19 jours après
J'étais rentré en fin de matinée de chez Léa et toi. Lola était surexcitée et dès le moment où j'avais passé la porte de la maison, elle m'avait sauté dessus pour me raconter comme s'était passé son rendez-vous de la veille.
J'étais d'excellente humeur, et son enthousiasme m'avait rendu d'autant plus heureux.
Tout allait pour le mieux.
Dans la journée j'avais échangé bon nombre de messages avec Eleanor. Elle aussi, semblait de bonne humeur ce matin, lorsque nous nous étions réveillés.
Nous avions déjeuné dans votre jardin, assis à même le sol, dans l'herbe, se partageant une baguette et un pot de confiture.
Puis j'étais rentré rapidement, et Maman m'avait très vite rappelé que je devais aller chercher mes livres de cours avec mon père l'après-midi même.
Bref, c'était une belle journée.
Maman m'avait dit que je rentrerais seul en prenant le bus puisque mon père devait se rendre au commissariat en fin de journée, et qu'en conséquent, il ne pourrait pas m'attendre au lycée lorsque je récupérerais mes manuels.
Ce n'était pas grave, Thomas prendrait sûrement le même bus que moi. Je pourrais lui demander comment ça allait, avec Alya.
Alors peu de temps avant le repas du midi, après avoir vérifié que j'avais tout ce qu'il me fallait pour aller récupérer mes livres, je vidai l'ensemble des photos de mon appareil photo. Les vacances touchaient à leur fin, et il était temps de faire un petit rangement.
Pendant une quarantaine de minutes, je triai. Et puis je me rendis compte qu'il n'y avait plus de fleurs, qui décoraient les visages comme autrefois. Il n'y avait plus rien : que de simples clichés un peu banals.
Que ce passait-il ? Je n'en savais rien.
Mais finalement, cela ne m'étonna pas tant que ça. Peut-être que c'était parce qu'après tout ce qui s'était passé, ce changement me semblait incroyablement futile, ou peut-être que c'était parce que j'avais grandi, tout simplement.
Peut-être que j'avais arrêté de voir le monde avec des yeux d'enfant, peut-être que maintenant, je voyais les choses telles qu'elles étaient : avec leur cruelle beauté, parfois, mais parfois aussi avec leur impitoyable banalité. Comme mes clichés. Dès qu'on leur enlevait les couleurs chatoyantes des fleurs, je les trouvais soudainement bien banals.
Il en était sûrement ainsi pour toute chose, dans le fond : dès qu'on changeait de regard, elle perdait de sa beauté.
En tout cas, dès que mon père fut rentré, alors que j'avais quasiment terminé de trier toutes mes photos, nous passâmes à table.
Cela faisait vraiment longtemps – je m'en redis compte à l'instant où j'entrai dans la cuisine – que nous n'avions pas déjeuné un midi tous les quatre ensemble. Contrairement à ce que j'aurais cru, cela me fit chaud au cœur de nous voir tous réunis.
Le repas passa tranquillement. Il n'y eut pas de dispute majeure, ni de prise de tête : mes parents n'échangèrent pas un seul mot. Mais étrangement, cela ne diminua pas notre enthousiasme, à Lola et moi, et nous restâmes de bonne humeur malgré ce silence somme toute assez pesant.
Le soleil planait haut dehors, et il faisait extrêmement chaud. Je mis donc un bermuda à la place de mon jogging, et j'attrapai le sac que j'avais préparé avec toutes mes affaires pour pouvoir récupérer mes bouquins au lycée, et je descendis les escaliers.
Mes parents parlaient à voix basse dans la cuisine. Je n'entendais ni ne comprenais ce qu'ils disaient, mais je percevais tout de même la tensions dans les gestes de ma mère. Mon père quitta la cuisine par la porte qui menait au garage avec un gros sac de sport qu'on utilisait quand j'étais petit et qu'il m'emmenait jouer au foot avec d'autres gamins de mon âge sur le stade d'un village voisin.
Le sac avait l'air d'être plein.
Il revint quelques minutes plus tard. Maman était à la cuisine. Elle semblait un peu perdue. Triste aussi, mais bizarrement, moins que d'habitude. Par contre, elle semblait ne rien comprendre.
