4 jours après

Il était deux heures du matin. Le ciel était dégagé, comme la nuit précédente, un silence assez inquiétant envahissait les rues de notre village. L'éclairage était éteint, et la lune seule, illuminait les maisons d'une lumière blafarde à travers les fins nuages qui parsemaient le ciel. Tout était très calme.

Eleanor nous rejoignit. Elle portait une épaisse polaire, et avait un sac à dos qui semblait rempli à ras-bord. Nous avions chacun accroché, au guidon de notre vélo, une lampe torche, en plus des phares déjà présents.

On se regarda un instant tous les trois dans les yeux. On savait. On savait que nos parents ne nous pardonneraient jamais. Mais on avait besoin d'y croire. On avait besoin de se dire que tu étais toujours là, quelque part dans ce monde, à attendre que l'on vienne te chercher, à partir retrouver celle que tu aimais...

Nous étions persuadés de cette illusion, qui nous criait d'y aller, de parcourir les routes et les champs pour te rejoindre, pour à nouveau pouvoir rire et sourire, insouciants que nous avions étés.

On rêvait de ces instants heureux, qui nous avaient bercés dans leur candeur et leur gaieté, nous étions persuadés que nous les retrouverions un jour ou l'autre, et nous avions besoin de nous dire que tout n'était pas fini et que ce petit espoir qui résidait en nous était bien plus qu'un simple pressentiment nous poussant faire un choix que nous regretterions probablement.

Nous voulions y croire.

Alors nous donnâmes le premier coup de pédale, et ainsi, nous partîmes te retrouver, nous partîmes à la recherche de ces jours heureux.

Les trois premières heures, nous nous arrêtions souvent, comme si nous n'y arrivions pas. Comme si quelque chose nous retenait. La peur sûrement, ou la culpabilité, celle de nous dire que nos parents ne nous pardonneraient probablement jamais. Je ne sais pas. Mais nous faisions souvent des pauses.

Dans ces moment-là, personne ne parlait. Tout était baigné d'un silence inquiétant, pesant, un silence témoin de notre peine, de notre affliction, de ce qui nous poussait, coûte que coûte, à partir plus loin, à te chercher jusqu'au plus profonds recoin de la Terre, voire même sur chaque planète que tu aimais tant observer pendant les nuits d'août...

Nous ne voulions nous dire que tu pouvais ne plus être. Tout simplement.

Nous roulâmes ainsi pendant plusieurs heures. L'air était froid dehors, et malgré cela, mes pensées n'arrivaient pas à se taire.

Je pensais à Eleanor.

Elle était juste devant moi. Je voyais sa silhouette emmitouflée donner des coups de pédale rageurs pour avancer. Elle semblait désespérément triste. Comment ferait-elle si nous ne te retrouvions pas. Comment ferait-elle sans son grand-frère ? Elle qui avait dû vivre loin de toi si longtemps, et qui avait, dans son regard, tant de bienveillance à ton égard, que mon cœur s'en serrait chaque fois. Comment ferait-elle, si tu n'étais plus là, si tu ne pouvais plus lui tendre la main lorsqu'elle tombait, ou si tu ne pouvais plus réparer son cœur lorsqu'un garçon le lui briserait ?

Comment ferait-elle ?

Et puis, je l'observais, devant moi, si forte, sportive, musclée, et je me disais que ce corps de femme cachait une âme d'enfant. Je le sentais. Elle cachait cette faille au plus profond d'elle. Mais ne voulait pas qu'on l'aide. Paradoxalement, cela la rendait intrigante, alors qu'en réalité, elle semblait surtout extrêmement fermée sur elle-même...

Doucement, alors que mon ventre commençait à grogner et que je songeais à ce qu'on s'arrête pour manger un peu, je vis les champs autour de nous se colorer d'une magnifique couleur orangée.

Lola ralentit, et Eleanor derrière elle en fit de même. Les nuages se coloraient de rose, de violet, de orange, de bleu. C'était magnifique.

