Chapitre 4
Nous nous entassons dans le Chevrolet pour descendre à Pagosa Springs, direction la boutique de location de matériel. Je remercie Mitch intérieurement, parce que dans la Ford ça n'aurait tout bonnement pas été possible. D'autant que la chute de neige semble s'intensifier d'heure en heure.
Mel et Connor ont adapté leur tenue au climat environnant : écharpes et blousons doublés, chaussures montantes sont désormais de rigueur. Mel porte un bonnet de laine – ses cheveux blonds encadrent son visage parfait tandis qu'un legging noir moule parfaitement ses longues jambes – je le reconnais : je me souviens la fois où je le lui ai enlevé un soir après le lycée. Un voile de chaleur, que je repousse presqu'aussitôt, chatouille mon ventre à ce souvenir.
Connor a gardé son jean, en revanche. Mais en fait, le froid n'a pas l'air d'avoir de prise sur lui, et il porte de nouveau ses lunettes de soleil. J'avoue, ça lui donne un style plutôt sympa. Moi qui suis Hispano – je ne m'appelle pas Mendoza pour rien – des lunettes de soleil en plein hiver sous un ciel gris, ça le fait pas. Bien que parfois, mes yeux gris hérités de mon père auraient bien besoin d'un filtre solaire. La nature ne fait pas toujours bien les choses, semble-t-il.
Jonas, Mel et Lya choisissent leur équipement avec Carla, une fille du coin qui s'y connait : ils ont un bon niveau de ski, il leur faut du matériel un peu technique.
C'est Tony, le fils des propriétaires, qui s'occupe de Connor (moi, j'ai mon équipement qui m'attend au chalet). Nous nous connaissons depuis que nous avons 5-6 ans. J'ai travaillé là cet été, pendant deux mois, à louer des jet-skis ou organiser des randonnées – il a été cool avec moi. Je glisse un regard vers mes amis, à l'autre bout : ils ont l'air de bien s'amuser. Je suis resté avec Connor, mais je me demande pourquoi maintenant.
- Salut ! Pour débuter, je te conseille de prendre ces skis. Tu mesures quoi... 1m85-90 ?
- Oui, 1m87 pour être précis.
Tony lui tend des Salomon à spatules rondes et des bâtons. Il se tourne vers moi.
- Qui va lui apprendre ? Vous n'allez pas l'emmener sur les pistes, quand même ?
- Madame Solidarité, d'après ce que j'ai compris. » Je regarde Connor, qui se retient de rire. « C'est ça ? »
- Oui, c'est ça.
Tony fait la moue : « Ah ? Je la connais pas. Ça doit être une nouvelle prof ! »
En essayant ses chaussures, Connor n'a pas l'air super à l'aise.
- C'est normal que cela soit si rigide et si serré ? me demande-t-il un peu circonspect en se levant. Il me dépasse de près de 10 cm maintenant... en le voyant si incertain, il me fait penser à un colosse aux pieds d'argile.
- Ça t'évitera de te péter la cheville, entre autres ! Ne t'inquiète pas et fais confiance à Tony, c'est un mec qui s'y connait.
- OK ! ... mais putain... qu'est-ce que je suis venu foutre là ??? gémit-il en tombant lourdement sur le banc.
Nous éclatons de rire. A cet instant, je surprends le regard interrogateur de Mel posé sur nous. Finalement, on s'éclate aussi de ce côté de la boutique, c'est cool !
Compte-tenu de tout le matériel que nous louons – casques, skis, chaussures – et parce que c'est moi, la boutique nous accorde une remise sur la location : ça sert d'avoir des connaissances dans le coin !
- Avec l'argent économisé sur le matos, je vous paye un coup ! annonce Mel en sortant de la boutique.
Autant dire que personne ne s'oppose à cette super idée. Il est 17h, la nuit va bientôt commencer à tomber : un bon chocolat chaud sera le bienvenu, avant de remonter au chalet. Nous posons le matériel dans la voiture.
Les rues sont encore illuminées des décorations de noël : Pagosa Springs est une jolie petite ville, dans un écrin de neige et de lumière au cœur des montagnes du Colorado. Une nouvelle fois, je mesure combien je me sens bien, ici. Je regrette presque de ne pas avoir ma guitare avec moi pour nous refaire un remake de je ne sais quel road-movie de derrière les fagots.
