Chapitre 38 - Surprise(s)

Bip, bip, bip. Le bruit désagréable de la sonnerie retentit pour me sortir de mon sommeil sans rêves, sans fantômes. Je n'avais pas fermé les volets. J'avais pris l'habitude dans cette demeure d'apprécier la luminosité matinale en pleine conquête de mon espace privé. Le gris prenait un ton bleuté, qui ne se révélait qu'avec cette lumière, telle l'émanation d'une bougie provenant d'une quelconque lanterne éclairant mon chemin. Je m'étirai. J'envoyai un rapide mot à mon amie, pour lui signifier la joie qui était mienne au moment présent.

« Suis levée. On va trop délirer toi et moi, ça va être top ! Oublie pas le DM de maths, j'ai fini le mien mais veux comparer avec tes résultats. Xoxo. »

Je laissai traîner mon téléphone sur le lit et filai prendre ma douche. Une fois lavée, je me préparai tout en rangeant ma chambre. Je voulais que mon amie se sente à l'aise. Je n'avais pas vraiment récupéré de jeux chez moi, comme c'était convenu à l'origine. Seulement je me doutais que nous aurions de quoi nous occuper.

En parcourant le couloir pour me rendre vers l'escalier, je croisai James et Ophélie qui jouaient par terre. Ils étalaient de drôles de cartes au sol et James donnait des explications à sa cousine de manière très sérieuse. En me voyant arriver, Ophélie manifesta de la surprise.

- Tu es levée tôt aujourd'hui !

- Bonjour vous deux. C'est parce que je vais avoir de la visite ! lançai-je, ravie à l'idée d'accueillir Tia.

- Ah bon. J'aurais dit que c'était parce que pour une fois tu n'as pas crié pendant la nuit.

Elle m'avait sorti cela comme si c'était une habitude de ma part. Aodren ne m'avait pas dit que je criais toutes les nuits pourtant. James murmura un rapide bonjour, en intimant à son acolyte de respecter la politesse et de saluer les gens avant de raconter quoique ce soit d'autre. Il était tellement absorbé par son jeu que j'y jetai un rapide coup d'œil. Des détails attirèrent mon regard.

Une carte avec deux chiens jaunâtres qui observaient un astre rond au visage lunaire, crachotant des gouttelettes bleues, rouges et jaunes, dont le cadre était surmonté d'un nombre en chiffres romains, m'interpella particulièrement. XVIII. En bas était inscrit : LA LUNE. J'écarquillai les yeux. Mon étonnement était à son comble.

- Quel est votre jeu ? hasardai-je, en espérant trouver une solution à mes interrogations.

- C'est un jeu de tarots divinatoires ; cela sert à lire l'avenir, expliqua James. C'est utile pour d'autres choses aussi.

- Ok, je ne connaissais pas. Vous pourriez me dire comment ça marche ?

Genoux repliés, mains posées dessus, je tentai d'amadouer ces deux petits pour obtenir des réponses à mes questions. Ils se levèrent et partirent en courant dans les escaliers. Je me relevai, dépitée. Une voix résonna à cet instant.

- On s'intéresse à la famille ?

Edward. Il me scrutait en attendant patiemment une réplique de ma part, dans le style de la veille.

- Et pourquoi pas ?

Il était habillé d'un long pantalon noir, agrémenté d'une ceinture argentée, partiellement couverte par un gilet en soie noir surmontant sa chemise grise, un peu bouffante au niveau des épaules, pour les rendre plus imposantes. Cela lui donnait une ligne agréable à voir. Coiffés en arrière, quelques cheveux ondulés étaient visible derrière ses oreilles. L'ensemble lui donnait un air de gentleman anglais victorien, sans le col typique de l'époque bien entendu.

- N'avez-vous jamais utilisé de tarots ? s'enquit-il de me demander.

- J'ignorais jusqu'à leur existence. Enfin, ça c'était avant de croiser les enfants.

Il sortit un paquet de sa poche, l'ouvrit pour en retirer une cigarette qu'il posa sur ses lèvres finement dessinées. Puis il chercha de quoi l'allumer, en vain.

- Tiens donc, j'ai dû oublier mon briquet. Auriez-vous du feu, mademoiselle ?

Comme je ne fumais pas, forcément, je n'avais rien de tel sur moi. Je me rappelai cependant que j'avais parmi mes affaires de l'encens et donc des allumettes dans une boite, dans ma chambre.

