18 jours après

Les vacances d'été allaient bientôt toucher à leur fin. C'était une journée calme. Mon père n'était pas là. Lola passait l'après-midi avec Hannah. Eleanor et ta maman passaient la journée en ville. Je crois qu'elles étaient parties faire une journée de shopping entre filles. Je crois que cela n'enchantait pas particulièrement Eleanor, mais qu'elle voulait faire plaisir à votre mère.

J'avais décidé de consacrer cet après-midi au rangement de ma chambre. Je voulais trier tous mes vieux cahiers afin de jeter ceux qui pouvaient l'être, et de faire un peu de place.

Je voulais aussi ouvrir une nouvelle page. La page d'une nouvelle année qui elle – je l'espérais – se passerait bien.

Je triai donc d'abord tous mes cours, me replongeant sans réel intérêt dans les prises de notes de certaines matières qui ne m'intéressaient pas plus que ça. Il faudrait que j'aille chercher mes manuels scolaires le lendemain. Il y avait toujours un petit récapitulatif des cours de l'année passée à l'intérieur. Ce n'était pas la peine que je m'embête à garder un trop grand volume de feuilles.

Je passai ainsi près d'une heure à tout mettre en ordre. Cela me fit étonnement beaucoup de bien, et rapidement, il ne me resta plus que mes tiroirs dans lesquels je rangeais des photos en pagaille à trier.

Je procédai alors simplement. Je pris le contenu de chaque tiroir un à un, et le mis par terre dans ma chambre avant de m'atteler à son tri.

Et puis je les aperçus, les dizaines de photos que ma sœur avait prises de nous tout au long de l'été. Il y en avait plein sur lesquelles tu étais. Cela me procura une sensation étrange, de revoir ton visage. C'était comme si on réveillait quelque chose en moi. Cela me donna le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux. C'était une sensation extrêmement étrange.

Et j'ai eu envie de pleurer, soudainement.

Ce fut si violent que lutter était inutile.

Alors j'ai pleuré. J'ai pleuré, encore et encore.

Cela faisait longtemps, que je n'avais plus lâché une seule larme, mais j'étais triste. J'étais terriblement triste. Alors il fallait que ça sorte, il fallait que je pleure, que je pleure ton sourire, et tous ces moments passés ensemble. Que je pleure ton absence afin de faire disparaître cette intense tristesse en moi.

Je repensai à tous ces instants qu'on avait partagés, à tous ces fragments de vie que Lola avait capturés avec son appareil photo. Je me fis la réflexion qu'elle était plutôt douée, il y avait deux trois habitudes de cadrages qui n'étaient pas géniales, mais dans l'ensemble, elle avait fait du très bon boulot.

Et je pleurais en voyant ces clichés. Ton sourire innocent, cette manière que tu avais de plisser les yeux lorsqu'elle prenait la photos, et ton air un peu gauche, un peu timide qui te rendait tellement attachant.

Je pleurais parce que tu avais été comme un frère pour moi. L'espace d'un court instant, certes, mais nous nous étions vus si souvent que j'avais l'impression que nous nous connaissions depuis toujours.

Je finis par me ressaisir et par ranger les photos. Ce n'était pas la peine que je me flagelle, et puis j'avais assez de place pour me permettre de simplement les jeter en pagaille dans mon tiroir. Il était encore trop tôt pour que je puisse faire plus.

Puisque le temps me paraissait long sans personne avec moi pour le tuer, je décidai de faire une petite surprise à Eleanor, et de voir si nous pouvions aller dîner ensemble le soir. Je prévins Maman, et ta mère aussi, et puis je me préparai.

Je voulais que ce soit un instant rien qu'à nous, un instant qui ne soit pas dédié à ton absence.

Alors je me préparai soigneusement, coiffant rapidement mes cheveux, faisant en sorte que tout soit parfait.

Je voulais l'emmener dans un petit restaurant, situé juste à côté du stade de roller. Il ne payait pas de mine, mais était assez sympa. C'était l'un des seuls restaurants du village, et c'était donc généralement là-bas que se rendaient tous les jeunes du coin qui voulaient passer une soirée à roucouler avec la personne qui leur plaisait.

Je n'échappais pas à la règle.

Et donc lorsque Louise, Maman, et Eleanor rentrèrent, je capturai ta petite sœur pour que nous allions dîner.