Assis devant nos boissons fumantes, nous décidons d'acheter des pizzas avant de rentrer au chalet. Je sais que Rick a déposé des bouteilles de Chardonnay blanc à notre intention dans un coin du bûcher, au frais. Il m'a envoyé un sms ce matin, en me recommandant de ne rien dire à ma mère. Il y a en outre des jus de fruits, du soda et de la bière dans le cellier, plus qu'il n'en faut. La soirée devrait être sympa.
Il est plus de 18h lorsque nous arrivons. Il fait nuit noire, mais il s'est arrêté de neiger.
Mel et Connor s'éclipsent à l'étage, tandis que je ranime le feu, accroupi devant la cheminée.
- Il est sympa, non ?
Je me retourne : Lya est assise sur le canapé avec un large sourire. J'aperçois du coin de l'œil Jonas, qui fait le tour de la pièce pour rallumer les lampes et les photophores. Peu à peu, la pièce est baignée d'une lumière orangée, douce et chaleureuse.
Je souris à mon tour. Inutile de demander de qui elle parle : mes amis me connaissent.
- Ouais. Heureusement.
Jonas s'affale sur le canapé à côté de Lya, et s'empare d'un coussin pour le poser sur son ventre. Nous sommes contents de nous retrouver tous les trois.
- Les gars, il va falloir que vous me mettiez au courant de tout. Vous le savez non ?
Jonas et moi échangeons un regard complice.
- Quand tu dis « tout », est-ce que tu veux dire « Michaël McConnaghan » ?
Lya pousse un cri en enfouissant son visage dans ses mains. Elle se balance de gauche à droite quelques secondes avant de s'immobiliser et d'entrouvrir ses mains :
- Alors ? demande-t-elle d'une toute petite voix.
- Personne n'a su conquérir son cœur jusqu'ici » affirme Jonas solennellement, ce qui semble être la meilleure nouvelle que Lya ait entendu depuis des années.
- Même cette peste de Carole Peterson ?
- Elle est complètement hors-jeu, si tu veux mon avis ! Tu sais avec qui il est venu au bal d'automne ? Hein ?
- Avec qui ? demande-t-elle avidement en se penchant vers moi d'un air comploteur.
- Avec sa sœur !
- Emily McConnaghan !!! Je l'aime, je l'aime, je l'aime ! Lui avez-vous dit combien je l'aime ?
Avec emphase, Lya joint les deux mains pour mimer l'adoration, ce qui nous achève complètement : cela nous manque depuis si longtemps de rire ainsi !
Pendant un long moment, nous ne pouvons reprendre notre souffle, puis nous retrouvons notre calme, lentement engourdis par la chaleur du feu. Après quelques minutes, je sors mon téléphone :
- Tiens, je t'ai récupéré son numéro perso. Je te l'envoie.
Lya marque une pause.
- Mais comment as-tu fait ? Il ne le donne à personne !
- Bah ouais. Je sais.
- Oh, toi aussi, je t'aime, je t'aime, je t'aime ! Est-ce que je t'ai dit combien je t'aime ?
- Une fois de plus, ça m'ira bien !
- Alors JE T'AIME !
Pile à ce moment, Mel et Connor font leur apparition. Ils affichent un grand sourire satisfait – ce qui ne me plait qu'à moitié, je dois l'avouer. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j'imagine que dans un coin reculé de ma conscience, l'idée qu'ils aient passé ces 30 dernières minutes ensemble dans l'intimité ne m'enchante que très moyennement. Et pourtant, j'ai passé un très bon moment moi aussi.
Mais en entendant les mots de Lya, le sourire de Mel se ternit un peu, tandis que celui de Connor s'élargit.
- Héhé ! Qu'avons-nous raté ici ?
- Rien de bien nouveau, à vrai dire. J'ai juste toutes les filles de cette baraque à mes pieds, voilà ! Désolé les mecs !
Je me lève sous les protestations surjouées de tous, filles et garçons. Je suis assez fier de moi, je dois le reconnaitre. Tout en me dirigeant vers la porte, je lance à Jonas :
- Tu sors la bière, dans le cellier ? Je vais chercher du vin !
C'est une véritable explosion de joie qui accueille mes propos cette fois, comme si ces gars-là revenaient d'une expédition dans le désert, 100 jours sans boire une goutte d'eau.
