Chapitre 2.

UNE FOIS rentrés, je me demandais si Charles ne m'en voulait pas un peu ; sûrement que oui, un peu, puisqu'il répondait évasivement, mais il n'avait pas été très explicite sur son agacement.

"Elle était sympa, Clémentine ? demandais-je, histoire de faire la conversation.

- Oui, elle est sympa."

Pour couper court à la conversation, il commença à se brosser les dents. Il avait sa brosse à dents personnelle dans notre gobelet de salle de bain. C'était sûrement bien le troisième coloc.

"Pourquoi t'as pas demandé à Maxence de te ramener ? T'avais l'air de bien t'entendre avec elle.

- Bah, j'sais pas, ça aurait été trop chelou. Elle aurait cru que je la draguais, non ?

- Est-ce que c'est une si mauvaise chose ?"

Je savais que Charles ne considérait pas la drague comme quelque chose d'important. Que c'était presqu'instinctif, chez lui, de draguer, de séduire, de plaire. Peut-être qu'il se savait exister et désirable, comme ça.

Mais pour moi, la drague c'était important. Je ne me sentais pas à l'aise à l'idée de jouer avec les sentiments de quelqu'un. Quand c'était Charles que je draguais à moitié, ça me faisait rire parce que je savais que tout ça ne mènerait à rien. Mais à part ça, le flirt me mettait mal à l'aise. Je ne savais pas y réagir, je ne savais pas faire, et surtout, je n'avais pas envie de tromper Augustin. Peut-être que j'avais ruiné ma relation, mais je n'allais pas empirer les choses alors que j'avais une chance minime de la sauver. Et ça incluait, ne pas proposer à Maxence de rentrer avec moi.

"Franchement, Estie, avec Augustin c'est cuit et tu le sais. Faudrait juste que tu l'acceptes.

- C'est pas mort tant qu'il me l'a pas dit, répondis-je avec aplomb."

Mais ma voix chancelait. L'alcool m'embrumait les pensées. Je savais qu'il me détestait, mais je voulais croire en la gentillesse d'Augustin. Je voulais croire en la chance, aussi infime soit-elle, qu'il pouvait me pardonner.

"Si tu le dis, soupira Charles avec une voix lasse."

La conversation prit fin ici. J'emmenais mon ordinateur jusqu'au lit et lançais un programme, mais Charles s'en moquait un peu. Peut-être qu'il m'en voulait. Peut-être avais-je merdé.

J'éteignis la lumière. Le silence pesait sur la pièce.

"Tu m'en veux ? demandais-je nerveusement.

- Je t'en voudrais de quoi ?

- J'sais pas."

Je l'entendis soupirer dans le noir. Et maintenant, voilà que je ruinais tout avec mes questions stupides!

"Je t'en veux pas, Estelle. Je comprends juste pas ce que tu branles à t'accrocher comme ça à une relation qui est clairement morte. Elle fonctionnait déjà plus avant que tu partes. Vous vous engueuliez tout le temps, tu savais même pas si tu voulais continuer à être en couple avec lui avant de partir. Et maintenant que t'es partie, t'en parles comme si c'était la relation du siècle. Alors que non. C'était une belle relation, mais tu mérites mieux et franchement, il mérite mieux aussi.

- Tu penses que je devrais rompre ?

- Tu fais ce que tu veux, j'suis pas ton père."

Il m'en voulait.

"Genre, t'es belle, t'es drôle, t'es super intéressante, t'as pas ton temps à perdre à courir après quelqu'un. Et que tu le vois pas, ça m'énerve. Que tu persistes à être amoureuse de quelqu'un qui te déteste probablement, ça me sidère. Et je te comprends pas.

- J'suis désolée, de te décevoir."

Nouveau profond soupir. Décidément, je les enchaînais ce soir.

"On s'en branle, de ce que je pense ! C'est justement ce que je suis en train de dire. Tu t'attaches trop à ce que les gens pensent de toi."

N'était-ce pas normal, de se construire selon l'opinion des gens ? De se plier à ce qu'ils voulaient de moi ? Je me souvenais en avoir parlé à mon psy qui m'avait sous-entendu que c'était de l'anxiété sociale, mais j'appelais ça de la survie en société. J'avais déjà été harcelée dans le passé et je préférais m'aplatir pour plaire au monde que de revivre ça.

"Que Maxence pense que tu la dragues ? On s'en branle. Si tu veux mon avis, ça lui déplairait pas vraiment. Que tu me déçoives ? C'est même pas vrai, et si c'était le cas, est-ce que tu ferais quand même pas ce que tu veux ? Qu'Augustin te déteste ? T'es à des kilomètres d'une ville que tu détestes et où tu retourneras dix fois dans ta vie. Qu'est-ce que ça peut te faire ?"

Cela faisait sens. Mais je savais qu'il ne le comprenait pas. Qu'il ne me comprenait pas. Et malgré tout ce qu'il disait, j'étais toujours décidée à convaincre les gens de m'aimer.

