Chapitre 52 - Gwen

Les semaines qui suivirent se ressemblèrent les unes aux autres, à quelques exceptions près. Je passai énormément de temps à étudier pour m'assurer de bons résultats. A la fin Novembre, Aodren m'emmena à l'entreprise de mon père. Le vote lui permit de prendre le rôle de gestionnaire ou de directeur, quelque chose dans le genre. Quand il m'expliquait en détails le fonctionnement de l'entreprise je ne parvenais pas à suivre. Du moins, ces sujets ne m'intéressaient pas tant que les affaires de mon père n'étaient pas en danger.

Je ne parvins pas à obtenir plus d'informations auprès d'Aodren vis à vis de cette « histoire » qui se répéterait, de ce« destin » ; je savais qu'il faisait référence au passé, sans véritablement en avoir les tenants et les aboutissants.

J'avais ajouté Kaoru Yue à l'arbre généalogique : petit à petit je le complétais. Chaque semaine je le rencontrais et nous parlions de moi, de tout. Jamais je n'énonçais quoi que ce soit sur Landry, par contre je pu aisément évoquer la situation de ma mère. Je lui rendais visite avant chaque rendez-vous avec Kaoru et Aodren me récupérait pour me reconduire à la maison.

Je n'avais pas non plus tenté d'explorer le grenier seule. Honnêtement le monstre m'effrayait. Aodren ne me proposa pas non plus de nous y rendre. Il travaillait beaucoup de son côté, me laissant aux soins de Loan, Gwen, Astrid et Jake régulièrement car il était de plus en plus souvent en déplacement. A chaque retour il me couvrait de cadeaux qu'il avait acheté sur place, comme des souvenirs de moments pendant lesquels je lui avais manqué.

Je passais mes week-ends dans ma chambre, à lire, dessiner, écouter de la musique, regarder des séries et même à avancer mes devoirs. Au lycée j'étais toujours ennuyée par Angelina qui était devenue infecte avec moi depuis que Landry avait officialisé son changement d'établissement. Dès qu'elle pouvait me faire une crasse elle ne se gênait pas. Une fois je faillis me battre contre elle, tellement son attitude m'insupportait. A plusieurs reprises Tia était intervenue pour me protéger de son attitude blessante.

En art c'était une autre affaire. Elle profitait que je sois isolée pour m'en faire baver. Un jour, Madame Gadot voulu me parler de mes productions. J'avais fait un dessin au crayon aquarellable et elle voulait me conseiller de me mettre sérieusement à la peinture car elle trouvait que j'avais du talent et une culture artistique très riche. En sortant de la salle, je fus coincée par Angelina au détour d'un couloir sombre. Là, elle et ses amies me rouèrent de coups, me tirèrent les cheveux, vidèrent mon sac au sol. Elles partirent satisfaites de leur méfait. Je n'avais aucun doute sur le harcèlement que je subissais. Ce soir-là je réalisai que je devrais apprendre à me prémunir contre elles. Jake avait fait une grimace lorsque j'étais entrée dans sa voiture:

- Tu vas bien ?

- Ouais.

- Enaya, tu es ébouriffée et tu saignes du nez...

- Oui, je me suis cassée la figure dans l'escalier ; donc on va faire comme si de rien n'était, je me suis suffisamment fichu la honte devant tout le monde, ok ?

Il n'avait pas renchéri. Il n'avait pas totalement gobé mon excuse puisque le soir Aodren m'avait appelée pour prendre de mes nouvelles.

- Allo ?

- C'est moi, je voulais entendre ta voix, tu me manques.

- C'est gentil, tu me manques aussi. C'est pénible pour toi de toujours voyager je suppose... ?

- Oui, répondit-il. Surtout quand ma tendre chérie est seule à la maison.

- Je ne suis pas seule, il y a tout le monde ici.

- Sauf moi. Je ferai de mon mieux pour rentrer avant dimanche, mais je ne peux rien garantir.

