Chapitre 15 - Retour


Il me conduisit chez Victor que je prévenai préalablement par message. Retourner là-bas était douloureux pour moi. Pendant le trajet je n'osais pas dire quoi que ce soit. Seulement j'avais des interrogations sur les événements de la veille, qui nécessitaient des réponses pour m'éviter des ennuis à l'avenir.

- Comment as-tu fait pour qu' Aodren ne lise pas en moi ? Il n'a pas lu enVictor ? Tu lui as dit que je t'avais contacté ?

Jake conduisait, l'air sérieux, sourcils froncés, ce qui ne lui ressemblait pas.

- Il a ses capacités, j'ai les miennes. Tu n'as pas besoin de savoir le comment ; tout ce que tu dois savoir est que j'ai fait ce qu'il fallait pour qu'il ne sache rien. Et oui je lui ai dit que tu m'avais contacté pour qu'on te récupère, que tu avais l'air mal au téléphone.

- C'est donc pour ça qu'il m'a appelée peu après, rétorquais-je.

Jake fit un mouvement de tête qui indiquait clairement que j'avais bien saisi le déroulement des événements de son côté.

- Pourquoi tu acceptes de m'aider ? Demandais-je.

- Parce que si je ne t'aide pas et qu'il apprend ce qui t'est arrivé, je pense que j'aurai beaucoup de mal à le gérer. Je n'ai pas l'intention de me retrouver à la rue.

Jake semblait lassé. Ou ennuyé. J'avais du mal à saisir ce qu'il pensait réellement.

- Ce serait totalement intéressé ? Je n'y crois pas. Et puis... Il ne s'est rien passé. Il n'y a rien. Rien.

J'étais en train de m'enfoncer dans le déni le plus total. Petit à petit, je devenais spectatrice de moi-même. Je ne voulais pas accepter au fond de moi cette réalité qui me briserait encore une fois et de manière irrévocable, car si la veille j'étais sous l'emprise de l'alcool, cette fois mes idées étaient suffisamment claires pour que je puisse comprendre et intégrer l'impact que ça aurait sur moi, sur ma vie, sur mon intimité, sur la personne que je devrais devenir. Jake écarquilla les yeux et son regard voguait entre moi et la route.

- Pardon ? Tu rigoles ? Ce sale gosse t'a...

- Chut ! On va arriver. Je vais récupérer mes affaires et Victor, je pense, pourra me ramener chez moi.

- Je ne sais pas à quoi tu joues, mais pour rappel c'est moi qui te conduirai chez toi. Il va falloir que tu m'acceptes près de toi, je ne te lâcherai pas. Et crois moi je garderai un œil sur toi.

Quand nous arrivâmes chez Angelina, Victor m'attendait sur le pas de la porte. Il ouvrit directement le portail sans que nous ayons à sonner. Jake me suivait et le regard que je lançai à Victor lui permit d'avoir une vision éclaircie de la situation. Il nous indiqua que les autres s'étaient levés depuis peu et qu'ils étaient en train de nettoyer. Ce qui était vrai. Nous allâmes au sous-sol. C'était un véritable bazar. Je me dirigeai vers la table pour ramasser les sachets de chips vides. Jake lui rassemblait les gobelets ; de temps en temps il sentait le contenu du verre pour discerner le type d'alcool qui avait été servi. Tia me sauta dessus :

- Bah alors ! T'es rev'nue ? Pourquoi ? Tu vas mieux ? Hier t'étais franc bourrée !

- Il fallait que j'aide pour le nettoyage, c'est la moindre des choses. Ouais, ça va.

Jake se servait un verre de vodka après avoir trouvé un fond dans une bouteille. Victor en profita pour me tirer dans un coin et me parler discrètement. Il me tendit une enveloppe. Voyant que je ne la prenais pas, il la glissa dans ma poche.

- Dès que tu peux, prends cette pilule. Tu risques d'être malade par contre, ce sera normal. Si tu veux demain je t'accompagnerai à l'hôpital vu que tu es chaperonnée aujourd'hui. Si tu as besoin d'un alibi, tu peux dire que je t'ai proposé des cours pour t'aider à préparer tes examens de fin d'année, parce que j'en donne à ma sœur, et que tu peux t'incruster avec ta copine.

J'acquiesçai en silence. Tandis que je retournai aider, à balayer cette fois, une voix interrompit le rangement et mobilisa l'attention générale sur ma personne.

