2 jours après
Le treize août fût à nouveau un jour maussade. Il n'y eut pas de pluies diluviennes comme la veille, mais le ciel restait tout de même très couvert. Le village était totalement silencieux, et ma maison, elle aussi, était plongée dans un silence inhabituel, troublant. Le monde semblait comme au ralenti depuis la veille. L'attente l'allongeait, rendant la moindre seconde infinie, au bord de l'éternelle, comme si l'espérance de ton retour nous rendait tout-à-coup plus sensibles aux secondes et aux minutes qui s'égrainaient.
Ma sœur n'était pas à la maison, et Maman non-plus. Je fis ce constat lorsque je découvris le post-it laissé par Maman dans la cuisine, où elle nous informait, Lola et moi, qu'elle avait un rendez-vous ce matin, et donc qu'elle ne rentrerait que le midi. On ne devait pas l'attendre pour manger.
Ma sœur, elle, semblait s'être volatilisée sans laisser de trace, bien avant que quiconque ne soit levé. En remontant dans ma chambre, je l'aperçus à travers mon velux, assise sur la terrasse des voisins, avec Eleanor.
Au moins, je savais où elle était. Elle n'avait pas disparu.
Toute la matinée, je la passai à vaquer à mes occupations, aussi ennuyantes soit-elles, cherchant à tuer le temps comme je le pouvais.
Ne trouvant rien à faire, je finis par décider d'aller faire un tour en vélo, malgré le ciel toujours couvert.
Je commençais de toute manière à étouffer à l'intérieur. J'avais besoin d'air.
Je prévins rapidement mon père, occupé à somnoler dans sa chambre. Il ne me porta pas plus d'attention qu'habituellement. Après tout, ce n'est pas comme si tu venais de disparaître à vélo la veille-même... Il ne semblait même pas inquiet.
J'envoyai aussi rapidement un message à maman pour la prévenir, puis, je sortis.
Il faisait une chaleur lourde à l'extérieur. L'air était humide et lourd, comme avant un orage. En passant devant ta maison, j'aperçus les filles, toujours installées à l'extérieur, bavardant. Je les saluai donc rapidement. Puis, je repartis pour ma balade.
Le paysage ne m'avait jusque là jamais parut si morne, si monotone. Tout se répétait inlassablement, les mêmes plantes qui poussaient dans les champs gris, les mêmes nuages dans le ciel gris, les mêmes oiseaux et leurs ailes grises, un peu de gris mouvant dans tout ce gris immobile, comme un fragment de différence, de changement au milieu de cette monotonie.
Le seul bruit était celui des roues de mon vélo, sur la route abîmée, et celui du vent, qui soufflait dans mes oreilles, sans réussir tout de même à couvrir mes pensées. Le bruit de l'air sur l'asphalte.
Il n'y avait plus de rires, de railleries.
Où étais-tu ? Que faisais-tu ? Allais-tu bien ? Est-ce qu'un jour Eleanor retrouverait ce doux sourire qu'elle avait en te voyant ? Est-ce qu'on passerait à nouveau des soirées entières à discuter sur le toit de ta maison, sous les étoiles ?
Je n'en savais rien, et ces questions m'entravaient plus que jamais. Cette fois, même le sport n'arrivait pas à me vider la tête. J'étais dans une impasse, je ne comprenais pas pourquoi, ni comment tout avait pu basculer si vite...
Je rentrai un peu avant midi, juste en même temps que maman.
Nous étions tous les deux dans la cuisine lorsque mon père arriva.
– Bonjour, nous salua-t-il.
– Bonjour, nous répondîmes.
Maman gardait les yeux obstinément baissés sur les légumes qu'elle épluchait.
– Je suis passée au commissariat, murmura-t-elle soudain, ils n'ont toujours aucune trace d'Angelo.
Cela m'étonna que Maman connût ton véritable prénom. Néanmoins, mon père, lui, n'en sembla pas surpris. J'en déduisis donc que Louise leur en avait probablement parlé à un moment où je n'étais pas là, ce qui était fort probable.
– Des tonnes de gamins fuguent, et ils finissent toujours par revenir. Il ne sera ni le premier ni le dernier, lança mon père.
Maman leva son regard outré vers lui.
– Il a disparu comment peux-tu être aussi indifférent !?
Il haussa les épaules l'air de dire que ce n'était rien.
– Nous nous devons de nous inquiéter. Il passait tellement de temps avec les enfants, c'est normal que nous nous posions des questions. Et puis, si jamais il lui était arrivé quelque chose hein ?
Mon père haussa à nouveau les épaules avant de sortir. Nous entendîmes la voiture démarrer. Il ne rentrerait probablement pas avant demain matin.
Maman commença alors à pleurer. Elle pleurait souvent, ces derniers mois. Je ne savais pas quoi faire. Alors je me contentai de terminer le repas, puis, j'envoyai un message à Lola, lui demandant de nous rejoindre pour le déjeuner.