Je sentais sa déception ; il ne reviendrait pas avant le début de semaine suivante. Et on se croiserait.

- Comment s'est passé le lycée ? Demain tu as un devoir surveillé ?

- Oui, de lettres ; je suis parée donc pas de soucis. Il n'y a que le latin et les maths qui me posent problème. J'assure sur la partie récitation de cours ; pour la pratique, je patauge.

- Et en classe ? Comment ça se passe avec les autres ?

Il voulait que je lui décrive comment j'en étais arrivée à me faire saigner du nez. Je la jouai enjouée, amusée de ma propre bêtise de me faire un croche pattes à moi-même et des spectateurs pouffant de rire à la vue de la dégringolade de la maladroite que j'étais.

- Je vois... Tu te forces à manger les soirs ? Tu ne manges plus rien depuis quelques temps, Kaoru te l'a dit : si tu perds trop de poids il se fâchera.

- J'ai mangé ma soupe, chef ! De toute façon il le fallait.

- Je suis ravi de l'entendre et étonné à la fois. Il le fallait pour ta santé et tu aurais dû appliquer ce précepte depuis longtemps.

- Vous vous inquiétez trop. J'étais moins d'humeur à manger,parce que je suis une fille. Maintenant j'ai plus envie de manger donc je mange.

- Et quel est la raison de ce revirement, mademoiselle appétit d'oisillon ?

- Les hormones, mon cher. Je viens d'attaquer ma plaquette. Tu devras te restreindre pendant quelques temps...

J'avais l'argument de choc pour l'éloigner de moi. En effet, ses absences répétées me permettaient de faire le point sur ce que je voulais pour plus tard. J'avais longuement songé à mettre mes idées au clair. Dans un premier temps j'avais contacté et revu Victor.

Il avait tenté maintes fois de m'embrasser et de se positionner comme mon petit ami. Les premières fois j'eus du mal à ne pas lui céder. Je lui avais rendu son écharpe. Nous étions allés à la bibliothèque universitaire. Il m'avait gentiment amenée là-bas pour que je puisse consulter des livres. Chaque jour, à la pause méridienne, nous nous étions retrouvés au rayon littérature. Quand nous lisions, assis au sol sur la moquette délavée, appuyés sur l'étagère, l'un contre l'autre, la sérénité m'envahissait. Il m'était arrivé de m'endormir, la tête appuyée contre son épaule. Il me réveillait par de doux baisers. Il replaçait mes cheveux, déposait des baisers sur mon front, le bout de mon nez refroidi par l'hiver qui s'était emparé de tous les paysages extérieurs en les blanchissant de neige.

- Enaya, murmura Victor. Enaya, il faut te réveiller, ça va être l'heure...

Je bougonnais. Il m'enlaça, caressa ma tête.

- Allez, si on ne part pas maintenant tu vas être en retard !

Nous partions à pied et prenions le tram. Je m'étais accordé l'achat d'un forfait mensuel pour pouvoir me déplacer à ma guise dans la ville. Aodren m'avait donné une carte de crédit pour pouvoir dépenser selon mes besoins.

Il m'arrivait d'aller en ville avec mes amis ; cette carte de transport était le Graal qui me permettait de ne pas me retrouver seule lors des absences d'enseignant. Une fois la grande place atteinte nous pouvions facilement rejoindre mon lycée. Souvent il me raccompagnait jusque devant l'entrée, ce qui faisait jaser nombre de personnes.

Angelina s'en était prise à moi le jour où Victor m'avait embrassée pour me dire au revoir. Embrassée ? Non, il m'avait « roulé une de ces galoches », selon Tia. Car mes amis aussi avaient pu y assister. J'avais eu droit à des petits mots griffonnés sur des bouts de papier pendant tous les cours suivants : « Et Aodren ? », « Tu sors avec Victor ? », « Tu ne voulais pas clarifier la situation avec lui ? ».

