13 jours après

La voiture de ta mère s'arrêta à quelques mètres de la maison. C'était une petite bâtisse, faite de pierre et de crépi, qui donnait sur un immense jardin. Le soir qui tombait mettait en valeur les multiples guirlandes lumineuses de couleur, disposées un peu partout autour de la maison. On entendait, sans aucunement avoir besoin de tendre l'oreille, une musique de pop qui avait tourné sur les radios tout l'été, et qui ici, donnait au lieu une ambiance festive. Une vingtaine de jeunes se trouvaient réunis à l'extérieur, près de la maison.

Tout semblait plutôt calme, quoique joyeux, et ta mère nous déposa ici, nous assurant que Maman viendrait nous chercher le lendemain, à onze heures. Nous acquiesçâmes, et nous sortîmes.

Nous parcourûmes les quelques mètres qui nous séparaient de la maison, et nous fîmes signe à Thomas qui se trouvait là, de venir nous ouvrir. Comme à chaque soirée qu'Alya organisait, il était chargé de vérifier qui entrait, et sa taille en dissuadait beaucoup d'entrer sans y être invités.

– Salut vous deux !

Il nous sourit de toutes ses dents, et me fit une accolade avant de claquer la bise à ta sœur.

Eleanor était resplendissante ce soir-là. Elle portait une robe corail lui arrivant au milieu des cuisses, faite d'un tissu léger. Elle avait laissé ses cheveux lâchés, et s'était très légèrement maquillée. Ses joues rougirent légèrement lorsque Thomas lui fit un baise-main. Toujours à amuser la galerie lui.

Nous le saluâmes à notre tour.

– Bonjour vous deux.

Alya débarqua derrière lui. Elle aussi était très jolie. Elle avait mis un short court en jeans délavé, et portait un tee-shirt sur lequel il était écrit « si nous ne sommes pas d'accord, c'est que tu as tort » avec un smiley faisant un clin d'œil. Elle avait mis un phare à paupières coloré qui était assorti aux couleurs pétantes de son haut. Elle avait aussi attaché une partie de ses épais cheveux noirs en un petit chignon, tandis que le reste retombait sur ses épaules. Elle semblait très en forme, enjouée, et cela la faisait resplendir.

– Je suis désolé, pour ton ami, me glissa Thomas.

Je haussai les épaules, ne sachant pas trop quoi répondre. Je ne m'étais pas attendu à ce qu'on parle de toi.

– Je t'emprunte ton amie deux minutes, me lança alors Alya en attrapant Eleanor par le bras.

– C'est ma petite-amie...

Mais elles étaient déjà entrées dans la maison.

– Alors vous sortez ensemble ? Bien ouéj...

Thomas et moi nous dirigions vers son jardin où je reconnaissais plusieurs personnes que j'avais l'habitude de croiser dans les couloirs du lycée.

– Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ?

Je haussai les épaules.

– Une semaine environ.

Il acquiesça.

– J'étais sûr que tu lui plaisais.

Nous étions arrivés au milieu du groupe de jeunes. J'en saluai quelques uns, et ils me demandèrent comment ça allait. Je haussai généralement les épaules avant de leur retourner la question. Je ne savais pas vraiment quoi leur dire. Que j'étais triste ? Mais que ça allait ? Que désormais tout irait mieux ? Je ne savais pas vraiment. Mais j'essayais de ne pas avoir l'air trop déprimé. Nous étions là pour nous changer les idées.

Thomas me tendit un verre.

– C'est quoi ?

– Ice Tea.

Je portai le verre à mes lèvres en le remerciant. Il se servit lui aussi et but toute sa boisson d'un coup.

– Tu sais, reprit-il, j'ai vraiment cru que tu m'avais oublié cet été, me confia-t-il. D'habitude tu es toujours partant pour qu'on aille s'éclater ensemble à la piste de roller, et là tu as décliné toutes mes invitations.

Je fixai le fond de mon verre, sans trop savoir quoi répondre.

– Je sais que cet histoire avec ton ami t'a bouleversé, mais tu sais, moi ça me dérange pas si tu viens juste pour nous regarder pratiquer car tu n'as pas envie de rouler, ou si tu es déprimé, ou si tu te sens mal et que tu veux en parler ou quoique ce soit.