Elle me dit de ne pas l'attendre, qu'elle mangerait avec Eleanor. Alors nous passâmes à table, et mangeâmes, dans un silence religieux.
– Angel était comment à la soirée, dimanche soir ?
Je me tendis lorsque Maman prononça cette phrase.
– Il avait l'air plutôt en forme, répondis-je fouillant ma mémoire, enfin rien ne m'a choqué ou interpellé, c'est qu'il devait probablement être comme d'habitude. Il avait juste l'air un peu plus mélancolique que d'habitude.
Maman hocha la tête.
– Ça me ferait tellement mal au cœur qu'il lui soit arrivé quelque chose, c'était un garçon si gentil... Et puis comment vont faire Eleanor et sa maman...
Mon cœur se serra. Elle parlait de toi au passé. Elle t'enterrait avant même de savoir où tu étais.
Nous terminâmes le repas en silence, et l'après-midi se passa de la même manière : silencieusement.
Lola rentra vers dix-huit heures, et nous regardâmes les infos à la télé. Je n'étais pas particulièrement attentif. Toute ma concentration était axée sur la photo que j'étais en train de retravailler à l'ordinateur. Une magnifique photo d'Eleanor et Lola, à la soirée, quelques jours plus tôt.
Et puis, un reportage attira mon attention.
« Et comme chaque année à cette période, en ce treize août, vous pourrez admirer depuis n'importe où dans le territoire, de magnifiques pluies d'étoiles filantes à la tombée de la nuit. Voici donc un reportage à l'observatoire astronomique d'Hesloup, avec le professeur... »
Mon cœur se serra. Alors c'était ce soir-là ? C'était ce soir-là que tu aurais dû retrouver ta bien-aimée au fin fond de la galaxie ?
Comment appelais-tu les pluies d'étoiles filantes déjà ? Je me rappelais que c'était un joli mot... mais je n'arrivais plus à retrouver lequel... Je crus... Oui, c'était ça... Les perséides. Tu disais que c'était les « perséides... »
Je trouvais ce mot poétique, sa sonorité en tout cas l'était. Douce, feutrée. Mais ce jour-là, lorsque j'y pensais, il me paraissait plutôt doux-amer... Comme s'il reflétait ton absence... Tous ces souvenirs, ces bons souvenir avec toi, et puis, ta disparition, ton envol... Je ne savais pas où tu étais. Il n'y avait rien. Pas un mot, pas un indice, pas un souvenir de quoi que ce soit qui aurait pu me mettre la puce à l'oreille. Non, rien que le silence de ton absence, et toutes ces petites choses qui me faisaient sans cesse penser à toi, me rappelant ta présence, ton rire, lorsque tout allait encore bien, Lorsque nous étions encore tous les quatre...
Après manger, alors que j'étais allongé dans mon lit à observer le plafond, cherchant en vain le sommeil, j'eus une idée.
Il n'avait pas plu depuis le milieu de l'après-midi, et j'avais bon espoir que le temps restât ainsi. Je me levai alors, faisant attention à ne faire aucun bruit, et j'ouvris mon placard, espérant y trouver un pull bien chaud à enfiler.
Une fois cela fait, j'ouvris ma fenêtre, et comme tu me l'avais montré lorsque nous étions chez toi, je passai à travers, avant de me hisser sur le toit de ma maison. Les tuiles étaient encore mouillées des nombreuses averses qu'il y avait eu, mais je n'y fit guerre attention, préférant plonger mon regard dans l'immensité au dessus de moi.
Le ciel était beaucoup plus dégagé que durant la journée. Mis à part quelques nuages, on pouvait très aisément apercevoir la totalité des étoiles.
Je m'appuyai donc contre la pente du toit, et je commençai ma contemplation.
Il était à peine minuit, si bien que toutes les étoiles n'étaient pas encore apparues, mais il y en avais quand même beaucoup plus que ce que j'avais pu en voir en une vie. Elles scintillaient, irisaient le ciel, l'éclairant, le rendant éclatant.
Je cherchai des yeux, observant les moindres détails, les enregistrant dans mon esprit afin de ne jamais les oublier. Aurais-tu utilisé ton télescope, si tu avais été là ? Aurais-tu simplement regardé le ciel de tes grands yeux noisette ? Aurais-tu rêvé ? Aurais-tu fait un vœu ?
Ces questions tournaient dans ma tête tandis que je me laissai absorber par le paysage. Au loin, on pouvait apercevoir des fermes, au milieu des champs et des bosquets qui entouraient notre village. Certaines étaient éclairées, comme regorgeant de vie, d'autres étaient plongées dans le noir, austères et lugubres.
Je pouvais aussi apercevoir la rivière, qui, quand tu étais encore là, se teintait des plus belles nuances de orange et de rose au coucher du soleil, avant que les étoiles apparaissent.
Ce soir-là, la rivière était noire, et elle reflétait, étonnamment, les constellations. Elle était pigmentée de mille et une étoiles, qui scintillaient au fond de l'eau, et se reflétant dans sa surface. Cela éclairait les vieilles maisons en pierre, situées le long de l'eau. Au loin, aussi, je pouvais apercevoir le stade de roller, désert à cette heure-ci de la nuit.
