fut installé dans une autre geôle d'attente aux coté d'une femme. Dans ces pièces se trouvaient deux lits superposés, un lavabo et une petite étagère. Le strict minimum pour des prisonniers qui ne resteraient pas dans ces cellules très longtemps. Raphaël avança lentement dans la loge de fortune, observant chaque parcelle de son toit temporaire.
_ Qui l'aurait cru ? Je me retrouve avec un cinglé qui a une gueule d'ange.
Le terroriste arrêta sa contemplation pour poser ses yeux sur sa colocataire. Sa chevelure rousse était abondante. Elle atteignait ses reins sans difficultés pendant qu'une frange cachait son front. Les tâches de rousseurs qui parsemaient ses joues lui donnaient un air enfantin malgré ses yeux scrutateurs qui démontraient chez elle une intelligence redoutable. Elle se leva du lit sur lequel elle était assise et s'approcha tout doucement de son nouveau compagnon. Sa démarche féline lui procurait une élégance et une assurance indubitables. La porte derrière le garçon se ferma.
_ Eh bien quoi ? Tu es trop timide pour parler ? Ou... est-ce que je te fais tellement d'effet que tu en perds tes mots ? dit-elle en ricanant.
Elle posa sa main contre la porte sur laquelle il était appuyé, collée à sa tête. Il la repoussa en soupirant.
_ Bien sûr que non. Vous êtes une cougar ? lui demanda-t-il avec sérieux.
La femme grimaça en levant les mains en l'air.
_ Mais qu'est-ce que tu racontes ? Elle laissa un temps de silence avant de tendre la main. Je suis Isabelle, alias Isa. Et toi ?
Raphaël hésita. Il ne voulait pas parler à cette femme. Il ne voulait parler à personne. Son père le lui avait formellement interdit. Ne parle jamais à quelqu'un de l'extérieur. Qui plus est, cette femme se retrouvait en prison, autant dire qu'elle n'était pas digne de confiance. Il ignora sa main et passa à côté d'elle.
_ Désolé, mais je préfère qu'on ne discute pas.
Isabelle baissa sa main et se retourna vers lui, les bras croisés.
_ J'ai pris le lit du bas.
Il acquiesça et grimpa à la petite échelle qui lui permettait d'atteindre le matelas le plus haut. Son action fut difficile, ses menottes l'empêchèrent d'écarter les mains pour attraper les barreaux séparés. Lorsqu'il réussit finalement, il se coucha en silence et regarda le plafond pour se plonger dans de sombres réflexions. Que devait-il faire maintenant qu'il était pris au piège ? Tenter de s'enfuir seul, avec ses deux camarades ou attendre patiemment qu'on vienne le libérer ? Fuir seul, sans ses deux meilleurs amis n'était aucunement envisageable. Mais à trois, était-ce faisable ? Il ne connaissait pas grand-chose à cette prison, mais il se trouvait dans le bâtiment administratif. La sécurité n'était pas aussi importante que dans les bâtiments réservés aux criminels, d'autant plus qu'il serait certainement considéré comme l'un des plus dangereux. S'il voulait partir, il devait le faire avant d'être transféré. Cependant, il savait que son père viendrait le sortir de là dès qu'il prendrait conscience de sa capture. Mais que ferait-t-il de ses amis ? Les abandonnerait-t-il ? Il y avait de grandes chances que ce soit le cas puisqu'il ne les appréciait pas. Il n'aime personne, de toute façon. Il soupira sous les yeux d'Isabelle qui l'observait sans relâche. De ce qu'il savait, les nouveaux prisonniers avaient le droit de passer un seul et unique appel de trois minutes. S'il l'appelait, il serait libre en moins de vingt-quatre heures. Cependant, il ne pouvait pas faire ça à ses camarades. Le jeune homme se redressa. Il avait pris sa décision. Il tenterait de s'échapper, mais pour cela, il avait besoin d'aide. Il regarda sa colocataire.
_ Je suis Raphaël. Mes amis m'appellent Raph'.
Isabelle lui sourit.
