Chapitre 38

Lorsque le vrombissement du moteur de la seconde motoneige se rapproche, nous nous éloignons doucement en nous souriant.

- Je te laisse le volant ?

- Ok ! je veux bien.

C'est à mon tour de me coller à lui. Je vais être très franc : le paysage, je m'en fous à cet instant. J'ai les mains plaquées contre son abdomen – dont je sens la chaleur à travers son pull. Comme nous allons moins vite, il lui arrive de poser l'une de ses mains sur les miennes pendant la balade et de croiser ses doigts avec les miens. A chaque fois qu'il me touche, je me répète « il t'aime », « le plus beau garçon sur terre t'aime ». J'ai encore du mal à y croire.

Avant de reprendre la voiture, je laisse un message vidéo à Serena dans lequel je commence par me filmer pour lui souhaiter une bonne année, et lui dire que nous nous voyons demain, que je n'ai pas oublié sa surprise, puis je termine en faisant un tour complet du panorama, en lui annonçant qu'aux prochaines vacances, je l'emmènerai skier ici. Je sais qu'elle attend ça depuis longtemps – mais jusqu'à présent, j'ai été ce genre d'adolescent qui adore sa sœur mais ne trouve pas un moment pour se charger d'elle sur les pistes – trop occupé avec sa bande de cousins. Il faut croire que j'ai grandi. Ces derniers mois m'y ont pas mal aidé, apparemment : ma rupture avec Mel notamment a bousculé le sens de mes priorités et j'ai appris à me préoccuper davantage de ceux qui m'entourent. Bon, que l'on ne s'y méprenne pas : je reste un ado comme tous les autres, qui se considère la majeure partie du temps comme le centre du monde, normal.

Lorsque nous rentrons au chalet, le soleil est en train de disparaitre derrière les montagnes. Nous sommes passés au supermarché acheter de quoi préparer des pizzas maison – idée lumineuse du chef Jonas pour notre dernière soirée ici.

Une fois arrivés, Connor ranime le feu dans la cheminée, Lya s'affale avec son téléphone dans le canapé – elle a beaucoup pianoté aujourd'hui : ne serait-ce pas l'effet McConnaghan ? – tandis que Jonas s'enroule dans un plaid et s'écroule sur le fauteuil en annonçant qu'un petit repos avant le repas lui ferait du bien. L'atmosphère est apaisante et feutrée. C'est un moment que j'aime particulièrement durant l'hiver, quand la lumière fait place à l'obscurité, le temps semble suspendu entre l'agitation de la journée et le calme du soir. Quand nous étions petits, ma grand-mère allumait les guirlandes et les photophores, préparait un feu dans la cheminée et nous imposait au moins une demi-heure de présence dans le salon avant le diner, pour lire, discuter, écouter ou jouer de la musique, ou même ne rien faire, emmitouflés dans les couvertures. J'ai souvent pris ma guitare durant ces moments-là. Ma grand-mère appelait ce rendez-vous la « parenthèse enchantée » - un titre pompeux pour une chose bien simple, mais si précieuse à ses yeux : les liens familiaux – ou plus exactement ses liens avec ses petits-enfants. Même s'il nous arrivait de râler, nous nous pliions volontiers à ce rituel des vacances, car il finissait toujours par de franches rigolades grâce à notre complicité entre cousins. Si nous sommes aussi soudés aujourd'hui, c'est en partie grâce à ces moments-là, j'en suis persuadé.

Envahi par la nostalgie, l'idée de l'eau brûlante sur mes épaules me semble tout à coup la meilleure du monde et j'annonce en quittant le salon :

- Je passe à la douche !

Pendant que l'eau coule dans un nuage de vapeur, je prends conscience avec une pointe d'amertume que demain, à cette heure-ci, je serai à Santa Fe, en train de vérifier le contenu de mon sac pour le lycée. Ma parenthèse enchantée va prendre fin, inéluctablement, et je sens mon ventre se crisper : je ne peux rien faire contre ça. Rien du tout.

Je me sèche et commence à me rhabiller face au miroir embué. L'image imprécise qu'il me renvoie correspond bien à mon état d'esprit. Je me rends compte après avoir passé mon jean que j'ai oublié d'emporter un tee-shirt propre.