Le soir qui avait suivi je m'étais arraché de la peau tant j'avais été nerveuse. Gwen avait dû panser ma main gauche. Aodren avait été si inquiet de voir mes bras et ma main dans cet état qu'il m'avait poussé à faire une séance de plus avec Kaoru. On m'avait prescrit des calmants, comme ceux que ma mère me laissait à disposition. Quand j'évoquai ma connaissance de ce médicament, Kaoru sembla interloqué. Selon lui c'était assez dangereux de me balader avec ça sans la surveillance d'un adulte car mal dosé je pourrais me retrouver aux urgences. Ayant toujours été débrouillarde, mes parents me livrant à moi-même assez souvent je n'étais pas choquée plus que ça.

J'étais contente de cette aide bienvenue et inattendue. J'avais angoissé à l'idée de devoir repousser Victor. Je ne lui voulais pas de mal. Il savait que je comptais m'éloigner de lui, car je lui avais donné rendez-vous. Il avait tout d'abord demandé ce que je souhaitais faire et ne me parla plus à cause de ma réponse :« je dois te parler. » Il l'avait mal pris.

J'avais essayé de l'appeler pour confirmer notre rencontre du lendemain mais j'étais tombée sur sa messagerie. La nuit avait été agitée : je m'étais réveillée en sueurs, Gwen endormie au pied de mon lit, un bac d'eau et une serviette sur la table de chevet. J'étais descendue à la cuisine pour manger un peu car j'avais mal au ventre. Loan m'avait demandé comment j'allais mais ne s'était pas étendu sur les détails. Astrid non plus. Elle m'avait servi ce que je voulais sans broncher. Jake lui avait été plus direct. Il m'avait salué, s'était installé en face de moi, dans l'attente du service de son café.

- La Petite Pomme va mieux ? Elle a bien dormi ?

- Bien non, mais mieux oui. Tout le monde me demande ça...

- Tu as hurlé à la mort toute la nuit, tu as réveillé - pardon, tu as empêché tout le monde d'avoir un sommeil réparateur. Tu nous as fait une frayeur parce que tu as fait une pique de température. J'ai dû appeler Aodren et...

- NON ! Le coupai-je, tu as fait quoi ? Jake, t'es fou ? Pour ça, tu as dérangé Aodren ?

- Oui je suis fou, mais pas tant que ça. Entre ta colère et celle d'Aodren, le choix est fait. Toi, tu vas simplement t'isoler, lui il peut annihiler mes pouvoirs. Ou me pourrir le cerveau, ou ma vie, dit-il solennellement avant d'ajouter avec une voix grave: La force est de son côté, jeune padawan. Donc tu vas prendre ça et ça, et on file au lycée.

Il m'avait préparé un cocktail de doliprane et d'antivomitif. Autant le premier j'avais compris, autant le second avait été une surprise jusqu'à ce qu'il m'explique que la pauvre Gwen avait fait les frais de mon état, qui avait justifié ma fringale matinale.

Le midi j'avais retrouvé Victor et il avait vainement tenté de me convaincre de ne pas le quitter. Le moment avait été un déchirement pour moi. Il n'avait pas pleuré, moi si, ce qu'il avait utilisé comme argument pour me prouver que je faisais une erreur. J'avais été contrainte de lui avouer mes sentiments pour Aodren, de lui sommer de respecter mes choix, d'accepter si possible de rester mon ami. Il m'avait aboyé dessus, tout triste qu'il était, qu'il ne voulait plus me voir pendant un moment et qu'il fallait zapper la convention à laquelle nous devions nous rendre. Ainsi le mois de Novembre passa tout comme le début de la première semaine de Décembre.

