Chapitre 20 - Frustration et Colère
Jake emmena Ophélie pour la forcer à se laver les dents et à se coucher. Auguste alla débarrasser la table et remettre tout à sa place.
Alors ? Que penses-tu de tout ça ?
Je m'asseyai sur les marches de l'escalier. J'étais exténuée. Il se plaça à mes côtés. Je me mis à pleurer. Je cachais ma tête dans mes mains. Il me tapotait le dos doucement, pour m'aider à apaiser mon chagrin. J'appuyais ma tête sur son épaule. Mes sanglots rythmaient ma respiration. Je lui jetais un « merci » haché entre deux reniflements. Je fermais les yeux et sentais le sommeil s'emparer de moi. Il me raccompagna jusqu'à ma chambre.
- Dors. Demain sera un autre jour. Bonne nuit...
Une fois seule dans la chambre, je voyais ce qu' allait être ma vie. Ma mère n'allait pas s'en sortir. C'est ce que ma tante avait sous entendu. J'allais être orpheline. Jamais mes parents ne connaîtraient mon mariage, ni même leurs petits-enfants. Je ne pourrai jamais partager la réussite de mes examens, de mes études. Je ne pourrai jamais présenter mon amoureux à mes parents. Je ne pourrai jamais plus les serrer dans mes bras.
Je pris la photo de mes parents, et la collais contre mon cœur. Les larmes ne cessèrent que lorsque je m'endormis.
La nuit fût très agitée. Je revivais ma soirée du samedi de manière cauchemardesque. Je me voyais danser, la chanson se répétant dans ma tête. Landry me tirait de force jusqu'à cette chambre. Je me sentais étouffer, je hurlais pour me libérer de ses mains. Je hurlais tandis que mes parents m'appelaient au secours. Je les entendaient m'appeler et je ne pouvais pas les rejoindre, bloquée par Landry qui me retenait de force. Je revivais cet instant maudit en boucle. Je ressentais la douleur, l'écartèlement de mon intimité, les coups entre mes jambes, et mon père, et ma mère, qui scandaient mon nom : « Enaya! Enaya ! ». Je me sentais crispée et n'arrivais pas à me réveiller.
Et la forme bleue faisait son apparition. Elle se transformait en femme qui ricanait en voyant ma souffrance. Elle jubilait tandis que je souffrais. J'entendis sa voix au creux de mon oreille : « C'est moi qui te tuerai. » Je lui demandais pourquoi, pourquoi moi, qu'avais-je donc fait ? « Tu mourras par moi, la Force ne te sauvera pas. »
J'ouvris les yeux. C'était le matin. J'étais en nage. Je me trouvais dans la chambre d'or. Je ne comprenais pas ce que je faisais là. Je sortis du lit. J'étais encore habillée comme la veille. Je me rendis dans ma chambre.
Mon lit était défait. Une bassine d'eau se trouvait sur l'une de mes tables de chevet. Je prenai une douche et me vêtis d'un jean et d'un haut propres. Comme j'avais froid, je fouillais dans mon armoire pour en sortir une petite veste en laine grise.
Le livre Orgueils et Préjugés traînait sur mon bureau. Je l'emportais avec moi après avoir refait mon lit et glissé mon portable dans la poche.
En descendant les escaliers j'entendais la radio résonner de la cuisine. Ophélie chantait à tue-tête. Elle chantait faux. Je la vis assise sur le coin de la table, Auguste tentant de la calmer alors qu'elle utilisait une cuillère en bois en guise de micro. Elle stoppa net sa chanson en me voyant.
Elle avait attaché ses cheveux en deux petites couettes. Elle portait une salopette en jeans. Auguste, soulagé de ne plus devoir supporter le show improvisé, récupéra la cuillère et me proposa de prendre un petit déjeuner rapide.
- Quelle heure est-il ?
- Il est onze heures et demie mademoiselle. Je vous chauffe de l'eau pour le thé ?
Je le remerciais et m'asseyais à table, prête à me plonger dans les bals de Netherfield. Il déposa une assiette de toasts chauds, du beurre et de la confiture. Il ajouta un verre de jus d'orange. L'odeur de mon thé fétiche remplit la cuisine. Ophélie vint s'asseoir à côté de moi.
- Dis, pourquoi tu cries la nuit ?
Je la fixais avec surprise. J'avais dû rêver à voix haute et déranger tout le monde.
- Je suis désolée, je ne m'en suis pas rendue compte, j'ai fait un affreux cauchemar. Je t'ai réveillée ?
- Oui, et pas que moi. Tout le monde s'est levé, tonton Ao a essayé de te calmer mais tu hurlais tout le temps. J'ai dû changer de chambre et dormir au deuxième. En plus j'ai dû partager la chambre avec tonton Jake. Et il ronfle. Alors hein, c'était pas bien. Tu comptes crier comme ça tout le temps ?
Je me sentais mal. Je jetais un œil à Auguste qui répétait « chut chut » à Ophélie, en vain. Elle me couvrait de reproches.
- Ophélie, ça suffit.
