Chapitre 49 - Fin de vacances



Je me levai, car j'avais besoin de me laver les mains. Jake me regarda me rendre à la cuisine. Astrid coupait des légumes. Elle m'ignora. J'ouvris le robinet, mouillai mes mains, pris du savon et frottai pour enlever la crasse. Demain je reverrai Victor à midi, on mangera ensemble. Mais qu'allais-je faire si je croisais l'autre ? Et s'il se moquait de moi ? Et s'il avait tout raconté aux autres ? Tia serait là pour moi. Zut ! Comme elle est au courant, ne risquait-elle pas de le révéler ? S'il s'en rendait compte, il s'en prendrait à elle non ? Non, pas possible, il ne ferait rien ; rien n'est-ce pas ? Et si...

- Stop !

Je sursautai. Aodren avait éteint l'eau. Il posa le savon sur le côté et me sécha les mains avec la serviette qui était à disposition à côté du lavabo.

Arrête de t'angoisser à l'avance. Tout se passera bien, ne te fais pas de soucis. Personne ne viendra t'embêter.

Je retournai à table et nous mangeâmes ensemble. Ainsi le déroulement de la journée à venir fut établi : Jake m'emmènerait le matin ; les cours débutaient à huit heures donc il m'y déposerait un quart d'heure avant. Le midi je resterai sur place. Enfin, c'est ce qu'ils supposaient, car j'avais déjà décidé de manger à l'extérieur. Je tâtais le terrain pour savoir s'ils m'autoriseraient à vagabonder avec des amis pendant la pause méridienne :

- Si jamais Tia et les autres veulent s'échapper et manger un MadCo, est-ce que je pourrai les accompagner ?

Aodren posa sa tasse et me regarda. Jake, la bouche pleine, se permit de répondre en premier :

- Tu vas mancher ches cochonneries ? Mâcha-t-il.

- Ben disons que c'est pas cher et c'est là où tout le monde va,en plus ce n'est qu'à quelques rues du lycée. Des fois j'y allais avec les copains, mes parents n'étaient pas contre. Seulement j'ai besoin de pouvoir régler ma part...

- Vas-y. Tu as ta carte, tu peux l'utiliser, tant que c'est raisonnable, que tu travailles bien, que tu nous préviens, que tu ne fais pas n'importe quoi, que...

Jake le coupa :

- Fais comme bon te semble, me lança-t-il avant de s'adresser à Aodren. Lâche-lui la grappe, ça reste une gamine, même si c'est ta protégée. Tu la couves trop. Je sais pas comment elle fait pour te supporter, à sa place je me sentirais étouffé.

- C'est pour son bien, elle le sait, se justifia Aodren.

- Quand bien même, elle a peut-être besoin de souffler aussi non ?

Une fois de plus leur discussion vira à la chamaillerie. J'étais lasse de leur fonctionnement prévisible et puéril.

- Alors déjà, « elle » a un prénom, c'est Enaya. Ensuite, je suis devant vous, donc vous pouvez vous adresser à moi directement. Enfin, je sais me défendre toute seule. Aodren est très protecteur, c'est une qualité...

Aodren lança à Jake un sourire de victoire, tandis que ce dernier plissa les lèvres comme pour bouder. Je poursuivis :

-... Mais Jake a raison, il faut me faire confiance, j'ai fonctionné seule pendant longtemps, mes parents m'ont toujours laissée gérer, j'étais très indépendante. Certes, le contexte m'a déstabilisée, je me suis appuyée sur toi. Je ne suis pas fragile, je te l'ai déjà dit : je peux me débrouiller seule.

Sur ces mots, Jake fit un signe à Aodren lui signifiant qu'il était le vainqueur de cette joute verbale. Fier de lui, il se leva, tapota l'épaule de son camarade dépité et quitta la pièce.

La journée se passa calmement, Aodren travailla dans son bureau pendant que Jake s'affairait à trier des objets qui traînaient ; de mon côté, je recopiai mon devoir de maths qui avait été tâché de sang lorsque je m'étais endormie dessus. Relire mes leçons, préparer mes affaires et ma tenue pour la rentrée occupa le temps restant. Le repas du soir me réchauffa car dehors le froid régnait en maître.

