Chapitre 40 - Début de soirée
Il avait emprunté une des voitures d'Aodren. Il conduisait un peu sauvagement : doublant parfois de manière dangereuse. On aurait dit qu'il voulait vite se débarrasser de la tâche qui lui avait été confiée.
Ma copine était habillée simplement et restait fidèle à elle-même : enjouée, de bonne humeur et surtout bavarde. Sur le chemin nous ramenant à la bâtisse elle ne cessa de raconter milles et une choses anodines pour un adulte mais si importantes pour nous, adolescentes que nous étions. Elle me mit à jour des dernières péripéties amoureuses de nos camarades de classe.
Son cartable, si on pouvait le nommer ainsi, contenait les devoirs à faire pour le lundi et elle ne nia pas son absence d'avancement de ceux-ci. Nous allions donc passer l'après-midi à étudier. Enfin j'allais surtout prendre du temps pour la coacher, car elle n'était pas très bonne élève.
- Et pour les maths, il faut que tu m'aides, parce que je n'ai rien compris.
- Tia, tu ne t'adresses pas à la bonne personne. Je t'ai dit que j'avais fait mon DM, seulement tu connais mes capacités en sciences : elles sont limitées ! Je suis sûre que c'est pourri ce que j'ai fait, et si tu me copies par manque de confiance en toi, on risque de se faire taxer de copieuses... Je ne peux pas me permettre d'avoir une bâche, et encore moins un zéro, puis surtout je veux comprendre le cours parce que pour rappel, en Décembre, on a un bac blanc...
Jake s'immisça dans notre conversation.
- Je peux vous aider, sinon la meilleure personne pour cela serait Aela.
- Ah bon ? Elle est douée ? interrogeai-je.
- Elle a une mémoire incroyable, tout ce qui est dit ou ce qu'elle lit, elle le retient instantanément et l'assimile facilement. Disons qu'elle est très intelligente, plus qu'Aodren.
Tia s'accrocha au siège conducteur et sans s'en rendre compte elle lui hurla dans les oreilles :
- Génial ! Elle s'ra ok pour nous aider ?
Me revint en mémoire ce que nous avait dit Aodren.
- Jake, ça va pas le faire, Aela et Tempérance sont au parc avec les petits... Elle ne pourra pas nous aider.
Il proposa de jeter un œil et de faire au mieux pour que nous ne passions pas tout notre temps à travailler. Il souhaitait profiter de notre compagnie et imaginait déjà la possibilité de jouer aux cartes avec nous. Tia paraissait plutôt motivée par la perspective d'une soirée à thème et envisageait de battre tous ces adultes. Ce qu'elle n'avait pas encore déduit était leur capacité à tricher à cause de leurs dons.
La pluie nous accueillit à la bâtisse. Il faisait extrêmement sombre. Lorsque Jake s'engouffra dans le garage, le crachin s'était transformé en torrents, accompagné d'un vent violent et d'un froid de canard.
Tia manifesta son étonnement face à la grandeur du sous sol et des voitures de luxe alignées. Elle s'extasiait devant chaque modèle et se prit en photo avec nombres d'entre eux. Poliment Jake porta les sacs de mon amie.
Une fois dans la salle principale, il nous enjoignit à ranger nos affaires et à nous retrouver pour le repas pendant qu'il allait faire un feu pour nous réchauffer. Il était vrai que la pièce était souvent fraîche du fait de sa taille. Autant les chambres avaient été sûrement été rénovées pour améliorer le confort, seulement la réception n'avait pas eu droit aux mêmes égards.
Tia me suivit jusque dans ma chambre. Une fois dans celle-ci, elle exprima une multitude de compliments sur l'aménagement. Elle adorait mon lit et me le fit remarquer en se jetant dessus et en s'écrasant sur la couverture moelleuse. Je m'assis près d'elle. Elle se retourna et son visage devint plus sérieux.
- T'es vach'ment bien installée. Parlons cash : comment t'vastoi ? Ta s'maine a dû être hyper difficile...
- Je ne réalise pas vraiment. Je pense que la rentrée va me contraindre à ouvrir les yeux sur ces horribles vacances.
