8 jours après
Eleanor et Louise Da Costa étaient arrivées un peu plus tôt. Mon père n'était pas là, ce qui m'enlevait un poids conséquent. Maman avait tout préparé pendant la matinée entière. Elle avait l'air préoccupée, ça faisait un moment qu'elle n'avait pas passé autant de temps derrière les fourneaux.
On s'installa à table, dehors. J'étais encore bien fatigué. Lola avait l'air plus détendue que la veille, et dès que nous nous croisions, nous échangions le même regard complice que celui que nous avions étant petits. Pendant la nuit, je m'étais résolu à une chose : je ferais tout ce que je pourrais pour la protéger. Coûte que coûte. Envers et contre tout.
Le repas passa dans le calme. C'était dingue comme la vie continuait. J'avais l'impression que ce jour était hors du temps. Il faisait beau, mon père n'était pas là, Eleanor lançait parfois des petits sourires, et voir ses fossettes se creuser suffisait à réchauffer mon cœur, et accélérer imperceptiblement ses battements.
Je sais, ça peut paraître con. Parce que dans le fond nous ne nous étions presque jamais embrassés. Parce que dans le fond, je ne la connaissais pas tant que ça. Mais je savais qu'elle était intelligente, probablement bien plus que moi. Je savais qu'elle me plaisait, que j'étais amoureux de sa silhouette qui se dessinait à l'horizon quand elle me doublait à vélo, que j'adorais son rire, et ses tâches de rousseur. Je savais qu'elle suffisait à égayer mes journées et à me faire sourire.
À la fin du repas, ta sœur et Lola discutaient. Elles avaient toutes deux des tics de langage ou des réflexions que tu aurais typiquement eus. Je ne savais pas si c'était parce que c'était un moyen pour elles de continuer à te faire vivre à travers leurs mots, ou si je n'avais juste jamais remarqué avant. En tout cas, cela me fit ressentir une drôle d'émotion. Entre la nostalgie, une douce quiétude, et une angoisse profonde à l'idée que ce ne soit là tout ce qu'il nous restait de toi.
Je les observais, encore et encore toutes les deux, tâchant de graver le moindre détail de leurs sourires, de leurs mimiques, de leurs regards, dans mes souvenirs. Peut-être était-ce la première fois que je me rendais compte que tous ces petits instants avaient une si grande valeur... Peut-être que pour la première fois en une vie, je me rendais compte que tout n'était pas acquis, qu'elles pourraient très bien disparaître du jour au lendemain, et qu'il n'était finalement pas si inutile que ça d'enregistrer ces détails pouvant paraître insignifiants.
Je m'éclipsai rapidement. Cela faisait quelques jours que je n'avais pas touché à mon appareil photo, mais je pressentais que c'est instant-là méritait d'être immortalisé. Je voulais capturer ces sourires échangés, ces regards qui pétillaient. Je voulais capturer cette oasis de bonheur perdue au milieu du désert de douleur dans lequel chacun de nous était plongé.
Je voulais capturer cet instant où, sortant notre tête de l'océan, nous reprenions notre souffle, cet instant qui semblait si normal que tu aurais pu débarquer vers nous d'un instant à l'autre, nous racontant qui tu avais croisé dans la ville, nous souriant de toutes tes dents.
Tu aurais rapidement ébouriffé les cheveux de ta sœur, puis tu aurais passé un bras autour des épaules de ta mère pour l'embrasser délicatement sur la joue. Elle t'aurait fait un sourire rayonnant. Ensuite, tu m'aurais salué en posant une main sur mon épaule comme tu le faisais toujours et enfin, tu te serais assis à côté de Lola, en face de moi, et tu aurais fait une blague à ma sœur qui aurait levé les yeux au ciel avec un faux air ennuyé. Tu aurais rigolé, mais je n'aurais pas écouté la vanne car j'aurais été trop occupé à entremêler mes doigts à ceux d'Eleanor, échangeant un regard complice avec elle tandis que ses pommettes auraient légèrement rougi.
Une fois arrivé dans ma chambre, sortant de ma rêverie, j'attrapai mon appareil photo. J'en sortis la carte mémoire pour la remplacer par une autre, et redescendis dans le jardin où les filles étaient toujours en train de discuter. Je prenais des photos. De loin. Comme spectateur de la scène. Je les regardais, avec bienveillance, avec un peu d'envie aussi. Je n'arrivais pas à me détacher de tout ce que tu aurais fait si tu avait été là. Cela m'empêchait sérieusement de profiter de l'instant. Mais ma position d'observateur et de conservateur de souvenirs me convenait grandement. C'était déjà bien assez douloureux comme ça.