Sauf Clémentine. Elle pouvait me détester, je m'en fichais pas mal.

"T'es vraiment un bon ami. Merci de faire attention à moi."

Ca ne voulait pas dire que je changerais.

Charles déposa un baiser dans mes cheveux. Je me sentis apaisée, me sachant entourée de bienveillance. La nuit me parut douce.

Jusqu'à ce que Rochelle rentre avec fracas à 2 heures du matin, gloussant comme une pintade. Elle n'était pas seule. Je priais pour mon sommeil en espérant que ce soit simplement quelqu'un d'aussi bourré qu'elle et pas un coup d'un soir cueilli sur le chemin.

Le lendemain, je préparais le café pour tout le monde et trouvait une Maxence qui ronflait en boule sur le canapé. Elle ne semblait pas se réveiller malgré le bruit monumental de la machine.

Je me logeais contre un petit coin du canapé et commençais à boire mon café. Je n'avais pas encore apprivoisé la machine alors il me fallait pas mal de lait d'amande pour le rendre potable. Mais j'espérais qu'il saurait plaire à ma colocataire et nos invités en gueule de bois.

Force de bruit, Maxence leva paresseusement une paupière. Elle finit par se relever péniblement sur les fesses.

"Salut, grogna-t-elle."

Je ne sus pas vraiment quoi répondre. Je m'étais installée dans le salon pour ne pas avoir à faire la conversation à Charles - et je n'avais pas le courage de l'entendre se plaindre de mon café.

"Bien dormi ? demandais-je.

- Votre canapé est pas franchement confortable. Mais c'est mieux que Rochelle qui ronfle.

- Tu veux un doliprane ?"

Maxence me sourit, encore engourdie par le sommeil et l'alcool.

"C'est gentil mais ça ira. Je veux bien un peu de café, par contre.

- Il est pas très bon. Tu veux du lait d'amande ?"

Maxence nia et trempa ses lèvres dans le liquide encore fumant, avant de faire la grimace. Décidemment, je ne brillais pas par mon café, ni par mes traits d'humour. Me revint alors ma conversation avec Charles : je ne brillais pas non plus par mon intelligence. Que me restait-il, une fois que je n'avais plus d'eye-liner ?

"On a fait du bruit en rentrant ?

- J'avais envie de vous éclater, répondis-je instantanément."

Je me rappelais ensuite que je parlais avec une fille que je connaissais depuis moins de 24 heures et pas à ma bande habituelle d'amis.

"Fallait rester avec nous.

- La prochaine fois."

Le silence se posa dans la pièce. Maxence sirotait son café dégueulasse. Je repensais à ma vie. Je me demandais ce que je faisais là. Sur un canapé, loin de tout ce que j'avais toujours connu, en colocation avec une fille que j'avais rencontré pendant ses vacances dans mon bled pourri. En train de sympathiser avec des gens que je ne connaissais ni d'Adam ni d'Eve, dont je n'avais jamais entendu parler, alors que j'avais toujours été de nature réservée, à me cacher derrière le dos d'amies plus aventureuses que moi.

"Du coup, avec Rochelle, vous êtes quoi, exactement ? Si c'est pas indiscret.

- Bah, on a match sur Tinder et on a commencé à beaucoup se parler. Puis, j'sais pas, mon ex a recommencé à me parler en même temps, j'étais un peu perdue et j'ai commencé à lui raconter mes problèmes et on est devenues amies.

- C'est pas un peu ambigu, d'être amies alors que vous vous draguiez à la base ?"

Maxence haussa les épaules.

"Bin, pas vraiment. Pour moi Tinder c'est vraiment pas important. Genre t'es là, en pyjama devant Friends avec tes cheveux gras et tu te dis "tiens, elle, elle est jolie". Si j'y vais, c'est surtout parce que j'ai besoin d'attention."

Je ne savais pas si on pouvait trouver le grand amour sur Tinder mais cette histoire semblait amusante.

Cette histoire me fit penser à Augustin. Qui ne m'avait toujours pas répondu. Il venait de poster sur les réseaux sociaux. Je constatais que je n'étais pas bloquée et cela me soulageait plutôt. Peut-être digéreait-il. Je renonçais à l'envie désespérée de l'appeler, de lui envoyer un message. Je voulais des réponses. Je me sentais incroyablement frustrée.

La journée se déroula mollement. Rochelle végétait sur le canapé, Charles était rentré tôt et Maxence n'avait pas fait long feu. A la fin, ce n'était que Rochelle, moi, deux bols de pâtes au beurre et une bouteille de blanc. Nous parlâmes en sirotant nos verres, les remplissant une fois qu'ils étaient vides ; elle avait une sacrée réserve. J'avais l'impression d'être encore en plein été.

Et lorsque je partis me coucher, je fixais mon téléphone pendant une durée indéterminée. Je lançais le bouton appel.

Une tonalité. Deux tonalités.

Trois tonalités.

Messagerie.


ayo dsl du retard mdrr j'ai oublié de programmer le chapitre oups

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