- T'sais qu'j'serai toujours là pour toi ma coupinette !
Elle me serra dans ses bras et me câlina. Les larmes me montèrent aux yeux et je ne pus les retenir. Je lui déballai mes ressentis :la peine et la peur de me retrouver orpheline. Cette incertitude quant à ma mère me rendait mal et j'intériorisais beaucoup en général ; cette fâcheuse habitude se retournait contre moi et me rongeait de l'intérieur. Elle tenta tant bien que mal de me rassurer et essuya mes larmes avec un mouchoir qu'elle sortit de sa poche avant de m'en tendre un autre pour que je me mouche.
- C'est normal que tu sois mal, t'sais. D'jà j'te trouve super courageuse. C'est énorme tout ce qui t'arrive...
Elle dévia sur notre pyjama party tandis qu'elle déballait ses affaires. Elle m'imposa qu'on dorme ensemble pour veiller un maximum,tout en me précisant qu'elle refusait de me laisser seule. Elle m'avoua angoisser à l'idée de dormir seule dans une maison géante. Elle n'était pas habituée à tant d'espace.
Tia vivait en immeuble ; il était mal isolé et on entendait tout. Par conséquent elle n'était pas dérangée par la proximité, bien au contraire.
Elle avait prévu des jeux, des magazines avec des tests un peu stupides : « quel genre de fille êtes-vous ? » ;« Quel garçon te correspond ? » ou encore « Es-tu plutôt vénus ou mars ? ». J'ignorais qui avait pensé ces questionnaires stupides. Ils nous faisaient rire, c'était l'essentiel.
Elle dégaina ses devoirs et me montra sa dissertation de philosophie ; on reprit ensemble l'étude de textes pour le cours de lettres. Nous prîmes le temps de relire l'extrait du livre que Mme Gard avait soigneusement choisi pour nous dégoûter à jamais de la littérature. Franchement, j'adorais lire, néanmoins j'étais incapable d'avancer les œuvres que l'on m'imposait en classe. Tia faisait des voix bizarres pour me faire rire.
Il nous restait ce fichu devoir de maths, dont je me serais allègrement passée si cela avait été possible. Elle me pointa l'exercice qui était sur six points. Nous avions des résultats opposés.
Exercice1 : 06 points
On considère le polynôme P(x)=2x3+ax2+bx−1 ; où a et b sont deux nombres réels.
I)Déterminer les nombres réels a et b pour que −1 et 1 soient racines de P(x)
II)Dans cette question on suppose que a=1 et b=−2
1)Montrer que −12 est une racine de P(x) en produit de facteurs du1er degré.
2)Résoudre dans R
a)P(x)=0 b) p(x)−x2+6x−9≥0
J'aurais préféré faire du chinois, cela aurait été plus aisé pour moi. On se creusait les méninges lorsque quelqu'un toqua à la porte de ma chambre. Tia hurla, comme si c'était chez elle :
-Entrez !
Aodren franchit le pas de la porte, un sac à la main. Il salua Tia avant de nous donner le plastique qui était lourd.
- Voici les courses, comme convenu. Je me suis permis d'ajouter de petites choses pour votre fête de ce soir.
Tia déballa les affaires. Elle fut gênée à la vue de produits d'hygiène intime. Par contre elle sauta de joie en découvrant des boites de bonbons, des gourmandises variées, des boissons, des chips et des gâteaux.
- J'ai également deux surprises !
Je pris l'énorme paquet cadeau et l'enveloppe. D'un signe de main il me pointa la lettre, pour que je débute par celle-ci. Des codes inscrits sur un papier (des identifiants et des mots de passe).
- Alors je t'ai pris un abonnement à Netfilm, à Misneyplus et à d'autres joyeusetés pour votre veillée. Et... Surprise !
Il nous lança à chacune un paquet de pop-corn. Puis il désigna le gros cadeau. J'arrachai le papier avec Tia qui était plus impatiente que moi de voir ce que c'était ; il recouvrait deux cartons. Une console, pleins de jeux et une petite télévision.
- Comme ça vous pourrez vous amuser. Je ne savais pas ce que vous aimiez comme jeux alors j'ai pris des choses variées.
