4. Une éponge à honte



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On a fait des bises-baisers pendant toute la semaine. Quelques fois nos lèvres se frôlent entièrement pour passer d'une joue à l'autre. Juste après, on se fait des doigts. Rosalie trouve ça très « hot » et Lina trouve ça très « bizarre ». Je penche pour l'avis de Lina.

Ce qui est gâtant c'est que plus je profite de ces bises-baisers, plus je me demande ce que pourraient ressembler ses vrais baisers. Tout ça reste très ambigu, gênant voire révoltant si on compte le fait qu'il me raccompagne maintenant à la station de bus dès qu'il peut le faire pour me mettre mal à l'aise.

Et je m'habitue à sa compagnie. Je n'ose toujours pas manger avec lui étant donné que Malo reste super désagréable et que je n'aime pas déjeuner avec un gars qui me met mal à l'aise.

Et puis, Rosalie m'a clairement expliqué qu'il est devenu officiellement un Baobab à mes yeux, une target et il faut que je fasse gaffe à ne pas trop crusher tout de suite car il est plutôt doué pour faire tourner les gens en bourrique.

Le vendredi soir alors qu'il me raccompagnait, je lui ai proposé d'aller au salon de l'Étudiant. C'est pas très glam' comme proposition mais je dois aller à Rennes ce weekend et j'ai réellement besoin de compagnie parce que Lina et Rosalie ont désisté pour économiser. Je lui ai parlé de l'heure du train en question, du prix modeste du billet. Il m'a répondu un « non » sec et j'ai dû avalé ma frustration. Pourtant, le lendemain, alors que je me dirigeais vers la gare, il était sur le quai et il m'attendait les mains dans les poches.

C'est à cet instant que j'ai compris que le potentiel de chances que je veuille sortir avec lui a augmenté considérablement. Jamais un garçon m'a attendu sur le quai, même si c'est juste pour aller à un salon d'exposants de grandes écoles et de formations.

Quand on est arrivé à Rennes, j'ai expliqué que par faute de moyens, j'ai dû appeler à la rescousse un de mes contacts secrets habitant dans le coin.

J'ai aperçu Barnabé sur le parking de la gare, avec sa voiture d'occasion rouge. Je lui ai fait la bise et il m'a fait un clin d'œil charmeur. Il a salué Malo et a continué avec le même clin d'œil. C'est très lourd mais on ne peut rien faire contre Barnabé l'ancien fuckboy de Brest, sa réputation et sa vraie nature lui colleront toujours à la peau.

- Tu revois mon cousin quand ? demandé-je assise dans la voiture.

Barnabé chante à tue-tête du Serge Gainsbourg.

- On a rompu le week-end dernier. C'est un peu la merde là mais dès que je remonte à Paris tout à l'heure, je vais le reconquérir.

Ce surplus de nouvelles informations me laisse sans voix.

- Hein quoi ? lâché-je affolée.

Oh non, pas Gustabé, surtout pas Gustabé.

- Il a rencontré une fille à Science Po, poursuit-il sèchement.

J'ai perdu ma voix en entendant cette réponse.

- Mais c'est pas possible ! Gustave t'aime trop pour aimer une autre nana. Il m'a même dit le week-end dernier que si tu montais à Paris qu'il veut que vous preniez ensemble un appartement. Attends, et mais pourquoi tu ris ! Mais ça va pas de me faire une blague comme ça, t'es complètement taré ! m'écrié-je en hurlant.

Barnabé était en appel avec Gustave tout le long. J'entends le rire de mon cousin à l'autre bout du fil à travers le haut-parleur.

- Par contre c'est faux, je ne t'aime pas trop et si j'emménage avec toi c'est juste pour Paul Cacahuète, intervient la voix à l'autre bout du fil.

Barnabé continue de chanter sa chanson comme si de rien était.

J'ai passé le reste du trajet à me demander si Barnabé était quelqu'un de bien. Jamais mon cousin ne m'avait dupée ainsi, comme si je pouvais être victime de ses mauvais tours. Et depuis quand Gustave s'intéresse à faire des mauvais tours ?

Dans la voiture, à côté de Malo, je me suis sentie très bête. Je l'ai quasiment invité à m'accompagner. Ça ne me ressemble pas tellement, même si chez moi, après qu'il ait dit « non », je me suis sentie super trahie et déçue.

Ce qui est vraiment troublant, c'est qu'il n'a fallu que de deux semaines pour que tous mes plans soient bousculés et que je me décide à « franchir » un premier pas avec lui. Peut-être que je l'embrasserai après le salon. Peut-être qu'il m'embrassera, moi.

