8 jours avant

Je rangeais les photos de la fête du village sur mon ordinateur. Je n'en avais pas pris beaucoup, une dizaine seulement, mais de ce que je pus en voir tandis qu'elles se déchargeaient, elles semblaient tout simplement magnifiques.

Une fois que tout eut été déchargé, je nettoyai mon appareil photo. C'était un bel appareil, un très bel appareil. Il comprenait deux objectifs : le premier captait l'image. Il était énorme et était fait de plusieurs lunettes qui se superposaient sur une longueur totale de plus de dix centimètres, afin de capter la meilleur qualité d'images possibles.

Le deuxième objectif, situé lui un peu au dessus, était un trou noir, d'une profondeur infinie, qui absorbait l'air, et les émotions afin de les ressentir dans l'image.

L'appareil était recouvert de morceaux de cuir, destinés à protéger les endroits fragiles, et était, pour le reste, d'un gris anthracite qui contrastait largement avec le cuir.

Je l'avais acquis sur une brocante, un matin de juillet. Le vieillard qui le vendait semblait avoir fait toutes les guerres du monde, et avoir vécu toutes les douleurs. Il tenait cet appareil comme si c'était la choses la plus fragile et la plus précieuse au monde. Et il me l'avait vendu, pas très cher. Il m'avait juste dit qu'il pensait que j'étais la bonne personne pour s'en occuper désormais, et que c'était probablement le destin qui m'avait fait croiser sa route. Et c'est ainsi que j'avais hérité de ce précieux appareil.

Je commençai à faire défiler les photos une par une. Les premières étaient des photos avec uniquement le coucher de soleil, brûlant et ardent, qui incendiait le paysage en se couchant sur le lit de la rivière, encadré par de vieilles bâtisses.

Puis, la suite était un ensemble de photos d'Eleanor. La première était floue. Je la supprimai et passai à la suivante, qui était identique mis à part le fait que celle-ci était nette. Je l'observai un instant. Le soleil colorait joliment son visage fin, que l'on voyait de trois quarts sur le cliché. Elle avait les yeux baissés, et un fin sourire étirait ses lèvres. Ses joues étaient légèrement rosées. Sur ses pommettes, s'épanouissaient une multitude de fleurs. Il y en avait, les plus voyantes, qui se nuançaient de couleurs rouges, roses, et autres nuances de fushia. Elles semblaient intenses, vibrantes. Puis, il y en avait des plus claires, beiges, oranges, comme des fleurs de cerisier, ou d'oranger. Elles étaient petites et m'inspiraient un sentiment de sérénité.

Je fis défiler les clichés. Sur chacun d'eux les mêmes fleurs s'épanouissaient sur son visage. Le sublimant. Au fur et à mesure, le soleil déclinait, pour ne plus laisser passer que quelques rayons rouges qui embrasaient son regard vert et qui faisaient ressortir ses adorables fossettes. Sa queue de cheval était légèrement défaite et quelques mèches folles s'en échappaient. Elle avait un regard profond, et me regardait droit dans les yeux, semblant sonder mon âme depuis l'écran de mon ordinateur.

Je sélectionnai cette photo et quelques autres que je plaçai dans un dossier dédié à mes meilleurs clichés. Puis, j'éteignis mon ordinateur, rangeai mon appareil photo, et jetai un coup d'œil à mon reflet dans le miroir. Je replaçai alors rapidement quelques mèches rebelles, et descendis les escaliers à la va-vite.

– Maman, j'y vais !

Ma mère passa la tête à travers l'entrebâillement de son bureau où elle triait des papiers.

– D'accord, pas de problème, ne rentre pas trop tard, et passe bien le bonjour à Madame Da Costa !

Je hochai la tête.

– Ne t'inquiète pas, à ce soir !

Je lui déposai un baiser sur la joue avant de m'empresser de me rendre chez mes voisins où il était prévu que je passe la soirée.

J'ouvris la porte à la volée et manquait de rentrer dans Eleanor, le poing suspendu en l'air, prête à frapper à ma porte d'entrée. Elle sursauta.

– Tiens, coucou Morgan, sourit-elle en passant une main dans ses cheveux.

Je lui souris, mon yeux gauche se mit à cligner et mon cœur à accélérer.

– Salut, lui répondis-je en souriant, comment tu vas ?

– Eh bien ça va, Angel t'attend, tu devrais y aller.

Elle désigna sa maison d'un geste rapide avant d'à nouveau passer sa main dans ses cheveux.

– Lola t'attend aussi... Passez une bonne soirée...

Elle me sourit tandis que je me décalais pour la laisser entrer. Juste avant de passer la porte, elle se retourna et me dit :

– Si ça te dit un de ces quatre qu'on refasse une soirée comme l'autre jour, n'hésite pas... C'était vraiment sympa. Je vais retrouver Lola, à plus

Ses joues rougirent légèrement, et elle me fit un petit sourire qui laissa entrevoir ses fossettes.

– D'accord, je note pas de problème...