Je retourne dans ma chambre sans prendre le temps d'allumer et dans la pénombre, je finis par en dénicher un gris à manches longues, avec le logo du lycée plaqué sur la poitrine.

La porte s'ouvre. Connor apparait.

- J'ai fini. La place est libre.

Il entre furtivement et referme derrière lui :

- Ok. Stop. Stop. Arrête.

- Quoi ?

Il vient jusqu'à moi et saisit le tee-shirt que j'ai dans les mains pour l'envoyer sur le lit. Je distingue grâce à la clarté de la nuit sous la lune ses yeux qui pétillent de malice tandis qu'il hausse les épaules d'un air faussement embarrassé :

- Ben, le hasard fait que j'arrive juste au bon moment, et du coup... j'aimerais bien le faire durer un peu. Tu ne bouges pas.

Je ne peux retenir un sourire quand je comprends. Il s'est posté devant moi, si près que je sens le tissu de son haut effleurer ma peau, et que son souffle tiède frôle doucement mes clavicules. Mon cœur tambourine comme un sourd dans le silence de la pièce – on doit l'entendre à l'autre bout du chalet - et je sens des picotements d'impatience parcourir mon corps tout entier. Son regard est plongé dans le mien.

- Même la nuit tes yeux sont clairs, murmure-t-il tendrement, alors que ses mains se posent avec douceur sur ma taille nue et s'animent lentement.

- Tu es trop beau – j'ai besoin de te toucher pour vérifier que tu es bien réel, poursuit-il en effleurant mes lèvres.

- C'est pas juste. Tu es habillé, toi.

Il marque un temps d'arrêt et m'observe un moment comme s'il hésitait sur la réponse à donner. Puis, dans un mouvement leste, il enlève son tee-shirt en le faisant passer par-dessus sa tête et l'envoie à côté du mien sur le lit. Inutile de préciser que sa décision me comble.

- On est à égalité, maintenant, conclut-il avec des yeux rieurs. Ça te va ?

- Mmmh, ça me va.

Nous voilà tous les deux torses nus – je me souviens en avoir rêvé il n'y a pas si longtemps, en pensant que cela n'arriverait jamais. Il a une carrure parfaite de nageur, avec des muscles tout en longueur, le buste taillé en V et les épaules larges. La ceinture de son pantalon repose négligemment sur ses hanches étroites. Il me plait trop.

Je tends la main vers lui et touche son ventre du bout des doigts :

- Bon, j'avoue : tes abdos sont pas mal.

Il rit en se rapprochant de moi, prend ma main et la replace le long de mon bassin.

- Tu ne bouges pas, répète-t-il à voix basse. Nos deux corps sont à quelques centimètres l'un de l'autre désormais, mes veines charrient de la lave pure. Ses mains se posent de nouveau sur ma peau, caressent lentement mon ventre et les ondulations de mes abdominaux, qui se contractent dans un frisson de plaisir.

- Les tiens sont parfaits. Tu gagnes ce point-là, concède-t-il en souriant.

Je retiens mon souffle et me concentre sur le mouvement de ses doigts, qui s'aventurent sur la moindre parcelle de ma peau, suivent les courbes de ma poitrine pour redescendre sur les côtés, puis recommencent, toujours plus voluptueusement : la sensualité de ses caresses me rend dingue de désir pur ; j'ai l'impression de m'embraser littéralement à chaque fois que ses doigts effleurent mes tétons, tandis que ses lèvres se promènent avec légèreté dans mon cou. Des moments comme celui-ci, j'en ai rêvé. Et je ne veux pour rien au monde revenir en arrière. Mais je sens des fourmillements s'emparer de mes mains inutiles et l'impatience m'envahir avec force ; je ne tiendrai pas longtemps encore :

- Je peux bouger, maintenant ?

Je reconnais à peine cette voix rauque et voilée par le désir. Sans cesser ses caresses, Connor plante son regard dans le mien :

- Pourquoi ? Tu veux que j'arrête ?

- Non. Je veux pouvoir t'embrasser et te toucher, moi aussi.

