6. Une éponge à rage



6

Ce lundi, j'ai dû mettre un col roulé. C'est tellement inhabituel qu'en entrant dans le lycée, une bonne partie de ma classe s'est mise à chuchoter sur le sujet. En fait, le problème c'est que tout le monde connaît les mêmes techniques pour cacher des suçons. Et à part s'habiller souvent de pull à col roulé, le reste du temps, c'est pour cacher ces petites traces mauves ou rougeâtres. Et c'est chiant.

- Je vois que mademoiselle Allain cache sa petite visite chez monsieur Dubois, le nouveau ES, fais gaffe on dit de lui que c'est un fuckboy, s'écrie Martin qui n'hésite jamais à faire des commentaires.

Attendez, Malo s'appelle Malo Dubois ? Le mythe du Malo de Saint-Malo se brise en mille morceaux. J'aurais pu parier que son nom complet était Malo Saint-Malo – même si le taux de chance est visiblement faible.

Et comment sait-il que j'ai vu Malo ? Comment sait-il au juste que je connais Malo ?

- Roh, pas besoin de le cacher Ambre, pour une fois que tu ne te fiches pas de ce que je te dis. Lui aussi il avait des suçons sur le cou et faire le lien n'a pas été très compliqué surtout que tu lui en as fait des gros, continue-t-il avec un clin d'œil.

Je me suis assise à ma place en ignorant le mouvement de ses sourcils répugnants.

- J'avais oublié à quel point tu pouvais être inutile dans ma vie Martin, rentre chez toi à la place de m'embêter, lâché-je en coupant court à ses taquineries.

Il s'est tu et Sirena s'est assise à côté de moi. Avec un sourire bienveillant, elle m'a lancé :

- Ça te va bien ce pull blanc, le col roulé fait ressortir tes cheveux blonds, complimente-t-elle avec un clin d'œil.

Ma confiance en moi s'est reboostée en entendant ses mots et j'ai soupiré de soulagement quand la sonnerie a retenti, terminant ce premier épisode de remarques nulles de la part des mecs en chien de ma classe. Sirena m'a rassurée et peut-être que je pourrais remettre ce pull que j'ai emprunté à maman une autre fois, autre que pour cacher ces marques.

Quand je suis passée au tableau en maths, la bande de potes de Martin s'est mise à siffler. J'ai levé les yeux au ciel en trouvant ça plus grotesque qu'autre chose. S'ils veulent se prouver quelque chose avec ça, qu'ils aillent se faire voir.

En m'asseyant, Martin m'a soufflé un « À quand mon tour » avec un clin d'œil. Je lui ai répondu avec un doigt et il s'est définitivement retourné.

***

Le midi, nouvelle approche du combat des repas. Cette fois-ci, je peux manger avec Sirena tranquillement. On trouve des places dans un coin d'une table de secondes. Ils parlent des profs, de leurs emplois du temps méga « chargés » et des clichés sur les filières. Sirena n'a pas pû s'empêcher de leur lâcher un : « faites pas S » que j'ai dû corriger en : « sauf si la médecine ça vous tente vraiment ». Ils ont continué à poser des questions et taper la discut' avec Sirena. Au même moment, j'ai croisé le regard de Malo, assis dans un coin en train de croquer dans sa pomme. J'ai examiné le broc d'eau à moitié rempli et me suis proposée pour le remplir entièrement.

En me levant, j'ai fait attention à fixer le brun de loin. Quelques minutes plus tard, dans le périmètre des robinets d'eau, à l'abris des regards, il m'a embrassée.

- Wow, trop dangerous ce qu'on vit, me moqué-je en prenant l'accent anglais francisé.

« Malo Saint-Malo » a vidé son broc d'eau déjà rempli pour le re-remplir. À quoi ça sert ? Je n'en sais rien.

- T'as marqué le territoire avec les suçons hier, maintenant les filles de ma classe me fixent avec intensité, remarque-t-il.

Je réplique :

- C'est toi qui as commencé ! Me blâme pas. Maintenant, je vais devoir expliquer ça à mes parents en essayant de leur faire croire que c'est Rosalie qui s'entraînait sur moi !

Les brocs remplis, on est reparti à nos places d'origine et j'ai tenté de lui faire un faux croche-pied, frôlant juste ses chevilles de façon à ne rien renverser mais à le stresser un peu quand même.

- Doigt d'honneur invisible, lâche-t-il en prenant un chemin séparé.

Moi, je lui ai fait un doigt visible, en face de la table de Martin qui a directement fait le lien.

***

Je me rappelle encore du petit groupe de secondes que nous formions, Lina, Rosalie, Angèle, Cassandre et moi. Cinq filles qui auraient pu défier la Terre entière alors âgées à peine de 15 ans. Angèle était ma meilleure amie. Partie en L, elle m'a délaissée en première pour ses nouveaux potes. Cassandre, Lina et Rosalie ont rejoint les rangs des ES. Elles sont toutes les trois encore proches mais j'ai perdu contact avec Cass', que je ne croise presque plus qu'en soirée. Lorsque j'ai fait le choix d'aller en S, je flippais. Je ne voulais pas perdre mes amies. Le groupe de 5 formé dès la 4ème au collège ressemblait à un lit douillé. J'étais heureuse à nous cinq.