On est tous confortablement installés dans le salon, sous d'épaisses couvertures, autour du feu. Mel est lovée contre Connor, Lya et moi étendons nos jambes sur le tapis, adossés au canapé, partageant le même plaid. Jonas a pris place dans le fauteuil en cuir de ma grand-mère, il observe la cheminée d'un air pensif.
Un verre de vin ou une bière à la main, nous contemplons les flammes en silence. Je sens l'alcool réchauffer mes veines : il ne m'en faut pas beaucoup !
- Oh ! Sam, tu nous joues quelque chose ?! Tu as pris ta guitare, je l'ai vue tout à l'heure !
Je tourne la tête vers Mel, sans répondre, histoire qu'elle comprenne bien qu'elle me saoule. Elle m'adresse un sourire un peu gêné.
Mais c'est Connor qui insiste.
- J'aimerais vraiment bien t'écouter ! Je sais pas, un ou deux morceaux... pas plus ! Un bon feu dans un chalet perdu au cœur de la forêt, quelques amis triés sur le volet, enfin... tous sauf un ! Presque tous les critères sont cochés !
Sa capacité à se moquer de lui-même me plait bien et me fait sourire, qui plus est. Rien que pour ça, je me lève et vais chercher ma guitare.
- Juste le temps que les pizzas soient prêtes, ok ?
Tout le monde acquiesce avec entrain. J'accorde la guitare puis je me lance. C'est Connor le premier qui hoche la tête en souriant : il a reconnu le morceau que j'ai choisi, presqu'aussitôt suivi par les autres.
Nous connaissons tous Hôtel California par cœur : nous entonnons les paroles, faisant résonner nos voix plus ou moins justes jusqu'à la dernière note. Emporté par notre enthousiasme collectif, j'entame les accords du deuxième morceau – un arrangement d'une chanson de Billy Joël, « Honesty ».
Lya fredonne avec moi – c'est la seule qui la connaisse vraiment, tandis que les autres écoutent en silence.
Quand j'ai terminé, c'est un tonnerre d'applaudissements qui envahit la pièce. Si ça continue, je vais prendre goût aux concerts et aux ovations qui vont avec ! Autant en profiter, j'ai une semaine devant moi !
Il est minuit passée quand nous décidons de rejoindre nos chambres respectives. J'enlace Lya et Jonas avant qu'ils ne montent – une habitude prise il y a quelques temps, que nous n'avons pas perdue. Face à Mel, je me sens un peu bête, et je vois bien qu'elle ressent la même chose, bien que Connor, qui rassemble les verres et les assiettes pour les ranger dans le lave-vaisselle, fasse mine de ne rien voir. Finalement, elle, pose un baiser sur ma joue en me souhaitant bonne nuit et se sauve dans l'escalier.
Quand je me retourne, Connor est à quelques pas. Il a ses yeux noisette rivés sur moi, insondables. Il repousse de sa main ses cheveux vers l'arrière de son crâne, et hausse les sourcils sans me quitter du regard, un léger sourire aux lèvres. A ce moment-là précisément, je me fais la réflexion que je me suis trompé : ce n'est pas capitaine de l'équipe de foot, qu'il devrait être, mais mannequin ou acteur de cinéma. Il y a une telle photogénie naturelle qui se dégage de ce gars que c'en est perturbant.
Le son de sa voix me tire de mes pensées :
- Bonne nuit, Sam. C'était une soirée super cool !
Et tout en se dirigeant vers l'escalier, il ajoute :
- Je ne vais pas te mentir : je vais prier toute la nuit pour qu'il tombe un mètre de neige et qu'on soit bloqué ici demain !! Pas de ski !! Wouhou !
- Ne flippe pas ! Je suis sûr que tu vas te débrouiller. Et puis qu'est-ce qu'on ferait ici, toute la journée, hein ?
- Tu jouerais de la guitare, et je dessinerais. Ou plutôt, je te dessinerais en train de jouer de la guitare.
- Super plan ! ». Je masque à peine mon air narquois.
Il est dans la pénombre, à mi-hauteur des escaliers, je le distingue à peine. Mais je le devine s'arrêter une seconde et tandis qu'il recommence à monter, je l'entends murmurer :
- Ouais, pas mal, comme plan.
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