Astrid était une excellente cuisinière mais des fois je ne connaissais pas les plats qu'elle nous servait. Une fois ma salade terminée, je ne sus pas comment réagir face à cet étrange met qu'elle déposa au centre de la table. On aurait dit une énorme crotte entourée de légumes. Je fus écoeurée dès l'instant où le contenu se renversa par la découpe effectuée. Je n'osai rien remarquer mais c'était peu appétissant. Je louchai sur les garçons qui semblaient ravis. Surtout Jake qui la remercia. Le sourire d'Astrid en disait long sur sa fierté. Je n'aurais pas été fière de présenter une bouse à table, donc j'en déduisis que ce devait être un plat connu par la famille. Une fois servie, je tâtai avec ma fourchette et mon couteau cette viande. Je n'étais déjà pas adepte de viande et ce fut confirmé par l'apparente texture. Jake s'empiffrait. Aodren mangeait toujours élégamment, comme si nous étions observés et qu'il tenait à conserver une bonne image de sa personne. Il leva les yeux vers moi.

Tu ne manges pas ?

Comment avouer que ce « truc » me rebutait ? L'odeur qui s'en dégageait était forte, peut-être parce que j'étais sensible à la viande à la base. Aodren appela Astrid.

- Astrid, peux-tu s'il te plaît faire un petit quelque chose de plus classique, rapide et simple pour Enaya ? Je suppose qu'elle ne connaît pas le Haggis, et au vu de son expression je pense qu'elle n'a pas l'inspiration pour le tester ce soir...

- C'est Jake qui m'a demandé si je pouvais lui en préparer, je me suis démenée... Voulez pas goûter un p'tit peu ?

- Sans façon, je suis désolée, marmottai-je.

- Tu as tort, répliqua Jake. Son Haggis est le meilleur du monde ! Tu as assuré Astrid !

- Ah, je sais bien, je suis la meilleure en cuisine dans cette maison ! Pour la fillette, j'ai compris. Me reste d'la soupe, si c'est bon pour vous.

- Merci Astrid, Enaya sera plus à même de manger de la soupe que de la viande.

- De rien mon p'tit Aodren.

Elle lui fit une bise. Je fus choquée. La manière dont elle se comportait avec lui, dont elle lui parlait. Jake n'avait pas réagit. En plus elle m'avait traitée de « fillette ». Non mais la bise en fait. Ce n'était pas nécessaire. Elle comptait faire quoi en dessert ? Lui rouler une galoche ? Je la fixai méchamment, elle qui me disposait une assiette de soupe fumante devant moi. Je pris une cuillerée de cette préparation à la tomate. Je fulminais intérieurement.

- Enaya t'es aussi rouge que ta soupe. Heureusement que tu manges pas le Haggis, parce que je te raconte pas la tête que ça te ferait...

Jake et ses blagues nulles. Le Fou dans toute sa splendeur. J'explosai malgré moi.

- Oh, tais-toi Jake ! Là n'est pas le problème !

- T'aimes pas ta soupe ? Me demanda-t-il.

- Rien à voir.

- Elle est en colère, intervint Aodren. Tu es aveugle ou quoi ?

- Ah ben tiens, ça y est, tu réagis ! Tu me fais tout un cinéma pour Matt, mais que devrais-je dire moi ? C'était quoi« ça » ?

Jake stoppa son geste en plein mouvement, gardant la bouche grande ouverte, zieutant un coup Aodren, un coup moi. Un froncement de sourcils notifia son incompréhension. Aodren lui se recula, croisa les jambes et prit une gorgée de vin.

- Tu t'inquiètes pour rien. Astrid est comme ça depuis toujours. Elle taquine tout le monde.

- Ah oui, opina Jake. Même qu'une fois elle a mis une main aux fesses d'Aodren.

- PARDON ?! Ce n'est pas normal ça !!! Hurlai-je.

Aodren avait dû parler mentalement à son cousin car ce dernier murmura un « désolé, je voulais pas compliquer les choses ». Excédée par leurs bizarreries, je sortis de table en lâchant un « j'ai plus faim, je vais me coucher. » Je me jetai sur mon lit, énervée. J'avais très mal réagi, je le sentais. Néanmoins, tolérer le comportement d'Astrid me paraissait inconvenant. Je frottai mes dents en me refaisant le film du repas dans ma tête. Je me couchai pour lire avant d'éteindre.

