Chapitre 1.
teenager - silly boy blue
UNE TONALITE.
Deux, trois, quatre tonalités.
Messagerie.
Je laissais mollement retomber mon téléphone, étendue sur le canapé de la colocation. Rochelle, qui faisait ses ongles en regardant sa sitcom préférée, posa sur moi un regard affligé.
"Il est peut-être avec sa maîtresse, fit la rousse avec un sourire en coin."
Je me retins de lui lancer un coussin dessus - en majeure partie pour qu'il ne finisse pas maculé de vernis turquoise.
"Nan, mais sérieux, reprit Rochelle. T'es sûre qu'il t'a pas quittée quand t'as déménagé et que t'as genre, mal compris le message ?
- Bin, oui, sûre !
- Sûre sûre ?
- Oui, je lui ai dit par lettre, que je déménageais, répondis-je, m'attaquant aux petites peaux mortes qui bordaient mes ongles."
Ceux-ci avaient largement pris tarif durant cette semaine de silence. Si ceux de Rochelle étaient longs, beaux, et presque tous couverts de turquoise, les miens étaient miteux, grignotés de bout en bout. Je me découvrais ce tic nerveux et me demandais ce que le stress allait ensuite faire endurer à mon corps.
"Par lettre ? se moqua Rochelle. Tu sais, on a plus besoin de pigeon voyageur, de notre temps, se voir autour d'un café c'est pas plus mal.
- J'ai pas eu les couilles, avouais-je tout bas, couverte de honte.
- Les couilles de quoi ? D'envoyer un pigeon ?
- De lui dire en vrai. Je lui ai dit par lettre.
- Tu déconnes ?"
Rochelle me fixait comme si j'avais dit l'énormité du siècle. Et au vu de la boule de stress qui se creusait dans mon estomac, je me demandais si ce n'était pas, en effet, l'énormité du siècle.
"T'es partie à l'autre bout de la France sans lui dire ?
- Bin, si, par lettre... bredouillais-je. J'ai pas eu le coeur de lui dire en vrai, on passait notre temps à s'engueuler, puis, je sais pas, il voulait tellement qu'on aille vivre à Poitiers ensembles, il avait commencé à chercher des apparts pour nous et tout...comment je pouvais lui dire, moi ?
- Tu veux dire que ton mec était raide love de toi, qu'il cherchait des appart pour vivre avec toi, et que toi tu te casses à 7 heures d'ici sans lui dire ?
- C'était à Poitiers, répondis-je, piteuse."
Rochelle fut prise d'un fou rire. Je ne trouvais pas ça fondamentalement drôle, mais j'imaginais le mériter.
"Ma grande, dit ma colocataire en posant une main compatissante sur mon bras. Je t'aime beaucoup, hein, mais là, t'as chié dans la colle.
- Tu penses ?"
Je le savais. Je m'en doutais.
J'espérais juste qu'elle me serve un sourire franc, qu'elle m'ébouriffe les cheveux et qu'elle m'assène un "mais non, je te taquine, il va te répondre tu vas voir".
"Je pense, dit-elle avec un ton très solonnel."
Mon coeur se serra dans ma poitrine et je dus lutter pour retenir quelques larmes. Je venais de me rendre compte que son silence était significatif. J'avais peut-être perdu Augustin pour toujours. J'avais sûrement perdu Augustin pour toujours.
Je rongeais les petites peaux mortes qui bordaient mon ongle jusqu'à en saigner.
"Eh, ça arrive, hein. T'as dix huit piges, encore heureux que tu fasses des erreurs. C'est comme ça qu'on apprend.
- Tu me trouves pas horrible ?
- T'as pas vraiment fait ça en douceur et délicatesse, constata Rochelle. Mais bon, qui suis-je pour te juger."
Elle s'empara de son téléphone.
"Là, on va sortir au bar et tu vas arrêter d'attendre que ce gus te réponde. T'as une nouvelle vie, maintenant."
Je n'étais pas sûre de la méthode 'noyer sa peine dans un pinte de bière', mais il fallait reconnaître que je ne pouvais pas me morfondre dans ma mélancolie. Je devais laisser à Augustin le temps de me répondre, de digérer mon absence.
"T'sais, les ruptures nulles, mes potes en ont pleins. Ma pote Clem a toujours pas digéré s'être fait larguer par SMS après 2 ans de relation. Au moins, une lettre, c'est un peu plus romantique.
- Essaye encore.
- Mon ancien plan cul, sa meuf l'avait larguée, puis reconquise, puis re-larguée après deux semaines. Elle l'avait utilisée juste pour le cul. Une peur de l'engagement après ça, t'as peur."