_ Enchantée de te rencontrer, Raphaël. Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
Il se positionna au bord de son lit, les jambes dans le vide et les mains posées sur le matelas.
_ Je vais partir d'ici avant que mon patron ne vienne me chercher par la peau des fesses, mais pour ça j'ai besoin d'aide. Qu'est-ce que tu sais de cet endroit et de la sécurité ?
La femme grimpa à l'échelle de manière délicate et s'installa aux côtés du jeune homme pendant que ce dernier se tendait imperceptiblement. Cette femme était dangereuse et elle se comportait trop familièrement avec lui. Il n'était pas habitué à cela.
_ Ça fait trois fois que je m'évade d'ici. Une fois du bâtiment B, deux autres d'ici. Ils se disent sécurisés, mais ça ne sont que des pleutres sans cervelle. Ils ont beaucoup de caméras, mais ceux qui doivent veiller dessus sont de vrais fainéants, ils doivent sûrement se goinfrer de chips en regardant un match de foot. Le cliché, hein ?
Raphaël ne répondit pas. Il en était sûr maintenant, s'il voulait s'enfuir, ce serait avant son transfert.
_ Le problème c'est qu'à cause de ces fuites, ils surveillent mes moindres faits et gestes. Et donc les tiens aussi. Si tu veux partir, il va falloir que tu profites du moment où ils vont venir te chercher pour compléter leurs fiches et te faire un récap.
_ D'accord, mais... je ne suis pas seul. Dans une cellule voisine, deux de mes camarades sont enfermés. Je ne veux pas partir sans eux. Et puis... Avec ce que j'ai fait, il est certain que moi aussi, ils vont me surveiller avec grande attention.
Isabelle le regarda, surprise.
_ Je ne pensais pas que tu avais fait quelque chose de si grave. Je m'imaginais... elle réfléchit un instant avant de reprendre. J'imaginais que tu avais utilisé ta belle gueule pour te prostituer. Ou arnaquer la haute société. Un truc dans le genre, tu vois ?
Le jeune homme soupira, agacé. Il sauta du lit et se tourna vers elle, les poings serrés.
_ Je ne suis pas une prostituée ! Je suis là parce que j'ai massacré tout un lycée et enlevé l'un d'entre eux à l'aide de créatures moitié animales, moitié machines ! Mon visage n'a rien à voir là-dedans ! Vous avez tous un problème à penser avec votre libido plutôt qu'avec votre tête !
La femme ouvra la bouche en forme de O, surprise par la nouvelle. Il s'agissait de l'un des terroristes qui avaient mis à feu et à sang le lycée de la ville voisine. Lorsque, pendant sa cavale, elle avait entendu parler de cette affaire, elle s'était dit qu'ils étaient idiots. Elle ne comprenait pas la raison d'un tel crime, pourtant elle s'y connaissait en terme de meurtre. Tuer un ministre ? Bien sûr ! Tuer un connard de mari infidèle ? Evidemment ! Mais tuer toute une horde de gamins incapables de résister à leurs phéromones ? Elle n'y voyait aucune utilité. Surtout qu'ils avaient utilisé une technologie incroyable, mais certainement pas nécessaire à la réussite de ce massacre.
_ Si je comprends bien, tu as attaqué Gaëlle Morneau ? Je peux savoir pourquoi ? dit-elle en ignorant sciemment le passage du prostitué.
Ce qu'il faisait de son entrejambe, elle s'en moquait complètement. Qu'il achète des services en vendant son corps ou pas, cela ne la regardait pas. Ce qui l'intéressait, c'était le meurtre, les crimes, tous les actes qui venaient transgresser les nombreuses lois qui dictait les moutons qui occupaient cette société.
Raphaël détourna les yeux vers le sol et desserra les poings, silencieux. La porte de la geôle s'ouvrit sur un gardien équipé de son uniforme bleu et de sa ceinture sur laquelle l'homme accrocha le trousseau de clé qui lui permettait de déverrouiller toutes les portes du bâtiment. Le jeune prisonnier lorgna dessus. Comment pourrait-il les récupérer ? Il n'était pas très doué pour les vols à la tire. Et puis, même s'il y arrivait, le gardien s'en rendrait compte lorsqu'il le ramènerait dans sa cellule. Il devait faire une croix sur le chapardage.