- C'est une bonne raison, reconnait-il en enserrant mon visage entre ses doigts. Alors que nos lèvres se retrouvent enfin avec une sensualité infinie, je place mes mains sur son dos et l'attire à moi aussi étroitement que possible : je veux sentir chaque parcelle de sa peau contre la mienne, éprouver la chaleur de nos deux corps mêlés. C'est ce que j'ai désiré le plus dès les premiers instants de notre histoire. Et je n'en reviens pas que cela soit une réalité ce soir – juste parce que j'ai oublié de prendre mon tee-shirt dans la salle de bains.

Enfin, c'est mon tour ! Je couvre la peau de Connor de mes caresses et puisque c'est autorisé, je laisse mes doigts dériver sur sa poitrine, comme il l'a fait lui aussi, éprouvant une joie pure lorsque je le sens tressaillir. Après quelques minutes, ses lèvres quittent les miennes, et il me regarde intensément – je reconnais cet air-là – c'est celui des questions importantes. Puis il saisit mes mains posées sur sa taille dans les siennes et les joins dans le bas de mon dos en enlaçant nos doigts :

- Samuel...

- Moi aussi je t'aime.

Il sourit, mais ses traits demeurent concentrés : a priori c'est vraiment important. Il poursuit après quelques secondes, d'une voix incertaine :

- Est-ce qu'on... enfin...

Il hésite et se tait, exaspéré de ne pas trouver les mots qui lui conviennent. Il prend une profonde inspiration et ses bras se resserrent un peu autour de moi – comme s'il cherchait à se rassurer. A me rassurer ?

Il s'éclaircit la gorge et d'une voix plus grave que d'ordinaire, il se lance enfin :

- Voilà. Est-ce que tu penses qu'un jour... Est-ce qu'un jour, je sais pas, imagine par exemple... Est-ce que tu crois qu'un jour, tu auras envie de faire l'amour avec moi ? Je veux dire est-ce que tu penses qu'un jour, on pourrait faire l'amour toi et moi ? Enfin... c'est pas exactement tout ce que je veux dire. Bon, je vais être plus clair : je crois que j'aurai envie de faire l'amour avec toi. J'en suis sûr en fait.

Une nouvelle fois, je suis impressionné par sa capacité à aborder simplement une question sensible ou compliquée, à en parler directement et posément, à envisager d'y répondre avec franchise. Et cette question en particulier me semblait encore hier une montagne infranchissable, un dédale de voies imbriquées et sans issue, complètement inappropriée. Dans sa bouche, pourtant, elle est légitime, simple, presque évidente. Les mots sortent de ma bouche si facilement :

- Oui, j'en aurai envie. J'en ai envie pour être exact : j'ai envie que ça arrive.

Il parait soulagé et heureux, le sourire charmeur qu'il esquisse rend ma réponse encore plus vraie : j'éprouve un désir complètement démesuré pour Connor. Ses dessins, nos caresses, son corps, son regard, ses doigts sur moi, son rire, sa franchise, ses blagues, ses lèvres... tout en lui attise mes sens, m'enflamme, me renverse. Je le désire plus que je ne saurais le dire et je voudrais qu'il le sache : surpris moi-même par mon audace, je détache mes mains des siennes et les glisse dans les poches arrière de son pantalon, sans le quitter des yeux. J'espère seulement qu'il ne trouvera pas ce geste vulgaire ou déplacé. Avec douceur, j'attire son bassin vers le mien. Il se trouve que je suis un mec et que la manifestation du désir s'exprime entre autres à cet endroit – même quand il nait d'abord dans le cœur. Au contact de sa peau contre la mienne, je ne peux retenir un frisson de plaisir, et du désir, encore du désir. Et c'est partagé, évidemment. A son regard qui devient encore plus intense, je devine qu'il n'a jugé mon geste que pour ce qu'il était : une déclaration de désir réciproque. Mon cœur va finir par exploser, je parviens néanmoins à murmurer :

- J'ai envie que ça arrive, même si je ne sais pas quand, et surtout... même si je ne sais pas comment faire.

- J'en sais rien non plus, mais je m'en fous. On trouvera. Je sais juste que je t'aime et que oui, je veux faire l'amour avec toi quand ce sera le moment. Je suis trop heureux que tu en aies envie aussi.

Je passe mes bras autour de lui pour le serrer contre moi aussi fort que je peux, tandis qu'il m'enlace avec une tendresse infinie.

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