11 jours après

Le vingt-et-un août fût une journée calme. Nous partîmes tôt le matin avec Maman car notre tante nous avait invités tous les quatre à venir deux trois jours chez elle. Mon père ne pouvait – voulait – pas venir ; il travaillait.

Nous avons fait le trajet dans le même silence que celui qui caractérisait notre famille depuis bientôt deux semaines.

J'ai revu le paysage parcouru une semaine plus tôt avec les filles. Nous avions été si naïfs. Je comprenais, désormais, la vision d'Eleanor sur ce que c'était que d'être adulte. Le fait, d'accepter les moments durs, de faire avec, et tout, et tout. Je comprenais. En partant, nous avions cru que nous arriverions à retourner dans le temps. Alors que nous te connaissions, et que nous savions que jamais tu aurais fait ça. Alors quoi ? Nous avions juste été naïfs ?

Non. Nous étions juste jeunes. Nous étions jeunes, et nous n'avions pas voulu accepter la vérité. Nous n'avions pas voulu accepter la vérité telle qu'elle était.

Accepter.

C'était facile à dire. Mais j'étais trop triste. J'étais trop enfermé dans mon affliction pour que ce soit pour moi possible d'accepter.

Je savais que Lola s'était résignée à accepter, à aller de l'avant. J'avais tendance à penser que c'était plus facile pour elle, qu'elle ne pouvait pas comprendre ce que je vivais, car c'était plus facile pour moi d'envisager les choses sous cet angle là. Mais dans le fond je savais que c'était faux. Je savais que tous les deux, vous aviez probablement plus partagé que ce que nous avions partagé, toi et moi. Mais penser comme ça était plus simple. Je ne comprenais pas pourquoi je bloquais. Trop de sentiments se mélangeaient encore en moi pour que je puisse réussir à m'en sortir. Trop d'émotions se battaient encore au fond de moi. Encore et encore, inlassablement.

Lorsque Maman se gara devant la maison, je fus comme pris d'une angoisse. Cela ravivait des souvenirs. Les souvenirs de ces jours d'errance, après que nous avions appris que tu étais probablement décédé. Les souvenirs de la soirée avec Eleanor. Les souvenirs du trajet avec mon père, de la soirée qui avait suivie, de la déception que j'avais lue au fond de ses yeux.

Nous sortîmes de la voiture, prîmes le sac dans lequel Maman avait mis le gâteau qu'elle avait préparé.

Ma tante nous accueillit à bras ouverts. Elle avait un grand sourire qui réchauffa nous cœurs en peine. Elle nous fit entrer, et nous conduisit à la salle à manger où elle avait préparé un véritable festin.

Nous nous assîmes alors tous autour de la table, et commençâmes à manger. Tout était délicieux. Elle nous avait préparé des lasagnes (sa spécialité), et Lola et moi nous régalions comme lorsque nous étions enfants.

Après le repas, nous nous assîmes tous les deux au jardin, et malgré le ciel couvert, nous restâmes installés là un bon moment.

– Alors, il y a du nouveau avec ta demoiselle ?

Elle rougit légèrement paraissant mal-à-l'aise d'en parler, mais je vis néanmoins à son petit sourire qu'elle était contente que j'aborde le sujet.

– Eh bien... Elle m'a dit qu'il y avait quelqu'un qui lui plaisait, et que je connaissais bien cette fille... Alors je pense que peut-être c'est moi tu vois ? Et puis du coup j'attends qu'elle me demande de sortir avec moi...

Elle haussa les épaules après avoir débité toute la situation comme s'il s'agissait de banales informations.

– Tu sais, commençai-je en voulant bien remplir mon rôle de grand-frère, il ne faut pas que tu espères trop non-plus. C'est vrai que ce qu'elle t'a dit était très équivoque, mais cela ne doit pas te pousser à tout prendre pour acquis car peut-être qu'il y a eu un quiproquo et qu'elle parlait de quelqu'un d'autre que toi. Je ne dis pas ça pour te décourager, surtout pas, mais je souhaite juste que tu sois la plus heureuse possible, et je ne veux pas que tu aies le cœur brisé.

À côté de moi, Lola hocha la tête.

– Je ne sais pas trop quoi faire, m'avoua-t-elle.

Elle laissa un silence pendant un instant. Elle semblait chercher ses mots.