Je me sentis seul, tout à coup, au milieu de tout ce silence. Je me sentis tout petit, tout-à-coup, sous cette si grande galaxie.
Et puis, mon regard fut attiré par un mouvement dans les étoiles, si rapide que je crus un instant de l'avoir rêvé, mais, quelques minutes plus tard, il y en avait un nouveau.
Les étoiles bougeaient.
Je me promis qu'à la prochaine, je ferais un vœu, moi aussi, pour que tu reviennes, et qu'on puisse de nouveau aller faire du vélo, avec les filles, passer des soirées tous les quatre, et s'amuser.
Et une nouvelle étoile passa. Alors je fis mon vœu.
Et puis, je me rendis compte que je commençai à avoir un peu froid. Je resserrai les pans de mon pull autour de moi, et je décidai de rester. Tant que j'étais ici, sous les étoiles, espérer que tu allais revenir, que nous allions te retrouver était beaucoup plus facile.
Tout-à-coup, je me pris à penser à ton amoureuse. Celle pour qui tu aurais dû venir voir les étoiles. Je me rendis compte que je ne savais finalement pas grand-chose d'elle. Comment s'appelait-elle ? Quel âge avait-elle ? Est-ce que tu la connaissais depuis longtemps ? Je n'en avais strictement aucune idée. Alors je me mis à imaginer.
Elle devait sûrement être très douce, et très gentille, comme tu l'étais toi-même. Sans vraiment savoir pourquoi, je l'imaginais brune, avec de longs cheveux qui descendaient en cascade jusqu'à sa taille. Ses yeux étaient probablement bruns, eux aussi, et elle devait être assez grande. J'imaginai que, lorsqu'elle parlait français, comme toi, elle avait cet accent chantant, si doux à l'oreille, qui nous transportait en quelques mots de l'autre côté de l'Europe.
Elle dansait sur un rythme de bossa nova, et son sourire, solaire, faisait apparaître le tien. Il y avait, entre vous, cette alchimie poétesse, cette complicité inégalable.
Je pensai que vous vous connaissiez probablement depuis très longtemps, et que, depuis toujours, lorsque tu l'apercevais, ton regard se remplissait de toutes les voies lactées du monde. Vous aviez grandi ensemble, vaincu toutes les tempêtes, surmonté tous les naufrages. Vous n'étiez rien l'un sans l'autre, comme deux moitiés d'une même entité. Elle était ton soleil, tu étais son étoile, et j'imaginai la douleur que ça avait dû être lorsque tu étais venu habiter en France.
Vous étiez comme connectés. Lorsqu'elle allait mal, même à plusieurs centaines de kilomètres, ton cœur se serrait. Elle ressentait la moindre de tes pulsations cardiaques, et alors, même avec la distance, vos deux cœurs battaient à l'unisson. Lorsqu'elle pleurait, tu récupérais les perles salées de ses larmes, et tu les envoyais dans l'espaces, former une nouvelle constellation.
Je vous imaginai, tous les deux allongés sur une plage, l'un à côté de l'autre, à parler des planètes, et à ne pas vouloir rentrer malgré le froid. Et bien que le lever du soleil ne fût que quelques heures plus tard, vous restiez ainsi, l'un contre l'autre, ensemble, amoureux.
Les étoiles filaient devant mes yeux. Et je repensais à tout ce que nous avions vécu, avec les filles, tous les quatre, depuis que vous étiez arrivés. Les balades en vélo, les sourires, les éclats de rire, les blagues.
Je repensai à ces soirées passées tous ensemble, où nous discutions jusqu'à pas d'heure, où nous dansions, où ton regard semblait me dire que tu m'appréciais.
Nous étions amis. Inséparables. En si peu de temps, nous étions devenu une véritable bande, une grande fratrie. Une bande d'amis, soudée. Tout cela m'avait parut si évident, si banal, que sur le coup, je ne mettais pas réellement rendu compte de la chance que nous avions, d'avoir cette insouciance, cette complicité tous les quatre. Je me disais toujours que nous nous reverrions le lendemain, que tout irait bien.
Et puis tu as disparu. Comme ça. Nous nous sommes réveillés, et tu n'étais plus là.
Tout-à-coup, ma tristesse, mon angoisse que tu ne rentres peut-être jamais, et la douleur, tout cela sembla déborder. Les larmes coulèrent. D'un coup, comme ça, sans prévenir. Les sanglots s'enchaînèrent, se succédèrent les uns aux autres, sans plus s'arrêter.
Je redescendis du toit, rentrai dans ma chambre. Mes yeux étaient toujours humides, mais mon cerveau me semblait si vide que j'avais l'impression de ne plus jamais être capable d'être triste.
Je me couchai.
À nouveau, je ne parvins pas à trouver le sommeil. Je gardai les yeux fixés sur le plafond au dessus de ma tête.
Reviendrais-tu, Angel ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top