- Je n'ai pas de briquet, mais de quoi allumer votre cigarette, ça doit pouvoir se trouver. Si vous êtes patient, je peux aller dans ma chambre récupérer ça. Ou sinon, pourquoi ne pas aller en cuisine récupérer un briquet ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de fumer à l'étage, il y a toutes les chambres, le sol est fait de moquette...

Quelle idiote j'étais. Il avait réussi son coup et j'étais tombée dans son piège. Je le compris aussitôt qu'il m'annonça en m'empêchant de terminer ma phrase :

- Très bien, allons dans votre chambre. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu la chambre de l'Hermite. Je me demande comment peut être aménagée cette pièce depuis la disparition de la fille de Viggo.

J'entrai dans ma chambre et me dirigeai sans hésitation vers mon bureau pour ouvrir un tiroir et y récupérer mes allumettes. Edward s'était avancé et observait l'ensemble de la pièce, mains dans le dos tel un seigneur redécouvrant son domaine.

- La base a beau être la même, l'ambiance est très différente.

Je m'approchai de lui et lui tendis la petite boite cartonnée dans le but de vite l'évacuer de ma chambre. Lui me contourna et alla regarder mes dessins sur le tableau qu' Aodren avait installé vers mon bureau.

- C'est vous qui dessinez ainsi ?

- Oui, en effet.

- Et pourquoi les avoir mis au mur ? Qu'est-ce qui vous a inspiré pour faire ces « œuvres » ?

Il s'intéressait à ce que j'avais produit, ce qui me choqua. Je ne voyais pas où il voulait en venir.

- Je les affiche parce que je les aime bien. Je ne sais pas pourquoi, ils m'évoquent des choses que j'ai vu dans mes rêves. Je pose ça sur papier comme je le peux.

Il détacha l'un d'entre eux. Le dessin représentait une petite fille mal dessinée qui était assise au sol au premier plan. Un de mes premiers jets, effectué quand j'étais en primaire. Il y avait à l'arrière plan une porte entrouverte par laquelle on distinguait une ombre qui levait les bras au ciel et qui était frappée d'un éclair. Une minuscule main face à la silhouette noire, mais dont le corps était caché par le mur, tenait des éclairs comme s'il les projetait.

- Un rêve ou un cauchemar ? me demanda-t-il.

- Celui-ci est une image qui m'est souvent revenue lors de nuits effrayantes quand j'étais enfant. Ma mère m'avait incitée à mettre mes peurs sous forme d'image pour m'en débarrasser mais je n'ai jamais pu brûler celle-ci. J'y suis attachée car elle est le rappel du pouvoir de l'art dans notre vie. Sans art l'homme n'est qu'une coquille vide qui se contente d'avancer dans la routine, sans réflexion sur les émotions. Et sans émotion, nous ne sommes plus humain.

Il plissa les lèvres et le mouvement de sa tête marqua une approbation de mes propos. Je souhaitais connaître ses intentions seulement il m'était compliqué de saisir le but réel de sa démarche.

- Et quel sens lui donnez-vous, continua-t-il en me tendant ma feuille pour que je la remette sur son support.

- L'innocence d'une enfant lors d'un drame.

- Je vois. Dites m'en plus, je trouve cela instructif, me lança-t-il tandis qu'il s'installait sur ma méridienne en allumant sa cigarette.

- Je pense que la mort vient pour l'attaquer et qu'un ange vient la protéger en utilisant les forces de la nature.

Il souffla la fumée dans la pièce. L'odeur était incommodante et étouffante. Je me hâtai d'ouvrir la fenêtre pour aérer et éviter d'avoir cette pestilence s'imprégner dans ma chambre.

- Pourquoi un ange aiderait un inconnu ? Je n'ai jamais compris le principe. Les hommes s'ignorent les uns les autres, même lorsqu'ils se connaissent, et pourtant ils espèrent que des êtres inconnus, surnaturels, viendraient les sauver des malheurs qu'ils ont eux-mêmes engendrés.

Sa réflexion, bien que pertinente de son point de vue, n'avait aucun sens pour moi. Je revins vers lui en l'écoutant exposer sa vision.

- Si vous aviez la capacité de faire des choses extraordinaires, pensez-vous que vous la consacreriez à rattraper les erreurs des hommes ?

- Pourquoi pas ? Si personne ne tente d'amorcer une démarche positive, le monde s'effondrerait.

Il sourit et me regarda droit dans les yeux.