– J'ai peur, reprit-elle, j'ai peur que, si jamais je fais le premier pas, je me fasse rejeter et que ça me fasse hyper mal. Mais j'ai peur aussi de ne pas le faire, et de le regretter plus tard, comme j'ai peur que si je ne le fais pas, et j'attends qu'elle le fasse, elle trouve que je n'ai pas de cran ou quoi. Et en même temps je me dis qu'elle préfère peut-être quand c'est elle qui le fait ? Et imagine si jamais elle me dit que ce n'est pas réciproque... Je ne m'en remettrais pas, ce serait tellement triste pour moi et ça me ferait tellement mal... Mais en même temps j'ai envie qu'elle soit heureuse tu vois ? Alors je veux aller à son rythme, ne pas la brusquer, même si je sais qu'elle a eu plus d'expériences que moi donc en toute logique elle...

– Lola, stop, la coupai-je.

Elle ancra ses yeux dans les miens, et s'y accrocha de toutes ses forces. Je pouvais y lire sa détresse et son angoisse. Je fis donc au mieux pour prendre un ton posé et bien choisir mes mots. Pas la peine de faire une maladresse qui pourrait l'angoisser encore plus.

– Écoute Lola, je ne la connais pas cette fille, d'accord ? Je ne sais même pas comment cela se passe, une relation entre deux filles. Mais je sais comment se passe une relation entre deux personnes. De ce que tu m'en dis, qu'elle soit amoureuse de toi ou non, elle tient énormément à toi. Alors si jamais tu lui dis ce que tu ressens pour elle, sache qu'elle fera tout pour te faire le moins de mal possible. Oui, il y a des chances pour que ce soit non, elles sont moins nombreuses que celles pour que ce soit oui, mais cela n'empêche que ça te fait peur, et c'est normal.

Elle hocha la tête. Je réfléchis un instant afin de choisir les bons mots.

– Mais peut-être que les chances pour que ce soit oui valent la peine que tu tentes le coup non ? Parce que qui sait ce qu'il se passera demain ? Après-demain ? Qui sait si vous aurez toujours une vie devant vous pour vous aimer ? Personne. Personne ne peut te l'assurer. Alors la seule chose que tu puisses faire, c'est vivre chaque minute de ta vie à fond. C'est vivre chaque seconde comme si c'était la dernière.

Elle sembla réfléchir un instant.

– En le faisant, tu vas prendre un risque, cela va faire battre ton cœur un peu plus vite, mais crois-moi, ça vaut le coup. Et puis, tu es vraiment une personne merveilleuse, alors ne doute pas de toi, sois fière de qui tu es et aie confiance en toi.

Elle posa la tête sur mon épaule.

– Tu sais que je t'adore ?

Je passai un bras autour de ses épaules et nous restâmes ainsi un instant tous les deux à regarder le ciel de plus en plus noir de nuages. Nous entendions de tonnerre gronder de temps en temps au loin, mais nous n'y faisions pas attention.

– Je crois que je vais lui dire, lorsque nous rentrerons. Je vais lui demander que l'on se voit, juste toutes les deux. Et puis je lui dirai. Enfin, je ne lui ferai pas une grande déclaration d'amour comme dans les films hein, mais juste je lui dirai qu'elle me plaît beaucoup et que vraiment je serais ravie s'il y avait moyen que nous soyons plus que des amies l'une pour l'autre...

Je lui jetai un petit regard, elle semblait résolue et motivée.

– Cela me semble être une bonne idée.

Nous passâmes l'après-midi à parler des détails techniques de son rencard comme ce qu'elle allait porter ou l'endroit où aller. Elle était enjouée et fébrile à la fois, et je ne pouvais m'empêcher d'avoir un sourire attendri dès que mes yeux croisaient son regard.

Le soir, j'appelai Eleanor. Nous ne parlâmes de rien de spécial. Elle me raconta qu'il avait plu toute la matinée, que cela la déprimait. Ensuite elle me conta des anecdotes de ses entraînements de sport en club. Comme la fois où elle s'était fait une entorse en marchant sur un ballon de hand. Cela me fit beaucoup rire.

Moi, je lui racontai tous les sports que j'avais essayés et pratiqués avant de me poser sur le roller. Cela ne sembla pas vraiment l'étonner. Elle écouta patiemment mon récit, et nous rîmes des gaffes et maladresses que nous avions tous les deux faits dans tel ou tel sport.

À la fin de l'appel, elle me dit que longtemps, elle avait aussi fait du piano, qu'elle aimait bien ça, même si ce n'était pas une véritable passion.

Ce fut une merveilleuse soirée.

J'espère que là ou tu es, tu peux toi aussi entendre le sourire qui pointe dans sa voix, ou son rire cristallin.

J'espère que tu as encore le droit à ça,

Angel.

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