Chapitre 5 - Colocataire


Chaleur. Sur ma joue. Je me réveillais lentement. Un rayon de soleil passait par la fenêtre dont les volets étaient entrouverts. J'apercevais les petits points blancs de poussières virevoltant dans la pièce. C'était beau, bien que simple. Enfin je m'attardais sur le lieu qui m'entourait. J'étais chez lui. Je distinguais une ombre sur un voltaire dans l'angle de la pièce. C'était lui qui ne me lâchait pas du regard.

- Comment te sens-tu ?

Je m'asseyais tout en me raclant la gorge.

- Bien, bien. As-tu bien dormi ?

Il écarquilla les yeux.

- Pardon ? C'est une blague ?

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Tu ne te souviens de rien ?

Je me détaillais la soirée pour réaliser que j'avais sûrement dû m'évanouir.

- Ah...ça.... oups.

- OUPS?!

Bon, à ce moment-là je pensais que j'allais être mise à la porte car j'avais enfin dû lui donner le bon argument pour se débarrasser de ma personne.

- Non je ne te jetterai pas dehors. Je vais te ramener non loin de chez toi, ne te fais pas de soucis. Par contre, cela t'arrive souvent ? Déjà l'autre fois au lycée tu t'es évanouie en classe.

Je sursautai. Comment était-il au courant ?

- Tu oublies que je peux facilement récolter des informations. Je te laisse te réveiller, rejoins-moi dans la cuisine, je t'ai préparé un petit-déjeuner et tu as intérêt à bien manger.

Une fois vêtue de mes habits, qu'il avait pris soin de laver, sécher et repasser pendant la nuit, je tentais de le rejoindre. Je ne connaissais que peu les lieux en revanche je découvrais l'environnement dans lequel j'avais séjourné la nuit.

Le premier étage avait une rambarde permettant d'observer la salle de réception, comme un balcon. J'y glissais mes mains le long de celle-ci, rejoignant la rampe en continuant de toucher le bois au fur et à mesure que je descendais les marches, pour ne se détacher qu'une fois la boule de rampe auscultée du bout des doigts.

Je traversais la grande salle, guidée par l'odeur du café. Près de la cheminée se trouvait une ouverture que j'avais repéré la veille. En passant par là je me retrouvais dans une salle à manger à la taille des lieux. Je compris que la cuisine serait sur le côté. Il se servait une tasse du breuvage matinal de tout adulte qui se respecte. Sur la table se trouvaient deux verres de jus d'orange, des toasts grillés et beurrés, encore tièdes, une tasse de chocolat chaud et une assiette avec des œufs au plat. Il m'invita à m'asseoir.

- Je suis impressionnée... C'est comme dans les hôtels...

Son visage s'égaya. Il posa sa main sur ma tête et rapprocha son visage du mien.

- Un jour nous voyagerons dans un véritable hôtel et tu auras le droit à un véritable petit-déjeuner de luxe servi en chambre.

Je me mis à rougir. Ses propos sous-entendaient qu'il voulait passer du temps avec moi. Qu'il voulait rester avec moi. Dans cette relation plutôt intime. Cela signifiait-il qu'il nous voyait comme un couple ? Ou était-ce un stratagème pour profiter de moi ? Ou alors il couperait contact après m'avoir déposée chez moi... Il buvait son café, appuyé au plan de travail, sans broncher. Entendait-il mes pensées ? Je ne savais pas ce qu'il en était et c'était assez perturbant. Il s'immobilisa d'un coup, ferma les yeux et fronça les sourcils.

- C'est pas vrai... »

Soudain une sonnerie retentit. Il posa sa tasse sur la table et alla vers l'écran du visiophone qui se trouvait près de l'entrée de la pièce. Je restais étonnée par l'opposition entre l'ancien et le moderne de cette maison. On pouvait distinguer un homme de son âge à l'écran.

- Que me veux-tu ?

- Ouvre.

- Qu'est-ce que tu veux ? Je suis occupé.

- Je ne te crois pas. Ouvre.

-J'ai du monde.

- Impossible. Menteur. Ouvre. De toute façon tu sais que je vais rentrer. Alors autant faciliter les choses.

- T'es pas chez toi. Vas-t'en.

- C'est aussi chez moi. T'as pas le droit de changer le code comme ça.

- C'est ça, c'est ça.

Il éteignit l'écran pour clore la conversation. Il a donc un colocataire ? Il me caressa la tête en allant s'asseoir face à moi. Il bu quelques gorgées de sa boisson encore fumante.