_ Il est temps pour toi d'être officiellement identifié comme prisonnier, gamin. Sors de là.
L'adolescent ne répondit pas. Il s'avança vers lui lentement, ses menottes émettant un cliquetis régulier. Allait-on enfin les lui enlever ? Leur froideur attaquait ses poignets, leurs son mettait ses nerfs à vif et leur vue lui rappelait sa situation. Il ne les aimait vraiment pas. Derrière la porte se trouvaient deux autres gardiens qui l'escortèrent pendant que le premier fermait à clé la geôle. Arrivé au greffe, on le fit entrer dans un bureau. Les murs de la pièces étaient jaunes, sauf celui qui supportait la porte par laquelle les prisonniers entraient qui était blanc. Un rectangle était dessiné sur celui-ci. Raphaël supposa qu'il s'agissait de l'endroit où les photos des détenus étaient prises. Un bureau se trouvait parallèle à ce mur, en face de l'entrée. On le fit s'asseoir sur l'une des chaises qui se trouvait en face. Sur une table, non loin de lui, prônaient divers objets numériques dont il ne connaissait pas l'utilité. Il les regardait lorsqu'un femme entra dans la pièce par une autre porte. Elle était également en uniforme, comme il s'y attendait. Elle s'asseya face à lui et le jaugea du regard.
_ J'espère que vous n'allez pas me donner du fil à retordre, Monsieur Raphaël. Vous êtes au greffe de la prison. Il s'agit du passage obligatoire pour chaque nouveau prisonnier, commença-t-elle à expliquer en tapotant le bureau. Nous nous occuperons de toute la partie administrative qui vous concerne au sein de nos bâtiments. Vous n'avez pas encore été jugé pour vos méfaits, cependant vous êtes trop dangereux pour être maintenu ailleurs. Nous vous tiendrons au courant de l'avancée des procédures judiciaires. Est-ce que jusque là, tout est bon pour vous ?
Raphaël déglutit. Ça y était, il était en prison. Quand il était plus jeune, il rêvait de devenir un homme droit à qui l'on ne pourrait rien reprocher. A à peine dix-sept ans, il se retrouvait menotté, enfermé et surveillé par les forces de l'ordre. Une sacrée erreur de parcours. Et, comme si cela ne suffisait pas, il sentait les yeux de son père dans son dos. Il le fusillait du regard, lui reprochant de n'être qu'un incapable. Il acquiesça d'un mouvement de la tête, la gorge serrée. Il allait se faire tuer.
_ Bien. Dans ce cas, je vais vous expliquer comment nous allons procéder pour aujourd'hui, dit-elle en redressant son dos. Nous allons procéder à votre identification, récupérer vos empreintes digitales, prendre quelques photos de vous. Après cela, nous vous donnerons un identifiant en tant que prisonnier. Il s'agira d'un numéro. Évidemment, nous ne vous considérons pas comme tel, mais cela permet d'éviter de confondre deux personnes portant le même nom, voyez-vous. La suite se passera avec mes collègues. Pour commencer, je vais vous demander vos prénoms et votre nom de famille ainsi que votre date et lieu de naissance. J'aimerais également connaitre votre adresse d'habitation. Et pourriez-vous me dire si vous êtes bien français ?
Pouvait-il lui donner ce genre d'informations ? S'il le faisait, sa vie serait définitivement gâchée et le Boss n'en serait que plus énervé. Mais cela changerait-t-il quoi que ce soit ? Finalement, il ne vivait déjà plus depuis longtemps et son père le battrait tout aussi violemment avec une erreur de plus ou de moins.
_ Je suis Raphaël Corbau, dit-il en épelant son nom. Je suis né le 27 octobre XXXX à Chimba. Et oui, je suis français. Cependant, je n'ai pas d'habitation donc je ne peux pas vous fournir d'adresse.