- Tiens mais qui voilà ? Enaya ! Tu es de retour ? Tu es revenue voir ton cher et tendre ?

Je me sentis blêmir. Victor s'interposa.

- Et toi, je t'ai dit de dégager. Pourquoi t'es encore là ?

Il serrait les poings. Angelina s'approcha et les regardait, déconcertée. On sentait une réelle animosité de la part de Victor, ce qui ne correspondait pas à son style habituel. Jake observait la scène. Landry riait de l'effet qu'il provoquait. Victor était sans armes parce que je lui avais interdit d'en parler ou de faire quoi que ce soit. Je le savais au fond de moi. Mais en même temps, je voulais enterrer ça. Il fallait que j'oublie et que j'évite mon bourreau. Rien que de le voir me rendait malade. Victor attrapa Landry par le t-shirt :

- T'es chez moi ici mec. Alors un tu dégages, deux je ne veux plus te voir dans le coin et si tu oses une fois de plus parler à Enaya, ou même à ma sœur, tu sais très bien ce qui va t'arriver. Estimes-toi heureux que je sois capable de ne rien dire, pour l'instant.

Angelina se fâcha et dégagea le t-shirt de la main de son frère.

- Mais tu es fou ? Tu fais quoi à mon copain ?

- Tais-toi, c'est moi qui décide, déclara froidement Victor sans lâcher Landry des yeux.

- Genre, parce que tu es mon frère tu vas décider qui je dois fréquenter ?

- Non, mais parce que je suis ton frère je dois t'éviter d'être avec les mauvais personnes... Les personnes mauvaises.

Angelina était très étonnée. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. La tension était palpable. Landry posa sa main sur les épaules d'Angelina pour la coller contre lui en s'esclaffant :

- Ma nouvelle copine veut que je reste, je vois pas pourquoi je partirai.

Victor se jeta sur Landry et le plaqua contre le mur. Il allait lui donner un coup quand Jake intervint en lui bloquant le poing de sa main. Victor, surprit, tourna la tête vers lui, pour voir qui l'empêchait d'agir. Landry en profita pour pousser violemment Victor. Au moment où il tenta de frapper Victor, Jake l'empoigna et lui fit une clé pour l'immobiliser.

- Jeune homme, je crois que vous n'avez pas bien saisi les propos des propriétaires des lieux. En l'absence des parents de votre amie, Victor est le responsable. Il est en droit de vous demander de quitter sa maison. Si vous n'obtempérez pas, il peut contacter la police et même vos parents.

- T'es qui toi ? Lâche moi ! Arrête ton charabia le vieux et laisse moi !

Landry, après la surprise de l'intervention de Jake, exprimait maintenant une colère qui en effraya plus d'un dans la salle. Il avait toujours été influent auprès de ses camarades. Il m'était difficile aujourd'hui de concevoir qu'il fut mon petit ami à une époque. Je l'avais aimé, seulement je ne me souvenais plus de ce que j'avais apprécié chez lui, mise à part peut-être son physique avantageux.

- Moi, je suis un tuteur d'Enaya, capable de te coller un procès sur un seul mot de la demoiselle et de te gâcher ton avenir à jamais. Tu vois très bien de quoi je parle et je n'aurai pas la retenue du frère de ta copine. Alors vas-tu partir, ou je me charge de le faire à ma façon ?

Jake parlait calmement, avec assurance. Landry, bien que querelleur, n'était pas stupide au point de ne pas croire les propos qui venaient de lui être tenus. Il avait parfaitement remarqué le danger imminent que provoquerait un éventuel refus de sa part. Jake le lâcha et Landry se releva. Il regarda Victor puis moi, et s'en alla. Angelina le suivit en le suppliant d'attendre. Victor se tourna vers moi, replaça une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille, comme il le faisait à chaque fois, le regard amoureux. C'est à cet instant-là que je vis tout l'amour qu'il avait en lui, tout l'amour qu'il voulait me donner. C'est aussi à cet instant-là que je me sentis perdue. Je repensais à Aodren et je voyais Victor devant moi. Le temps semblait se figer sur mon indécision, je me laissais une fois de plus porter par les événements, par les autres. Il est aisé de suivre un mouvement néanmoins il n'est pas simple d'être l'origine de l'onde qui se propage, qui motive, qui fait avancer le monde. Cependant j'ignorais que j'allais vivre un tournant supplémentaire dans ma vie. Le point de départ des flux affectant le cours de ma vie allait se révéler brutal et horrible. Ce que je ressentais chez Angelina ne serait qu'une goutte d'eau dans l'océan des émotions qui me submergerait par la suite. Je n'étais pas encore au courant de la fin de ma routine. Je risquais de me noyer, de sombrer mentalement et physiquement.

