Chapitre 19 - Négociations

Il enchaîna en tendant sa main vers mon oncle puis mon cousin. Il se présenta auprès d'eux avant d'introduire Jake et Ophélie.

- Voici mon cousin, Jake Aumont et la jeune demoiselle est ma nièce, Ophélie. Sa mère me l'a confiée quelques temps car son époux et elle sont en voyage d'affaires à l'étranger et la petite ne voulait pas quitter le pays. Le monsieur qui vous a ouvert est notre majordome, Auguste.

Jocelyne jeta un œil curieux sur l'enfant. Sa façon d'être habillée attisa une foule de questions, mais le fait de rencontrer une famille aussi riche ayant un majordome la déstabilisa. Elle devait se demander quel genre de famille proposait des habits d'époque à une fille qui risquait de les abîmer et qui pouvait se payer les services de personnel domestique.

Jake les invita à le suivre et il les mena vers le bar. Auguste jouait parfaitement le rôle du barman: il avait préparé des amuses bouches. Il proposa une carte pour permettre à Jocelyne et à Paul de faire leur choix. Mon cousin, Jean, fut aisément intégré aux lieux et aux pratiques.

- Auguste, vous avez du cola ?

Il lui ouvrit une bouteille et le servit dans un verre accompagné d'une rondelle de citron et d'une paille. Mon cousin fit un signe de remerciement et alla se poser près de la cheminée. Il sortit de sa poche une console et se mit à jouer. Ophélie le suivit et regardait le jeu par-dessus son épaule.

Ne sachant pas quoi prendre, mon oncle décida d'opter pour un pastis, comme à son habitude. Ma tante était ennuyée de voir qu'elle serait la seule à ne pas prendre d'alcool. Aodren ayant saisi son malaise indiqua à Auguste que je prenais un Perrier citron comme d'habitude et lui un brandy. Jake prit un whisky « on the rocks ». Je décidais de les laisser entre adultes et d'aller voir mon cousin.

- A quoi tu joues, Jean ?

- Fire Emblem, j'adore ce jeu.

Ophélie, très enjouée et heureuse de découvrir de nouvelles choses, partagea son enthousiasme face à de si beaux dessins.

- Tu sais petite, Enaya dessine super bien. Elle t'a déjà montré ses mangas ? Elle sait bien les faire, je suis sûre qu'elle t'apprendra si tu es gentille avec elle.

Jean était adorable. Sa façon à lui de s'en faire pour moi. Il s'assurait qu'Ophélie ne me pourrirait pas la vie en lui promettant quelque chose d'intéressant.

- Comment tu vas, toi ? J'imagine que ça doit pas être facile.

- Pas top et en effet, c'est loin d'être simple.

- T'as mon tel si tu as besoin de parler, tu sais hein ? Dans une si grande baraque tu risques de te sentir isolée...

Il leva les yeux de son écran, observa le plafond et l'étendue de la pièce. Je tentais de le tranquilliser avec mes mots car il semblait véritablement inquiet pour moi.

- Ici j'ai l'avantage qu'on prenne soin de moi et puis je suis comme chez moi. Tu veux voir ma chambre ?

Il acquiesça. Je me dirigeais vers les escaliers, Ophélie emboîtant le pas. Jean commentait ce qu'il voyait. Sa découverte des lieux était plutôt positive. Une fois dans ma chambre, il ne put retenir sa surprise devant la grandeur de celle-ci.

- Tu ne manqueras pas de place en effet. C'est vraiment géant ici. Tout est... Comment on dit déjà ? Démesuré ! Regarde moi ce lit... Vous êtes combien à dormir ici ?

- Il n'y a que moi, gros bêta !

- Ah oui, c'est pour ça ! renchérit-il.

- Comment ça ?

- Ben ils ont anticipé le fait que t'étais une grosse vache et qu'il te fallait un lit assez large !

En riant je lui balançais un coussin à la figure qu'il saisit au vol et il commença une bataille de polochon avec moi. On sautait sur le lit pour se battre, comme lorsque nous étions petits. Je riais aux éclats lorsque mon oncle, ma tante, Jake et Aodren entrèrent. Ophélie parla de sa voix stridente.

- Et on dira que c'est moi la gamine !