– Angel détestait l'aurore.

La phrase d'Eleanor, bien que prononcée à voix basse, claqua dans l'air et nous fît l'effet d'une gifle. Le lever de soleil sembla tout à coup bien plus inintéressant, bien plus fade, et même terriblement risible. Pourquoi tout le monde l'admirait hein ? Pourquoi ? Après tout, c'était quelque chose de banal, de bien antérieur à nous, et qui continuerait alors même que l'humanité se serait éteinte.

Elle a parlé au passé.

J'avais la certitude que tu étais encore là. Alors pourquoi parlait-elle de toi au passé ? Pourquoi faisait-elle comme si tu n'étais plus là ? L'avait-elle senti déjà ?

– Pourquoi ? souffla Lola.

Eleanor laissa son regard se perdre dans le paysage. Nous nous étions arrêtés, tous les trois côte à côte, et nous avions tous le regard perdu dans le paysage en face de nous.

– Parce que lorsque le soleil se lève, les étoiles disparaissent, et alors la vie reprend son cours. Il disait toujours que pendant la nuit, c'était comme si plus rien n'avait d'importance, comme si le temps s'arrêtait. On est si petit sous les étoiles, si insignifiants. Ça fait du bien, souvent...

Je hochai la tête. Oui, ces mots auraient pu être tiens. Après tout, tu n'avais jamais vraiment l'air à ta place, le jour...

Nous grignotâmes des gâteaux sous-vide qu'Eleanor avait emmenés. Ça ne cala pas vraiment pas la faim, mais nous devions avancer. Il était encore très tôt. Quand Maman et ta mère se lèveraient, toutes deux paniqueraient, et alors nous devrions les rassurer. Nous devions, en attendant, avancer le plus possible.

Nous soufflâmes encore quelques minutes. Lola dormit quelques minutes, et Eleanor resta concentrée sur le paysage. Ses yeux semblaient brillants, humides, son visage était fermé, et tout ce qui émanait d'elle était la douleur profonde qui l'envahissait, tristement.

Je m'approchai d'elle, et passa un bras autour de ses épaules. Elle se lova alors contre moi. Ses bras entourèrent ma taille, et nous restâmes ainsi quelques minutes.

Lola se réveilla, Eleanor me fit un bisou au coin des lèvres, et chacun reprit son vélo pour repartir.

Les heures filèrent ainsi. Nous roulâmes toute la journée, faisant tout de même de régulières pauses. Ma mère m'envoya un message à dix heures, me disant que nous étions partis faire du vélo avec Eleanor, elle me demandait si on avait pris un pique-nique ou si on comptait rentrer pour midi.

Mon cœur se serra. Je savais qu'elle ne me pardonnerait jamais, mais nous avions besoin de ça, nous avions besoin de croire un instant que cela n'était jamais arrivé, que nous ne rentrerions jamais de cette parenthèse, de cette excursion, et que simplement nous te retrouverions dans cet endroit ensoleillé où nous te croyons partis. Mais dans le fond, nous savions. Nous savions déjà que nous ne te reverrions plus. C'était ainsi.

Alors nous nous éloignons, le plus vite, le plus rageusement de cet endroit qui nous liait à toi. Mais malgré tout, tu étais toujours là, dans nos pensées, dans nos sourires.

À chaque fois que nous nous arrêtions, nous parlions de toi. Et je me rendis compte que même si cela ne faisait pas très longtemps que vous aviez tous les trois emménagé en face de chez nous, je ne voyais plus un monde sans vous. Je ne voyais plus un monde où vous ne nous enverriez pas de selfies de nous quatre après nos excursions, je ne voyais pas un monde où on se ne retrouverait pas au retour de nos vacances en Bretagne, pour nous raconter tout un tas d'anecdotes.

Alors Eleanor parlait de toi. Elle nous racontait comment, enfant, tu avais une passion pour les animaux, elle nous racontait vos étés au Portugal, vos appels en facetime quand elle était en France et toi au Portugal... Elle parlait de toi au passé.