Je ne savais pas quoi lui répondre.

– Je m'inquiétais juste pour toi, et on se connaît depuis toujours... tu sais que tu peux tout me dire.

J'acquiesçai. Il passa un bras autour de mes épaules, nous restâmes ainsi un moment, debout, côte à côte, appuyés contre le mur de la maison, un peu à l'écart des autres jeunes, à les regarder s'amuser.

– Moi aussi, tu m'as manqué, lui avouai-je.

Il me lança un petit sourire satisfait.

C'est à ce moment-là que Alya débarqua complètement surexcitée.

– Aller, arrêtez de faire vos têtes de déterrés et venez vous amuser un peu.

Elle sauta sur le dos de Thomas lorsqu'il se décala du mur pour rejoindre les autres, et nous nous dirigeâmes tous les trois vers les autres lycéens.

Certains avaient déjà un peu bu. Il y avait une bonne ambiance, et je fus assez vite happé par l'atmosphère du lieu. Je ne pensais plus à toi, je ne pensais plus à notre été désastreux, je ne pensais plus à rien mis à part la musique autour de moi, le sourire des autres ados, et la main d'Eleanor négligemment posée sur ma cuisse.

La soirée passa rapidement. Vers minuit, ceux qui avaient un peu trop bu commencèrent à aller squatter les toilettes, et d'autres rentrèrent ou allèrent se coucher. Nous n'étions plus que cinq-six, dont deux amis d'Alya que je n'avais croisés qu'en de rares occasions.

Nous étions assis en cercle, depuis quelques minutes, et nous tentions de nous mettre d'accord sur les règles du traditionnel jeu du « Action ou Vérité » (jeu – entre nous – faisant partie des jeux dont les règles sont les plus controversées – au même niveau que le Uno – et nécessitant toujours une mise au point entre tous les joueurs au début de la partie – comme le Uno).

– Mais non ! s'exclama Alya, celui qui pose la question c'est celui qui vient de jouer, on va pas tous s'y coller, sinon ça prendra beaucoup trop de temps pour qu'on soit tous d'accord !

– Mais n'importe quoi, normalement tout le monde se concerte pour choisir l'action ou la vérité.

Laisse moi rectifier : nous attendions pendant que Thomas et Alya tentaient de se mettre d'accord sur les règles.

– Aller, on y va ? On n'a qu'à faire comme dit Alya et basta.

Celui qui avait parlé était un garçon qui, je crois, n'était pas dans notre lycée. C'était le meilleur pote d'Alya. Je me rappelais l'avoir croisé à toutes les soirées que j'avais faites chez elle. C'était un garçon blond aux yeux marron foncé, qui n'était pas très grand, mais dont le charisme faisait que tout le monde le respectait. Souvent, il fumait aux soirées. Il ne faisait même que ça. Il parlait peu. Je crois, aussi, qu'il était gay. Il était venu quelques fois avec des mecs qu'il avait présentés comme son copain. Enfin, il y en avait eu un premier. Qui était venu à plusieurs soirées, et dont il semblait terriblement amoureux. Ceux qui avaient suivi n'étaient toujours venus qu'un seul soir.

– Très bien, c'est moi qui invite donc c'est moi qui commence.

Alya fit tourner la bouteille qui atterrit sur Paul, son fameux meilleur pote.

– Non ! s'exclama-t-elle à nouveau, je sais déjà tout de toi ! Bon... Action ou vérité ?

– On commence en douceur, fit-il en écrasant son mégot dans un cendrier, vérité.

Elle eut une moue boudeuse.

– Bah pose une question bidon, lui lança Thomas.

Elle sembla réfléchir un instant.

– Avec combien de personnes t'as déjà couché ? Demanda-t-elle.

Eleanor se tourna vers moi en ouvrant de grands yeux. J'explosai de rire en voyant sa mine déconfite. Elle attrapa son verre dans lequel elle avait mis un peu de la bière d'Alya, pour goûter, et avala tout d'un coup.

– Je sais pas moi, peut-être quinze ?