- Vous avez un talent particulier. Est-ce que pour autant vous l'avez utilisé dans l'intérêt commun ou pour arranger votre personne ?

Il attrapa ma main en me disant cela et inspecta les lignes de ma main. Il les caressait délicatement, comme s'il lisait un sens caché à ma vie à travers ces plis formés lors de mes premières années d'existence. Il avait raison sur ce point et je me terrai dans un mutisme révélateur. Il reprit :

- Et si l'ange n'était autre qu'un démon ?

- S'il vient sauver cet enfant et qu'il le protège de ses pouvoirs, il ne peut qu'être bon.

- Ne pouvez-vous considérer que votre ange puisse faire le mal s'il ne contrôlait pas ses dons ?

J'étais estomaquée. Il voulait me convaincre ou quoi ? Que gagnerait-il à me faire abonder dans son sens ? Il crachait sa fumée qui envahissait l'espace en dépit de l'air qui entrait et refroidissait la pièce. Malgré tout, le froid n'entamait pas l'ambiance imposée par la présence d' Edward.

- S'il s'efforce de faire au mieux on ne peut lui en vouloir, m'exclamai-je.

- S'il blesse, il est mauvais. N'oubliez jamais que le Diable est un ange déchu. D'ailleurs, si le monde était à considérer dans l'autre sens, n'auriez-vous, ne serait-ce qu'une fois, envisagé que ce qui vous paraisse bon puisse être biaisé de part votre éducation et le formatage de votre entourage?

Il tenait toujours ma main dans la sienne ; il se leva et me tira à lui en plongeant ses yeux dans les miens. Sa voix grave devenue rauque par le tabac poursuivit en un murmure qui faisait battre mon cœur :

- Vous êtes talentueuse, vous me l'avez prouvé. J'éprouve un certain intérêt pour les gens intelligents, qui plus est lorsqu'ils ne sont pas du genre à s'abaisser bêtement.

Il rapprochait ses lèvres des miennes au fur et à mesure qu'il débitait son discours:

- Vous n'avez peut-être pas choisi le bon protecteur, si vous voulez mon opinion.

Les battements dans ma poitrine retentissaient dans ma tête, afflux de sang qui empourprait mon visage. Il frôla ma joue et susurra :

- Je vous laisse deux cadeaux pour vous féliciter d'avoir été la première à me tenir tête et à réussir à me contrer.

Il recula soudainement et je sentis un objet dans ma main que j'inspectai, alors qu'il souffla une dernière fois sa fumée, avant d'écraser son mégot dans un écrin métallique qu'il avait pris dans sa poche - un cendrier portable? - puis alla fermer la fenêtre. Il m'avait offert un jeu de tarots divinatoires.

- C'est gentil. Par contre ça ne fait qu'un cadeau... Vous parlez bien, mais comptez mal, le taquinai-je.

Il revint vers moi subitement et je reculai jusqu'à me retrouver bloquée contre mon bureau. Bras en appui sur le plateau, pour ne pas renverser mes affaires, je fus étonnée lorsque d'une main il saisit mon menton pour relever mon visage et m'embrasser. Sa bouche était douce, son baiser était tendre, à l'inverse de l'apparence qu'il donnait. Je fis tomber les cartes. Il s'arrêta et considéra ma réaction. Il n'y en avait aucune tellement j'étais prise au dépourvu. Il glissa sa main sur ma joue, descendant doucement vers mon cou, et allait m'embrasser à nouveau quand je tournai la tête pour signifier mon refus. Il me délivra de son emprise.

- Je... Je dois ramasser ces précieuses cartes.

Je me mis à genoux pour les ramasser. Il ne bougea pas. Je suppliai intérieurement qu'il parte. Je fermai les yeux. En les rouvrant, il était là, accroupi, et me faisait face, tenant la carte du diable du bout des doigts.

- Celui-ci n'est pas à ignorer. Surtout ne le sous estimez jamais. Manipulateur, il tranche les conflits mais il ne se refuse aucun plaisir. Expression des désirs et de leurs accomplissements, il peut éclairer les choses cachées.

En décalant ses doigts, la carte de l'Hermite se détacha derrière la précédente qu'il venait de me montrer.

- Ils ont cela en commun. L'Hermite éclaircit les événements grâce à son intelligence, il prend le temps de comprendre. Mais parfois il va trop dans les détails et s'isole. Son isolement est son point faible.

Il posa les cartes sur mon bureau et s'en alla.

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