Les habitudes sont des rituels journaliers qui nous permettent de vivre notre quotidien de manière automatisée. Se lever, faire sa toilette, se préparer, manger, se laver les dents, partir, aller au travail... Certaines sont communes à tous car elles appartiennent au fonctionnement de la société. Puis il y a les habitudes propres à chacun. La vieille dame qui va acheter son pain tous les jours à la même heure, le vieil homme qui balade son chien, les parents qui déposent leur enfant chez la nourrice... Les miennes conditionnaient ma survie heure après heure.

Le mercredi était le jour le plus ritualisé de la semaine. Aodren essayait de revenir me récupérer manger et nous allions voir ma mère, je passais mon heure avec Kaoru à parler et nous rentrions à la maison. En prévision de ma visite auprès de ma mère le jour d'après, je préparai un sac. Je lui avais fait un bouquet de fleurs en papier. La semaine dernière j'avais dessiné notre chat qui se sentait bien dans cette grande demeure, au point que je ne le croisais plus. Une fois terminé, je le rangeai au pied de mon bureau. Je devais choisir mes habits du lendemain.

Exceptionnellement nous n'aurions pas de sport car M.Ferry était en formation. Cela m'arrangeait. Du coup ma tenue serait élégante : un ensemble pantalon collant noir, une tunique au col roulé rouge pour me maintenir au chaud, une veste fluide noire brodée de pourpre. Mes bottes de neige se trouvaient vers la porte qui menait au sous sol, là où toutes les voitures étaient garées. J'avais pendu ma parka noire au porte-manteau du garage. J'étais prête à me coucher. J'envoyai un message à Aodren. Il n'était pas revenu depuis mardi dernier. Je ne le voyais plus. Je n'avais par conséquent pas vu ma mère depuis longtemps. Il ne me répondit pas. J'éteignis la lampe.

Crissement. Grincement de porte qui s'ouvre. Noir total. Une présence. Lentement le sommeil me quittait. Je n'ouvris pas les yeux malgré tout : j'entendais un bruit, comme un râle. Des pieds qui traînaient par terre à chaque pas. Ce son qui m'effrayait. Une entité inspectait ma chambre. Ce n'était pas Judicaëlle, aucun air frais ne parvenait jusqu'à moi. Un claquement résonna dans la pièce, grave et guttural. Un souvenir me vint en mémoire. Le monstre était dans ma chambre et s'approchait de mon lit.

J'entrouvris les yeux, mais le noir emplissait les lieux. Je glissai mon bras délicatement sous la couverture pour attraper mon téléphone. Une fois en main je l'activai à ma droite tout en jetant un œil pour voir ce qu'il en était. Le visage blafard était juste au-dessus de moi et je ne pu retenir un cri strident de peur. Je lui jetai mon coussin à la figure pour m'assurer une fuite. En me ruant sur ma porte je l'aperçu en train de se relever du lit : il avait essayé de m'étrangler mais venait de réaliser que ce n'était qu'un élément de literie qu'il nouait de ses doigts à moitié décomposés. Je courrai en hurlant. Aodren n'était pas là. J'étais désemparée. Je fonçai vers la porte de la chambre de Jake. Je tambourinai à la porte, pleurant et en panique. Derrière moi je voyais l'abominable créature réduire la distance qui nous séparait.

- JAKE ! JAKE ! Je t'en supplie, ouvre ! S'il te plaît !

Il surgit, énervé par le réveil que je lui offris. Je sanglotai. Je nous poussai dans sa chambre et claquai la porte derrière moi.

- Qu'est-ce qui te prend ?

Je me jetai dans ses bras et fondis en larmes. Éreintée par la course et les hauts le cœur provoqués par cette vision je m'affalai par terre et le lâchai, à genou, libérant toute ma frayeur dans ces larmes qui s'écrasaient au sol à côté de mes poings liés. Il s'agenouilla et me tapota l'épaule :

- Tu te sens mal ?

- Ao...Aodre...Aodren... Je ... Je veux le voir...

Je me mis à hoqueter, à trembler. Une crise d'angoisse, de panique, de je ne sais quoi, prit possession de mon corps. Je ne contrôlai plus les spasmes qui tendaient mes muscles. Je m'endormis là, sur le parquet.