La femme le remercia tout en tapotant son clavier d'ordinateur.
_ Je ne m'attendais pas à ce que vous soyez coopératif, je vous en remercie. Habituellement, les gens dans votre genre s'enfoncent dans un mutisme insupportable qui n'aide personne, pas même eux. Je vais vous demander de poser vos doigts de la main droite hormis le pouce sur le petit écran en face de vous.
Raphaël jeta un regard vers l'appareil avant de s'exécuter. Ils lui prenaient son identité, ses empreintes et après ce serait au tour des photos. Ils lui prenaient tout. Et comme un idiot, il se laissait faire. Mais il n'avait pas le cœur à résister. Peu importe ce qui arrivait, au final, le résultat serait le même. Il mourrait. La femme lui demanda de répéter l'opération avec son autre main puis l'invita à se lever.
_ Nous allons maintenant prendre des photos de vous. Il nous en faut une pour chaque profil, une de dos et une de face. Placez vous au milieu du rectangle peint sur le mur. Nous allons commencer par votre photo de face. Ne souriez pas.
Elle n'avait pas besoin de le préciser. Qui voudrait sourire dans une situation semblable ? Il s'employa à obéir comme il avait l'habitude de le faire. Les photos furent rapidement prises et la femme lui imprima une carte sur laquelle un numéro était affiché à côté de sa photo.
_ Il s'agit de votre numéro de prisonnier. Il vous faut toujours avoir cette carte sur vous. Un gardien est autorisé à vous la demander à n'importe quel moment. Si vous ne la lui présentez pas, il y aura des sanctions. Faites donc bien attention.
Le jeune garçon acquiesça en rangeant sa nouvelle carte d'identité dans sa poche de pantalon. La femme, satisfaite, appela les deux gardiens qui l'avaient escorté précedemment. Ils l'embarquèrent pour le mener dans un vestiaire. Ils lui tendirent des vêtements gris.
_ Enfile ça. Dépose tout ce que tu as dans le bac positionné à côté de la porte, dit l'un des deux en pointant le contenant du doigt. Ensuite, on procèdera à une fouille. Si tout est bon, on te ramènera dans la cellule temporaire.
Raphaël attrapa les vêtements et entra dans la cabine après qu'on l'eut démenotté. Il déposa la carte d'identité qu'on venait de lui donner sur la seule planche en soupirant. De terroriste il passait à un simple numéro. Il avait l'impression d'être déshumanisé et il savait que ça n'irait pas en s'arrangeant lorsqu'on viendrait le sortir de la prison. Il enfila le T-shirt et le pantalon noirs ainsi que des basquettes. Il plia ses affaires et sortit afin de les déposer dans le bac que le gardien lui avait indiqué plus tôt. Il retourna dans la cabine pour récupérer sa pièce d'identité. Lorsqu'il sortirait de là, il ne serait plus un numéro, mais il retournerait sans aucun doute dans une cellule, à la cave.
_ Bien, dit l'homme qui avait pris la parole plus tôt. Maintenant pose tes mains contre le mur, écarte les jambes et laisse toi faire.
Le garçon s'exécuta après que l'autre gardien l'eut menotté. Ce dernier commença à balader ses mains sur son corps. Raphaël frissonna à l'idée de retrouver sa geôle. Lorsque son père l'y enfermait, il avait l'impression de n'être qu'un chien pour lui. En réalité, il ne s'agissait pas de sa cellule, mais de sa niche. Et il la détestait. Il n'avait aucun bon souvenir d'elle, bien au contraire. Pour y entrer, il devait se contorsionner. Pour y rester, il devait se plier. Et pour en sortir, il devait pleurer.
_ Tout est bon, la seule chose qu'il avait est sa carte d'identité, conclut celui qui le fouillait.
Le plus bavard hocha la tête d'un coup sec et attrapa le bras de l'adolescent aux cheveux bleutés. Ils l'escortèrent en silence vers la cellule temporaire dans laquelle Isabelle, sa nouvelle colocataire, l'attendait avec un grand sourire.
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