Les sections ont brouillé des amitiés et ont mises en avant celles de Linouche et Rosalie. À trois, je me sens bien. Mais je ressens toujours ce petit manque. Angèle et Cassandre auraient dû faire partie de ma vie en cette dernière année de lycée et c'est regrettable qu'on ait perdu le contact à ce point, alors que seuls des bâtiments de cours nous séparent.

- Maman, t'as encore contact avec Simone ? demandé-je en montant le volume de ma voix.

De la cuisine, ma mère m'a répondu tout en criant :

- Bien sûr, pourquoi ?

Simone est la mère d'Angèle. Maman et elle avaient été dans la même fac à Paris. Les pas de ma mère dans les escaliers s'entendent dans ma chambre et je quitte l'onglet « youtube » pour faire comme si j'étais sur un site de cours.

- Pour rien, pour rien.

Ma mère est redescendue et la connaissant, elle va sûrement analyser ma réaction pour en discuter avec la Simone en question. Alors que je débute mon compte-rendu de TP et apprends mes déclinaisons en allemand, l'appel entrant de Malo me coupe de ma concentration. Je raccroche et me mets mon portable en mode avion.

Je n'aime pas quand les gens me dérangent lorsque je fais mes devoirs. Déjà que je rentre péniblement dedans, c'est trop facile de m'en faire sortir. Alors je résiste du mieux que je peux.

Une quinzaine de minutes plus tard, en soupirant, je l'ai rappelé, prise d'une trop grande curiosité.

- Quoi ? lâché-je d'un ton peu accueillant.

J'entends son rire à l'autre bout du fil et la proposition d'appel facetime surgit de nulle part. Je suis démaquillée, ai les cheveux attachés pour bosser et arbore mon pyjama Mickey Mouse avec beaucoup de complexes en décrochant. Un Malo torse nu apparaît sur mon écran et je lève les yeux au ciel. OK, ça fait son mec en vidéo. J'ai chaud mais je ne vais pas l'avouer, par souci d'ego.

- Je t'appelle parce qu'un mec de ta classe vient de m'envoyer une menace, explique-t-il en faisant une grimace.

Mes sourcils se froncent automatiquement – au fait, c'est une mauvaise idée, je vais me faire de jolies rides au niveau du front à trente ans à peine sûrement.

- Ah. Sûrement Martin... Attends, comment ça une menace ?

Malo se met à fredonner une chanson qui chante étonnement faux.

- Je cite : Ambre s'en fout de toi, rentre chez toi le fuckboy, elle mérite mieux. Reste loin d'elle sinon je te défonce.

Le brun sourit comme un demeuré.

- Je ne savais pas que j'avais de la concurrence sérieuse dans ce bahut ! dit-il tout enchanté.

Moi, j'ai complètement lâché mon protocole de physique pour écarquiller les yeux de choc. À quoi joue Martin ?

- Très jolis suçons dis donc, remarque-t-il en souriant espièglement.


Wow, mais c'est dingue comme Malo peut être dragueur par moment. On passe du mec relou qui s'en branle de toi, à celui qui te lâche des petites remarques espiègles juste pour son plaisir personnel.

- J'ai failli sortir avec lui en seconde. Mais ça c'est ma vie. Je te laisse, j'ai de la physique à faire, je préviens en raccrochant avec un petit sourire forcé.

Au fond de moi, c'est la confusion la plus totale. On parle bien de Martin Rivière, le gars qui m'a foutu un râteau grandiose en seconde. J'étais persuadée qu'il m'aimait plus que bien à l'époque mais, à ma grande déception, mon râteau avait été inévitable. Et là, deux ans plus tard, j'apprends que môsieur fait son gars et envoie un message à Malo.

C'est pas du jeu Martin. Vraiment pas du jeu.

Voyez-vous, quand vous êtes réellement amoureux ou amoureuse en seconde et que tous vos rêves amoureux se sont écroulés depuis, les voir réapparaître peut sembler incompréhensibles, détonants et confus. Je ne sais même pas si les séquelles de ma seconde se sont évaporées. Je ne sais même pas si tout ceci a du sens.

Sérieusement, est-ce que Martin veut du pain ou crushe réellement sur moi ?

***

En arrivant au lycée avec mes suçons exposés à l'air libre, je rejoins Rosalie dans la cour. Lina est malade et je leur ai expliqué la drôle de situation par messages dans notre groupe de discussion la veille. Rosalie qui ne comprend pas où est le problème, m'explique que c'est normal que je me fasse désirer par un queutard et un con. C'est du low cost mais c'est un bon début, surtout que je suis tellement « high » que je ne devrais même pas traîner avec eux.

Je n'ai pas rebondi sur le fait qu'elle est sortie trois jours avec Martin en première et que Malo est son dernier ex.

