Chapitre 8
Le passage par la salle de bains me fait un bien fou : je laisse l'eau chaude ruisseler longtemps sur mon corps et détendre chacun de mes muscles. Je suis super content de cette journée – qui avait pourtant bien mal commencé, on s'en souvient.
J'ai l'impression, pour la première fois depuis longtemps, d'être là où je dois être, quand il faut et avec qui il faut.
J'enfile un jean et un col roulé gris anthracite – je jette un œil dans le miroir : mon « fabuleux » regard glacier s'accorde plutôt bien avec mes cheveux et mon pull... Je me trouve pas mal : c'est vraiment une nouveauté !
J'appelle ma mère rapidement, pour lui dire que tout va bien. Il semble que Dylan, l'un de mes cousins ait essayé de me joindre pour me parler du réveillon. Je le rappellerai demain.
Puis je rejoins les autres dans le salon. Nous parlons à bâtons rompus autour du plan de travail, un soda ou une bière à la main, pendant que Connor prend la direction des opérations pour le gratin de légumes – qui ne fait pas l'unanimité au départ, mais remporte un franc succès au moment d'être dévoré. Vive la cuisine française !
Après le repas, nous nous installons dans le salon, devant la cheminée, pour une partie de Time's Up. Nous tirons au sort les équipes : ce sera Mel et moi d'un côté, contre Connor, Lya et Jonas.
L'atmosphère est électrique, d'autant que les égos sont de sortie ce soir ! Je surprends à plusieurs reprises le regard noir de Connor posé sur nous – jalousie ou frustration, je ne saurais pas le dire, mais cela ne nous empêche pas de manquer mourir de rire à plusieurs reprises, surtout lorsque Lya imite le canard pour essayer de faire deviner Bruce Springsteen. Jonas est au bord de l'asphyxie :
- Springsteen !!! Mais quel rapport avec le canard ???
Bref. Nous perdons quand même et sommes obligés de parcourir le tour du salon 3 fois en faisant la brouette. J'ai l'impression de me retrouver à la maternelle !
Jonas et moi gagnons la 2e partie, car il est juste le champion toutes catégories de ce jeu : Connor et les deux filles doivent réaliser une pyramide humaine avec juste deux jambes posées sur le sol. Nous frôlons la catastrophe, mais Jonas et moi restons pliés en deux pendant au moins 5 minutes.
Tout le monde est d'accord pour faire une pause : c'est le moment ! Je vais chercher deux paquets de gâteaux dans la cuisine et les pose devant nous, sans un mot. Mes amis affichent des mines interrogatives tandis que je m'assois face à eux.
- La Brownies Team étant au complet, et conformément à ses statuts (qui n'existent évidemment pas), je propose solennellement que nous accueillions un nouveau membre parmi nous. J'étais bien entendu le seul à pouvoir prendre cette décision, vu que... bon... tout le monde a compris. On passe au vote et à la dégustation ?
Connor est aux anges, tout le monde hurle son approbation, et nous attaquons sauvagement les brownies au chocolat pour entériner cette décision historique. Nous sommes désormais 5.
Pour fêter ça, je vais chercher ma guitare dans ma chambre. Nous chantons quelques morceaux de The Week'end et Cigarette after sex (rien à voir, j'avoue), nous nous sentons un peu comme à Coachella, version chalet sous la neige.
La soirée est top.
Il est minuit et demi lorsque Lya se lève en baillant :
- Je vous adore mes biscuits, mais là, j'ai vraiment besoin de sommeil. Je tombe. Et j'ai encore mes étirements à faire !
Je pose ma guitare à côté de moi sur le canapé, et me lève pour souhaiter une bonne nuit à ma meilleure amie. Les autres suivent : il est tard, et nous avons une journée bien remplie prévue demain. Je les entends s'affairer à l'étage, tandis que je contemple le feu, les mains au fond des poches. Je me sens bien.
Je saisis ma guitare pour aller me coucher et finalement, je me ravise. Je ranime le feu en ajoutant une buche, puis je me rassois sur le canapé, face aux flammes qui dansent.
J'ai l'âme bleue ce soir. J'ai envie de douceur musicale. Je prends ma guitare sur mes genoux et mes doigts se mettent à gratter les cordes, presque malgré moi. Je pars loin, loin.
Je ne sais pas combien de minutes s'écoulent ainsi, quand je vois soudain Connor apparaître devant moi : je m'arrête de jouer instantanément. Plongé dans la musique, je ne l'ai même pas entendu descendre les escaliers.