Aodren entra dans la pièce. Il alla remplir un verre d'eau et y plongea un médicament. Il posa le verre près de moi et toucha mon front pour prendre ma température.
- Aujourd'hui nous irons à l'hôpital voir ta maman, si ça te convient. Nous irons également consulter un médecin pour toi. J'ai pris rendez-vous à deux heures cet après-midi.
- Pour moi ? Je n'ai pas besoin de voir un médecin...
Tu fais ce que je dis. Tu vas voir un médecin. Ceci n'est pas négociable, je t'avais prévenue.
Je n'étais pas contente. Je ne voulais pas affronter « ça » maintenant. Je buvais mon médicament et fis la grimace. Ophélie trouva mon expression hilarante et prit un fou rire.
- T'es malade toi ? T'es tarée, oui !
Quoi ?! Cette gamine était particulièrement désagréable avec moi. Aodren fit un signe à Auguste pour qu'il l'emmène dans la grande salle. Le vieil homme semblait contrarié. Dans son emploi du temps il préparait habituellement le repas à cette heure. Aodren tira une chaise pour s'installer à côté de moi. Une grande discussion allait avoir lieu.
Enaya, tu es déjà affaiblis moralement par ce qui est arrivé à tes parents. Mais je pense qu'il faut que tu vois un médecin pour...
- Pour quoi ? Parce que j'ai été assez stupide pour me faire avoir ?!
Il prenait le temps de peser les mots qu'il allait utiliser pour ne pas me froisser.
Je... J'ai vu que tu as été...comment dire ? Violée ?
- Tais-toi !
Mon cœur battait la chamade. Je voulais m'enfuir loin. Comment pourrais-je partir ? Il me bloquerait de suite. Je ne voulais pas avoir cette conversation.
Tu ne dois pas fuir. Tu ne t'es pas faite avoir. Tu as été piégée. Il faut que tu vois un médecin pour vérifier que tout va bien... Je veux dire, peut-être que tu as été blessée intérieurement et...
- C'est bon. J'ai ma dose. Tu veux quoi ?
J'inspectais mon verre sous tous les angles. Je me concentrais sur cette activité pour ne pas perdre plus mon sang froid. Lui ne savait pas comment s'y prendre avec moi. Je n'aurais pas su non plus. Parler de ce genre de chose était compliqué. Il avait lu dans mon esprit que mettre des mots sur les maux était trop douloureux pour moi. Mais il fit le choix d'être franc.
Je veux m'assurer que tu n'aies pas la possibilité d'être enceinte, je veux faire constater ton viol et porter plainte en tant que tuteur.
Je fus estomaquée. Il allait faire exactement ce que j'avais demandé à Victor de ne pas faire. S'il faisait cela, je ne pourrais plus me rendre au lycée sereinement. J'appréhendais les réactions de mes camarades qui ne se priveraient pas de prendre parti pour Landry. En plus je ne craignais rien, puisque Victor avait pris les devants.
Enaya, fais moi confiance. Je vais gérer pour que ton quotidien ne soit pas perturbé et que l'information ne soit pas diffusée. Je sais déjà comment faire, d'accord ? Et même si ton ami a essayé de t'aider, tu DOIS voir un médecin, tu comprends ?
Il me caressait la joue. Il était une fois de plus inquiet. Je n'avais pas la possibilité de refuser, vu qu'il avait réussi à obtenir de ma tante le droit de me gérer.
- Comment peux-tu être mon tuteur si rapidement en fait ? Je croyais que c'était long l'administratif ? demandais-je sur un ton de reproche.
- Ce matin nous avons organisé un conseil de famille auprès d'un juge. J'ai des contacts et j'ai obtenu un rendez-vous en urgence.
- Comment la famille de mon père a-t-elle pu être présente ?Enchaînais-je.
Je voulais le coincer. Trouver la faille pour m'éviter tout ça. Je voulais esquiver la rencontre avec le docteur. Je refusais qu'un inconnu me touche, aille fouiner dans ma douleur et remue celle-ci pour la rendre plus perçante.
- Nous avons convoqué ta famille, le frère de ton père s'est déplacé car il fallait également signer des papiers pour l'enterrement de ton père et pour les assurances.
Je restais silencieuse. Lorsque l'angoisse nous prend, le cœur s'accélère, le souffle se perd, la raison s'efface. La réflexion nécessaire à l'avancement de tâches simples disparaît ; il n'est plus évident de distinguer les bonnes des mauvaises perspectives puisque la perception des éléments qui nous sont proposés est altérée par l'émotion qui nous envahit.
Je subissais cette impression. La couleur ambrée de mon thé se transformait en une tâche. Ma vision se brouillait avec l'apparition de larmes. Je ne cessais plus de leur céder. J'avais besoin de force et je ne l'avais plus. Aodren se présentait comme la force que je n'avais plus. Je voulais m'enfermer dans une boîte et ne plus en sortir. Je me levais, poings fermés.
- Je ferai ce que tu me dis, puisque je n'ai pas le choix. De toute façon, personne ne me laisse le choix ! Aboyai-je.
Je partis en courant en direction de la porte d'entrée.
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