Eleanor se mit à rougir d'un coup et baissa les yeux.

– Je ne suis pas au courant de tout moi, lança Alya, il faudra que tu me racontes.

– T'inquiète rien de bien nouveau.

L'échange amusa tout le monde, et Paul se baissa pour tourner à son tour la bouteille qui pointa Thomas.

– Action ou vérité ? Demanda-t-il en s'allumant une nouvelle cigarette.

– Action, répondit Thomas au tac au tac.

Il porta son verre d'Ice Tea à ses lèvres.

– Embrasse Alya.

Il recracha son Ice-Tea.

Alya et Paul échangèrent un regard qu'eux seuls semblèrent comprendre. « Je vais te tuer » murmura-t-elle. Puis Alya et Thomas se penchèrent vers le centre du cercle et s'embrassèrent. Ce fut bref, et je pus voir qu'après coup, chacun sembla gêné, et tous deux rougirent. C'était mignon.

Les gages s'enchaînèrent. Eleanor dut boire du coca avec les pieds. Les autres voyaient bien qu'elle était toute timide et mal-à-l'aise. Je crois que pour une fois, ils avaient décidé d'être sympas dans les gages qu'ils choisissaient. Moi, je dus faire la liste de mes fantasmes, et draguer Thomas. Cela fit beaucoup rire tout le monde, et ce jeu me changea les idées.

Plus la partie avançait plus nous passions de temps à discuter et se raconter des anecdotes au lieu de jouer. Le jeu traînait en longueur et nous perdions un peu le fil, mais c'était tout de même très drôle.

Je finis par m'éclipser, allant chercher quelque chose à boire (peut-être une bière ?) et voulant souffler deux minutes.

Alya me rejoignit dans le salon où j'attrapai une bouteille d'Ice Tea qui n'avait pas encore été entamée, et me servis trois verres d'affilée.

– Ça va ? me demanda-t-elle.

Je sursautai et me tournai vers elle. Je ne l'avais pas entendue arriver.

– Ça va, répondis-je.

J'étais un peu fatigué et je n'avais pas vraiment envie de développer plus que ça.

– Et toi ?

Elle avala d'un trait son verre dans lequel il y avait un mélange de plusieurs liquides dont je ne voulais pas chercher à connaître la nature.

– On peut sortir deux minutes ? Devant la maison ?

J'acquiesçai. Nous sortîmes tous les deux. Elle semblait triste d'un coup. Je ne comprenais pas trop, alors je me contentai de la suivre.

Nous nous assîmes sur les quelques marches devant la porte d'entrée. Sa maison était littéralement perdue au milieu de nulle part, si bien que nous faisions face à des champs devant nous, à l'infini, et que nous gardions les yeux fixés devant nous, sans voir rien d'autre que la nuit noire.

– Ça va ? lui demandai-je lorsque nous fûmes assis.

Elle haussa les épaules.

Elle alluma ensuite, à mon plus grand étonnement, une cigarette qu'elle coinça au coin de ses lèvres avant de s'appuyer sur la porte fermée derrière nous.

– Je me faisais la réflexion, me dit-elle soudain d'une voix basse, qu'on ne se connaissait pas tant que ça, finalement, tous les deux.

Je hochai la tête. C'était pas faux. Que connaissais-je d'elle finalement ? Pas grand-chose...

Je savais qu'elle était engagée. L'année passée elle avait fait un collage sur le grand mur à l'entrée de notre lycée. C'était un truc pour défendre les droits des femmes ou quelque chose comme ça. Je ne me rappelais plus exactement ce qu'il représentait, mais je me rappelais que j'avais été marqué par la qualité de son travail, et le fait que le rendu soit extrêmement poignant.

Elle faisait partie de ces personnes que j'avais toujours connues mais que pourtant, parfois, je ne connaissais pas tant que ça.

– Je vais aller droit au but, commença-t-elle.

Elle inspira une bouffée de fumée et la recracha avant de demander :

– Y a moyen qu'ça marche tu penses entre Tom et moi ?

Je fus tellement abasourdi par la question que je ne répondis qu'un magnifique « euh... » traînant en longueur.