Puis Eleanor me rejoignit pendant que Lola prenait un bouquin et se mettait à lire au soleil, et pendant que nos mères continuaient à discuter à table. Nous parlâmes de tout, de rien, puis de photos. Je lui racontai comment la passion pour la photographie m'était venue – elle avait toujours été là – puis je lui relatai mon fort intérêt pour le sport mais cela sembla provoquer chez elle un profond désintérêt. Alors je revins sur la photographie, je donnai de multiples détails sur mes clichés, sur les photographes que j'aimais, et sur ceux qui m'inspiraient. Bien qu'elle ne semblât initialement pas si intéressée que ça, son regard fini par se teinter d'une curiosité et d'autre chose aussi que je ne lui avais vu qu'en de rares occasions.
Nous montâmes dans ma chambre pour que je lui montre certaines des photos dont je lui avais parlé. Elle me posa beaucoup de questions. Cela me fit encore plus parler que je ne le faisais déjà. Elle avait un sourire extrêmement doux aux lèvres, et elle semblait me regarder comme on regarde un enfant qui nous attendrit.
Puis elle m'embrassa.
Ce fut comme une bouffée d'oxygène.
Ce ne fut pas un baiser endiablé, ce fut simple, doux, et aérien. Ses lèvres frôlèrent à peine les miennes. Je fus surpris, et nerveux tout-à-coup. Mon œil gauche se mit à cligner. Toujours le gauche. Mais j'avais envie de sentir à nouveau ce doux contact sur mes lèvres. Alors lorsqu'elle se rapprocha de moi et lorsqu'elle passa un bras autour de mon cou pour me rapprocher d'elle, je posai les mains sur sa taille, et la serrant contre moi, je l'embrassai.
Le contact de nos lèvres se fit plus charnel. Et tout-à-coup, j'eus envie de plus. Je savourais chaque instant, comme goûtant à un fruit interdit. Je profitais du son de ses soupirs lorsqu'elle reprenait sa respiration. Je goûtai à la peau de son cou, à la peau de sa clavicule. Je goûtai au goût de ses lèvres sur les miennes et de sa langue mêlée à la mienne.
Parfois nous échangions un regard. Alors nous doigts s'entrelaçaient, et nous restions ainsi, quelques instants, jusqu'à ce que la danse reprenne.
Mes doigts finirent par rencontrer sa peau. Juste entre le bas de son haut et la ceinture de son short. Nous échangeâmes un regard, et doucement, elle guida ma main sous son tee-shirt. Alors ensuite, je continuai seul tandis qu'elle découvrait ma peau à moi.
C'était lent, c'était puissant. C'était quelque chose que je n'avais jamais ressenti pour personne avant. Comme quelque chose de si puissant, tout au fond de moi, qui se préparait à éclore. Je voyais ses lèvres rougies, j'entendais son souffle haletant, et la seule chose à laquelle je pouvais penser c'est que j'en voulais encore plus. Toujours plus.
Son téléphone sonna.
Elle sursauta, moi aussi.
Nous échangeâmes un regard un instant. Elle regarda l'écran, remis son tee-shirt, et décrocha. J'entendis une voix d'homme à l'autre bout du fil. Lorsqu'elle l'entendit, son regard s'illumina.
Elle sortit alors de la chambre sans un regard pour moi.
Je remis mon tee-shirt, passai une main dans mes cheveux.
Ils commençaient à être longs, il faudrait que j'aille me les faire couper rapidement.
Je laissai mes yeux se promener sur ma chambre autour de moi. Je rangeai deux trois trucs. Je me rassis sur mon lit. Je me relevai. Je refis bien mon lit dont les draps avaient été dérangés. Je me rassis. Mon œil gauche clignait. J'ouvris la fenêtre, me rendant soudain compte de la chaleur étouffante qu'il faisait dans ma chambre.
Eleanor, elle était sur le pallier, et bien que sa voix soit étouffée par ma porte fermée, je l'entendais parler vite, en portugais.
Je tâchai pendant les quelques dix minutes qui suivirent de me poser l'esprit, et de m'occuper à quelque chose, mais je n'y arrivais pas. Je ne cessai de repenser à sa beauté, à ses mains sur mon torse, et à mes lèvres dans son cou.
– Désolée, c'était mon père.
Je sursautai lorsqu'elle entra, sortant soudainement de mes pensées. Elle n'osait pas me regarder dans les yeux, je n'osais pas vraiment non plus la regarder. Alors nous restions comme ça.
Puis je pris sa main dans la mienne, et me disant que j'aurais tout le temps pour réfléchir une fois que j'aurais parlé, je lui demandai :
– Eleanor... Tu me plais beaucoup, je voudrais savoir si tu voudrais bien être ma petite-amie ?