Je décidai de laisser mes parents tranquilles. Leur vie ne me concernait pas, et je ne voulais pas savoir ce qui se passait entre eux.
Je croisai Lola qui sortait de la maison.
– Tu vas où ? je lui demandai.
Elle rougit légèrement. Je remarquai qu'elle s'était maquillée. C'était très rare.
– Je vais voir Hannah...
Son ton ne me plut pas.
– Qu'est-ce qui se passe ?
Il me revint en tête à cet instant là qu'elle avait initialement prévu de voir Léa, cet après-midi là.
– Pourquoi tu ne vois pas Eleanor ?
Lola soupira.
– Hannah est mal à l'aise avec l'idée que je puisse voir d'autres filles... Et puis... De toute façon Eleanor avait oublié que sa mère l'emmenait chercher ses livres au lycée pour la rentrée... Elle n'aurait pas pu venir.
Lola tenta de sortir. Je la rattrapai.
– Écoute-moi Lola, je ne sais pas vraiment ce qu'il y a entre cette fille et toi, mais je sais que tu mérites quelqu'un qui te fasse confiance.
Elle haussa les épaules et sortit par la porte d'entrée au pas de course, un sourire triste aux lèvres tandis que mon père m'appelait depuis le garage. Il était temps d'y aller.
Je rejoignis mon père dans le garage. En traversant la cuisine, je pus voir Maman assise sur une chaise, le regard dans le vide.
Mon père revint chercher ses clefs qu'il avait oubliées sur la table. Il déposa un baiser sur la joue de Maman. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vu avoir pour elle ce genre de marques d'affection.
– Aller, viens on y va, me dit-il d'une voix calme.
Je fus si étonné de ce ton posé que j'en oubliai de saluer Maman avant de sortir, et nous montâmes en voiture.
Il quitta rapidement le garage, et prit à gauche dans la rue afin de quitter le village et rejoindre mon lycée. Nous passâmes devant Lola qui marchait la tête baissée. Quelque chose n'allait pas pour elle.
Pour aller jusqu'à la ville où se situait l'établissement où j'étudiais, il y avait environ quarante minutes de route. Cinquante quand la quatre-voies était trop chargée.
Pendant le trajet, je regardai le paysage, songeant qu'il faudrait que j'apprenne à conduire : on ne pouvait rien faire sans avoir une voiture, dans le coin. Il n'y avait que très peu de bus, et utiliser uniquement le vélo pouvait rapidement vous faire perdre du temps au vu de l'éloignement entre les différents villages.
Mes pensées finirent par dériver du paysage vers Léa. Je repensai à ses yeux, à ses mains, son sourire et ses lèvres, et ses cheveux qui sentaient la nature printanière, lorsqu'il vient tout juste de pleuvoir, et que les odeurs se révèlent. Je repensais à son corps, ses soupirs.
J'aurais pu m'enivrer ainsi de pensées pendant des heures si le téléphone de mon père ne s'était pas mis à sonner. Il raccrocha immédiatement, mais cela suffit à me faire sortir de mes pensées.
– Je te dépose devant la grille ? Il n'y a pas besoin que je t'accompagne.
Cela sonnait à la fois comme une question et comme une affirmation.
– Nan t'inquiète, je me débrouillerai.
Il acquiesça et s'engagea sur la quatre-voies. Plus que vingt-cinq bonnes minutes de routes avant d'arriver.
Je me mis à penser à toi. Probablement que si tu avais été là, Angel, tu serais venu avec nous au lycée chercher les bouquins. On vous aurait emmenés, Eleanor et toi, et j'aurais pu vous faire une petite visite des lieux. Ça t'aurait rassuré, je crois, de voir cet endroit et de pouvoir imaginer à quoi aurait ressemblé cette année. Et puis je pense que ça t'aurait amusé, aussi, de me voir un peu mal à l'aise à vous présenter ces endroits chargés de tant de beaux souvenirs.
Le téléphone de mon père sonna à nouveau, encore une fois il raccrocha avant même que le nom ne se soit affiché sur l'écran. Je vis ses mains se resserrer autour du volant et les jointures de ses doigts blanchir. Je décidai de ne pas y faire attention. Il passait sa vie à s'énerver comme ça pour un rien.