Ma nuit fut emplie de cauchemars en tout genre : combats, évaluations surprises, rencontres désagréables, courses effrénées... Je me réveillai en nages. Il était deux heures du matin. Je me rafraîchis et bu un peu d'eau. Je me remis sous les couettes. Je me mouvais dans tous les sens, stressée, le cœur serré, anxieuse. Au bout d'un moment je pris la décision d'aller là où je pourrais dormir sans inquiétude. Je mis ma robe de chambre, mes pantoufles, et éclairée par mon portable j'ouvris lentement ma porte pour jeter un coup d'oeil dans le couloir. C'était sombre. En regardant en direction de la chambre d'Aodren, je vis un filet de lumière sous le seuil.

Une fois devant, j'hésitai à toquer pour entrer. Il devait s'être endormi en laissant les lampes allumées. Poing prêt à se poser sur le bois de la porte, en suspens dans l'air, je pris une inspiration yeux fermés pour me donner le courage d'aller au bout de mon envie de le voir là, à cet instant précis. Je ne sentis pas le contact froid du bois, mais la chaleur de la peau d'Aodren qui avait ouvert et se tenait devant moi. Il était torse nu, avec sa robe de chambre sur lui, les cheveux en pagaille. Il me toisa du regard, attendant de moi une probable explication sur ma venue. Je l'implorai mentalement de me permettre de rester près de lui. Il m'enlaça avant de m'emmener à l'intérieur.

Tu ne te sens pas en forme ? Que se passe-t-il ? C'est à cause du repas ?

Non, j'avais mis de côté l'épisode d'Astrid la perverse. Par contre, j'avais toujours eu du mal à avoir un sommeil correct les veilles de rentrée. Sa présence serait comme un calmant pour moi.

Je dois encore travailler ces dossiers, tu peux t'installer dans le lit. Je te rejoindrai plus tard si tu veux.

Je me glissai sous les couettes et draps qui étaient frais car encore aucune intrusion n'avait été faite. Je posai mon téléphone. Je m'immisçais dans le quotidien d'Aodren : je ne le lâchai pas du regard.

Il dépliait des pochettes sur son bureau, prenait des notes. De temps à autres il se saisissait de feuilles qu'il étalait au sol, pour avoir une vision d'ensemble. Il se frottait le menton en admirant le bazar qu'il avait créé par terre. Il reprit des notes. Il se réinstalla sur sa chaise pour écrire, calculer. Il comparait des tableaux, des graphiques. Je m'étirai. Je calai ma tête sur le coussin que je mis préalablement en boule. Il avait un air sérieux. Il était beau, assis là, concentré sur ses papiers, sans se rendre compte que je le dévorais des yeux.

Tu profites de la vue ?

- C'est que je préfère ça aux cauchemars de tout à l'heure.

Il cessa son activité, alla prendre une douche puis s'allongea près de moi. Je me blottis contre lui une fois que le « clic »de sa lampe se traduisit par la présence totale des ténèbres dans la pièce.

Bonne nuit. Tu dois te reposer, tu devras te lever dans quelques heures...

Il me fit face et son bras s'enroula autour de moi. Je me lovai encore plus fortement contre lui. Son odeur était boisée et douce, masculine, enivrante. J'adorais humer ce parfait mélange qui m'excitait autant qu'il me tranquillisait. Ses doigts se mêlaient à mes cheveux. Il céda au marchand de sable plus vite qu'un enfant et se mit à ronfler. Je ris intérieurement. Tout son glamour s'envolait à chaque vrombissement nasal. Je sifflai pour faire cesser cette cacophonie nocturne. Il me lâcha inconsciemment et me tourna le dos. Je me collai à lui et me laissai emporter dans un repos salvateur par la tiédeur de son corps.

Je fus réveillée par un tambourinement à l'entrée de la chambre. Aodren émit un râle et se leva, en caleçon. Il ouvrit brusquement la porte, tout énervé qu'il était.

- Quoi ? Pourquoi tout ce boucan de bon matin ?

- Enaya n'est plus là ! Elle n'est pas dans sa chambre ! Gwen ne l'a pas trouvée et elle n'est pas descendue non plus ! Son réveil sonnait mais personne ne l'arrêtait alors elle est allée l'éteindre et c'est là qu'elle a constaté qu'il n'y avait personne !

Je m'approchai d'Aodren. Quand Jake me vit, il sembla soulagé et énervé à la fois.