– Si t'y crois pas tu peux m'le dire hein ? J'm'en remettrai. Je m'attends au râteau depuis un moment t'façon.

– Non, non, lui dis-je, ce n'est pas ça du tout, c'est juste que ta question m'a un peu surpris.

Elle parut rassurée même si elle tenta de ne pas le montrer.

– C'est pour ça que Paul t'as donné comme gage d'embrasser Thomas tout à l'heure ?

Elle me jeta un regard en coin.

– T'es perspicace dis-donc.

Nous rîmes tous les deux.

– Et du coup, t'en penses quoi toi ? Reprit-elle d'une petite voix. 'Fin... En soit je pense lui dire qu'y m'plaît tu vois... Mais c'est juste qu'il me plaît genre vraiment vraiment vraiment beaucoup... alors si jamais c'était pas réciproque... ça m'ferait trop mal...

Je hochai la tête.

– Paul il en pense quoi ?

Elle me regarda avec un regard étonné.

– On s'en fout nan ?

Je la regardai avec un regard étonné.

– Si tu le dis.

Nous éclatâmes de rire. Je ne sais pas si c'était la fatigue, l'alcool qu'elle avait dans le sang, ou la fumée de la cigarette, mais le contact était plus facile ce soir-là que toutes les autres années auparavant.

Alya était un peu ce genre de personnes si renfermées et ayant si peur d'être blessées qu'elles piquent tout ce qui leur arrive dessus, les bonnes choses comme les mauvaises, par peur d'être piquées.

Alors ces dernières années, nous n'avions jamais eu de très longues conversations. Elle aimait bien me taquiner car je rougissais, j'aimais bien lui mettre la raclée lorsque nous faisions la course. Nos relations s'arrêtaient là. Mais je savais que Thomas l'aimait bien. Plus que bien, même.

– Tu peux foncer.

– Quoi ?

Je me tournai vers elle. Elle avait ôté la cigarette de ses lèvres et me regardait, étonnée, la bouche entre-ouverte.

– J'ai dit que tu pouvais foncer, répétai-je amusé, ça se voit qu'il te kiffe. Vois comme il te regarde, comme il boit tes paroles. En plus il parle tout le temps de toi ! Alors fonce...

Mes mots semblèrent lui faire énormément plaisir. Dans le fond, je pense qu'elle le savait déjà, mais qu'elle avait juste besoin de l'entendre de la bouche de quelqu'un.

– Merci, s'exclama-t-elle, bon, du coup il faut que je te laisse, j'ai l'amour de ma vie à rejoindre !

Je la laissai partir en riant. C'était une sacrée personne Alya. Elle était impulsive. Et même si je ne la connaissais pas plus que ça, je savais qu'elle allait me manquer. Elle avait un an de plus que Thomas et moi, et de ce qu'il m'en avait dit, elle comptait partir sur Paris pour faire une école d'arts appliqués après son bac. La vie au club de roller serait bien moins drôle sans elle, c'était un sacré bout de femme !

Je restai seul sur le perron. J'entendais les voix se mélanger, mais je n'y faisais pas plus attention que ça. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais normal. Juste normal. Et cette sensation était terriblement satisfaisante.

En fin de compte, je rejoignis les quelques ados encore debout à cette heure-là. Il y avait Paul, Thomas, Alya, Eleanor et moi. Nous étions au salon. J'échangeai un regard complice avec Alya en entrant. Elle me fit un coin d'œil. Elle semblait confortablement installée, la tête sur les genoux de Thomas, et allongée sur l'un des deux canapés.

Paul était assis par terre, et avait le nez dans son téléphone, mais cela ne l'empêchait pas, de temps en temps de lancer une petite pique à l'un de nous.

Eleanor et moi étions installés sur le deuxième canapé. Elle finit par s'endormir contre moi, et devant son adorable bouille, je ne pus me résoudre à la réveiller pour qu'elle aille se coucher dans un vrai lit. Alors elle dormit ainsi.

Nous discutâmes de tout et de rien jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil finissent par pointer le bout de leur nez.

Et puis nous nous endormîmes.

Ce soir-là, pas une fois je ne pensai à toi, Angel.

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