Tia sautait de joie ; c'était Noël pour elle. Elle tenait un jeu de zombies dans les mains.
- Géniiiiiiiiiiiiiial !
Elle prit Aodren dans ses bras qui eut tout d'abord un mouvement de recul avant de se laisser faire en riant. Une fois l'émotion retombée, il vint vers moi :
- Est-ce que ça te plaît ? Tu aurais préféré autre chose ?
- Non, c'est vraiment gentil, je ne sais pas si je mérite tout ça !
- Oh bien sûr que si, et même plus, tu sais...
Il m'embrassa tendrement sur la joue. Tia fit mine de tousser pour rappeler sa présence.
- Pardon. Pour ce midi, enfin... Il est bientôt treize heures ; j'ai fait une poêlée de légumes anciens avec des steaks. Simple, désolé. Ce soir vous décidez, on se fera livrer si vous voulez !
Une fois tout déballé, je fis un tas des cartons puis nous branchâmes l'ensemble. Tia et moi descendions les escaliers les bras remplis des affaires à recycler quand Lewis croisa notre chemin. Je le présentai à mon amie qui sembla intimidée. Il nous débarrassa de notre fardeau et nous laissa rejoindre la salle à manger.
L'odeur du repas titilla nos narines, faisant gargouiller nos estomacs. Aodren était dans la cuisine, maniant la poêle tout en discutant via son oreillette dans une langue qui m'était inconnue. Il était très sérieux et le ton employé révélait sa fonction importante dans son travail.
Je fis signe à Tia de me suivre et nous commençâmes à mettre la table. Aodren me fit un clin d'œil de remerciement. Après cela nous nous installâmes, prête à manger ce qui avait été concocté par mon amoureux.
- Il est vach'ment attentionné ton « tuteur ». Tu t'entends bien avec lui, j'me trompe ?
Elle appuyait son menton sur ses paumes, prête à entendre tout type de révélations de ma part.
- Il y a certains sujets dont nous parlerons ce soir. Pour l'instant,on mange, après, devoirs et, enfin, la délivrance !
Elle approuva mon programme sans broncher, bien au contraire. Jake et Lewis nous rejoignirent. Aodren servit le repas.
- C'est quoi ce machin ? Râla Jake.
- Des légumes anciens que j'ai cuit à la poële ; ça te pose un problème ? Répliqua Aodren.
Son cousin n'avait pas l'air d'apprécier, contrairement à nous. Les garçons parlèrent de leur travail pendant la majorité du déjeuner. Ils se chargèrent de tout nettoyer et ranger et nous convièrent à un petit « café gourmand » dans la grande salle.
Lewis se servit un digestif tandis que nous sirotions notre tisane. J'étais recroquevillée car il faisait froid. Tia faisait rouler sa tasse sur ses joues pour se réchauffer. Jake essayait d'attiser le feu.
Aodren vint se poser à côté de moi et me colla contre lui. Tia, à la vue de son geste, se mit à rougir. Elle me parlait sans faire sortir aucun son de sa bouche, mais l'articulation exagérée de ses lèvres permettait la compréhension de ses propos. « Tu sors vraiment avec lui alors ? C'est pas du fake? ». Jake nous interpella :
- Pour vos devoirs, le mieux serait de les faire à la salle à manger comme ça on aura de la place.
- Des devoirs ? Vous devez faire quoi ? S'enquit de demander Lewis, curieux.
- Nous avons un devoir de mathématiques qui nous pose problème... J'ai comparé avec le brouillon de Tia mais nos résultats sont différents pour tous les exercices.
- Des maths qui posent problème..., pouffa Tia, faisant le lien de mon petit jeu de mots.
- Oui, continuai-je. Je n'ai rien compris et nous aurons un bac blanc bientôt. J'aurais aimé gagner du temps et bien tout comprendre pour m'éviter de mauvaises notes. Si je réussis à avoir plus de quinze au bac blanc, je m'assurerai une moyenne générale proche de dix-sept.
- Comme tu es studieuse, Petite Pomme !
- Pas comme certains..., ajouta sarcastiquement Aodren à l'adresse de son cousin.