Le matin était bien avancé quand je sortis de mes songes. Je n'étais pas dans mon lit. Heureusement pour moi. Je n'avais aucune intention de retourner dans ma chambre si tous les esprits malveillants venaient m'y hanter. Au décor qui m'entourait je devinai aisément que Jake m'avait mise chez Aodren. Une chaleur revigorante m'enlaça. On me caressa et on me toucha à la taille pour me serrer fort. Je ne pouvais distinguer qui était là. Il aurait osé me faire ça à moi ? Je le savais taquin mais pas autant intéressé par la chose... Je le repoussai violemment en lui frappant dessus avec mon coussin et en lui criant dessus :

- T'es un vrai pervers, je t'interdis de me toucher !

Je l'avais terriblement bien visé car il gémit de douleur. Je repris le polochon et m'apprêtai à relancer une attaque. Soudain je fus interpellée par la bague à la main qui tentait de protéger la tête de ma victime.

Effectivement t'as un problème... Tu viens de m'éclater le nez !

Aodren, torse nu, s'assit sur le lit. Il se tenait le nez et je vis du sang couler. Je m'empressai de lui donner des mouchoirs.

- Je suis désolée, je ne savais pas que c'était toi ! Je ne m'attendais pas à te trouver là... Ni même à me retrouver dans ton lit !

Il tâchait de stopper le saignement. Il avait des cernes, ses traits affichaient une fatigue importante. Il n'avait cessé de travailler ces derniers temps.

Jake m'a contacté plusieurs fois cette semaine, et cette nuit il m'a téléphoné pour me dire que tu n'allais pas bien du tout. Il a fait venir Kaoru et je suis arrivé au moment où il s'apprêtait à partir. Il nous a conseillé de te garder à la maison. J'ai décidé de rester avec toi. Tu fais des crises d'angoisse, tu es sur la défensive, tu te nourris mal.

En repérant l'heure sur son réveil j'en déduisis que j'avais raté une bonne partie de la matinée.

- Si tu avais vu ce que j'ai vécu cette nuit, je suis sûre que ce n'est pas une crise d'angoisse que toi tu aurais fait, mais un arrêt cardiaque, vu ton âge !

Il décela le ton moqueur dans ma voix et quand il se fut assuré de ne plus saigner du nez, il me prit contre lui, blottit sa tête contre ma poitrine. Je faisais courir mes doigts dans ses cheveux. J'étais si heureuse de sa présence.

- Aodren, j'ai trop peur, je ne peux plus rester seule dans ma chambre. Il faut se débarrasser de cette chose.

Il me fixait, comme pour s'imprégner de mon image qui avait dû lui manquer.

Je suis allé plusieurs fois au grenier suite à nos conversations. Je n'ai rien vu. Je pense que c'est lié à ton don. De la même façon que tu peux voir Judicaëlle, tu en perçois d'autres.

- Comment je vais faire alors ?

Véronica était souvent isolée et seule. Parfois elle échangeait sur des sujets macabres et effrayants. Ta proximité avec moi exacerbe ton talent. L'Hermite est souvent associé à son propre isolement, comme une retraite. Néanmoins, si tu considères le sens de l'isolement dans son ensemble, tu définiras tes talents autrement.

- Autrement ? Laisse-moi réfléchir... Hum, je dirais isoler pour séparer ? Je pourrais voir les fantômes car je serais capable de séparer les âmes des corps ?

Dans la perception, pas dans les faits, oui. Je vais essayer de diminuer tes capacités pour te faire des « vacances ». Il faudra que tu apprennes à contrôler tout ça pour t'éviter des nuits blanches. Et puis...