Un éclat d'inquiétude passa dans ses yeux, mais il fut bientôt remplacé par l'éternelle lueur de douceur et de quiétude qu'il y avait.
– Oui.
Elle rougit, et ce rougissement fit accélérer les battements de mon cœur bien plus que quoi que ce soit ne l'avait déjà fait accélérer jusque là.
Je la pris dans mes bras, et posai mon menton au somment de son front. Combien de temps restâmes-nous ainsi ? Dix minutes ? Trente ? Une heure ? Je ne saurais te le dire. Mais je sais que ce fut l'un des plus beaux instants de ma vie. Je profitais de son odeur, les yeux fermés. Je m'en imprégnais.
Nous finîmes par nous allonger l'un contre l'autre, sur mon lit. Mes doigts jouant avec quelques unes de ses mèches de cheveux.
Puis on entendit les escaliers craquer, signe que quelqu'un montait, et je reconnus la démarche de ma sœur. Nous ne bougeâmes pas, elle frappa à la porte. Je lui dis qu'elle pouvait entrer.
– Eleanor, ta mère m'a envoyée te dire qu'elle rentrait et que tu pouvais rester si tu voulais mais que tu ne devais pas rentrer trop tard.
Eleanor se releva, et s'assit sur mon lit tandis que je restais allongé, une main négligemment posée sur sa taille.
– Je vais y aller, si ça ne vous dérange pas... Passer un peu de temps avec elle, ça fait longtemps.
Je hochai la tête, puis l'attirai à moi pour que nous échangions un baiser, avant qu'elle sorte de ma chambre en nous faisant un clin d'œil et un petit signe de la main.
Je descendis saluer ta mère. Elle avait le regard triste. Je crois qu'être chez vous lui rappelait que tu n'étais pas là. Mais je savais qu'Eleanor était là pour elle. Ça me rassurait un peu je crois, de ne pas les savoir seules.
Après, j'aidai ma mère à remettre en ordre la maison et à laver la vaisselle. Nous décidâmes que nous mangerions devant la télé le soir-même. Aucun de nous n'avait envie qu'on soit tous les trois autour d'une table, à se regarder en chien de faïence sans que personne ne dise quoi que ce soit. Cela était bien trop gênant.
Alors après avoir fini de tout ranger, je montai, et je m'appuyai à l'embrasure de la porte de la chambre de Lola. Elle était allongée sur le ventre, sur son lit, et pianotait à une vitesse folle sur son téléphone, un sourire aux lèvres.
– Alors ce bouquin, dis-je en lançant un regard au livre qu'elle lisait pendant l'après-midi, c'était bien ?
Je ne doutais pas qu'elle l'eut fini. Ma sœur lisait à une vitesse folle quand un livre lui plaisait, et étant donné qu'encore une fois, c'était un bouquin de science-fiction, cela avait probablement dû beaucoup lui plaire.
– Hmmm, c'est pas mal, dit-elle en posant son téléphone, les personnages manquaient un peu de profondeur à mon goût, mais dans l'ensemble ça m'a beaucoup plu.
Je hochai la tête. Je me doutais qu'il allait lui plaire.
– Et toi ? Cet après-midi a-t-il été... concluant ?
Je passai la main sur ma nuque, un peu mal-à-l'aise.
– Il se peut bien que oui...
Elle se mit alors tout-à-coup à sauter dans tous les sens, complètement surexcitée.
– C'est vrai ? Raconte moi tout ! Du coup vous êtes ensemble ? Ça s'est passé comment ? C'est toi qui lui as demandé ou c'est elle qui a demandé ?
Je levai les yeux au ciel comme si toutes ses questions m'ennuyaient, alors qu'en réalité son enthousiasme me touchait profondément.
– Eh bien... C'est moi qui lui ai demandé...
Ma sœur se mit à applaudir. J'omis volontairement quelques détails.
– Et elle a dit oui ?
Je levai les yeux au ciel à nouveau.
– Bien sûr qu'elle a dit oui !
Elle poussa un petit cri et se mit à applaudir de plus belle. Cela me fit rire et je la regardai ainsi, un sourire dans les yeux, jusqu'à ce qu'elle se calme.
– Et toi, lui demandai-je avec un sourire espiègle, à qui parlais-tu lorsque tu souriais devant ton écran... ?
Elle se mit à rougir violemment.
C'était la première fois que je la voyais autant rougir.
Elle eut un rire nerveux. Elle passa une main dans ses cheveux, comme pour les recoiffer.
– C'était personne...
Je la poussai en arrière et nous nous retrouvâmes allongés sur son lit, côte à côte, tous les deux sur le dos.
– Aller, lui dis-je sur le ton de la confidence, raconte tout à ton grand frère Morgan.
Elle gloussa légèrement et je compris que ce rire était lié plus à de la gêne qu'autre chose.