- Comment oses-tu me contraindre à grimper le portail espèce de...

Un homme entra dans la cuisine et coupa son élan en me voyant. Il me dévisageait au point de me faire sentir mal à l'aise.

- Euh.... Bonjour madame.

Madame ? Madame ! J'ai l'air d'une vieille ? Si j'avais pu me cacher je l'aurais fait, ça aurait été préférable que de se faire traiter de vieille par un homme bien plus âgé que moi. Je n'eus pas l'occasion de répondre qu'il prit ma défense, sûrement après avoir lu dans mon esprit.

- Mademoiselle, s'il te plaît. Enaya, je te présente Jake.

- Mademoiselle Enaya, bonjour, je ne savais pas que mon confrère avait une invitée, je croyais sincèrement que c'était une blague.

- Je te l'ai répété pourtant. Mais tu n'as rien voulu savoir.

Mon hôte se tourna vers moi, un sourire au coin des lèvres :

- En réalité il croit toujours tout savoir, mais en fait il ne sait rien. Il s'incruste mais il n'a rien à faire ici.

- Quoi ? Tu rigoles ? Je paye ma part de loyer et de factures monsieur !

Les voir se chamailler ainsi, on aurait dit deux adolescents. J'éclatais de rire, les forçant à stopper leur joute verbale.

- Tu fais bien rire ton amie, Aodren. D'ailleurs quand j'y pense c'est bien la première fois que je vois quelqu'un d'autre que Lewis ou moi chez toi.

Je tiquais sur le prénom. Je n'avais même pas pris conscience que je ne connaissais pas son prénom. J'ai embrassé un homme et dormi chez lui sans même avoir connaissance de son identité...

Nous étions immobilisés l'un face à l'autre, à nous examiner, guettant la réaction que l'autre pourrait avoir. Il avait bien saisi que je venais d'entendre pour la première fois son prénom. Il s'attendait apparemment à une réaction particulière de ma part ; je ne voulais absolument pas lui offrir ce plaisir. Pourquoi brusquement j'éprouvais ce besoin de le défier ? Pourquoi ne voulais-je offrir le comportement qu'il aurait pu prévoir de ma part ? Je me sentais minable, diminuée et sur la défensive sans connaître l'origine de ces ressentis.

Jake nous observait, incrédule. Puis tous les deux se lancèrent des regards. Aodren devait lui parler dans son esprit, je ne voyais que cette solution. Je décidais de briser ce silence pesant.

- Je m'excuse, il n'était pas prévu que je sois là, j'ai eu un contretemps et il m'a gentiment proposé de me rendre service.

- Ce n'est rien, ne vous en faites pas mademoiselle. Vous êtes l'amie d'Aodren, vous êtes donc sous sa protection et n'avez donc rien à craindre ici.

Il était bizarre et ce qu'il disait encore plus. J'allais lui répondre quand mon téléphone sonna.

- Allo ?

- Coucou ma puce, c'est maman. Tu vas bien ? Dis moi, comptes-tu rentrer pour manger à midi ? En fait hier nous avons terminé la soirée chez les amis de ton père et il a tellement bu que nous avons dormi sur place. Il dort encore,  je ne pense pas être à la maison pour le repas... Tu pourras te débrouiller seule ?

Reste ici.

Il ne perdait pas le nord, tiens. Pourquoi resterais-je ? Il y a son ami.

Je peux le faire partir si c'est lui qui te dérange.

Aodren et son ami échangeaient des regards, Jake semblait choqué. M'incruster plus, ce n'était pas poli... J'avais déjà tant abusé de lui. Il faudrait que je joigne mon amie pour nous mettre au diapason en plus...

Je te ramènerai et tu pourras appeler ton amie. Tu ne me déranges pas.

- Allo, ma chérie ? Tu es là ?

- Oui, oui. Pardon on me faisait des signes de profiter de t'avoir au bout du fil pour te demander si je pouvais rester plus longtemps et rejoindre des copains après.

- C'est les vacances, tant que tu restes raisonnable et joignable je ne suis pas contre. Mais tu rentres pour 18h au plus tard, c'est compris ?

- Promis, maman. A ce soir !

Je plaçais mon portable à côté de ma tasse et avalais un peu de chocolat chaud. Cela me fit du bien, je me sentais revigorée. J'avais encore de la batterie, mais il faudrait le recharger bientôt. Je décidais de le mettre en mode économique pour éviter de prendre des risques. Mon téléphone vibra et émit des sons pour notifier son passage en mode économie d'énergie.

