Chapitre 43 - Tranche de vie
Lorsque nous franchîmes le perron une sensation étrange s'empara de moi.
- Tia, ne bouge pas !
Mon amie s'immobilisa. La lumière de la pièce était différente. Des teintes orangées emplissaient l'espace, un fond sonore d'un orchestre enjoué était décelable au milieu de conversations variées, soirée improvisée tenue en notre présence sans que quiconque ne soit là physiquement. J'avançais à tâtons. Des brumes apparurent, nébulosités qui flottaient dans l'air.
- Tia, vois-tu ou entends-tu quelque chose ?
Elle désapprouva dans un murmure éloquent. Elle resta près de la porte, en chaussettes, chaussures proprement alignées sur le tapis d'entrée, sa veste à la main, curieuse et intriguée. Main tendue vers elle pour lui signifier de ne pas aller plus avant, je me mouvais à tâtons dans l'immensité du lieu envahie par ces nuages volatiles. Au fur et à mesure de mon cheminement dans cette nuée j'entrevoyais des formes, des silhouettes, des personnes. Des femmes aux cheveux coupés courts à la garçonne, surmontés soit de perles soit de plumes, robes s'arrêtant au niveau des genoux, ceintures brillantes en dessous des hanches, munies de franges, tantôt pailletées, tantôt couvertes de formes géométriques. Elles portaient des bijoux rappelant les sautoirs actuels, fume-cigarette à la main, cancanant avec des hommes élégamment habillés façon Gatsby ou dansant le Charleston du haut de leurs talons. Partout où je me trouvais des gens buvaient ou mangeaient de petits fours. Je pouvais les voir de plus en plus distinctement et leurs conversations s'éclaircissaient. Je me retournai pour m'adresser à Tia. Elle n'était plus là. La salle était joliment décorée et au fond, près du bar, un orchestre jouait des musiques endiablées. Des serveurs s'affairaient à servir ces convives. Les couleurs chatoyantes qui m'entouraient et l'ambiance m'invitaient à rejoindre la danse.
- Avez-vous vu la jeune Guéguen ? Elle est splendide ! S'exclama un homme à ma gauche.
- Certainement, vous ne pouvez l'ignorer, sa beauté est sans pareille. Et quelle vivacité ! Enchérit son camarade près de lui.
Un attroupement non loin des tables du buffet attira mon attention. Une femme qui accompagnait ces hommes rajouta :
- Je ne sais pas qui l'a invitée, mais elle est venue pour aguicher le jeune Ayden ! Elle croit pouvoir lui mettre la main dessus.
Je me rapprochai des danseurs et vis une demoiselle brune, cheveux disposés en vagues et tenus par un bandeau vert de gris à paillettes orné de roses pâles en train d'effectuer des pas telle une professionnelle de la danse des années folles. Son long collier de perles se balançait à chacun de ses mouvements guidés par le rythme de la musique. Sa tenue était faite de dentelle mêlant un blanc pur à des fils d'or. Son magnifique sourire était mis en valeur par un rouge à lèvres pétant qui révélait sa dentition parfaite. Tous les hommes étaient en admiration devant elle. Elle lançait des regards à un jeune homme blond, en costume et nœud papillon, qui la mangeait littéralement des yeux. Il ne détournait pas son regard d'elle, parlait avec des convives. Du bout des doigts il tenait une coupe de champagne qu'il tendait par-ci, par-là, pour saluer un tel ou un tel.
- Victoria, tu vas faire quoi si elle te le pique ?
La voix nasillarde de la rouquine à ma droite m'interpella. Elle ne sembla pas me voir. Sa voisine, une fille maigre au possible maintenait sa coupe de champagne près de sa bouche et en grignotait le bord, agacée.
- Tais-toi Rose, il est impossible que cette garce me le prenne. Il sera à moi. C'est moi qui serait une Juhel. Cette maison sera mienne, je te le garantis, cracha-t-elle.
Rose souffla de dépit.
- Soeurette, regarde Ayden. Il la dévore des yeux. Il l'aime, c'est obligé. Tiens, vois-tu la petite Clark qui s'approche de nous... Que va-t-elle encore nous raconter ? Tu verras, elle finira avec les yeux bridés ! Sans le sou !
Elles affichèrent un sourire de façade pour accueillir une fille habillée d'une robe noire aux motifs rouges géométriques. Elle sautillait vers elles.
- Mesdemoiselles ! Quelle soirée fantastique ! Je ne m'attendais pas à croiser autant de monde ! Tout le gratin est là ! C'est le moment de trouver l'âme sœur, si vous voulez mon avis.
Victoria fit la moue.
- J'ai déjà trouvé la mienne, parle donc pour toi, Olivia.
Elle fit un signe de tête en direction du garçon qui semblait être l'hôte de la fête.
- Ayden ? Tu vises bien haut, ma chère ! Il rêve de passer la bague au doigt de Judicaëlle. On dirait qu'elle a encore trouvé le moyen de se faire remarquer daillleurs...
J'étais estomaquée. La splendide danseuse n'était autre que Judicaëlle. Elle voulait me montrer une part de sa vie, peut-être pour m'aiguiller dans mes recherches. Décidément j'aurais droit à tout avec elle. Dans tous les cas, cette bulle temporelle était renversante. J'étais plongée dans une soirée à la Gatsby.
- C'est moi qu'il veut, pas elle.
-Vic', tu devrais abandonner. Il sait ce qu'elle pense, il ne s'accrocherait pas pour rien. Les Reynolds et les Winsor sont là également.
Elle pointa un groupe de jeunes vers les escaliers avant de compléter :
- Ils sont venus avec leurs fils, on devrait aller les saluer.
- Arrête avec ça Olivia, interrompit Victoria. Je suis certaine qu'elle a le don de séduction, qu'elle en joue. Comment pourrait-elle l'attirer autrement ?
- Ma sœur, tu te fais des idées, intervint Rose.
- Je sais ce que je dis. Je n'arrive pas encore à lire son esprit, mais dès que je maîtriserai pleinement mes capacités j'en aurai la preuve ! Si seulement je pouvais lui voler son don...
Rose la regarda inquiète. Oliva pouffa.
- Eh bien je vous laisse à vos réflexions et m'en vais de ce pas faire la connaissance des autres. De toute façon, quoi que fasse Ayden, son père acceptera. Il est trop heureux que son fils soit revenu entier de la guerre. A plus tard !
Elle partit en se dodelinant, attrapant un verre de champagne au passage d'un serveur qui passait là, et le siffla d'une traite.
- Rose, sache que jamais nous ne devrons laisser ces moins que rien avoir les principaux attributs de pouvoir. Il faudra trouver une solution pour les avoir tous.
- Ne sois pas stupide, tu sais que c'est impossible.
- Rien n'est impossible ma chère ; quand on veut on peut. Il suffit de savoir comment, tout simplement.
- Que me racontes-tu là ? Tu crois encore en ce rêve stupide ?
Rose avait un regard inquisiteur. Elle se méfiait de la réaction de sa sœur, cela était une évidence. Elle était plus jeune et soumise aux décisions de Victoria.
- C'est possible, mais pas sans risques. Je dois essayer, quoiqu'il en coûte.
- Tu vas risquer ta vie pour un songe ?
Victoria jeta un œil dans son verre, le bu cul sec, fixa sa sœur d'un regard maléfique puis annonça d'une voix calme et posée :
- Qui a dit que ce serait ma vie que je risquerais ?
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