Chapitre 48 - Conversation

Pourquoi il avait décidé de me raconter une partie de l'histoire de sa famille ce jour-là, je ne le savais pas. Ce qui était certain,c'est qu'il expliquait la plupart des étrangetés qui m'étaient tombées dessus depuis quelques temps. Être un clan à moi seule,cela me paraissait invraisemblable.

Par contre, cela justifiait et l'intérêt rapide d'Aodren envers moi, son investissement moral et financier également. Je comprenais mieux pourquoi il avait été si sûr de lui depuis le début. De son point de vue, j'étais une des« leurs ». Bien qu'il n'ait pas eu une certitude totale à mon égard dès notre première rencontre, il avait décelé en moi une particularité. Si mon oncle avait été là à lui demander une fois de plus la raison pour laquelle il payait tout pour nous,j'aurais pu lui répondre que c'était simplement parce que ma place était ici.

Après avoir fait l'amour, il m'avait serré fortement dans ses bras et m'avait parlé de la majeure que je représentais. Selon lui, j'étais « l'Hermite », la neuvième lame. Un talent ne se transmettant qu'à la mort de son précédent porteur, les miens avaient dû s'activer à la mort de Véronica Aumont, la sœur de Jake.

Il m'avait indiqué que mon talent consistait à isoler mon esprit en moi. Elle était solitaire, un peu comme moi, mais ne parlait pas beaucoup avec les autres et avait peu d'amis, contrairement à moi. Ma capacité se développerait plus facilement avec la personne que j'étais et cela serait dû au fait que je n'avais pas été éduquée dans le même carcan que les autres.J'étais plus douée, car capable de fermer mon esprit, de diviser mon corps et mon esprit pour isoler mes pensées et m'éloigner de ce qui pouvait me faire peur, me faire mal, ou m'embêter.

Aodren ne savait pas pourquoi une personne extérieure aux clans obtenait les pouvoirs. Il avait été supposé que si le clan ne disposait pas d'assez de membres, un nouveau clan se formait. C'était ainsi que les clans hispaniques étaient apparus, puis avaient disparus car assez peu nombreux pour le maintenir et le fructifier. C'était aussi la raison pour laquelle les clans s'efforçaient d'avoir beaucoup d'enfants, de garder des liens entre eux et si possible de marier les enfants des différentes familles entre eux.

- Donc vous êtes consanguins en fait ?!

Non,car régulièrement des arrivées extérieures se forment. Elles s'associent très vite à un clan, cela renouvelle le sang et évite des soucis de ce point de vue. Ma grand-mère était comme toi.

- Judicaëlle ? Vraiment ?

Oui.C'est peut-être pour cela qu'elle t'a abordée. C'est cela qui doit vous lier. Véronica pouvait la voir également. Elle était la seule qui pouvait garder un lien avec elle ; même Victoria n'y arrivait pas.

-Victoria ? Qui est-ce exactement ?

Sans crier gare, je repensais à la scène de bal à laquelle j'avais assisté, émanation du passé que Judicaëlle avait imposé à mon esprit pour avancer dans mes recherches. Aodren la perçut immédiatement.

C'est elle, effectivement. Tu as vu cela ? Voir mon grand-père ainsi c'est étrange. Victoria Evans... Au moment de ta vision, enfin je veux dire de l'époque que tu as pu observer, elle n'avait pas encore révélé son talent officiellement. Au vu de son caractère, tu dois avoir une idée de la lame qu'elle représente.

-Je ne connais pas encore toutes les cartes par cœur... Mais j'en ai quelques unes en tête et vu comme elle critiquait les autres, j'aurais dit... Le jugement ?

Bingo ! Et crois-moi, elle n'est pas commode.

- N'est pas... ? Elle est encore vivante ? Donc il y a le clan Evans également ?

Il émit un rire dans ma tête, souriait en se passant la main dans les cheveux.

Victoria Evans s'est mariée depuis le temps. Avec Richard Winsor. Elle a eu un fils : Henri Winsor. Il est l'Empereur, comme je te l'ai dit tout à l'heure. Henri est le père d'Edward.

Il prit un air sérieux et fixait le baldaquin. Il se releva et s'assit contre la tête de lit. Il soupira avant de me regarder amoureusement et tristement.

- Aodren , à quoi tu penses ? M'enquis-je.

Il me tira à lui pour que je pose ma tête contre son épaule. Il m'entoura de son bras, saisit ma main et y déposa un doux baiser. Il huma l'odeur de mes cheveux, laissa tomber sa tête contre la mienne.

Enaya, ils sont dangereux. Edward est un ange en comparaison de l'Empereur. Et ce n'est pas un jeu de mots. Il va falloir te préparer à faire ton entrée dans la famille. C'est aussi pour ça que je m'avançais très vite vis à vis de toi. Je ne voulais pas qu'ils te repèrent et s'en prennent à toi. Moi je ne te forcerai pas à quoi que ce soit. Seulement je sais que les Winsor vont vouloir t'intégrer aux leurs. Et l'Empereur peut le faire contre ta volonté.