Ce fut Jake qui intervint dans la démarche de Victor, comme pour le rappeler à l'ordre, lui comme moi d'ailleurs. Victor ne broncha pas quand Jake me contraignit à me tenir écartée de lui et à ranger dans mon coin. Il ne contesta pas non plus lorsque nous partîmes.

Jake proposa de raccompagner Tia et Naël. Ils étaient ravis de partir dans une belle voiture. Le bolide faisait son petit effet auprès de nos camarades, notamment Matt qui était intrigué mais qui posa des tas de questions à Jake sur la voiture.

Au final, Matt montrait tellement d'intérêt pour la voiture que Jake lui proposa de le conduire également jusque chez lui. Matt m'avait occulté de ses pensées, ce qui me convenait totalement, au point qu'il m'imposa de m'installer à l'arrière avec Tia et Naël pour ne pas gâcher l'opportunité de se retrouver à l'avant d'une telle merveille. Il était évident qu'il était fan de ces machines et qu'il en suivait l'actualité. Sur le chemin du retour, Matt parlait en continu, sollicitant Jake pour en savoir plus sur les caractéristiques mécaniques de l'engin.

Une fois déposé, Tia et Naël prirent le relai. Ils évoquaient le déguisement d'un camarade, puis critiquaient celui d'un autre... Ils évoquaient leurs délires, leurs fous rires, les blagues faites lors de la soirée, les amourettes révélées. Puis vint le moment où Naël, qui ne présentait habituellement aucun intérêt pour ce genre de choses, se mit à parler de Victor.

- Au final, tu es avec Victor ?

Mon sang se glaça. Je lançais un regard à Jake. Je marchais sur des œufs. Je savais que Victor et Naël s'entendaient très bien, et que ce que j'allais dire, chaque mot, chaque syllabe, serait rapporté à la personne concernée.

- Comment ça?

- Ben au départ, pour te débarrasser de Matt il a fait semblant d'être avec toi, mais hier... On aurait dit un vrai couple ! Même ce matin. Je pense qu'il veut sortir en vrai avec toi. Tu en penses quoi toi ? Après tout, il t'a embrassée...

Et voilà. Il en a trop dit. Jake m'examinait du coin de l'oeil, pour guetter la moindre de mes réactions.

- Il m'a prise au dépourvu. Soyons honnêtes, tu aurais fait quoi toi ? Victor m'a embrassée devant Matt, devant tout le monde, pour que Matt me lâche définitivement. Et ça a fonctionné du coup ! Il est gentil et attentionné, il s'est dit qu'il me ficherait la paix comme ça.

- Et pourquoi il est si fâché avec Landry ? C'est quoi l'embrouille?me demanda-t-il, comme s'il cherchait la faille dans mon discours.

- Simplement qu'il n'aime déjà pas Landry à la base et qu'en ayant parlé ensemble de nos vécus, il s'avère que... que Landry ne correspond pas au type de garçon qu'il trouve bien.

Je m'enfonçais dans des explications maladroites et peu convaincantes. Naël fit la moue mais n'insista pas. Jake soupira.

- Je peux mettre de la musique ? Hésitais-je.

Leur approbation et la mise en route de la radio furent un moyen de détourner l'attention. Le rap n'étant pas mon genre, je zappais. Je laissais une chaîne sur laquelle une musique enjouée résonnait. A la fin de celle-ci, un jingle annonça les informations. Dehors le ciel s'assombrit et il se mit à pleuvoir. Jake alluma ses phares. Ce dimanche pluvieux annonçait une après-midi repos à ne rien faire. Nous attendions que le feu passe au vert en écoutant les nouvelles. Outre les rencontres entre les grands dirigeants de ce monde, les propositions de loi poussant les gens à manifester leur mécontentement, le journal dévia sur les faits divers. Une star venait d'être maman de jumeaux et cela faisait le buzz.

« ...des années qu'elle souhaitait en avoir. Les fans sont ravis. Autre sujet, un grave accident de la route impliquant une voiture et un camion a eu lieu la nuit dernière sur les routes de .... »

- Change Enaya ! Hurla Tia. Je déteste les nouvelles c'est déprimant !