Il est très bizarre Malo. Très grand mais très distant. Il regarde les gens d'un œil vide et même quand il tente d'insister sur un regard, on a l'impression que ce qu'il observe est un bâtiment. Et non, je ne suis pas un immeuble d'habitation.

En plus, ce qui est terrifiant, c'est sa capacité à s'en ficher d'être beau. J'ai jamais traîné de cette façon avec des garçons alors les beaux garçons, c'est comme un autre univers. Le problème avec les beaux garçons, c'est qu'ils plaisent à tout plein de monde et que le contraste avec la personne qui ne plaît pas souvent est saisissant.

Mais il est très ingrat. Et grotesque par moment. Il se fiche tellement du monde que quelque fois, il ne trouve pas d'avis à donner. Je ne sais pas si c'est exemplaire mais je trouve que ça le déshumanise, comme si tout ce qu'il peut faire c'est être chiant et beau. Mais c'est bien de ne pas vivre sa vie en fonction des autres. Mais socialement parlant, ses amis doivent s'accrocher pour l'apprécier.

- On est arrivés les loulous ! Putain Pythagore fais un effort pour Paris, paye ton loyer. Ouais, j'ai amené ta cousine comme demandé. Bon ciao ciao les 2002 !

On est sorti et Barnabé est parti juste après, en nous faisant de nouveaux clins d'œil de loin. Malo est resté debout contre un poteau et m'a demandé :

- C'est normal que ce mec appelle ton cousin Pythagore ?

J'ai souri.

- Oui, c'est du pythalès. Gustave appelle Barnabé Thalès. Ils sont très excentriques tous les deux, expliqué-je en le voyant froncer des sourcils.

Il a amené une main dans ses cheveux et j'ai bien cru qu'il allait m'embrasser quand il s'est approché de moi. Alors, j'ai reculé d'un pas, naturellement.

- Et toi, t'as un surnom ? interroge-t-il en fourrant ses mains dans ses poches.

J'ai dû avouer que non.

- Et toi ? répliqué-je juste après.

Il a fait non de la tête et j'ai fourré mes mains dans mes poches également pour paraître la plus détendue possible. Malo a le don de me stresser. On est entré dans le salon sans trop de peine, avec la queue et les histoires de tickets. J'ai fais attention à le frôler le moins possible pour ne pas être trop déstabilisée. Mon dieu, que je suis prude.

Après deux heures passées à faire le tour des exposants, m'informer sur des formations par finir par imaginer mon avenir dans une classe préparatoire, j'ai proposé à Malo de sortir manger des crêpes avant notre train.

Une crêperie trouvée, j'ai commandé ma crêpe caramel beurre salé. Malo qui n'a plus eu faim a fini par se rabattre sur une pomme achetée dans une épicerie. On s'est posé sur l'herbe d'un square et j'ai dévoré ma crêpe sans grâce. Elle est bonne.

- Dis, Malo, débuté-je pour sortir du blanc dans lequel nous sommes plongés.

Je n'ai aucune idée pour la suite de mon interpellation. Je l'ai regardé croquer dans sa pomme avec un sex-appeal grandissant, mâcher son bout et ai observé les traits de son visage concentré.

- Est-ce que c'est dérangeant si... tu sais, là je parle d'un truc gênant ?

Il a acquiescé mais je n'ai pas abandonné pour autant. J'ai fini ma crêpe avec ferveur pour me donner de la force. On est coupé du reste du monde à Rennes et si cette discussion tourne mal, je n'aurais qu'à l'ignorer au lycée si je le croise.

- Est-ce que y a un truc entre nous ?

C'est sorti tout seul de ma bouche et j'ai regretté instinctivement. Ce n'est pas comme ça qu'il faut que je le dise. J'ai merdé en prononçant ces mots.

- Est-ce que je suis une « distraction » comme Rosalie ? demandé-je sur ma lancée.

Chaque phrase sortie me brûle la langue. Je m'expose à l'instant et ai l'impression que je vais sûrement me brûler les ailes. C'est terrible parce qu'il n'y a rien de concret à dire mais que je parle d'un sujet que je ne maîtrise absolument pas.

- Écoute... Ambre. T'es gentille mais...

Après ça, je n'ai plus écouté. Il dit des mots qui n'ont pas tellement de sens au fond. « T'es gentille mais ». Mais quoi ? À part me dire que je suis gentille, y a-t-il d'autres mots pour me définir. J'ai regardé une poubelle et ai fait comme si je m'en fiche complètement de ce qui vient de se passer. C'est rien mais c'est déjà trop.

- Oublie, j'ai sûrement inventé notre ambiguïté., lâché-je d'un air détaché.