Je pense – si nous avions pu visiter le lycée comme je l'avais imaginé – qu'Eleanor et moi nous serions embrassés, au dernier pallier, au troisième étage. Tu aurais commencé à descendre avant nous et nous aurions profité de ce court instant seuls tous les deux pour échanger un regard complice et un baiser. Ça aurait été notre premier baiser là-haut, mais certainement pas le dernier.
Je ne savais pas vraiment comment allait se passer cette nouvelle année. Peut-être que je n'avais pas envie d'y penser, maintenant que je savais que tu n'y serais pas avec nous. Mais j'espérais qu'envers et contre tout, ça irait. Je voulais, je priais, pour que tout se passe bien.
Je voulais le temps de quelques mois, pouvoir avoir le droit de redevenir insouciant, jeune et bête.
Le téléphone de mon père sonna à nouveau. Il tenta de l'éteindre mais son doigt rata le bouton sur l'écran de la voiture car il dut au même moment éviter un motard qui se rabattait bien trop proche de nous.
Au début, mon père ne se rendit pas compte qu'il avait décroché.
Puis une voix raisonna dans l'habitacle :
– Coucou mon cœur ! Comment tu vas ? Est-ce que tu pourras aller chercher les petits au centre aéré tout à l'heure ?
Il y eut un silence. Ce n'était pas la voix de Maman.
– Allô ?
Je lui donnais trente-cinq ans. Pas plus.
Papa ne répondit d'abord rien. Puis :
– Je conduis, c'est vraiment pas le moment, désolé je te rappelle plus tard.
– Ok pas de problème bisous je t'
Il raccrocha.
Peut-être que j'eus particulièrement mal tout simplement parce que dans le fond, je m'y étais attendu. Je ne sais pas.
Cette fois, mon père était totalement crispé au volant. Il conduisait par à coups, et sa mâchoire était serrée.
– Maman m'a dit que tu ne pourrais pas me ramener du lycée ce soir...
Pourquoi changer de sujet ? Je ne sais pas.
– Non. Tu prendras le bus.
Cela sonnait comme un ordre, une menace. Une injonction de me taire. Mais j'en avais assez, de me taire.
– Elle m'a dit que tu allais au commissariat.
Je crois que ce ne fut qu'à ce moment-là, que je me rendis compte que les allers-retours des policiers à ma maison étaient devenus plus fréquents ces dernières semaines.
Ou alors c'était seulement que maintenant que je savais que ma famille étaient encore plus détruite que ce que je croyais, je n'avais plus rien à perdre.
– Oui effectivement, et cela ne te regarde pas. Alors ferme là.
J'étais habitué à ce genre de réponses. Je n'avais pas peur.
– Si ça concerne Angelo alors ça me concerne.
Je crois que j'utilisai ton prénom complet pour mettre de la distance entre ce qui se passait et moi. Plus le doute se formait dans mon esprit, plus ce que je voyais me faisait peur.
– Toute façon, asséna mon père, ils n'ont aucune preuve. Et puis c'était un accident.
Je vis qu'à l'instant où il prononça ces mots, mon père les regretta. Ce fut la première fois que je vis du regret dans son regard.
Alors je recollai les morceaux. Je compris assez vite ce qui s'était passé, cette nuit là.
Et la colère me submergea. Plus violente qu'elle ne l'avait jamais été.
– Alors c'était toi hein !? dis-je en ne cherchant même pas à contrôler ma voix qui se brisait, tu rentrais de chez cette salope que tu fréquentes, et tu l'as renversé, probablement parce que tu pensais trop à ta petite gueule et à quel mensonge t'allais bien pouvoir inventer en rentrant, pour pouvoir regarder autour de toi en conduisant !?
J'étais rarement vulgaire. Mais là, c'était trop.
– Et puis t'as eu tellement peur qu'on te demande pourquoi t'étais passé par là, alors que c'était pas la route de la gendarmerie, que t'as planqué son corps hein !? Parce que cette route, elle ne mène qu'à un seul endroit, alors t'avais pas d'excuse.
Je sentis les larmes me monter aux yeux, mes poings se serrer. Je le haïssais.
– Parce que tu ne lui as pas dit à Maman, j'imagine. T'avais trop la trouille de te retrouver sans toit. Alors tu lui soufflais le chaud et le froid.