« ... tandis que le conducteur du camion lui n'a rien. Il se serait endormi au volant et aurait dévié de... »

Clic. Jake avait éteint la radio. Il se gara. Nous étions arrivés devant l'immeuble de Tia. Le frère de Naël irait le récupérer chez elle. Tia et Naël partirent main dans la main, elle en sautillant, lui tentant de conserver les sacs sur son épaule. Jake tourna la clé dans le démarreur.

- N'as-tu rien à me dire ?

Non je n'ai rien à dire.

- Que veux-tu que je dise ?

- Aodren ? Qu'en est-il ? Je ne comprends déjà pas pourquoi il s'accroche à toi. Mais cela m'ennuierait encore plus si c'est toi qui jouais avec ses sentiments. Après tout, vu son statut, il pourrait être avec n'importe qui d'autre de bien plus adapté.

Il m'expliquait son point de vue avec nonchalance, sans se rendre compte à quel point cela pouvait être blessant.

- Je ne joue avec personne. J'avoue que je suis perturbée par Victor... Toutefois, je n'ai pas eu la meilleure des soirées pour me permettre d'être détachée de lui. Il faudra que je prenne du recul sur tout ça.

Il reprit la route pour se rendre chez moi.

- Tu sais, on se connaît peu toi et moi, mais tu me rappelles quelqu'un que j'ai connu il y a longtemps et qui m'était cher. Considère moi comme un frère, je t'aiderai du mieux que je le peux.

Une fois arrivés, il me tendit mon sac.

- Qu'y-a-t-il ?

- J'ai de la chance que mes parents ne soient pas arrivés. Je ne vois pas leur voiture. Au moins je pourrai me reposer avant leur retour.

- Ah. Bon ben reposes toi. Tu as de quoi manger au moins ? Parce que tu as une mine affreuse.

- Oui, j'ai l'habitude, mes parents sont assez... indépendants ! Ils me laissent souvent seule.

Je passai le portillon puis entrai. Le chat vint se frotter contre mes jambes pour me faire comprendre qu'il voulait son repas.

La maison était sombre et vide. J'allumai les lumières, ce qui réchauffa l'atmosphère. On sentait l'hiver s'approcher à grands pas. Je décidai d'aller prendre une douche après avoir nourri le chat. Je posai mes affaires au sale, programmai le lave-linge après avoir transféré le propre au sèche-linge.

Une fois toutes les machines en route, je me glissai sous l'eau tiède. Un sentiment de plénitude s'emparait de moi. Les odeurs douces et sucrées des savons envahissaient la pièce. L'eau coulait le long de mes cheveux, de mon corps. Je pris le gel douche de mon père, celui de la marque vendu comme la référence pour le quotidien de tous les hommes. J'ouvris délicatement le clapet et je sentis l'odeur. Elle me rappelait Victor.

Aussitôt je pensais à la façon dont j'avais traité Aodren. En moins d'un mois ma vie avait été chamboulée. Trop à mon goût. Victor m'attirait, c'était certain. Mais Aodren était mon évidence. Il s'était imposé à mon âme. Je ne pourrais pas être sans lui. Il représentait cette force qui vous permettait d'avancer tant il vous rassurait. Mais alors pourquoi Victor m'attirait ainsi ? Il agissait comme je le souhaitais, un idéal masculin physiquement et moralement.

En revanche je ne pouvais pas assurer d'être attirée par lui en mon être le plus profond. J'étais perdue. L'un plus âgé, mature, calme, serein, posé, sûr de lui et représentant la stabilité, bien que jaloux et possessif. L'autre, jeune, également posé mais parfois impulsif, tout feu tout flamme, charmant, avait à son avantage son physique et était particulièrement attentionné.

Une fois séchée je décidai de grignoter. Je voyais l'heure sur le micro-ondes. Il était tard et mes parents n'étaient pas revenus. D'ailleurs, pour une fois, ma mère ne m'avait pas harcelée de messages. Je décidais de lui en envoyer un.

« Désolée de ne pas avoir donné de nouvelles plus tôt, la fête a duré longtemps et je me suis couchée tard. Comme promis j'ai aidé à ranger et je suis rentrée à la maison. J'ai nourri le chat. Je suis fatiguée je vais me coucher. A demain et faites attention sur la route ! »

J'éteignis mon portable. Je me couchais.

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