Sa vibration était le seul son que je pouvais entendre. Plus personne ne disait rien. Le silence était lourd. Jake et Aodren ne parlaient pas, mais je voyais Jake froncer des sourcils et m'inspecter de la tête au pied de ses yeux bleus, puis se tourner vers Aodren avant de me déshabiller du regard une fois de plus, l'air inquisiteur, curieux, étonné et abasourdi. J'étais telle une créature mystique apparue comme par enchantement dans le monde des humains et lui était l'homme effrayé qui refusait d'accepter l'inacceptable.

De son côté Aodren buvait tranquillement sa boisson, tête baissée, zieutant du coin de l'oeil son camarade comme pour lui répondre. J'étais persuadée qu'il communiquait avec lui par la pensée comme il le faisait avec moi. Enfin je vis ses pupilles se lever en ma direction. Leur noirceur me pénétraient. Je me demandais de quoi il retournait. S'agissait-il d'une dispute amicale, de l'entente de deux ennemis, de l'accord de deux instruments en recherche d'unité ? Je les voyais l'un près de l'autre, tels deux frères bien que leur physique indiquait bien qu'ils n'appartenaient pas à la même fratrie. Leur attitude révélait clairement que j'étais le centre du débat. Je n'aimais pas ne pas savoir ce qui se tramait, ce que Aodren devait déceler dans mon esprit et pourtant il n'interagissait pas avec moi pour calmer cette crainte qui ne faisait que se développer, nourrissant la peur au fond de mon cœur, comme si je jouais quelque chose d'important en cet instant.

- Tu devrais contacter ton amie concernant vos alibis.

Sa voix résonnait, tambour annonçant la fin de la conversation que je menais intérieurement avec moi-même. Avant que je ne réagisse il se saisit de mon portable, pianota dessus et me le tendit.

- Tu fais quoi ?

- J'ai ajouté mon numéro et celui de Jake. Comme ça pas de soucis pour se joindre. Je nous ai envoyé des messages pour que l'on récupère le tien plus facilement.

La mélodie de Kenshi Yonezu retentit à nouveau.

- Tu es célèbre, demoiselle...

Jake se pencha au-dessus de l'appareil et regarda l'écran.

- Matt ? Aurais-tu un rival ? ricana-t-il en se tournant vers Aodren, qui ne releva pas.

J'allais récupérer mon téléphone pour répondre lorsqu'il décrocha à ma place.

- Oui ?

- ...

- Allo ?

- Euh... Bonjour, je voudrais parler à Enaya... C'est bien son numéro ?

- Oui. Mais elle ne va pas pouvoir répondre là. Elle est occupée.

- Ah ?

- Je peux lui transmettre un message ?

- Euh... Non, je voulais lui parler en direct... Mais euh... Vous êtes qui ?

Matt était totalement déstabilisé. Je me jetais sur Aodren pour tenter de récupérer la conversation. Il se leva pour m'en empêcher. Je tendais les bras le plus loin possible et sautais sur place pour l'attraper.

- Arrête,rends moi ça !

Il me serra dans ses bras.

- Un garçon t'appelle et tu voudrais que je te laisse lui parler devant moi ? Ne crois-tu pas que c'est exagéré ?

- Mon ami est jaloux... Enaya vous m'impressionnez.

Affalé sur une chaise de la cuisine, Jake semblait observer la scène comme s'il regardait une émission de télévision. Je ne savais plus quoi faire. Ma démarche était de préserver le secret de ma nuit chez lui et il venait de tout gâcher. Il tenait fermement ma taille. J'entendais la voix de Matt hurler pour reprendre la place centrale qu'il avait au début de la conversation.

- Qui êtes-vous ? Passez-moi Enaya de suite ! J'lai entendue, elle est à côté !

- Même pas en rêve.

- Mais vous êtes qui d'abord ?

- Son petit ami.

En disant cela il tenait son visage à quelques centimètres du mien. J'étais grillée. Et figée.

Maintenant on va mettre les choses au clair entre nous. Tu n'iras pas flirter avec le premier garçon venu, tu es avec moi. Je me fiche de savoir si tu me trouves vieux ou non. Toi et moi avons quelque chose à partager. Pourquoi toi, je ne sais pas mais j'en ai décidé ainsi.

Matt ne parlait plus. A moins que ce ne soit moi qui ne l'entendais plus. Je restais contre Aodren, immobile, sentant sa chaleur se propager en moi.

- Passez-la moi ! »

Alors ?


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