Il déposa un doux baiser sur mes lèvres. Sa main parcouru mon épaule, en profita pour baisser ma manche et retirer mon bras, après il libéra mon autre bras pour me mettre à nu. Il enchaîna les baisers au fur et à mesure qu'il découvrait mon corps avant de s'allonger sur moi, m'invitant à m'étendre par la même occasion. Il dévora mes lèvres de sa bouche et tenta par la même occasion d'ôter ma culotte ; je l'empoignai pour l'en empêcher. Cela le stoppa net dans son élan.

Quelque chose ne va pas ?

- Si, ça va. Je n'ai pas envie, c'est tout.

Yeux dans les yeux, il prospectait mon esprit à la recherche d'un éventuel problème caché. Je détournai mon attention vers la porte d'entrée. Des bruits de pas, le fourmillement de la maisonnée parvenait à mes oreilles, mélodie de vie d'une maison habitée. Il soupira et se laissa tomber à côté de moi, l'avant-bras posé sur son front.

Tant que tout va bien, je m'en accommoderai. Juste que tu m'avais manqué... En plus, te voir ainsi est une véritable torture...

Je pris conscience que j'étais presque entièrement nue, puisqu'il m'avait déshabillée. Je lui notifiai que c'était entièrement sa faute s'il souffrait car mon pyjama n'avait rien d'aguichant.

Je me couvris rapidement pour me rendre dans ma chambre et me vêtir. Poignée de porte en main, je conservai ce seuil fermé. L'image du monstre dans ma chambre me revint en mémoire et des frissons me parcoururent le long de mon dos. Aodren ressentit mes émotions et m'enlaça, posa son menton au creux de mon cou.

Gwen arrive. Il te suffit de l'attendre. Elle dormira dans ta chambre désormais, si cela te convient.

Grâce à cette accompagnatrice je pu rejoindre mon espace privé. Elle insista pour me préparer et joua à la poupée avec ma personne. Me coiffer, accorder mes vêtements, me maquiller... Elle prenait plaisir à effectuer ces actions. Assise sur la chaise de mon bureau, elle se chargeait de démêler ma tignasse qui avait également souffert de ma nuit agitée.

- Gwen, quel âge as-tu ?

-Vingt ans mademoiselle. Pourquoi ?

-Tu te débrouilles bien, tu es douée ! Tu n'as jamais songé à devenir esthéticienne ou conseillère en relooking, ou maquilleuse, tout simplement ?

-J'ai essayé, c'était catastrophique. Je ne gagnais pas assez d'argent pour vivre comme je le souhaitais, il fallait que je m'installe loin de ma famille et je n'aimais pas ça. Je jonglais entre la maison et mon studio et je le vivais mal. Je n'étais pas concentrée au travail, j'étais trop timide et une cliente m'a un peu bousculée. Depuis ce jour je n'ai pas réussi à reprendre un métier en dehors de la maison. Ici je gagne bien ma vie, les journées sont tranquilles, je suis avec les miens.

- D'accord... Mais tu as des vacances ? Je sais que le week-end tu ne travailles pas, mais je ne sais pas où tu vis ? Vous êtes nombreux et je ne connais pas tout le monde encore. Il n'y a pas assez de chambres pour tous, alors où logez-vous ?

- Mademoiselle souhaitait me voir en dehors de mes heures de travail ?

- Non, je ne vais pas t'embêter ! Je me demandais juste comment tu vivais... As-tu des amies ? Est-ce que tu sors un peu ?

- Dans la maison des Aumont je restais beaucoup avec Frigg et Pallas. Ici je m'entends bien avec Kana. Aude est parfois ennuyante et accapare l'attention. Dans le parc du château il y a plusieurs maisonnées en contrebas. On met une vingtaine de minutes à pied pour y aller. C'est pratique. Je ne suis pas loin de mon lieux de travail, tout en gardant mon indépendance. Certaines maisons ont été divisées en appartements. Je vis en colocation avec Kristen, qui est très sympathique.

- Si tu restes dormir ici, ça ne va pas être pénible pour toi ?