- Elle va très bien, alors arrête de paniquer !

- Enaya tu es là ? Pff, tu sais la frayeur que tu nous fais ?Franchement, partagez la chambre ce sera plus simple que de nous faire courir pour savoir où tu dors !

Aodren lui claqua la porte au nez. La voix de Jake nous parvenait encore, exprimant tantôt des « sont pénibles » ou encore des « n'importe quoi », « n'ont qu'à faire chambre commune ». Aodren se laissa tomber sur la couette, épuisé. Ses cheveux formaient une crête mal structurée. Il était six heures du matin. Assis près de lui, je lui caressai le dos.

Je suis fatigué, tu ne voudrais pas me donner un peu de ton énergie par hasard ?

Je me penchai et lui marmonnai des mots doux au creux de l'oreille pour l'aider à se réveiller ; sans succès. Alors je tentai la méthode vicelarde : je lui décrivis toutes les choses coquines que je pourrais lui prodiguer s'il était suffisamment éveillé pour. Il fit volte face et me contempla, curieux.

Vraiment ?

Je partis en courant dans ma chambre pour me préparer ; je m'habillai rapidement mais consciencieusement, je me coiffai et me dépêchai de fermer mon sac de cours. Un bruit derrière moi attira mon attention. Gwen.

- Laissez moi vous coiffer mieux que ça, s'il vous plaît. Je vous maquillerai. Je suis douée pour ça, monsieur vous a confiée à moi parce qu'il sait que je suis capable de bien vous aider.

Je repensai aux propos de Jake et acquiesçai pour lui faire plaisir. Son visage s'illumina. Elle m'invita à m'asseoir. Elle me proposa un style chic et glamour. En quelques minutes je n'étais plus moi-même, mais une jeune dame élégante. Vêtue d'un pull tunique blanc aux manches bishop, aux poignets bleu nuit et au col évasé, qui mettait en valeur le sous pull à col roulé noir qui couvrait mon cou, d'un pantalon noir en tissu collant à la peau et mettant en valeur les boutons cyan argentés, qui longeaient les bords de mes cuisses jusqu'aux chevilles, je fus étonnée par la mise en lumière de l'ensemble grâce aux talents de Gwen.

Elle avait surmonté mes cheveux et les avaient partiellement attachés à l'aide d'une épingle à bijoux dans des tons similaires à ceux de mes poignets. Quelques touches de couleurs assorties aux boutons du pantalon relevaient mon regard, lui-même appuyé par un léger trait d'eyeliner et de mascara. Elle ne mit qu'un peu de rouge à lèvres rose pâle pour ne pas alourdir le tout. En me voyant ainsi dans la glace je me trouvai superbe.

Aodren fit irruption dans la pièce sans même frapper à la porte. Il fut estomaqué de me voir ainsi. Gwen le salua et sortit de la chambre précipitamment.

Tu es magnifique, tu le sais ? En plus avec ce maquillage ton bleu sous l'oeil ne se voit plus du tout.

Il m'enlaça et m'embrassa tendrement. A mon grand étonnement, il sortit son téléphone de sa poche et prit une photo de moi. Il pianota dessus.

- Que fais-tu ?

Je te garde près de moi, comme ça quand tu ne seras pas là je pourrai t'admirer encore et encore...

J'empoignai le mien, attirai Aodren près de moi, et cadrai l'appareil. Sur l'écran nous apparaissions l'un contre l'autre. Je tendis le bras pour ajuster l'image. Je cliquai. Nous faisions tous les deux face à l'objectif. Seconde prise. Je n'avais pas bougé d'un poil, mais lui m'embrassais sur la joue. Je me mis à rougir. Ensemble nous descendîmes prendre un petit déjeuner. Tout était déjà prêt. C'était bizarre de toujours mettre les pieds sous la table, je trouvais cela exagéré, seulement cela faisait partie des habitudes de la maison. Jake prenait un café.

- Les amoureux se détachent un peu ? On part dans cinq minutes, Petite Pomme. Où vas-tu cousin ? Si tu te levais tu aurais pu la conduire, toi !

- Je dois travailler, tu sais, cette activité qui permet de gagner de l'argent et de payer les factures, les employés, d'entretenir les lieux...

Repas terminé, lavage de dents effectué, veste chaude, gants et écharpe, j'étais parée pour reprendre les cours.

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