- Je n'arrive pas à dormir, alors je me suis dit : autant que ça serve à quelque chose » explique-t-il en haussant les épaules comme pour s'excuser. Il tient dans une main un carnet assez large, et dans l'autre une petite trousse de cuir.
Un sourire timide que je ne lui connais pas flotte sur ses lèvres : un truc qu'il doit utiliser avec les filles, parce que franchement, ça marche plutôt bien – même sur moi. Avec son tee-shirt ajusté qui laisse deviner un torse musclé et son pantalon de coton taille basse, il pourrait faire craquer Mel, si elle était ici. Elle l'est. Mais non, pas vraiment.
Sans répondre, je recommence à pincer les cordes de la guitare. Ça ne me gêne pas qu'il soit là. Ça ne me gêne plus. Je suis autour d'un feu de camp dans le Montana et rien ne me fera revenir. J'y reste !
Je joue en fredonnant des airs de blues et de country. Il dessine – je l'aperçois dans ma vision périphérique, installé sur le fauteuil et nimbé d'un halo orangé. Est-ce qu'il est en train de me dessiner, moi ? D'un côté, cette idée me dérange, et de l'autre, je serais curieux de savoir comment il me voit, lui.
Je vais peut-être bientôt le savoir car il finit par poser ses crayons :
- Tu veux voir ?
Mes doigts s'immobilisent, je lève les yeux vers lui. Je ne sais pas exactement ce que je suis censé vouloir voir – juste ce dessin ou tous ceux qui dorment dans ce carnet, mais une chose est sûre : j'ai super envie de voir ! C'est étrange ce que je ressens là, tout de suite, une sorte d'excitation comme lorsqu'on s'apprête à découvrir un secret...
- Ouais, bien-sûr !
Il hoche la tête tandis que son sourire s'élargit, comme s'il avait un moment douté de ma réponse.
Je pose ma guitare et me redresse un peu. Il vient s'installer sur le canapé à côté de moi.
- Est-ce que tu es prêt à vivre un grand moment ? me demande-t-il d'un air solennel, qui tranche avec le sourire qui perce dans ses yeux. Dans la lumière dorée des flammes, ceux-ci semblent animés d'une vie propre. Ils me disent la gêne, l'hésitation, l'appréhension aussi, qu'il ressent certainement à l'idée de dévoiler une partie de lui. J'aimerais bien détendre l'atmosphère, car après tout, il ne risque pas grand-chose, alors je ricane en le poussant un peu de l'épaule :
- Il faut peut-être pas abuser, hein, Picasso !
Il esquisse un semblant de protestation, puis ouvre son carnet en le déposant sur moi.
Sur la première page, un paysage urbain. Je le reconnais : c'est Times Square. Les écrans sont si précisément détaillés qu'on s'attend à voir défiler les images d'une seconde à l'autre, tandis que les enseignes lumineuses paraissent clignoter. On entend aussi le vrombissement des voitures et le bruissement de la foule, rien qu'en balayant le dessin du regard, c'est fou !
- Je l'ai fait il y a 2 ans – quand on est allés à New-York avec le lycée. Crayon et pastel sec.
- C'est super impressionnant. Tu l'as fait comme ça, dans la rue ?
- Non. J'ai fait un croquis sur place, mais ça, je l'ai fait après. Ça m'a demandé un peu de temps quand même.
- J'imagine.
Je tourne les pages. A chaque fois, c'est une surprise : des paysages, des portraits de ses proches, et même de ses profs, des études de mains ou d'expressions du visage, et j'en passe... c'est une vraie caverne d'Ali Baba, ce carnet. Mais à la place des pierres précieuses et de l'or, ce sont des images.
Il m'explique le contexte de tel ou tel dessin, ce qui lui a donné envie de le faire, pourquoi il est réussi ou raté – enfin, raté selon lui, parce qu'en ce qui me concerne, je les trouve tous incroyables. Il pointe du doigt des détails qu'il a cachés comme un clin d'œil, ou la technique qu'il a utilisée pour donner un effet précis.
Certains d'entre eux ont été réalisés dans le cadre de ses cours d'Art – notamment celui-là, justement. On arrive à la fin du carnet.
J'ai l'impression de recevoir un coup de poing dans le ventre en découvrant ce portrait. Mon esprit se met « hors service » pendant une seconde, histoire d'encaisser.
C'est Mel.
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