Nous stoppâmes notre jeu instantanément. Je vis dans le regard d'Aodren qu'il était heureux de me voir sourire. Ma tante gronda mon cousin. Elle voulait faire bonne figure. Une fois le premier étage visité, Aodren expliqua que les autres étages étaient composés de chambres pour accueillir la famille lorsqu'ils rendaient visite. Il donna des détails sur le fonctionnement de ses proches. Ils travaillaient aux quatre coins du globe et chaque membre avait pour obligation de prévoir de quoi loger les uns ou les autres pour les rassemblements familiaux. Mon oncle résuma le tout en une phrase :

- Ils sont tous aussi riches que vous ?!

Aodren approuva d'un rire singulier, que je n'avais jamais entendu. Un rire sérieux et retenu, pour impressionner sans montrer qu'il trouvait la remarque un peu déplacée.

Jake leur proposa d'aller à la salle à manger pour entamer le dîner. A table Auguste nous servit un repas simple mais raffiné. On se serait cru à Noël. C'était le genre de repas que nous avions lors des festivités annuelles. Il ne manquait que mes parents pour me croire en période de célébration. A la fin du repas, nous nous installâmes tous vers l'âtre pour prendre le café.

- Auguste, interpella Aodren, pourriez-vous servir une tisane rappelant le goût du Christmas Tea à mademoiselle Enaya ?

Ma tante nota qu'il était très attentionné envers moi et commença à parler des dispositions à prendre et de la suite à donner à ma vie.

- Monsieur Juhel, je constate que ma nièce ne pourra pas être mieux chez nous en effet. Je suis particulièrement gênée de devoir m'appuyer sur un étranger... Enfin, je veux dire, sur une personne qui n'est pas de la famille, pour gérer Enaya. Nous avions décidé de rapatrier sa maman à l'hôpital local car nous ne pensions pas qu'elle resterait dans le coma longtemps. Je suis désolée de t'apprendre les choses ainsi ma chérie, mais le médecin a expliqué que ta maman... Ma sœur...

Elle émit un sanglot et mon oncle posa sa main sur la sienne pour la réconforter. Elle reprit, la voix tremblante:

- Elle a peu de chances de s'en sortir. Lorsque nous étions à l'hôpital, après votre départ, nous avons été contactés par la famille d'Eloi. Ils veulent procéder aux obsèques et l'enterrer dans leur caveau familial. Nous n'omettrons aucune opposition à cela car ils prennent en charge les frais et que ce serait ce qu'il aurait souhaité semblerait-il.

Ils discutèrent des dispositions à prendre pour l'enterrement. La famille de mon père était très austère et n'avait jamais apprécié ma maman qui provenait d'un milieu moins aisé que le leur. Mon père serait enterré dans le nord, en fin de semaine. Nous allions donc devoir voyager et nous rendre là-bas. La famille se réunirait dans la maison de mon oncle.

Je n'aimais pas ce côté de la famille qui avait toujours été très critique à mon égard, estimant que j'étais trop banale et pas assez investie dans leur mode de vie.

- Pour la maison de ma sœur, je ne sais pas encore comment nous allons devoir procéder. Il faudra en prendre soin et payer les factures. Je vais faire de mon mieux pour tenir cela avec les Roche, mais je doute qu'ils soient conciliants. Je me charge de cela si vous m'assurez prendre tout en charge concernant ma nièce.

Aodren parla comme un homme d'affaires et proposa de gérer les biens matériels également. Mon oncle prit la parole pour la première fois concernant nos affaires.

- Pardonnez-moi monsieur, mais je n'ai toujours pas compris quel intérêt vous aviez à dépenser autant pour nous ?

- Je vais être honnête avec vous, Monsieur Vitorski. Je fais cela pour Enaya.

- J'entends ce que vous nous dites, enchaîna mon oncle, mais pourquoi donc ?

- Eh bien... Disons que j'ai rencontré Enaya dans un contexte qui m'a permis d'apprendre à la connaître. Je l'apprécie beaucoup, voire énormément. Elle n'est pas encore majeure, certes, cependant j'espère pouvoir continuer à la fréquenter après sa majorité. En clair, je ne veux pas la perdre. Je suis attaché à elle.

Ma tante me regarda. Puis lui à nouveau. Elle commençait à comprendre.

- Monsieur, êtes-vous en train de me dire que vous la fréquentez ? Quel âge avez-vous ? Excusez-moi, mais la laisser vivre ici alors que vous nous dites cela serait particulièrement irresponsable !

- Bien au contraire madame. Je joue la carte de l'honnêteté. Je m'engage à prendre soin d'elle. Mais j'attends en retour que vous ne vous opposiez pas à notre relation, ni à un éventuel mariage une fois sa majorité atteinte.