Elle parût surprise tout d'abord, mais lorsque nous entrelaçâmes nos doigts et que nous commençâmes à nous diriger vers le petit restaurant, elle comprit où je souhaitais l'emmener, et elle profita elle aussi de cette balade.

Sur le chemin, nous ne parlâmes pas. J'avais très envie de la prendre en photo, parce qu'elle était belle, mais depuis que les policiers passaient de plus en plus souvent chez moi et chez toi (ils m'avaient même interrogé, à plusieurs reprises, ainsi que ma sœur, mais je crois que nous ne leur avons rien appris), je ne sortais presque plus mon appareil photo. Je me contentais de m'éclipser lorsqu'ils arrivaient, de partir jusqu'à ce qu'ils s'en aillent, afin de, surtout, ne pas les croiser, et ne pas entendre quel genre de mauvaises nouvelles ils venaient annoncer.

Alors j'allais marcher. Je ne faisais plus de vélo. Mais je marchais, sur le bord des routes, espérant peut-être te croiser.

C'est pour cela qu'Eleanor et moi, ce soir-là, nous marchions, enfin, c'était aussi parce que cela me permettait de tenir sa main dans la mienne. Mais avant tout, c'était parce que je ne faisais plus de vélo.

Lorsque nous arrivâmes à notre endroit dit « de rencard », la dame qui tenait les lieux nous installa à une petite table un peu en retrait. Il y avait cinq autres personnes dans la pièce : un garçon de mon équipe de roller accompagné de quelqu'un qui d'après ce dont je me rappelais des deux trois fois où je l'avais croisé devait être son grand-frère, et il y avait aussi un vieil homme accompagné d'un couple d'adulte. C'était calme et Eleanor semblait de très bonne humeur, et paraissait contente d'être là. Ça me faisait chaud au cœur de la voir sourire ainsi.

Nous nous installâmes donc à notre table, et elle posa ses coudes sur la table avant de plonger son regard dans le mien. Tout était tranquille, et nous restâmes ainsi un instant.

Nous fûmes interrompus lorsque la serveuse nous amena le menu. L'endroit proposait deux plats différents, très abordables, et Eleanor et moi optâmes pour le même. Avec un Ice Tea.

Ensuite nous commençâmes à discuter, de tout, de rien, mais pas de toi. À cet instant il n'y avait plus qu'elle et moi, ensemble dans ce petit restaurant, à se bouffer du regard et à refaire le monde.

La serveuse finit par nous apporter nos plats, et nous commençâmes à manger. C'était délicieux.

– Morgan ?

Je relevai la tête et posai les yeux sur Eleanor.

– Oui ?

Elle plongea son regard dans le mien.

– T'aimerais faire quoi après le lycée ?

Je posai ma fourchette. J'aimais bien la manière dont elle avait posé la question. Cela n'impliquait pas forcément des études, ou un boulot. Cela ouvrait un champ de possibilités infini.

– J'aimerais partir d'ici, pendant un an. Faire le tour du monde. J'aimerais m'en aller en ne sachant pas si je rentrerai un jour. Découvrir des pays... Rencontrer des gens... Prendre des photos, encore et encore, j'aimerais faire le tour du monde pour l'immortaliser tel qu'il est. Pour de vrai.

Je remarquai qu'elle s'était arrêtée de manger pour m'écouter, et que son regard s'était mis doucement à pétiller.

– Je crois que tu serais heureux.

Je hochai la tête, et voyant son sourire, je me mis à sourire moi aussi.

Nous reprîmes notre repas sans plus échanger un mot pendant un moment. Nous nous contentions de manger, et de se lancer des regards à la dérobée. Elle était tellement jolie, avec ses cheveux un peu décoiffés, et son air joyeux sur le visage. Cela me rendait heureux moi aussi.

– Dis, je me posais une question...

Elle releva son visage vers moi et me sourit, m'engageant à continuer.

– Pourquoi Angel et toi n'êtes pas restés au Portugal si sa petite amie était là-bas ?

Eleanor parut surprise de ma question. Elle s'essuya rapidement la bouche avec sa serviette en papier et puis me dit :

– Ça aurait été plus simple hein ?

Je haussai les épaules sans vraiment savoir quoi répondre.