Je me suis relevée et lui ai annoncé qu'on a un train à rattraper. Pour une fois, le train n'est pas en retard et lorsque je monte dedans, je n'ose à peine regarder Malo dans les yeux. Au bout d'un certain temps, je le fais pour me prouver à moi-même et à lui que je m'en fiche grandement. Mais c'est faux et c'est dur de devoir le cacher dans cette position.

Cette excursion est une mauvaise idée et tous mes espoirs se sont évanouis d'un coup. Alors pourquoi me fait-il des bises-baisers ? Pourquoi est-ce qu'il est sorti avec Rosalie sans la connaître, alors que moi, je ne suis jamais assez bien pour personne. Surtout que Malo, n'est pas le mec parfait. Mais ça me fait mal parce que mon estime de soi baisse et chute à la vitesse de la lumière. 3,0 x 10 puissance 8 mètres par secondes. La célérité.

Arrivé à Rennes, je l'ai remercié de m'avoir accompagnée et suis rentrée chez moi silencieusement sans avoir tenté de bise-baiser. Le moment n'était pas gênant, il était juste inconfortable pour mon ego. Ma mère m'attendait sur le canapé pour me demander comment ça s'était passé. J'ai répondu un « bien » vide et suis rentrée dans ma chambre.

Mon lit retrouvé, j'ai soupiré. Du plus grand soupir de ma vie.

En enfouissant ma tête dans un oreiller, je me suis rendue compte que tout ceci m'affectait trop. Ouais, Rosalie avait raison, il tournait les gens en bourrique mais ce n'était pas sa faute. C'est moi qui en pince pour lui, c'est moi qui ai persisté à espérer le croiser au lycée, c'est moi qui l'ai invité et qui ai mis le sujet sur le tapis.

Malo me plaisait pour de vrai.

Et j'ai tout gâché parce que je suis réellement une cruche avec les garçons.

***

- Et c'est tout, raconté-je à Lina en Facetime.

Silence puis la brune déclare :

- Je suis fière de toi Ambre, t'es une fille vraiment entreprenante qui s'affirme et mène la danse avec les garçons.

Mes sourcils se froncent délibérément et je rétorque :

- Tu me confonds avec Rosalie...

Lina a soupiré à l'autre bout du combiné.

- Pas du tout Ambre, Rosa' elle aime les gars parce qu'elle aime pécho. Donc elle entreprend avec aise parce qu'elle n'a rien à perdre. Et elle sait qu'elle est jolie alors, elle en profite. Toi, tu entreprends dans l'optique de montrer tes sentiments. Et c'est fort Ambre, d'avoir les couilles de montrer ses sentiments.

J'y ai réfléchi une bonne longue minute et me suis mise à sourire. Je ne suis pas heureuse pour autant, cette journée avec lui m'a terriblement déroutée et plus je repense au passage honteux au square, plus je veux me planquer six mille lieues sous terre. Qu'est-ce qui m'avait bien pris bon sang ?

Je ne sais même pas si on peut réellement parler de sentiments.

- Et puis, Malo te plaît et tu plais à Malo, affirme-t-elle.

Je pâlis.

- Il m'a pas fait comprendre ça Lina.

Elle a ri.

- Ambre, je sais quand une fille plaît à un garçon. Surtout avec ton Malo. En classe, il s'en fout tellement de tout c'est dingue. Il veut même pas se faire d'amis alors que les gens lui proposent de manger avec lui et bien encore. Il a pris Rosalie pour son bouche-trou. Toi, il a payé des billets pour aller Rennes juste pour t'accompagner et que tu ne te sentes pas seule. Si ça c'est pas une preuve qu'il veut partager un truc avec toi, c'est que je peux me foutre un doigt dans l'œil.

Mon cœur s'est réchauffé à cette remarque.

- Donc j'ai pas tout rêvé ?

Lina soupire d'exaspération.

- Bien sûr que non, t'as rien rêvé ma cocotte. OK, il a pas été cool aujourd'hui, mais si tu y tiens à cet inconnu, faudrait que tu fasses en sorte qu'il arrête de s'en battre de tout. Parce que humainement parlant, c'est normal qu'il t'ait recalé, il n'est pas prêt à tenter quoi que ce soit avec une fille géniale comme toi. Je suis sûre qu'il pense que tu mérites mieux que lui. Et puis, t'as sorti ça avec tellement d'aise que de son côté, il a dû paniquer intérieurement et il s'est dit que l'idée de paraître négligé en te répondant lui sauverait sa peau.

Je n'ose jamais faire mes propres théories sur les gens parce que je ne suis pas dans leurs têtes. Mais Lina m'a remotivée à ne plus me morfondre pour un truc qui n'a même pas eu lieu.

Elle a sûrement raison. Mon cœur se serre quand j'y repense.

Peut-être que oui, il faudrait que je fasse de lui une éponge à sentiments.

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