On se regarda encore quelques instants, mais aucun mot ne nous vînt. Alors je tournai les talons et me dirigeai vers votre maison.

Lorsque je frappai, tu vins m'ouvrir tout de suite, à croire que tu attendais devant la porte... J'avais encore un peu la tête dans les nuages, mais tu me ramenas bien vite sur terre. Tu semblais d'excellente humeur, et ça me faisait chaud au cœur de voir que tu avais retrouvé un semblant de sourire, toi qui semblais si renfermé la dernière fois que nous nous étions vus.

Tu m'expliquas que ta mère n'était pas là ce soir car elle était partie dîner chez une amie qu'elle n'avait pas vue depuis un petit bout de temps.

– Tu lui passeras le bonjour de ma part alors...

– Oui oui, ne t'inquiète pas, bon, si tu veux elle nous a préparé de quoi manger, tu veux qu'on dîne dès maintenant ? Il est déjà dix-neuf heures quarante-cinq...

– Pas de problème, tu as l'air d'avoir faim alors faisons ça !

Nous sortîmes les différentes gourmandises que ta mère avait préparées. Il y avait des samoussas, des mini pissaladières, des nems, et d'autres délices. Nous installâmes tout cela sur la table qui se situait dans ton jardin, et nous nous assîmes. Nous dégustâmes tout ces délices en discutant.

– Tes parents sont là ou les filles sont toutes seules chez toi ? me demandas-tu.

– Ma mère est là et mon père bosse, répondis-je.

Tu semblas pensif un instant.

– J'ai l'impression qu'il travaille beaucoup ton père, je me trompe ?

Je haussai les épaules, comme si ça ne m'importait pas mais la vérité, c'est que mon cœur se serra.

– Il part à dix-huit heures environ, juste avant que maman rentre... Et il rentre vers sept heures... Avant que maman parte. Et l'été, pendant les vacances de maman... Oui, il bosse beaucoup. Il bosse plus.

Tu hochas la tête, ne sachant quoi ajouter.

– Ça fait quand même de gros horaires, me dis-tu de ton accent chantant.

– Il ne bosse pas tant que ça... Disons qu'il passe surtout beaucoup de temps hors de son travail... à faire autre chose quoi.

Je baissai les yeux sur ma pissaladière, ne souhaitant pas continuer sur le sujet. Tu me lanças un regard curieux mais ne dis rien. Tu te contentas alors de changer de sujet.

– Tu te rappelles l'échelle qu'on t'avait empruntée ?

Je te jetai un regard curieux et acquiesçai, t'encourageant à poursuivre.

– Tu veux que je te montre à quoi elle a servi ?

– Oh, oui pourquoi pas !

Nous nous dépêchâmes de terminer notre repas. Tu ne m'en dis pas plus, ce qui accentua ma curiosité. Alors une fois notre ventre rempli, je me dépêchai de t'aider à nettoyer et ranger la vaisselle qui avait servie pour le repas et je te suivis vers l'étage où tu te dirigeais.

Nous montâmes les escaliers quatre à quatre, puis tu poussas la porte de ta chambre et m'invitas à y entrer. Mon regard se perdit à nouveau dans tous les objets dont elle était surchargée. Les livres, les couvertures, et puis cette galaxie, sur ton mur, faites de posters et d'étoiles en plastique s'allumant dans le noir, dans laquelle j'aurais pu plonger et me noyer.

– Viens, suis moi...

Tu tenais une longue vue dans ta main. Je te vis escalader le rebord de ta fenêtre, et disparaître.

Je m'approchai prudemment de la fenêtre et jetai un regard vers le sol. Tu n'y étais pas. Alors comme toi, j'escaladai le mur, passai par la fenêtre, et une fois debout, les pieds sur l'encadrement je te vis. Alors je me hissai sur l'unique partie du toit qui était plate, au dessus de ta chambre, et m'assis à côté de toi.

Je me rendis compte que le soleil avait déjà décliné et que bien qu'il ne fisse pas encore totalement nuit, quelques étoiles commençaient déjà à scintiller dans le ciel.

Je baissai les yeux vers toi. Tu étais en train de regarder à travers ta longue vue. Alors j'attendis que tu parles, dans un silence religieux, conscient que tu étais le maître de cet endroit.

– Vu vois, on a fixé le trépied du télescope au toit, comme ça, je n'ai plus qu'à le mettre dessus pour pouvoir observer les étoiles dans des conditions idéales dès que j'en ai envie. Regarde.

Tu t'éloignas alors de la lunette et me la désignas. Je me penchai, et je vis alors la lune, la moindre de ses aspérités, comme si j'y étais, et cela m'émerveilla.

– Ça fait longtemps que tu t'intéresses aux étoiles ? te demandai-je en chuchotant, comme si c'était le plus grand secret de l'univers.

– C'est comme si c'était depuis toujours, me répondis-tu au bout de quelques secondes de réglages.

L'immensité au dessus de nos têtes nous forçait à murmurer. Nous n'étions rien. Pas même une étoile.