– On était bien, au Portugal, t'as raison. On avait toujours grandi là-bas. Moi j'avais l'habitude d'aller en colo en France pendant mes vacances, mais Angel lui passait tout son temps chez nous.

Je repensai à ton accent chaud, à la manière dont tu roulais les « r » : ça me manquait, cette façon bien à toi que tu avais de dire le monde.

– Mais... (elle hésita un instant, puis elle reprit : ) mais il s'est passé plusieurs choses. Angel s'est très vite retrouvé très seul, et notre père a été incarcéré.

Son regard se fit fuyant. Je commençais à comprendre cette réticence qu'elle avait eu, quelques fois, à parler de sa vie d'avant.

– Alors moi, lorsque Maman a évoqué cette possibilité – celle d'aller en France et de recommencer à zéro – j'ai tout de suite accepté. Sans trop me prendre la tête. Tout de suite on est venues ici, pendant un mois on a vécu un peu comme on pouvait : tantôt dans des locations, tantôt dans des hôtels. On voyageait un peu partout pour trouver notre chez nous.

Elle bu une gorgée d'eau et reprit :

– Angel, lui, il était resté avec Alcinda au Portugal. On était au mois de septembre, j'avais déjà commencé l'école française à la maison. Lui, il continuait à aller en cours au Portugal. La famille d'Alcinda, c'était comme notre famille à nous aussi, alors peut-être que c'est pour ça qu'il a eu autant de mal à partir.

Je tentais de vous imaginer, toi au Portugal, seule avec cette fille que tu aimais à en devenir fou, et Eleanor, à parcourir les routes de France à la recherche de cet endroit qui deviendrait votre chez-vous.

– Finalement, en décembre, on est arrivées ici. On a envoyé plein de photos à Angel, et on l'a convaincu de nous rejoindre à la fin de son année scolaire. Moi, j'ai commencé les cours au même collège que ta sœur en janvier. La suite, j'imagine que tu la connais... Le déménagement, et caetera.

Il y avait tant de choses dans ce simple « et caetera » que cela me fit un drôle d'effet.

Mais je me contentai de sourire, et de relancer la conversation.

– Et c'est comme ça qu'on s'est connus, toi, et moi...

Eleanor sourit doucement, et ses joues prirent cette familière teinte rosée.

– Toi et moi.

Nous avions tous les deux terminé notre plat, alors après avoir réglé, nous sortîmes du restaurant. Lola m'avait envoyé un message me disant qu'elle avait passé un super après-midi, et qu'elle avait hâte que je rencontre cette fille qui lui plaisait tant. Ce petit mot était adorable, et j'eus un sourire attendri sur les lèvres, quelques instants.

Eleanor et moi marchâmes pendant une bonne demi-heure. Le soleil se couchait, enveloppant les rues dans une douce lueur orangée. Nous ne parlions pas vraiment.

– Tu sais, murmura Eleanor alors que nous passions sur ce pont où je l'avais photographiée la première fois, tu sais, beaucoup des gens dont je suis proche m'appellent « Léa. »

« Léa »

Ce prénom sonnait différemment mais lui allait terriblement bien.

« Léa »

– Et je suis quelqu'un dont tu es proche ? murmurai-je à mon tour.

Je la vis du coin de l'œil esquisser un sourire, puis elle se tourna vers moi, et sur ce pont, avec le Soleil qui se couchait à l'horizon, elle me dit :

– Je t'aime.

Je passai ma main dans ses cheveux, mon œil gauche se mit à cligner un peu plus rapidement que le droit : j'étais nerveux. Mais je lui répondis :

– Moi aussi. Je t'aime.

Puis nous nous embrassâmes. Doucement.

Le soir, je dormis chez elle. Cette nuit fut longue, maladroite, mais pleine d'amour et de tendresse.

Parce que je l'aimais tellement... Je l'aimais comme on n'aime qu'une fois, comme on aime pour la première fois, aussi.

Je me rappelle encore ses courbes dans le noir, et ses lèvres entrouvertes lorsqu'elle dormait.

Et le soleil levant qui donnait une lueur dorée à ses cheveux châtain. Et les petites taches de rousseur parsemant son nez dont j'eus toute la nuit pour les admirer.

Je l'aimais, Angel.

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plus qu'un chapitre et l'épilogue... j'suis émue

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