- Comment cela ? Si je refuse il ne peut pas m'y contraindre !

Son talent. L'empereur a le plus horrible des talents. Il peut s'imposer à toute volonté ; il peut contrôler une personne dans la prise de décision. Il va te pousser à devoir te prononcer pour un clan. Et il utilisera son pouvoir pour que tu choisisses les Winsor.

- Si tout le monde en est conscient, alors cela n'a aucune valeur !

Il demandera la confirmation d'une personne qui peut déceler les mensonges.

- Alors nous lui demanderons ! Qui est-ce ?

La Justice. Paul Winsor. Son fils. Et donc frère d'Edward. Tu vois le tableau ?

Je commençais à saisir tout ce qui m'avait été dit auparavant, que ce soit par Judicaëlle, par Ophélie, par les attitudes secrètes d'Aodren ou de Jake. Avoir un don était un malheur car tout était corrompu.

- Aodren... Ne crois-tu pas que ta grand-mère essaie de me dire autre chose que le fait que je sois l'Hermite ?

Pourquoi ? A quoi songes-tu ?

- Elle m'a menacée de mort. « C'est moi qui te tuerai. » Si ce n'est pas elle, qui donc le ferait ? D'après tes propos, être avec toi ne va pas être si génial que ça en terme de contexte, contrairement aux apparences. Mon intuition me dit qu'elle savait comme tout le monde que vos familles sont maudites. Elle voulait sûrement vous protéger. Elle veut que je trouve son carnet sinon elle me tuera. Donc, en toute logique, elle a dû trouver quelque chose qui me permette de vivre sans craintes et l'a consigné dans son calepin, carnet, journal ou je ne sais quoi.

Il s'écarta de moi et me fixa, étonné, comme si je venais de faire une révélation. Il hocha la tête.

- Ma petite chérie est très intelligente, dit-il enjoué. Il va falloir trouver ce qu'il en est très vite, car le temps va jouer contre nous.

- Ah bon ?

- Tout le monde compte débarquer pour Noël. L'Empereur va vouloir te faire faire ton « entrée en société », comme il nomme cela, pour faire plaisir à Victoria. Il va vouloir en profiter pour te lier aux Winsor. Alors nous devons trouver une solution rapidement, j'ai peur qu'il t'arrive quelque chose.

- En effet... Mais dis-moi, comment a fait ton grand-père pour que Judicaëlle s'associe aux Juhel ?

- Disons que les Winsor étaient moins réactifs que Ayden,répliqua-t-il.

- C'est-à-dire ?

- Simple, commença-t-il en s'allongeant sur moi. Il l'a épousée.

- Ah...Euh... Je suppose que ça change tout ?

- C'est une règle : l'Empereur a interdiction d'intervenir dans les relations intimes. Donc le mariage.

Je décelais sans difficulté le point qu'il soulevait. Il avait préparé le terrain auprès de ma famille lorsqu'ils étaient venus. La raison était de fait une tactique pour éviter le pire à l'avenir. Si un membre des Winsor s'en prenait à moi, il serait compliqué de convaincre toute la famille en même temps pour les empêcher de m'isoler et d'agir en justice. Car tout talentueux qu'ils étaient ils devaient rester cachés, soumis aux lois des pays dans lesquels ils résidaient. Pas de vagues pour ne pas se faire repérer.

- Aodren, je vois que tu ne penses qu'à mon bien. Mais je ne veux pas me marier. Je suis trop jeune, j'ai trop de choses à voir, à vivre... Même si je suis bien avec toi, ce serait stupide de me précipiter. Je veux ma liberté, je veux pouvoir douter, changer d'avis... Rien contre toi hein, mais si je m'engage maintenant je vais avoir l'envie de m'évader. Je ne suis pas prête. Trop de choses sont arrivées, je n'ai pas réussi à tout gérer... J'ai besoin de me construire parce qu'avec-

Je me tus. J'allais énoncer l'inacceptable, l'inavouable; l'imprononçable torture intérieure tentait de s'extirper de ma bouche pour faire voler en éclats mon esprit. Le dire c'est l'admettre. C'est le faire vivre. C'est le revivre. Il fallait que je referme ça dans ma boîte à cauchemars et que je la verrouille définitivement. Aodren lu ma panique sur mon visage et devina ce qui se jouait en moi. Il voyait le combat entre la raison, la douleur, la peine et la haine se dérouler sous ses yeux. J'étais très mal. Je me mis à effectuer de petits mouvements rapides de la tête, tel un robot qui avait une erreur de programmation et qui ne pouvait terminer la séquence qui avait été amorcée. Ma respiration se hacha. Machinalement je me mis à répéter des mots : « Rien,rien, rien, rien, rien, rien, rien, rien... »

Aodren essayait de me calmer.