Le mot « mariage » me fit réagir. Jean me donna un coup de coude, se pencha vers moi et me chuchota des questions au creux de l'oreille. Il voulait s'assurer de mon consentement. Jake surveillait discrètement chaque personne concernée. Je fis signe à mon cousin de se taire, car je voulais suivre la discussion de près.

Ma tante et mon oncle échangèrent des regards inquiets. Ils reprirent :

- Monsieur Juhel, comment savoir si nous pouvons vous la laisser sans que vous ne l'influenciez dans ses décisions ?

- Parce que c'est aussi mon choix, intervins-je.

Tout le monde se tourna vers moi.

- Tonton, Tatie, je vous promets que je serai raisonnable. Avec le décès de papa, le coma de maman, je ne suis pas d'humeur à faire n'importe quoi. Je ne suis plus une enfant, je serai majeure dans quelques mois. En plus cette année je dois réussir mon baccalauréat pour pouvoir accéder à des études supérieures. Il faudra que j'envisage de travailler pour les financer si mes parents ne sont plus en capacité de le faire.

- Hors de question, objecta Aodren. Je les paierai, comme le reste, tu le sais, rajouta-t-il.

Décontenancée, ma tante inspira profondément avant de poursuivre.

- Je ne suis pas pour te laisser chez un inconnu qui semble être intéressée par toi, qui plus est vu la différence d'âge.

- Madame, j'ai trente cinq ans. Je travaille à mon compte, je gagne largement de quoi gérer Enaya et bien plus encore. Vous êtes dans ma maison, vous avez pu voir qu'elle sera à l'abri du besoin. Je vous assure qu'elle sera bien traitée. Je prendrai soin d'elle. Je voulais aussi vous demander de la convaincre, car je pense ne pas y arriver, qu'elle consulte un psychologue une fois par semaine pour l'aider à passer ce cap. Je pense que c'est essentiel pour son bien être. Je m'engage à ce qu'elle vous donne des nouvelles toutes les semaines, que vous veniez ou qu'elle vienne vous voir autant de fois que vous le souhaitez, avec ou sans moi... Sans nous - il désignait Jake et Ophélie - si cela vous rassure.

Ma tante et mon oncle se laissèrent convaincre malgré leur inquiétude et l'incommodité créée par la situation. Tout en serrant fermement la main de sa femme, mon oncle clôtura le débat:

- Si c'est ce que tu souhaites, Enaya, on ne s'y opposera pas. Par contre il faudra que tu nous contactes toutes les semaines. On voudra te voir régulièrement, c'est évident.

Il ajouta tout un tas de conditions qui ne me plaisaient pas forcément mais qui semblaient aller dans le sens souhaité par Aodren. J'avais ordre de voir un psychologue toutes les semaines, qu'ils soient en contact avec ce spécialiste pour savoir si un problème survenait, d'envoyer tous les doubles des papiers me concernant ainsi que mes relevés de notes, de les convier aux éventuelles rencontres parents-professeurs, de ne pas faire de fêtes ou de sorties sans les avoir préalablement prévenus, de les consulter pour tous les choix relatifs à mon orientation ou à des achats nécessaires à ma personne.

- Je vous remercie de votre compréhension. Je vous assure qu'elle sera ici comme chez elle. Si vous le souhaitez, je peux vous envoyer des bilans financiers de ce que je prendrai en charge, cela vous donnera également une idée de son quotidien.

Ensemble ils approuvèrent les dispositions prises me concernant. Aodren réussit même à leur faire  signer des tas documents pour attester de tout cela pour lui permettre d'obtenir ma tutelle et de faire comprendre au lycée de le considérer comme mon tuteur temporaire, en attendant que la situation de ma mère évolue. Ils décidèrent d'autres choses mais je n'étais plus attentive.

Au moment de partir, mon oncle me tapota la tête comme lorsque j'avais cinq ans. Jocelyne me pris dans ses bras en baragouinant le classique : « tu me donneras bien des nouvelles, hein ? Et si quoi que ce soit arrive, contacte moi, n'hésite pas. »

Jean, lui, m'étonna. Il me fit une bise et me susurra : « si tu as un problème, tu m'envoies un message pour me dire que Clive est décousu. Je saurai que tu as un souci et que tu n'es pas à l'abri. » J'étais surprise de son inquiétude pour moi. Il était touchant. Jamais auparavant il ne m'avait dévoilé cet aspect de sa personne. Ils quittèrent les lieux sous une pluie battante.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top