Je me sentais encore plus mal d'entendre les histoires de Rochelle, parce que je me tenais du côté des méchants, de ceux qui larguaient par SMS et manipulaient les autres.
"J'vais les inviter ce soir, ça va te faire déculpabiliser, tu vas voir.
- Je peux inviter Charles ?"
Au fond, le seul capable de me faire déculpabiliser, c'était bien lui. C'était le seul qui se tenait à mes côtés - celui de ceux qui larguaient par SMS. Je me demandais s'il n'avait d'ailleurs pas quitté une fille au téléphone. Et c'était le seul ami que j'avais, accessoirement.
"Ca roule. Mission, mettre un sourire sur ton joli visage."
Ma coloc me pinça la joue et je fus renvoyée à une multitude de souvenirs, qui concernaient Saint-Palais. L'émotion me berça pendant que Rochelle regagnait sa chambre pour troquer son tee-shirt sale contre un attirail de fête.
Quant à moi, j'envoyais un message à Charles. Je le savais près d'ici et très probablement rongé par l'ennui. Nous avions l'habitude de nous voir tout les jours. Ca ne faisait qu'une semaine que nous étions sur Lille, mais Rochelle l'appelait déjà le troisième coloc.
Je réalisais, amère, que Charles était la seule personne que j'avais vu pratiquement tout les jours de l'été.
Mon ami me répondit dans le quart d'heure. J'avais déjà choisi dans quel sweat je voulais m'effacer pour la soirée. Il était là une dizaine de minutes plus tard. Une efficacité à son paroxysme. Je l'accueillis dans ma chambre, ne voulant pas déranger Rochelle qui se maquillait dans le salon.
"Rochelle pense que Gus et moi c'est fini, l'informais-je pendant qu'il s'affalait sur mon lit.
- Bah, elle a pas franchement tort, si ? Il te répond pas vraiment et t'es sur Lille, quoi.
- Elle dit que la lettre c'était une mauvaise idée."
Le visage de Charles se tordit, visiblement peu enchanté de me dire ce qu'il en pensait vraiment.
"Bin, c'est un peu rude, c'est vrai.
- J'aurais du lui dire, hein ?"
Je savais qu'il me l'avait dit. Que tous m'avaient dit de lui dire. Mais je ne l'avais pas fait. J'avais eu trop peur alors j'avais fait mes cartons en silence; malheureusement, j'avais déménagé pendant qu'il était en vacances chez ses grands-parents. Je n'avais pas pu lui dire au revoir le jour même, ni le jour d'avant.
J'avais voulu lui dire en partant. "Je suis acceptée à Lille et je pars dans trois jours". Mais la terreur m'avait pris à la gorge. Nos conversations étaient jalonnées de disputes, il devenait jaloux, presque méconnaissable, dès que j'étais en compagnie de Charles. Je savais que cette discussion allait mal tourner. Je savais qu'il allait plaider que je ne l'aimais plus, que je préférais être avec Charles qu'avec lui, que c'est pour ça que je me cassais avec lui, que si je l'aimais tant j'avais qu'à sortir avec lui.
Je le savais, que cette conversation allait être insupportable. Alors je l'avais évitée. C'était, à mes yeux, le meilleur moyen d'éviter une rupture imminente. Mais je l'avais peut-être précipitée plus qu'autre chose.
"J'sais pas si il y avait vraiment de meilleure solution, reconnut Charles. Y pense pas trop."
Je ne pensais qu'à ça.
"En vrai, tu lui as fait une super déclaration par lettre. C'est toujours mieux qu'un SMS de merde.
- C'est ce que Rochelle a dit.
- Les grands esprits se rencontrent."
Charles posa sur moi un regard rassurant.
"T'inquiète, Estie, on s'en remet, des ruptures. On se remet de tout. Il va pas en mourir."
Je le savais sincère, même s'il ne s'était jamais fait quitter par SMS.
"Tu sais, moi aussi, je me suis fait quitter par lettre, une fois. C'était pas une super lettre. C'était Anaïs qui me l'avait écrite."
Au lycée, Charles avait tenté d'effacer sa peine en enchaînant les filles. Dès qu'il fallait s'investir émotionnellement, il partait et trouvait quelqu'un d'encore plus innaccessible, de lointain. Il avait trouvé Anaïs, jolie fille que tout le monde admirait de loin ou de près. Une vague copine d'enfance, disait-il. Ils avaient commencé à se fréquenter, et puis le masque était tombé. Anaïs était un désastre émotionnel ; elle rêvait de s'enfuir, sans laisser de trace, à la manière d'une héroïne de films et utilisait son joli minois pour combler le vide affectif que sa famille lui avait laissé.