– Et au Portugal, les étoiles elles sont belles ?

Tu relevas la tête vers le ciel, et fixas ces petits fragments de diamant quelques instants. Ton regard se voila d'une douce mélancolie, et d'autre chose, de beaucoup lus fort. Puis, tu murmuras :

– Là-bas, il y a la plus belle des étoiles.

Je ne sus comment interpréter cette phrase, alors je laissai le silence nous envahir, quelques secondes plus tard, tu repris :

– Je la connais depuis toujours. On a grandi ensemble. Elle est magnifique si tu la voyais...

Ton regard semblait si triste. Je ne dis rien.

– On a appris la galaxie ensemble. Les constellations...

Et ton regard se perdait dans les étoiles.

– Je lui ai promis que quand je rentrerai nous resterons ensemble pour toujours... mais en attendant... Il faut que nous patientons, la vie est ainsi faite... Mais je sais que chaque soir, elle regarde les mêmes étoiles que moi...

Je me laissai gagner par ton affliction poétesse, tu semblais si triste, tu étais si amoureux. Tu regardais les étoiles, et elles se reflétaient dans tes yeux comme une millier de larmes d'argent.

– Tu sais, son anniversaire, c'est le douze août, c'est le jour des perséides. Ce jour-là, il pleut des étoiles filantes... Je lui ai promis qu'à chacune d'elle je ferai le vœux que nous nous retrouvions vite...

Je souris légèrement, envahi par toute la tendresse et l'amour qui transpirait de tes mots. L'espoir.

– Et toi ? me demandas-tu au bout d'un moment, tu as une étoile.

Je haussai les épaules, timide tout-à-coup.

– Tu sais, repris-tu, je crois que ma sœur t'aime vraiment bien, et tu es quelqu'un de bien...

Tu n'avais pas besoin d'en dire plus, j'avais compris. Nous échangeâmes un regard. Tu me souris, je te souris. Ma sœur m'a toujours dit que les véritables amis sont difficiles à trouver, et impossibles à oublier. Et tu étais probablement de ceux-là. Arrivé par hasard, et je peux maintenant te dire que ce jour-là, j'eus la certitude que jamais je ne t'oublierais...

On finit par redescendre du toit. Le froid avait fini par avoir raison de nous, et en plus, maman m'avait demandé de ne pas rentrer trop tard. Je t'aidai à démonter ton télescope et nous descendîmes du toit.

Je t'aidai à nouveau à ranger les deux trois trucs que nous avions dérangés, puis, tu me raccompagnas jusqu'à la porte d'entrée.

– À bientôt, me dis-tu, et puis dis moi, si jamais t'as besoin de conseils pour... fin tu vois ce que je veux dire.

Je hochai la tête, un peu mal à l'aise, et mon œil gauche se mit à cligner.

Un dernier signe de tête, et nous nous quittâmes.

Je traversai la rue rapidement et frappai à ma maison, avant d'ouvrir la porte et rentrer. Ma mère était assise dans le canapé, le nez dans la paperasse. Une émission de cuisine passait à la télé mais elle ne semblait pas avoir du tout son attention focalisée là-dessus.

– Je suis rentré, chuchotai-je afin de ne pas réveiller les filles.

Ma mère leva les yeux de son ordinateur et me sourit.

– Tu as passé une bonne soirée mon grand ?

– Oui, c'était sympa, Angel est vraiment très gentil.

Un instant je revis dans mon esprit le regard doux avec lequel tu me regardais, ta bienveillance, et aussi cette extrême sensibilité qui était bien tapie au fond de toi, à l'abri de tout.

– Tu as vu sa maman ?

– Non, elle était chez une amie je crois. Et toi, tu as passé une bonne soirée ?

Elle haussa les épaules. Ça avait dû être une soirée comme chacune de celles qu'elle passait depuis quelques années maintenant.

– Les filles sont montées, je ne pense pas qu'elles dorment, elles doivent probablement discuter, mais évite de faire trop de bruit quand même...

Je hochai la tête et embrassai rapidement maman avant de monter les escaliers. Je croisai ma sœur, se rendant aux toilettes. Je lui souhaitai bonne nuit.

Puis, j'allai frapper à la porte de sa chambre.

– Oui ?

J'ouvris juste assez pour passer ma tête dans l'entrebâillement de la porte.

– Bonne nuit Eleanor.

– Bonne nuit Morgan.

Je refermai la porte. Puis, je me couchai.

J'entendais les filles discuter à côté, sans réussir à saisir le moindre de leur mot, mais cela ne m'empêchait pas de me laisser bercer par leurs douces voix.

Et je repensai à tes étoiles, celles dans le ciel, celles dans tes yeux, et celle qui t'attendait là-bas, au Portugal.

Et je m'endormis en pensant à toi, Angel.

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Et hop ! Un nouveau chapitre !


J'en profite pour sérieusement vous inviter à aller lire ma nouvelle Suzanne qui vient de remporter la première place d'un concours de nouvelles. Peut-être qu'elle pourrait vous plaire ?

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