Le fulminais. C'était des vagues et des vagues de Douleur qui se heurtaient en moi.
Mon père avait tué un de mes meilleurs amis.
Mon père...
Je fus tellement en colère que je serrai les poings. Mes ongles s'enfonçaient dans mes paumes de main, mais je m'en foutais. J'avais mal terriblement mal. Et je haïssais l'homme à côté de moi comme je n'avais jamais haï personne.
Et puis soudainement ma fureur fut remplacée par une affliction sans fin.
Il ne parlait pas.
– Dans le fond, ça fait des années que tu ne nous aimes plus pas vrai ?
Voilà que je pleurais, désormais.
– Tu nous as tout pris. Et même lui, tu n'as pas pu nous le laisser.
Il m'était déjà arrivé de me faire mal étant gamin. J'avais même des fois fini aux urgences une ou deux fois. Mais ces douleurs-là n'étaient rien comparées à celle qui prenait place à cet instant en moi.
La Douleur.
J'avais si mal que j'avais l'impression que cela allait me tuer.
J'avais l'impression que tout était de ma faute. Si tu n'avais jamais sonné à notre porte, et que je n'étais jamais allé ouvrir, peut-être que tout ceci ne serait jamais arrivé. Peut-être que mon père ne t'aurait pas tué.
J'attendais, j'attendais qu'il nie, qu'il me dise que tout était un quiproquo, que c'était faux. J'attendais qu'il allège ma peine.
Mais c'était mon père, il ne ferait jamais quoi que ce soit pour moi.
Il ne nia pas.
Il glissa un regard vers moi. Nos regards se croisèrent. Étrangement, je lus dans le sien une immense peine. Ce fut le coup de grâce. Car cela me rappela que même s'il était en pierre, son cœur battait pour d'autres gens. Une autre femme, d'autres enfants. Des enfants dont, visiblement, il n'avait pas honte – pas encore – et qu'il semblait aimer.
Des enfants dont la vie serait désormais brisée elle aussi. Des enfants qui grandiraient – peut-être par chance – sans père.
Et qui me détesteraient. À moins qu'ils ne connaissent jamais quoi que ce soit de notre existence à Lola, Maman, et moi.
J'eus envie de rire.
Peut-être que dans un autre monde, ils auraient divorcé, Maman et lui. Peut-être qu'en conséquent j'aurais pu connaître mes petits-frères où petites-sœurs. Je les aurais sûrement beaucoup aimés.
Maman aurait réalisé un de ses plus grands rêves – de ceux dont on parle peu, qui nous font vibrer intérieurement et qui nous permettent de tout traverser – et serait allée vivre en Italie, comme elle nous a toujours dit en avoir envie.
Lola et moi ne nous saurions jamais éloignés. Elle aurait fini par rencontrer une fille géniale. Pas une fille la poussant à s'éloigner de ses amis.
Et puis Léa et toi seriez entrés dans nos vies, et ça aurait été encore mieux.
On aurait passé tout l'été ensemble. Ça aurait été génial.
Toi et moi, on aurait donné un petit coup de pouce à Thomas et Alya, pour qu'il arrête de se dévorer des yeux en secret.
Et puis Léa aurait gardé son éternel sourire.
Ça aurait été génial.
Mais ça n'arriverait jamais.
Ça n'arriverait jamais parce que l'homme qui était à côté de moi m'avait trahi.
Il avait détruit ma famille.
Et il t'avait tué.
Je le détestais.
Ça faisait trop mal.
Je voyais son regard devenir fuyant, ses muscles se crisper.
Je le voyais paniquer.
Mais je m'en foutais.
Je donnai un coup de poing dans la plage avant de la voiture.
J'eus sûrement mal. Enfin probablement. En tout cas je ne me rappelle pas avoir ressenti de la douleur.
Mon père sursauta et fit un écart.
Il se rabattit dans sa voie.
J'avais envie de hurler.
J'avais envie de me déchaîner et de détruire tout le véhicule.
Je m'en voulais, je m'en voulais tellement.
Des sons me reviennent.
Quelques images.
Mon poings qui s'abat, encore et encore, sur l'avant de la voiture.
Mes phalanges, en sang, que mon père regarde avant de reporter son regard sur la route.
Il s'en moque.
Il n'en a putain de rien à foutre.