Car probablement que nous savions déjà, à ce moment-là, que nous ne te reverrions plus, que les étoiles étaient tombées, et que plus rien n'arriverait à te ramener auprès de nous. Mais c'était ainsi. Il fallait que nous essayions.

Nous arrivâmes vers dix-neuf heures dans un petit camping. Lola avait pris une tente dans notre garage, et la déplia rapidement. Nous mangeâmes des sandwiches triangulaires achetés dans une petite supérette du coin. Personne ne parlait.

Puis Lola lança une vanne. Il me semble que c'était sur le fait que les sandwiches n'étaient vraiment pas bons. Je ne me rappelle plus vraiment, en fait.

Mais, sans savoir réellement pourquoi nous nous mîmes à rire aux éclats. Des larmes perlaient aux coins des yeux d'Eleanor, elle souriait, et je sentais toute sa peur, sa tristesse, sa détresse, transparaître à travers ce rire beaucoup trop fort, beaucoup trop amusé. Elle avait mal, Angel. Tellement mal. Mais malgré tout, je fis ce que je savais faire de mieux : je sortis mon appareil et pris des photos. Oh, elles sont magnifiques. Le regard brillant de larmes des filles, la petites lampe qui éclairait leurs visages en plus des rayons du soleil couchant, leurs sourires, et leurs regards complices.

Et puis, sur les photos, il y a ces fleurs, sur leurs pommettes. J'ai fini par m'y habituer, à voir des fleurs apparaître sur les visages des personnes que je prenais en photo. Elles reflètent ce que ressent la personne au plus profond d'elle-même au moment où la photo est prise.

Ce soir-là, Eleanor ressentait tellement de choses contraires... de la peur, de la tristesse, de la joie, de l'amitié, de l'amour...

Nous finîmes par éteindre la petite lumière et ranger nos affaires. Il fallait que l'on dorme. La route serait longue le lendemain.

Nous n'avions pris qu'un matelas deux places, sur lequel nous nous serrâmes pour dormir. Durant la nuit, Eleanor se lova contre moi, et je l'entendis pleurer. Je crois qu'elle avait peur pour toi. Tu étais tout son monde, tu étais son grand-frère.

Alors je me mis à me demander comment j'aurais réagi si cela avait été Lola à ta place, et je me rendis compte que je ne voulais pas l'imaginer.

Je ne voulais pas imaginer un monde sans elle. C'était trop dur. Alors à ce moment, je rendis son étreinte à ta petite-sœur, et je me dis que je ferais tout pour elle. Tout pour qu'elle retrouve son sourire et cette lueur dans ses yeux, celle pétillante et joyeuse qu'elle avait dans le regard le premier jour où nous nous étions rencontrés.

Je ne dormis pas beaucoup cette nuit-là. Perdu dans un village dont je ne me rappelle même plus le nom, je songeais. Je repensais à tous ces instants que nous avions partagés. Je repensais à ton regard lorsque tu parlais de cette fille... Alcinda, et je me demandais s'il y avait la même chose dans mes yeux lorsque je parlais d'Eleanor... Et elle avait-elle aussi cette étincelle ?

T'étais vraiment quelqu'un de bien. Sûrement quelqu'un de trop bien pour notre monde, Angel.

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Coucou à tous ! J'avance bien dans ma relecture ces derniers temps, et je suis heureuse de vous informer qu'il ne me reste plus que 10 chapitres à relire, ce qui signifie que, si tout va bien, l'histoire sera au complet sur Wattpad d'ici quelques jours.

J'ai pensé à quelque chose, et j'aimerais savoir ce que vous en penseriez :

Je voulais savoir si ça vous tentait que sur mon blog je vous fasse des articles dans lesquels je partage mon expérience d'écriture à la fois sur Wattpad, mais aussi en privé. Que je vous donne des conseils, et que je vous parle de la manière dont j'ai écrit certaines œuvres (une sorte d'analyse littéraire de mes propres écrits).

Vous seriez intéressés ?

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