Tia se délectait de ces piques envoyées entre eux, elle devait sûrement trouver cela amusant. Lewis enchaîna :
- Aela et James sont les mieux placés pour t'aider. Par contre ils vont rentrer tard, donc autant mobiliser nos cerveaux pour avancer dans vos révisions.
Ce qui avait été dit était ce qui se passa. Tous les trois prirent de leur temps pour expliquer chaque point, corriger nos erreurs avec des exemples tout en nous contraignant à appliquer la règle sur nos exercices.
Ainsi, ils ne nous donnaient pas les réponses directement, ils nous accordaient le savoir nécessaire à la réalisation de nos devoirs. Jake n'était pas à l'aise avec les mathématiques : Lewis et Aodren le taquinaient à ce sujet.
Mon amoureux était doué pour détailler les étapes, son beau-frère savait reprendre les notions de telle manière à faciliter leur compréhension et Jake... Ses blagues étaient utiles pour l'assimilation des formules.
Ils nous abandonnèrent pour le dernier exercice. Tia mâchouillait son stylo en réfléchissant aux calculs. J'étalais mes bras sur la table ; je planchais sur ce que j'avais fait ; je revérifiais encore et encore ce que j'avais écrit. J'avais l'impression que c'était faux.
Je posai ma tête sur mes bras et laissait Morphée m'emporter pour un court instant. Devant moi, assis avec nous, Judicaëlle nous observait.
- Mon carnet. Récupère mon carnet. Si tu ne le trouves pas, je te tuerai.
- Pourquoi me tuer ? Je n'y suis pour rien moi. J'essaie de comprendre. Je suis sur une piste, j'ai trouvé les passages...
- Je n'aurai pas le choix. Si tu ne peux contrôler tes ennemis, ils gagneront. Si tu meurs, personne ne gagne rien. Tu serais d'accord avec moi si tu savais.
- Pourquoi ne pas me révéler directement les choses ?
- Parce que si tu découvres ce qu'il en est par toi-même, tu auras une vision différente des choses avec des issues possibles que je n'avais peut-être pas envisagé. Je pourrai t'aider plus si tu faisais ce que je dis.
- J'ai contré le Diable. Je peux peut-être faire de même avec toi, qui sait ?
Son visage blanchit, des cernes apparurent, ses yeux devinrent noirs, son aura bleue apparu et elle émit un cri strident qui me força à me boucher les oreilles en hurlant. Elle me donna un violent coup de poing au visage. Mon nez me faisait mal.
- Enaya ?
Une douce voix, un chuchotement.
- Enaya, réponds- moi !
Ce n'était plus un chuchotement ; je m'éveillai et réalisai qu'Aodren criait pour me réveiller en me secouant par l'épaule. Je me tournai vers lui. Il s'assit à côté de moi, cessant de me remuer. Il était blafard et m'examinait, inquiet.
- Tu vas bien ?
Tia, debout à côté de Jake et Lewis, avait les mains sur la bouche ; elle pleurait.
- Ben oui ; qu'est-ce qui ne va pas ?
Aodren sortit un mouchoir de sa poche et m'essuya le nez. Il me montra le mouchoir : je saignais. En baissant les yeux sur ma copie, je vis la quantité de sang, une partie séchée, l'autre encore humide, qui s'était étalée sur le papier. Je me levai d'un coup, faisant tomber ma chaise.
- Zut, va falloir que je recommence tout !
- On s'en moque de ta feuille, c'est ton état qui m'importe ! Viens, je vais te soigner.
Me soigner ? Il me prit par la main et me tira en direction de la cuisine. Tout se mit à tourbillonner autour de moi, je perdis l'équilibre. Lewis me rattrapa. Le sol me paraissait être caoutchouteux, mouvant. Chacun de mes pas m'enfonçait dans le sol. Un mal de crâne s'empara de moi. J'avais la nausée. Tout bougeait autour de moi, c'était infernal. J'entendais l'écho de la voix d'Aodren qui me parvenait par bribes : « ...soigner...médicament...reposer... » . L'absence de réponse de ma part et mon incapacité à me mouvoir normalement le conduit à me prendre dans ses bras et à me porter jusque dans ma chambre. Je cédai au sommeil au moment où il m'allongea.
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