Mon sang tache mon short.
Je pleure.
Le tissu est taché d'eau salée, et de sang.
Et puis il y a le bruit des voitures autour.
Et mes pleurs.
Soudain c'est trop. J'ai besoin que ça sorte. J'ai besoin de hurler.
Alors j'ai hurler.
Je crois que c'est à ce moment-là qu'on a percuté la barrière de sécurité.
La voiture a fait des tonneaux.
Je ne me rappelle plus trop. Je me suis évanoui.
Le reste et flou. Comme un mauvais rêve.
Je me rappelle que d'abord, il y a eu un battement de cœur, des cils qui ont papillonné.
Un soupir aussi.
La simple conscience d'être là, au plus profond de soi-même, peut-être un peu seul.
Mais conscient peut-être aussi que le reste de l'humanité se trouve là, juste autour.
Il y eut une pulsion. Des muscles qui se contractèrent. Une colère si soudaine qu'elle m'effraya.
Il y eut la simple certitude que rien n'était sûr alors que l'essence même de cette certitude était le doute.
Et puis la solitude, enivrante, comme si le monde entier, comme si l'Humanité entière avait disparu dans une immensité impossible à combler. C'était vide. Je n'étais plus fait que d'un vide immense. Un vide qui me happait de l'intérieur.
Il y eut la tristesse, qui gonfla, qui monta, puissante, qui ravagea et avala tout le peu qu'il restait de moi.
C'était un monstre. À la fois terrifiant et attirant.
Il y eut une vague, la grève, balayée par le vent, tout au fond du cœur. Des vagues, et des vagues d'émotions, insaisissables, puissantes, sourdes.
Il y eut des cils qui papillonnèrent à nouveau.
Un œil qui cligna.
C'était le gauche, toujours le gauche.
Et puis une larme, une première, une dernière, une unique, solitaire, seule. Toujours seule.
Un silence assourdissant.
Il y eut un battement de cœur éternel, soumis à une vie, éphémère, fragile, simple.
Un soupir, juste un soupir, un cri aurait désormais trop dur, alors un soupir, qui mourut sur les lèvres, fini, terminé, comme si plus rien n'avait de sens, plus même l'expression.
J'avais tant crié que mon corps lui-même n'en était désormais plus capable.
Et enfin, il y eut la Douleur.
La conscience, la fin peut-être aussi. La boucle qui se boucle. Le temps qui se suspend et la vie qui se vide. La peur, l'innocence bafouée mais aussi bien plus que ça. L'angoisse, la peur, la solitude, tout se mêla. Le soupir devint une respiration, hachée, le battement de cœur se répercuta, effréné, sur la moindre parcelle de Douleur.
C'était une Douleur tellement plus intense que toutes celles que j'avais vécues. Une Douleur tellement plus violente, brute et bestiale que mon souffle s'en coupait.
J'avais mal.
C'était de la peur, de l'angoisse, de la détresse.
Une inspiration, une expiration, une inspiration, une inspiration, l'anarchie. Les battements s'accélèrent, les yeux furetèrent, les larmes montèrent.
Je revoyais ton sourire, tes beaux yeux.Tes dents blanches un peu de travers, et ce regard que tu avais quand tu observais le monde.
La solitude revint, plus pesante encore.
Tu me manquais.
La détresse, la peur. Tout se mélangea, se confondit. Bien plus qu'une angoisse, c'est le sang même qui est remplacé par la terreur à l'état pur.
Affliction.
L'idée de se dire que tout n'est pas fini, et que certaines choses tiennent leur beauté de ce qu'elles sont éphémères.
Je sentais que mon corps souffrait lui aussi. Sûrement de multiples blessures d'ailleurs.
Mais ce n'était pas important.
Plus rien ne comptait.
Je cherchais un fragment de réalité auquel m'attacher, un fragment d'image.
Des bruits, des battements, toujours ce cœur, mais peu à peu, il s'apaisa.
Il cala son rythme sur celui de la rumeur du monde, n'alla pas plus vite que la musique, mais simplement au bon tempo.
Je me sentis comme près à m'endormir pour une nuit, une longue nuit de sommeil.
Une inspiration, une expiration, un soupir. Plus de larmes, non, juste un vide.
Le souvenir d'une mélodie au loin.Une mélodie qui me faisait penser à toi.