Charles n'avait pas vraiment assuré avec elle, m'avait-il dit. Il ne m'avait pas raconté les détails. Je m'allongeais à côté de lui et nous fîmes tout les deux face au plafond.
"Je lui avais passé un de mes bouquins préférés. Les Carnets du sous-sol. Je trouvais que ça me correspondait bien, à l'époque, dans certains passages, alors je me suis dit que j'allais lui prêter pour qu'elle apprenne à me connaître. Puis deux semaines plus tard, elle me l'a rendu et y'avait un mot dedans. Un truc comme "j'ai eu tort de t'aimer parce que tu es la pire personne que j'ai jamais rencontrée, j'espère que tu seras heureux mais sois le loin de moi". Ca pique un peu, mais on s'en remet."
Je pensais personnellement que je ne me serais jamais remise de la dureté de ce message.
"Elle avait tort, Anaïs, de t'écrire ça. T'es loin d'être la pire personne du monde.
- J'étais pas franchement sympa, à l'époque. Au lieu d'enchaîner les meufs, j'aurais du aller voir un psy, ricana-t-il.
- Même. Moi je te trouve génial et je pense que la personne qui t'aimera sera très chanceuse."
Je tournais le regard vers lui et lui sourit. Il me regarda un retour, l'air apaisé. Cet instant flotta dans l'espace temps.
"Bon ! scanda Rochelle derrière la porte. On va boire quand ?
- Putain, souffla Charles, c'est une Gene ressuscitée ou quoi ?"
Geneviève était une très bonne amie d'Augustin, à Saint-Palais, dans mon ancienne vie. Toujours envie de faire la fête, de sortir de chez elle. Egalement connue pour son coeur d'artichaut.
"Presque, elle tombe pas amoureuse, elle."
J'étais en fort bonne compagnie de deux individus qui refusaient catégoriquement de tomber amoureux alors que je trouvais ça personnellement merveilleux. La vie était mal faite. Cela dit, je ne risquais pas d'acheter des pots de glace à Rochelle et de la ramasser à la petite cuillère.
Nous suivîmes Rochelle en direction d'un bar. Il semblait cosy, rassurant, et la pancarte affichait "Happy Hour : 4€ la pinte". Il ne m'en fallait pas plus pour me séduire. Ma colocataire prit une grande table en extérieur et partit commander, bientôt rejointe par Charles. Je restais seule, à observer les passants qui menaient leur vie bien rangée.
Aucun d'eux ne savait que je venais de ruiner mon couple. Aucun d'eux ne s'y intéressait. Je renversais la tête en arrière et pris une grande inspiration. Il fallait laisser sa place au temps.
J'envoyais un message à Augustin. "J'espère que tu vas bien et qu'on pourra s'appeler bientôt, tu me manques."
Il n'allait pas y répondre et je m'étais à moitié fait une raison.
"C'est toi la coloc de Rochelle ? demanda une fille que je ne connaissais pas."
Je ne savais pas comment elle m'avait reconnue et j'en étais légèrement inquiète, mais je me contentais d'acquiescer.
"Elle m'a dit de chercher la meuf seule en terrasse qui avait l'air triste. Enchantée. Clémentine."
J'imaginais que c'était elle, la pote Clem qui s'était faite larguer par SMS. Cette dite amie semblait sympathique, hormis le jugement qu'elle avait directement porté sur moi. Elle avait les cheveux décolorés avec une couleur délavée, hésitant entre le rose et le orange, un regard pétillant, un bouquet de fleurs tatouée sur le bras.
"T'es une amie de Rochelle ? demandais-je, sachant pertinemment que ma question était stupide.
- Oui !
- Vous vous êtes rencontrées comment ?
- J'étais en PACES avec son ancienne coloc. J'ai abandonné vite, c'est pas vraiment pour moi, d'apprendre autant de trucs, rigola-t-elle. Mais sa coloc m'avait invitée à une soirée qu'il y avait à l'appart et j'ai commencé à parler à Rochelle et on a bien accroché. Du coup j'ai gardé contact."
L'histoire était chouette mais était venue à sa fin. Je fus sauvée par Charles qui posa bruyamment une bière en face de moi.
"Tu me payeras la prochaine, m'informa-t-il en prenant place à côté de moi."
Clémentine sourit.
"C'est ton copain ? me demanda-t-elle en nous regardant tour à tour."
Je me sentis rougir de la tête aux pieds et Charles trouva un soudain intérêt aux motifs de la table, pourtant assez à l'aise d'habitude.
"Non, on est juste amis. Mon copain est à Saint-Palais, précisais-je.