- Oh non ! Que mademoiselle ne se fasse pas de soucis. Mise à part prendre soin de vous, Monsieur ne m'a pas donné d'autres missions. Du coup je bénéficie de temps libre très souvent. Si l'on comptait les heures effectives, j'en devrais énormément. Se faire payer pour dormir dans une pièce c'est plutôt attrayant je trouve.

- Tu es quelqu'un de vraiment bien, quand on considère la façon dont je t'ai traitée jusqu'ici. Tu es certaine que ce métier te convient ? Tu dois avoir envie d'une activité qui soit plus... Valorisante, non ?

Elle eut un petit rire à peine retenu. Elle m'expliqua qu'être une demoiselle de compagnie était tout à son avantage et me poussa à calculer le volume horaire de sa semaine. Elle dépensait en moyenne une dizaine d'heures à me coiffer, m'habiller, ranger un peu ma chambre, épousseter, vérifier que j'allais bien ; Aodren lui versait en moyenne le salaire d'un cadre supérieur et elle avait droit aux fin de semaine et à 5 semaines de congés par an. Les seules contraintes étaient de ne pas forcément choisir ses vacances. Elle me raconta qu'en ce moment la demeure était en pleine effervescence car les majeures allaient toutes venir avec leurs mineures. Elle était une source d'informations précieuse.

- Ah bon ? Quand ?

- Pour les fêtes. Dans moins de quinze jours en fait. Il va falloir s'activer pour que toutes les chambres soient prêtes.

- L'Empereur sera là aussi ? Que peux-tu me dire sur les majeures ? Est-ce que tu connais un peu l'histoire de la famille ? Est-ce que tu pourrais me faire visiter les autres chambres ?

- Que de questions, mademoiselle ! Je vais répondre au mieux à vos interrogations. Il est vrai que vous ne faites pas partie des nôtres depuis longtemps. L'Empereur sera présent, c'est vrai et c'est logique. Il vient pour vous.

- Pour...moi ?!

Aodren m'avait évoqué le choix que l'on m'imposerait de faire. J'avais occulté ces soucis là. Je devais apprendre à éviter toute intrusion dans mon cerveau tout en contrôlant ma perception des fantômes. Ce n'était pas un talent, c'était une malédiction.

- Monsieur n'a pas annoncé votre mariage. Vous n'appartenez à aucun clan. Vous aurez le choix entre les Aumont, en vous liant à Monsieur Jake ; les Reynolds, avec Monsieur Oliver ; les Winsor, parle biais de Monsieur Paul et enfin aux Juhel, si vous souhaitez rester avec Monsieur Aodren.

- C'est obligatoire ? Non parce que je vais être l'exception qui confirme la règle - quoi que... Je suis agacée par les coutumes vieillottes de ces familles qui se fichent de l'opinion des principaux intéressés.

Gwen termina mon chignon. Elle y avait accroché de jolies peignes sertis de topazes bleues. Ma tenue, bien que simple en apparence, était d'une finesse dans le choix des tissus et d'une élégance sans pareilles. La tunique cyan aux manches longues amples bishop ressemblait à une veste cintrée . Le col en cygne était décoré de motifs imprimés en bleu marine. Le pantalon qui me collait à la peau était asymétrique dans les textures qu'il affichait : une partie épaisse noire, une autre plus souple et lisse. Je lui montrai le lit pour qu'elle s'asseye et poursuive sa narration qui m'intéressait au plus haut point.

- Mademoiselle, vous êtes vraiment comme votre inspiration, me dit-elle dans un ton nostalgique.

- Mon inspiration ? Lançai-je, curieuse d'acquérir le sens de leur jargon.

- Mademoiselle Véronica. Quand on récupère une arcane, on récupère un peu des précédents. Elle pensait exactement comme vous : elle voulait avoir le choix. Pas pour les mêmes choses, mais elle s'est battue pour son indépendance.

- Elle a réussi ?

- A en mourir.

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