– Peut-être que je parlais effectivement à quelqu'un qui me plaisait...
Je sentis qu'elle se tendait alors je lui pris la main, et les yeux toujours fixés sur le plafond de sa chambre je la relançai :
– Et... ?
Elle déglutit.
– Il se peut que ce soit une fille.
Je m'appuyai sur mon coude afin de pouvoir observer son visage. Elle détourna les yeux et fixa ses posters de Bob Marley sur le mur en face d'elle.
– Désolée, murmura-t-elle.
– Euh... Désolée de quoi ?
Elle se tourna vers moi.
– Je... Ça ne te dérange pas ?
Je me rallongeai à côté d'elle. Nous étions maintenant tournés l'un vers l'autre.
– Bien sûr que non que ça ne me dérange pas, lui répondis-je en riant.
Elle eut un petit rire elle aussi.
Je me levai alors dans sa chambre, et imitant ses mots de quelques minutes plus tôt, je lui dis :
– Par contre je veux tout savoir : comment elle s'appelle, comment vous vous êtes rencontrées, si tu savais déjà avant que tu aimais les filles etc. Raconte moi tout ! Du coup vous êtes ensemble ? Ça s'est passé comment ? C'est toi qui lui as demandé ou c'est elle qui a demandé ?
Elle rigola et eut les larmes aux yeux un instant. Alors elle se mit debout et vint se blottir dans mes bras. Je la serrai à mon tour contre moi. Puis elle s'assit en tailleur sur son lit et je m'assis à côté d'elle contre la tête de lit, et elle me raconta tout.
– Je la connais de mon cours de danse. Au début on ne se parlait pas trop mais malgré tout on s'entendait bien. Puis un jour on a dû préparer une choré ensemble, alors on a commencé à plus se parler. Elle a l'âge d'Eleanor, donc un an de plus que moi. Et puis on s'entendait vraiment bien. On est allées se balader deux trois fois en ville ensemble après le cours de danse, elle était vraiment sympa.
Je souris, en voyant son enthousiasme. Elle ne m'avait jamais parlé de cette fille, mais je sentais bien, dans l'intonation de sa voix, qu'elle tenait beaucoup à elle, et qu'elle avait beaucoup de respect pour elle.
– Et puis... Je savais déjà que je pouvais aimer les filles, dans le sens où je n'ai jamais fait de distinction entre filles et garçons tu vois ? Juste j'ai toujours pris les gens que j'aimais comme ils étaient.
Je hochai la tête.
– Alors, ouais, elle me plaît. Et je sais qu'elle est lesbienne, alors ça pourrait marcher tu vois...
J'acquiesçai.
– C'est trop mignon, lui soufflai-je.
– Tu crois que je pourrai lui proposer de venir un de ces quatre à la maison ?
– Bien sûr !
Elle rougit légèrement en souriant et en me lançant un « merci ».
– Tu sais... Il y a peu de gens qui sont au courant, dit-elle dans un murmure, le seul qui le savait jusque là, c'était Angel. Comme toi, il m'avait surprise en train de lui parler. C'était à la fête, tu sais, là où tu avais dansé avec Eleanor ? Enfin bref, et du coup il m'avait dit que je devrais t'en parler. Que ça te ferait plaisir de le savoir, et que tu pourrais peut-être me filer un coup de main pour me rapprocher d'elle.
Je hochai la tête. J'étais partagé entre la jalousie car elle t'en avait parler avant de m'en parler à moi, et la gratitude à ton égard car tu lui avais permis de s'ouvrir un peu, et dieu seul sait comme le regard complice qu'elle me jeta lorsque son téléphone vibra à nouveau était beau à voir.
Alors tout le reste de l'après-midi, jusqu'au repas, elle me montra des photos, me raconta des anecdotes. Nous rîmes beaucoup.
Cette fille qui lui plaisait, elle s'appelait Hannah. Elle avait l'âge d'Eleanor, et elle avait des yeux, une peau et des cheveux très très clairs. Sa silhouette était toute en longueur, presque maigre. Elle portait des lunettes, et souvent coiffait ses cheveux en deux tresses. Sur la plupart des photos, elle avait un trait (Lola m'apprit qu'on appelait cela de l'eye-liner) rose pâle sur sa paupière. Elle semblait sourire souvent. Elle semblait heureuse.
D'après Lola, c'était une fille extrêmement intelligente. Apparemment, elle était très gentille, mais sous son allure d'ange, elle était vite cynique, ironique, ou grande gueule lorsque quelque chose ne lui plaisait pas.
Je ne connaissais pas cette Hannah, mais je l'appréciais déjà.
Et je crois que toi aussi, Angel, elle t'avait plus lorsque Lola te l'avait présentée...
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