- Aaaah, c'est comme ça que tu connais Rochelle, alors !"
La concernée rejoignit la table après tout le monde, un mojito dans la main.
"Clem ! s'exclama-t-elle, toute heureuse."
Elle se jeta au cou de son amie, qui riait en retour.
"C'est une mission spéciale, l'informa ma colocataire. On essaye de remonter le moral d'Estie ici présente (elle me pointa du doigt). Son copain lui donne plus de nouvelles."
Je ne me sentais pas vraiment à l'aise d'avoir ma vie sentimentale étalée au grand jour, mais avec des gens comme Rochelle, j'imaginais qu'il fallait mettre ça de côté.
"On s'en remet, pitchoune, m'informa Clémentine en me tapotant le bras avec affection."
Elle porta sur moi un regard amical, presque maternel, et mon coeur ne serra. Je n'étais pas une gamine, nulle raison de se comporter comme ça avec moi. J'avais arrêté de chercher un modèle maternel partout depuis que j'avais rencontré Sophie, la mère d'Augustin. Pendant deux années, ç'avait été la mère que je n'avais jamais eu et ce n'était pas cette Clémentine à l'eye liner parfait et aux boucles d'oreilles fantaisie qui allait la remplacer.
Charles sentit que je commençais à être agacée et posa une main sur mon genou. La colère qui me gagnait me quitta aussitôt.
Clémentine commanda un verre de vin et deux autres amis de Rochelle vinrent à notre table. La première s'appelait Maxence, le deuxième Hyancinthe. Tout deux semblaient sympathiques et leurs rires portaient fort.
Plutôt qu'une soirée de réconfort pour moi, on aurait dit un de leurs banaux jeudis soirs. A l'exception des deux intrus qui se tenaient au bord de la table. Charles et moi.
Je lui parlais comme je l'aurais fait seule dans ma chambre. Mais la bière descendait et Clémentine vint s'immiscer entre nous deux.
"Ca va, pitchoune ? demandait-elle en posant une main sur mon bras. Tu tiens le coup ?"
Je tenais le coup tant qu'elle ne mettait pas sa main sur moi mais je me gardais bien de lui dire. Alors que je répondis que oui, ça allait, elle porta son attention sur Charles et soudainement, je n'existais plus. Je n'étais pas plus pitchoune que Rochelle ni Maxence.
Je m'assis à côté de ma colocataire en grognant intérieurement sur cet agrume à la con qui venait de me voler mon ami. En plus de ça, elle était jolie.
"Ca va, Estie ? Tu passes une bonne soirée ?
- Ca va, mentis-je.
- Tu sais, Clem est un peu ...too much, au premier abord, me confia Maxence. J'ai eu du mal avec elle, au début, mais elle est super mimi quand on apprend à la connaître. Un peu comme Rochelle, en fait.
- Max n'aime pas les gens, précisa la rousse en assénant une petite tape sur le front à son amie."
J'espérais quant à moi que Maxence m'aimait bien ; elle ressemblait un peu à qui je voulais être quand j'étais plus jeune, et elle avait mon âge, à trois ans près.
Elle avait une jupe en faux cuir, un tee-shirt des Smiths et une paire de sandales à semelles épaisses, avec en guise de manteau, une longue chemise noire et transparente.
"Elle est en fac de lettres, au cas où ce serait pas trop évident, indiqua Rochelle.
- Mais comment tu fais pour avoir des amis d'autant de filières différentes ? demandais-je interloquée.
- Tinder, répondit ma colocataire avec aplomb."
J'avais l'impression de témoigner de quelque chose d'interdit. J'avais déjà eu deux ex dans mon groupe d'amis et ça n'avait pas très bien fini.
Je passais la soirée à discuter avec Maxence ; Rochelle et Hyancinthe semblaient avoir une conversation sérieuse et Clémentine bouffait Charles du regard - celui-ci semblait d'ailleurs pas mal réceptif.
Je songeais de plus en plus à rentrer, abattue par la fatigue. En plus, je commençais à avoir l'alcool triste. Alors que je commençais à dire à tout le monde que j'allais rentrer, Maxence me demanda mon compte Instagram. Je reçus dans la minute une notification pour m'indiquer que "@maxlamenace" avait commencé à me suivre.
Je forçais mon regard sur Charles pour lui demander implicitement de rentrer avec moi.
Mais, avec la main de Clémentine posée sur son bras, il me dit "bonne nuit Estie". Quelques secondes flottèrent, avant qu'il ne réalise que je n'avais vraiment pas envie d'être seule.
C'était peut-être égoïste, mais à cet instant là, je n'en avais rien à faire.
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