Enaya, arrête, arrête, ça va, je suis là !

Après avoir répété ce mot une bonne trentaine de fois, tout cessa d'un seul coup.

- Enaya, on ne se mariera pas, du moins pas tant que tu ne te sens pas prête, je te le promets. Et si un jour tu ne veux plus de moi... Ben euh... On verra en temps voulu.

Il me proposa d'aller prendre le petit déjeuner. Nous nous séparâmes le temps de nous apprêter. Je sortis de la chambre et je fus surprise du monde qui allait et venait dans le couloir. A chaque fois les personnes me saluaient. Je tirai ma porte pour la fermer. Une femme s'approcha, me fit un signe salutation avant de s'adresser à moi :

- M'autorisez-vous à faire votre chambre ? Je dois changer la literie.

- Euh... Je suppose... Qui vous a demandé... ? Vous êtes... ?

- Je suis Kristen. Je suis en charge de tout ce qui concerne la literie ; en fait je me charge du linge. Monsieur Juhel vient de me dire qu'il fallait renouveler le linge de votre lit. Loan m'a demandé également de laver les rideaux des chambres du premier étage.

- Ah. D'accord, faites alors...

Elle entra dans ma chambre. Vers le balcon je vis Gwen et une autre fille parler.

- Je te jure, il est entré comme ça, nu, dans le bain ! T'as entendu après ? Je te parie qu'ils...

Elles se turent dès qu'elles m'aperçurent. Si Gwen resta, sa comparse s'empressa de filer.

- Mademoiselle va mieux ? Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

- Non, et merci d'arrêter avec ces « mademoiselle », je déteste ça. J'ai un prénom : Enaya. C'est suffisant.

- Mademoiselle Enaya souhaite-t-elle que je la coiffe ?

J'ouvris grand les yeux pour vérifier si j'étais vraiment réveillée. Cette fille était plus butée que moi.

J'allais sans le vouloir lui crier dessus, car je ne la supportais pas.

- Enaya, ferme la bouche, tu vas baver. Gwen, laisse, je gère. Elle a pas l'habitude, il lui faut un temps d'adaptation.

Jake se plaça entre nous. Elle s'en alla, dépitée. Il se tourna vers moi. Il portait une longue veste en laine bleue par dessus un t-shirt gris. La ceinture qui devait soutenir son jeans était mal attachée et ce qui dépassait de la boucle pendait dans le vide. Il croisa les bras et fit la moue.

- Petite Pomme, va falloir ménager Gwen. C'est une gentille fille, timide, qui prend à cœur son travail et tu n'es pas du tout sympa avec elle !

- Mais non, même pas ! Je veux juste qu'elle m'appelle par mon prénom, c'est pas la mer à boire ! C'est quoi cette façon de vivre ? C'est bon, on est pas au siècle d'Austen !

- C'est notre façon de vivre ! Respecte au moins ça. Il va falloir t'en accommoder car tu vas vivre comme nous, tu n'auras pas le choix.

Je réagis instantanément à ses derniers propos.

- On a toujours le choix ; ce n'est pas toi ou qui que ce soit qui changera ça.

- Pense comme tu veux. Tant que tu vis sous ce toit, fais comme tout le monde. Tu reprendras tes habitudes lorsque tu quitteras ces lieux. Ne perturbe pas ceux qui vivent et travaillent ici, c'est tout ce que je te demande.

Sur ces mots, il se dirigea vers les escaliers.

- Jake ! Attends !

Il s'arrêta à la première marche, main posée sur la rampe.

- Pardon. Je ne voulais pas manquer de respect. C'est juste que j'ai du mal à m'habituer à ça.

Il esquissa un sourire et me prenant par le bras, il me conduisit à la salle à manger. Dans la cuisine Astrid s'affairait. Jake m'invita à m'asseoir. On nous servit un petit déjeuner royal. Jake se jeta sur les œufs au plat. Je dépliai ma serviette religieusement.

- Alors, tu as passé une bonne matinée ? Je vous ai entendu« parler » avec Aodren...

Je m'empourprai une fois de plus. Décidément, notre intimité n'était pas gagnée avec autant de monde. Cela me pesait déjà. Je lui répondis qu'il m'avait informée sur la famille, les talents des majeures et tout ce qui allait avec. Il parut satisfait que je sois au courant de tout.

- Du coup, ça doit t'aider à mieux t'intégrer. Bref, on va pas refaire votre conversation, hein. J'imagine que ton programme du jour est établi ? Demain c'est ta rentrée, tu dois être au lycée à quelle heure ? Je serai ton chauffeur !

La rentrée. J'avais zappé cette partie.

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