Non ce n'est pas normal. Déjà que l'on passe d'une situation de super vide désert amoureux à une liste remplie d'un « mec que j'embrasse aux lavabos du lycée » et du fameux « gros lourd que j'ai aimé dans un passé honteux qui se croit tout permis ». Ça en fait deux. Et pour moi qui ne comprend pas bien les garçons et les ambiguïtés amoureuses, c'est beaucoup deux.

Malo est apparu dans mon champ de vision avec un visage impassible. Sa réaction face à mon sourire est imperméable et j'avance vers lui inquiète face à son air fermé. Mon bise-baiser foire et je prends sur moi pour ne pas me ridiculiser davantage en public.

- Ça va pas ? T'as tes règles ?

Il a levé les yeux au ciel et m'a ignorée en me foutant un vent grandiose et en continuant son chemin. OK, ça fait même pas deux jours qu'on « traîne » ensemble alors qu'on est pas ensemble et qu'il fait déjà sa crise de diva. Relou, va.

- C'est quoi ton souci, forcé-je frustrée de ne pas avoir de réponse.

Je n'aime pas quand la situation m'échappe. Je n'aime pas que les gens sont remontés contre moi. Même si je fais genre que je m'en fous tout le temps, au fond, je ne m'en fous pas. Loin de là. Ça nourrit ce côté confus de mon cœur que je n'arrive pas à nettoyer. Ça me rend lourde de culpabilité.

- T'allais me dire quand que tu t'étais mise en couple avec lui hier ? Non parce que le facetime, là c'était du foutage de gueule. Il a fallu que je reçoive un second message de sa part pour que je m'en rende compte, moi qui ne le prenais pas au sérieux.

J'ai bugué sur le coup. Comment ça « en couple » avec Martin. Hé mais oh, ça ne va pas dans leurs têtes à ces garçons ? J'ai laissé Malo dans ses illusions avec une mine atterrée. Bravo, fantastique, et ça croit des bobards de merde de la part de Martin Rivière. Lorsque je croise Martin dans la classe, assis devant moi, je ne peux m'empêcher de fulminer de l'intérieur.

Abandonnant mon air détaché, je déverse ma rage :

- Que ce soit clair, Martin, je ne sais pas à quoi tu joues mais faut que t'arrêtes ça. Tu t'introduis dans ma vie comme si de rien était et tu commences à lancer des mensonges de merde sur moi, depuis quand je suis en couple avec toi hein ? Jamais donc ferme-la vraiment t'es lourdingue quoi !

Martin m'a souri, fièrement et ma colère s'est cumulée subitement.

- Eh chill Ambre, chill.

Je ne me suis pas calmée pour autant et la classe s'est entièrement retournée pour nous observer. Le spectacle doit être intéressant.

L'expression sérieuse de Martin qui a suivi m'a paru suspecte jusqu'à ce qu'il sorte son portable pour me montrer une photo.

- Quand je te dis que c'est un bon gros fuckboy ce gars, c'est que s'en est un. Puis je fais ça pour ton bien Ambre, hein, je suis un gars bien.

Sur la photo, je peux reconnaître Malo en train d'embrasser une blonde bien maquillée qui n'est autre qu'Angèle dans une rue que je reconnais. Le pan de la rue où j'ai flirté avec lui pour la première fois. C'est drôle que la fille soit Angèle, comme si le karma s'acharnait sur moi.

- La photo date d'hier hein, je les ai vus dans la rue près du lycée.

Je n'ai plus rien dit de la journée, perdue dans mon mutisme. Même quand Martin est venu s'excuser par rapport à ce qu'il a dit pour me « couvrir », je l'ai fait bouler. Malo est con, je suis conne d'avoir dit que de toute façon, ça ne servait à rien de vouloir ou pas de se mettre ensemble.

J'ai enlevé le queutard et le con de la liste de mes Baobabs.

Je reste mieux seule. Ça ne sert à rien d'être une « distraction » si c'est pour s'attacher, se faire prendre pour une conne et éponger un sentiment de tristesse.

Surtout que celui-ci m'a lancé un « T'allais me dire quand que tu t'étais mise en couple avec lui hier ? Non parce que le facetime, là c'était du foutage de gueule. » dans la cour dans la matinée. Et bah dis donc, bravo, si ça c'est pas du réel foutage de gueule, je ne suis plus Ambre Allain.

J'ai abandonné l'idée d'apprécier Malo un peu plus que je ne l'aimais déjà ce jour-là. Mission éponge à sentiments échoué, qu'il aille juste se faire foutre.

En rentrant chez moi après les cours, j'ai pleuré un bon coup. C'était court, efficace et délivrant. Et au fond, j'ai décidé que plus jamais je ne pleurerai pour un garçon qui n'en vaut pas la peine.

Ce soir, le souci le plus ridicule de mon existence s'est imposé véridiquement en moi.

J'étais en train de tomber amoureuse de Malo depuis le passage des Curly. Et rien qu'en y repensant, je me suis dit que c'était impossible d'affronter ce genre de souci parce que le noyer me ferait avancer dans la vie et que je ne veux plus jamais stagner dans la connerie.


Gustave Allain m'a conseillé un jour de ne pas traîner avec les cons et je sais qu'il a toujours eu raison, au fond.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top