Je crois que c'était ta sonnerie de téléphone. J'avais dû l'entendre une fois.
C'était une berceuse, ce genre de notes qui ne peuvent nous faire du mal, mais simplement nous rassurer, nous consoler, nous entourer, nous étreindre simplement.
Une mélodie.
Je me concentrai dessus. Tentai de la saisir.
Je ne voulais pas la lâcher.
Je voulais m'y accrocher même si mes larmes me tiraient vers le bas.
Puis il y eut des bruits, sourds, au loin, cassant la quiétude.
Un battement de cœur. Une Douleur, piquante, brûlante, déchirante, délirante. Une Douleur comme il en existe peu.
Les premières images. Des flash. Il y a des mains, des regards, puis le noir.
Je ne voyais rien. Tous les sons qui me parvenaient étaient comme étouffés.
Cela me torturait.
Il y eut du blancs, des lumières, du rouge, puis le noir.
Il y eut du monde, il y eut du bruit.
Cela criait dans tous les sens, de partout. On s'envoyait des ordres, des indications.
Plus de silence, juste du bruit, un capharnaüm de bruits, anarchiques, incohérents, invraisemblables, du bruit.
Des cris, des sirènes, des pleurs, des hurlements.
La scène ne devait pas être très belle à voir pour les gens qui avaient appelé les secours.
J'en sais rien. Je m'en foutais de toute manière.
Car une voix manquerait désormais toujours à l'appel.
Un battement de cœur, encore, plus vite, de plus en plus vite.
Des cils, ils papillonnèrent, mon regard incertain se perdit dans ces flashs d'images.
La certitude que rien n'est sûr. Mais la certitude que c'était vrai. Que maintenant, je savais.
Une Douleur. Une autre Douleur.
La rumeur du monde qui se réveillait peu à peu autour de moi. Qui recommençait à monter jusqu'à mes oreilles.
Du bruit. Il cassa ma bulle, la remplit, combla le néant, mais pas la solitude.
Le vide, présent, planant, intrusif.
La vue, peu à peu, de plus en plus nette. Le chaos. Des gens, des gens partout.
Ils couraient, ils marchaient, ils se pressaient, ralentissaient. Certains parlaient, d'autres pleuraient. Certains hurlaient, d'autres murmuraient.
Je ne les entendais pas, mais je les voyais.
Je n'étais pas acteur de tout cela pourtant j'en étais le centre.
Je fermai les yeux.
Je pris conscience de la Douleur, dans ma tête, dans ma gorge. Dans mon cœur surtout.
Le sentiment du goût amer de la trahison et de la culpabilité.
Je fermai les yeux, je prends conscience du silence, de retour. Du silence, du vide. De ma présence, de ma Douleur. De tous ces mots, ces mots qu'on ne se dit pas. De tous ces maux, trop présents, trop absents, trop incertains, inadaptés, incohérent, insignifiants tant la Douleur est immense.
Ce doute que je sentais au fond de moi était ma certitude la plus ultime. Ce doute, ce pincement, cette chose qui me dérangeait, qui me faisait sortir tout chose et me poussait à douter...
Quelque chose d'irrémédiablement dramatique était arrivé.
Ta chute.
Ou plutôt ton ascension. Une apothéose, pour un ange tombé du ciel. Un ange qui n'aurait jamais dû être là. Un ange qui ne sera plus jamais là. La peur qui m'entrave, plus forte.
La Douleur, l'angoisse.
J'ai déjà souffert, au cours de ma courte existence, mais tandis que j'entends les sirènes autour de moi, et que je vois les phares des voitures nous contournant m'éblouir, je me dis que jamais, je n'ai souffert comme ça.
Je pensai soudain à Papa. Allait-il bien ?
Il y eut le bruit des ambulances... Plein de choses...
Je ne veux pas me rappeler.
La seule chose que je ne veux jamais oublier, c'est ton sourire.
Car ce jour-là j'appris que nous ce que nous avions pouvait voler en éclats sans même que nous ne nous en rendions compte.
La seule chose que je ne veux jamais oublier, c'est ton sourire,
Angel.
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ça y est, la boucle est bouclée avec le prologue... Il ne reste plus que l'épilogue et ce roman sera terminé...
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